Une question qui a un parcours
Cette thèse a été précédée par un mémoire de Master soutenu à l’Institut Agronomique Méditerranéen de Montpellier en 2004 et par un mémoire de DEA soutenu à l’Université de Paris X — Nanterre en 2004 également. Le premier est intitulé État et OSC (organisations de la société civile) en milieu rural Égyptien : un transfert de pouvoir ? le cas d’Al-Hagar, village du gouvernorat de Fayoumet le deuxième Configuration Sociale des acteurs du développement : comment expliquer la réussite ou l’échec des projets ? Ces deux travaux de recherche étaient considérés comme préalables à celui de cette thèse en lui préparant le terrain, surtout en ce qui concerne la problématique et les fondements théoriques.
Le mémoire de Master fait l’objet d’une étude exhaustive des OSC se trouvant dans une unité villageoise locale au centre de l’Égypte. Ces OSC étaient au nombre de 27: 14 centres ruraux de jeunesse, 7 coopératives agricoles, 5 associations de développement de la société locale et une association des usagers de l’eau. En se basant sur le constat du changement institutionnel en Égypte au cours duquel l’État est en train de se désengager et la société civile de s’impliquer davantage, cette étude se posait la question centrale de vérifier s’il y a un transfert de pouvoir de l’État vers les OSC en ce qui concerne le développement local.
Parmi les résultats de cette recherche de Master, deux ont particulièrement influencé la thèse actuelle. D’abord nous avons acquis la conviction qu’il vaut mieux se recentrer sur les associations de développement de la société locale, spécialisées dans le développement local proprement dit, au lieu d’avoir une approche plus large visant l’ensemble des organisations de la société civile qui peuvent avoir des objectifs variés et précis tels que l’enfance et la jeunesse (les centres ruraux de jeunesse), l’appui à l’agriculture (coopératives agricoles) et la gestion des canaux d’irrigation (associations de gestion de l’eau). L’enjeu n’est pas de dire que tel type d’OSC est plus important que d’autres, mais simplement il s’agissait de mettre en évidence que l’hétérogénéité de ces organisations peut donner lieu à des études intéressantes s’il s’agit d’une problématique assez générale comme celle du Master. Cependant, dès que l’on veut faire une étude plus poussée, il faut faire le choix du type d’organisation le plus adapté aux questions posées.
Le deuxième résultat de ce Master qui est aussi déterminant pour cette thèse est que les signes de dépendance des OSC étudiées vis-à-vis de l’État sont plus nombreux et plus évidents que les signes d’autonomie. La conclusion du Master était une réponse négative à la question posée : le transfert de pouvoir supposé n’a pas eu lieu. Les relations entre l’État et ces organisations sont de nature complexe. Pour continuer à les étudier, il faut poser les questions autrement et mieux les situer dans leurs différents contextes.
En 2004, le mémoire de DEA était conçu comme un projet de thèse comprenant une grande part de recherches bibliographiques. À ce stade, l’idée était d’avoir une approche par projet de développement plutôt qu’une approche par organisation. En continuité avec l’idée de l’autonomie ou de dépendance vis-à-vis de l’État, l’hypothèse principale formulée par le DEA, à l’intention de la thèse, était de vérifier si une «configuration d’acteurs » plus proche du modèle de «configuration équilibrée» donne plus de chance au projet de réussir, et vice versa. C’est donc dans ce mémoire de DEA que nous avons utilisé pour la première fois le concept de configuration sociale de Norbert Elias pour appréhender les questions de partage de pouvoir entre les OSC et l’État, dans un cadre précis de projets de développement rural.
La réflexion autour de la future thèse était confuse, tiraillée entre une entrée par OSC, empruntée au Master, et celle par projet, empruntée au DEA. Après un glissement en faveur de la première, finalement ni l’une ni l’autre n’a été retenue, mais une entrée avec comme objet principal l’association de développement de la société locale qui est une composante de la société civile locale et qui est d’ailleurs celle qui entreprend le plus de projets de développement local. De même il y a eu hésitation entre une analyse en termes d’autonomie et de dépendance vis-à-vis de l’État d’une part, et celle en termes de configurations sociales de l’autre. Dans un premier temps, c’est la première approche qui a été retenue, mais ensuite c’est la deuxième qui a finalement triomphé.
En effet, la problématique a considérablement évolué depuis la première inscription en thèse en 2004. Le titre inscrit au fichier national des thèses était Analyse des impacts de l’autonomie des Organisations de la Société Civile sur le développement local en milieu rural égyptien. L’idée de départ était de comparer différentes OSC en terme d’autonomie relative vis-à-vis des organismes de l’État et des autres acteurs pour vérifier si cette autonomie est un facteur déterminant pour le fonctionnement interne de ces organisations et plus précisément pour leur performance dans le développement local.
Les fondements et les recherches antérieures
Afin de construire cette thèse sur une base solide, il est indispensable de donner une place importante aux recherches déjà menées par d’autres sur le même sujet ou sur des sujets proches. Cette bibliographie sert à approfondir la réflexion, à valider les conclusions tirées et surtout à tenter d’apporter une contribution nouvelle par rapport à ce qui a déjà été produit en matière scientifique. Pour le lecteur, surtout le non spécialiste du sujet, les paragraphes suivants sont utiles pour comprendre la suite de cette thèse.
Associations de développement de la société locale : de quoi parle-t-on ?
D’un point de vue juridique , celles-ci sont classées en fonction des différents types d’activités dans lesquelles elles sont spécialisées. La majorité des associations appartient à l’ensemble de celles qui fournissent les services sociaux. Il s’agit d’un ensemble hétérogène qui regroupe les associations d’aide à la famille, à l’enfance, aux handicapés, aux personnes âgées en passant par l’écologie et les droits de l’homme. Notre ensemble, plus homogène, porte sur les associations dites de développement de la société locale.
Le milieu rural égyptien abrite seulement 35 % des associations existant au niveau national, même s’il représente plus de la moitié de la population du pays (PNUD/UNDP et Institute of National Planning, 2003). L’inégalité en nombre des associations entre milieu rural et urbain s’explique en partie par la lourdeur de la démarche de création. Les urbains, plus instruits et plus proches des bureaux des administrations, sont plus capables de le faire que les ruraux (Kandil, 1998). Toutefois, c’est en milieu rural que les associations de développement sont plus nombreuses que celles qui fournissent les services sociaux, ce qui est habituellement expliqué par les forts besoins en matière de développement constatés en milieu rural.
Les activités des associations rurales sont souvent polyvalentes et incluent aussi bien des projets de développement socioéconomique que la fourniture de services comme des jardins d’enfants, des ateliers de couture pour jeunes filles, des ateliers d’artisanat pour jeunes garçons, des classes d’alphabétisation, des centres de planning familial, et l’organisation de réunions d’information (Moharam, 1994).
Les associations de développement mettent également en œuvre des projets de production, comme les projets des « familles productives » qui sont des petits projets de production à domicile pour augmenter les ressources des familles, ou comme des projets d’élevage, d’agroalimentaire ou d’artisanat propres à l’association dont les bénéfices sont destinés à financer ses autres activités (ibid.).
Études sociologiques sur les organisations rurales : la tradition égyptienne
Dans une quinzaine de facultés d’agronomie en Égypte, les chercheurs et les doctorants des départements de sociologie rurale étudient les organisations en milieu rural, en particulier les coopératives agricoles et les associations de développement de la société locale qui représentent les deux types d’organisation de la société civile les plus nombreuses en milieu rural, avec les centres de jeunesse. D’autres chercheurs, notamment dans les facultés de service social et dans différents organismes de recherche, s’intéressent aussi à ces organisations. Il convient ici de tracer les traits principaux qui caractérisent ces recherches pour ensuite donner quelques exemples.
D’après une vingtaine de recherches consultées dans ce domaine , trois caractéristiques dominantes ont pu être constatées : une approche inductive visant à identifier les problèmes liés à ces organisations afin de pouvoir proposer des recommandations, une méthodologie d’enquête par questionnaire auprès des acteurs concernés et un recours à des outils statistiques rigoureux pour déterminer l’échantillon qui sera l’objet de l’enquête et pour analyser les résultats des questionnaires. L’utilité de ces recherches est fonction de l’identification des problèmes et des recommandations données. La qualité professionnelle du chercheur est souvent déterminée par la capacité qu’il déploie à construire et à conduire l’enquête et, finalement, la valeur scientifique et académique de l’ensemble est appréciée en fonction de la complexité des outils statistiques utilisés .
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I : Les questions et leurs fondements
I.1. Une question qui a un parcours
I.2. Les fondements et les recherches antérieures
I.2.1. Associations de développement de la société locale : de quoi parle-t-on ?
I.2.2. Études sociologiques sur les organisations rurales : la tradition égyptienne
I.2.3. Monographies de villages en Égypte, mais pas toujours à l’égyptienne
I.2.4. Comment s’exerce le pouvoir en milieu rural égyptien?
Conclusion
Chapitre II : Se situer en sociologie
II.1. Le développement
II.1.1. Approches sociologiques du développement
II.1.2. Le développement local et la ruralité
II.1.3. Les acteurs locaux
II.1.4. Les dynamiques des acteurs du développement
II.2. Les organisations
II.2.1. Approches sociologiques des institutions et des organisations
II.2.2. L’acteur : vers une théorie sociologique
II.2.3. L’acteur et le pouvoir
II.3. Les configurations sociales
II.3.1. Norbert Elias et les configurations sociales
II.3.2. Le « jeu » comme modèle d’explication
II.3.3. La configuration comme espace de pertinence
II.3.4. Relations de réciprocité, rapport de force et équilibre
II.3.5. Choix justifié, malgré les limites
Conclusion
Chapitre III : Approches méthodologiques et démarche pratique
III.1. Des méthodologies qualitatives en sociologie
III.2. L’observation participante pour des recherches sociologiques
III.3. Pourquoi cette méthode ?
III.4. La position du chercheur
III.5. Une démarche entre l’induction et la déduction
III.6. Les risques et les limites
III.7. Une succession de phases
III.7.1. La préparation
III.7.2. Un travail sur le terrain
III.7.3. Trouver et adapter des méthodes complémentaires
III.7.4. Travailler avec les données
III.8. La restitution et le «Je » méthodologique
III.9. Le déroulement pratique de cette étude
III.9.1. Les tentatives et les évolutions du choix du couple association/village
III.9.2. Les phases de la collecte des données
Conclusion
Conclusion générale
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