LES ASPECTS DU CONTE NÉGRO-AFRICAIN DANS LE ROMAN DE LA DICTATURE

Le Roman

    Nous l’avons déjà évoqué en brèche plus haut avec la conception que les réalistes du XIXème siècle avaient sur lui malgré, son caractère malléable qui fait du genre, une œuvre artistique souple capable d’intégrer facilement d’autres genres de la vie. Sur ce, Sainte-Beuve dans son texte correspondance le définit « Le roman est un vaste champ d’essai qui s’ouvre à toutes les formes de génie, à toutes les matières, c’est l’épopée du futur la seule que les mœurs modernes comporteront désormais ». Cette vision qui sonne comme une prophétie annonce le roman et l’inscrit en lettre d’or dans le processus d’évolution de toutes les communautés littéraires du monde. Le roman négro-africain ne peut et n’a jamais pu faire exception à la règle depuis sa genèse jusqu’au lendemain des Indépendances avec ses vagues de déceptions. Le roman a toujours été au service du peuple, de la société. C’est pourquoi René Maran à travers Batouala (surnommé ʺvéritable nègreʺ) clame dans sa retentissante préface : « ce roman est tout objectif. Il ne tache même pas à expliquer : il constate. Il ne s’indigne pas : il enregistre » Cette tentative de rendre compte fidèlement le réel, préoccupent à plus d’un titre les romanciers qui désirent à tout prix d’être le plus proches possible de la réalité de leur milieu afin d’être des témoins de leur temps. Telle est la vocation première du roman mais aussi et surtout l’engagement inouï chez les auteurs de la 3éme génération de l’Afrique Noire. Alphamoye Sonfo affirme à ce titre que : « Depuis 1968 […..], un grand nombre de consciences négro-africaines se sont exprimées, un grand nombre de langues se sont déliées, un grand nombre d’écrivains se sont révélés, en abordant avec carnage et lucidité la situation politico-sociale de l’Afrique. « en voie de développement » ». Cette date (1968) très symbolique dans l’histoire de la littérature négro-africaine démontre tout le malheur qui caractérisait la vie des peuples africains après presque une décennie de souveraineté internationale. Et un des personnages clés de Les soleils des Indépendances, en l’occurrence Balla, nous le fait comprendre quand il soutient que : « La vie des hommes sous les soleils des Indépendances ne réside plus que dans le bout de l’auriculaire prête à prendre son envol.» Abondant dans le même sens que ses collègues, Henri Lopes embouchera la trompette et déclare par la voie de son narrateur que : « Dans une révolution, pas le temps de trier ses victimes. Bonnes intention et âmes pures sombrent dans le même naufrage qu’oppresseurs convaincus. » Tout cela, juste pour nous peindre une réalité politique africaine dont les crimes et atrocités commises dépassent l’entendement humain. Face à ce spectacle désolant, Cheik Aliou Ndao et René Depestre respectivement dans Mbaam dictateur et le mât de cocagne vont apporter leur pierre à l’édifice en constatant d’abord, en décrivant ensuite et enfin en condamnant avec la dernière énergie à travers leur œuvre sus-citée, tout acte allant à contre-courant de la dignité humaine. C’est ainsi, alors que Cheik Aliou Ndao nous décrit les conseils de Wor, nom très symbolique sur lequel nous y reviendrons de manière plus détaillée. Lesquels conseils de Wor orchestreur du putsch, n’étaient rien d’autres que de faire verser du sang afin de plonger le pays dans la terreur. Ayant pris cette initiative macabre, lorsqu’il a fini de constater le comportement irresponsable des dirigeants et surtout des officiers supérieurs qui ne pensent qu’au partage du gâteau. Wor dira : « leur unique préoccupation est d’être proches des dirigeants politiques pour recevoir leur part de la curée. Maison ; voiture. Belles femmes. Accumulation. ». Mais une fois au pouvoir les officiers subalternes alliés de Wor vont eux aussi adopter des comportements pires que Cheik Aliou Ndao nous décrit en ces propos : « Leur pouvoir bien assis, ils les alignent tous ceux qui ont une parcelle d’autorité dans le gouvernement précédent. Les fusiller [….] Comment faire preuve d’une telle cruauté? Quelqu’un avec qui on a discuté. Une personne dont on connait toute la famille ; sa femme ; ses enfants. A qui rien de personnel ne nous a opposé. Comment expliquer qu’un fils d’Adam puisse égorger son semblable comme un mouton de Tabaski. Wor et ses camarades civils ont encouragé de tels actes. » Nous décrivant cette scène horrible parmi tant d’autres, Cheik Aliou Ndao livre à ses lecteurs les stratégies et les conseils des putschistes qui consistent seulement à « verser beaucoup de sang pour faire peur ». Cette condition sine qua non du dictateur est un moyen, une belle stratégie pour lui de se maintenir au pouvoir. De tels actes condamnables par l’humanité toute entière se manifestent à travers quelques expressions qui marquent l’étonnement chez l’auteur de Mbaam dictateur, et il dira « un dictateur n’a pas de limite. Seul son désir le guide », « Le pays a l’aspect d’un jouet entre les mains du dictateur.» De tels propos dénotent une fois de plus tout le caractère irresponsable, inhumain des chefs d’Etat-dictateurs qui présidaient aux destinées des peuples de l’Afrique Noire au lendemain des indépendances obtenues à la suite d’âpres luttes. L’engagement redeviendra le dénominateur commun pour la plupart des romanciers de cette époque afin de faire face à ces ʺcriminelsʺ assoiffés de pouvoir. Beaucoup d’autres auteurs africains et antillais à l’image de René Depestre vont réagir en dénonçant cette tyrannie exacerbante à travers leurs œuvres. Le mât de cocagne de René Depestre est à ce titre, un lieu par lequel, l’auteur ouvre un canal pour lancer son cri de cœur contre cette ignominie du pouvoir en décrivant les pratiques du dictateur Zoocrate Zacharie à peu près similaires à celle de son homologue Wor. Si ce dernier prenait goût à fusiller, à égorger ses anciens amis, le Dr Zoocrate Zacharie, lui, se réjouissait à éliminer tout individu sur qui, il portait le moindre soupçon avec des méthodes les plus abominables (les poisons, le suicide téléguidé, la promenade en hélicoptère). Revisitons un peu sa discussion avec son ministre de l’ONEDA (Office Nationale de l’Electrification des Âmes) tout au début du roman.
«- Il vaut mieux lui fabriquer la mort la plus naturelle qui soit.
-Nos poisons ne sont-ils pas là pour cela Excellence? avait dit Cloris Barbotog
-Pour Postel vois-tu cette formule ne m’emballe
-Et le suicide téléguidé?
-Non plus
-Et la dernière promenade en hélicoptère?
-oh cher Clo. Aucune de nos méthodes habituelles.
Un adversaire de son format mérite une fin hors-série.
Je pense à une mort qui lui grignote lentement l’esprit avant de s’attaquer à son corps.
-Faisons de lui un zombie pour le restant de ses jours » (PP. 13 14).
Telle est une des caractéristiques du pouvoir de Zoocrate Zacharie que tente de décrire René Depestre. Ainsi donc, le dictateur ayant eu des souvenirs sur certaines déclarations d’Henri Postel, son ex-ami quand il était à la faculté de médecine décide de lui trouver une échoppe tant détestée par celui-ci pour le condamner à la mort sans verser aucune goutte de sang. Donc contrairement à Wor dans Mbaam dictateur, le Dr Zoocrate Zacharie agit mortellement sur la conscience, sur la psychologie de l’ex-sénateur, son ami Henri Postel qui n’a jamais été enchanté par le commerce comme nous le rapporte ce passage : «Nous étions des camarades. Déjà à l’époque il avait des idées subversives. Un soir il me confia que pour lui le comble du malheur ce ne serait pas être amputé des deux jambes ou qu’on l’enferme au secret trente ans consécutifs au Fort-Dimanche. Sais-tu quelle était aux yeux de l’étudiant Postel l’extrémité de la détresse? Etre condamné à vendre de menus comestibles ou de la méchante quincaille à la clientèle toujours aux abois de nos bas quartier.» (P.15) Se rappelant alors de cet entretien, le Docteur Zoocrate Zacharie décide de faire d’Henri Postel un mort-vivant en lui infligeant par la force ce qu’il déteste le plus. Il charge ainsi son ministre de lui trouver une échoppe où il y affectera l’ancien sénateur. «Dégotte-moi donc, cher Clo, l’échoppe la plus minable du Portail Léogame ou de Tête-Bœuf, et colle de force notre Henri à la place du propriétaire. Aie soin avec le doigté qu’on te connait, qu’il n’y ait plus jamais à ses côtés rien de vivant ni de chaud : ni femmes, ni enfants, ni parents, ni amis, ni partisans ni le moindre animal domestique! » (PP.15-16 Le dictateur Zoocrate Zacharie ira même plus loin en ordonnant l’assassinat d’Henri Postel qui venait de remporter le concours du mât considéré comme une fête nationale . Ayant décidé fermement de participer à cette prestigieuse compétition, l’ex-sénateur ne savait pas qu’il avait rendez-vous avec la mort, juste après les premières minutes qui suivirent son exploit. L’événement dégénère et replonge cette ile repliée sur elle-même longtemps restée sous le joug du régime dictatorial avec ses hécatombes. C’est ce qui amène René Depestre par la voix de son narrateur à nous livrer certaines péripéties d’une tyrannie qui attire l’attention de l’humanité. «L’exploit d’Henri Postel et le bain de sang qui le suivit eurent des échos dans le monde entier. Pendant trois jours le grand pays Zacharien cessa d’être le tiers d’ile le plus à l’écart des combats qui se livrent sur terre. Puis il retomba dans son silence et ses ténèbres habituels.» (P.198) Nous remarquons dès lors le travail du romancier Franco-Haïtien qui s’attèle à narrer ce drame : « […..] Il m’a fallu près de deux ans pour transmuer sous la forme du récit qu’on vient de lire les éléments du drame vécu par Henri Postel »27 P.198 La durée (2 ans) exprimée dans ces propos dénote un certain degré d’engagement de l’écrivain à accomplir cette tâche quelques soient les difficultés rencontrées dans la réalisation de cette entreprise. Il continue ainsi pour dire : « Lorsqu’en exile, j’entrepris de le narrer, je m’aperçois de suite qu’il était extrêmement difficile de parler de l’ex-sénateur et de relater avec exactitude les péripéties de la bataille qu’il engagea et gagna contre ceux qui avaient réussi un temps à faire de lui un mort-vivant. » Vous conviendrez avec nous que la fonction, le but du roman négro-africain en plus de son caractère réaliste se veut aussi une littérature ou l’engagement s’épanouirait comme le pense Alphamoye Sonfo. Selon lui « le premier critère d’appréciation de l’œuvre littéraire négroafricaine est un engagement dans la réalité négro-africaine [….]»29 S’inscrivant en droite ligne avec cette conception que l’on a du genre romanesque, Lilyan Kesteloot soutient : « en résumé, on peut affirmer que le roman et la nouvelle jouent à fond leur rôle de témoins véridique en prise sur la réalité, sur toutes les réalités de l’Afrique noire d’aujourd’hui.» Toujours dans le même sillage, elle nous rapporte les propos Sony Labou Tansi qui se préoccupe de l’esprit d’engagement qui doit animer l’écrivain de notre époque et de notre société à l’image de Cheik Aliou Ndao et de René Depestre qui s’affirment en tant que révoltés par la force de leur plume. « Le monde est d’une telle fragilité chez nous que tout peut arriver! Notre société est fondamentalement perturbée : les gens se sont vendus pendant quatre siècles….il y a un fou en chacun de nous il faut le laisser s’exprimer….car dans ce problème de la mocheté et de l’absurdité de la vie seuls les fous sont libres. Je crie et j’écris, mon écriture sera criée qu’écrite. » Ces traits caractéristiques (réalisme et engagement) qui jalonnent le roman de la dictature et particulièrement ceux de Mbaam dictateur et du Le mât de Cocagne laissent transparaitre un type de récit très familier au roman. Ainsi par des anticipations, des retours des ellipses et des résumés d’action pour ne prendre que ceux-là en guise d’exemples les deux œuvres de notre corpus révèlent une fois de plus qu’elles peuvent être rangées dans le genre romanesque. Toutefois il faut reconnaitre que même s’il y a des traits communs dans leurs écrits et il n’en demeure pas moins que la différence de style et d’approche, bref sur le plan esthétique n’est jamais fortuit. C’est ce qui amène Raymond Michel à déclarer : « Chaque romancier respire l’air de son temps a l’œil ouvert sur la production de ses confrères, il peut entreprendre de rivaliser avec eux sur le même terrain, mais aussi s’écarter délibérément de la vie qu’ils suivent pour mieux affirmer son originalité ». Par voie de conséquence, le lecteur aura devant lui deux œuvres ayant des similitudes non négligeables mais également des divergences qui attirent l’attention du public. Si les personnages du le mât de cocagne, ont chacun un prénom et un nom (Par exemple Henri Postel, Horace Vermont, Clovis Barbotog, Habib Moutamad, Zoocrate Zacharie….), les personnages de Mbaam dictateur sont désignés par leurs fonctions, l’état civil est presque absent par exemple (Wor, Jaaraf-Biir- Reew, Jaaraf-Bernde, le maitre des cases, l’étranger…) A l’instar de beaucoup de romans, la linéarité du récit est parfois escamotée par de nombreux enchainements qui entrainent des retours en arrière comme nous le montre le début du roman Mbaam dictateur qui commence par une description par entrée in-media-res de la maisonnée des Lawbé, subitement interrompue par le romancier qui s’attarde un peu sur la comparaison d’une ville moderne et d’un bourg avant de revenir pour continuer la description et la présentation de la maisonnée. « Une maison à beau être animée et même bruyante, elle ne dépassera pas celle-ci. La cour est cernée par au moins neuf cases. L’on voit tout dans cette enceinte … » « C’est le milieu du jour, il fait chaud; c’est l’hivernage qui s’annonce. Période où l’on prépare les champs… » (p.9) L’observateur se demandera pourquoi une ville s’intéresse aux premières pluies puisqu’on n’y vit pas de l’agriculture. L’endroit est complexe…. » (PP.09-10) Reprise de la description : « Si l’œil tourne vers la clôture en tiges de mil, apercevra des jeunes gens accroupis seul tant en taillant dans du bois-pilons, récipients, mortiers, grands ou menus sont posés sur le sol alors que d’autres objets sont en finition… » (P.10) Cette technique d’enchâssement consistant à insérer un récit dans un autre récit se manifeste aussi chez le mât de cocagne quand l’auteur a délibérément interrompu de narrer le départ d’exil d’Henri Postel au profit d’une analyse : « Le Port du-Prince des années 40 levait vers eux sa confiante intimité : l’enfance, l’école, l’intense vie de famille, la chaleur des liens sociaux dans les fêtes et les bals de quartiers : le carnaval qui arrive sur ses chevaux fous… » (P. 66) Et par le biais de l’adverbe de temps « maintenant », il introduit une comparaison entre deux époques complètement différentes des lieux : « Maintenant tu vois ce que le génie de l’ONEDA a fait de la cité un circuit fermé d’injustices grouillant d’abus et de prévarications rangé de hontes et d’impôts, un petit monde clos d’éléctrificateurs d’âmes. Tu as sous les yeux sa face nocturne aussi ravagée que son visage du jour. Ta nostalgie lentement se change en épée » (P.68) Et c’est aussi qu’il reprend aisément le récit qui relate le départ en exile de Postel. « Il continua péniblement la montée, content de repenser plus à rien, occupé seulement à améliorer son souffle et sa foulée…» (P.68) Au vu de ce qui précède, l’on peut soutenir sans risque de nous tromper que dans toutes les deux œuvres de notre corpus, on y retrouve un récit qui épouse carrément les contenus du roman parfois avec l’incursion d’autres genres comme le mythe.

L’analyse sémiotique du récit

   Elle consiste selon Julien Greimas d’analyser un schéma à travers lequel on arrive à déterminer les groupes fonctionnels du récit. Ils sont composés de :
La situation initiale
L’épreuve qualifiante
L’épreuve principale
L’épreuve glorifiante
La situation finale
Avant d’y revenir de manière plus détaillée, nous avons bien voulu expliciter ce à quoi fait allusion Greimas quand il parle de groupes fonctionnels. Selon R. Barthes le groupe fonctionnel n’est rien d’autre que la notion de séquence définie comme : « une suite logique de noyaux, unis entres eux par une relation de solidarité, permet de distinguer les unités sémantiques du récit ». Eu égard à toutes ces observations, nous pouvons dire que toute structure narrative comporte une série de situations. Le passage d’une situation à la suivante étant possible, par une modification. Ce qui explique que la plupart des contes négro-africains peuvent être considérés comme la progression d’un récit qui part d’une situation initiale de manque en passant par des étapes qui modifient le cours de l’histoire et aboutit à une situation finale.
– La situation initiale : Elle est une phase cruciale du récit car nous permettant de déterminer la relative stabilité dans le groupe, dans la communauté. Dans Mbaam dictateur, Cheik Aliou Ndao nous peint un tableau social, politique et économique assez sombre qui caractérise le pays de Wor avant comme également après son accession à la magistrature suprême. Son pays est d’abord gouverné par un régime totalitaire dont le dirigeant n’a pas été identifié dans la fiction narrative. Tout ce que l’on sait de lui, c’est qu’il a plongé son peuple dans des difficultés économiques qui prennent de plus en plus des proportions inquiétantes : « Dure période. Beaucoup ont perdu leur emploi, ils ont été licenciés. Certains ont été déportés dans des endroits d’où aucune nouvelle n’est parvenue à leurs parents. », nous rapporte le narrateur du roman. C’est dans ce contexte particulièrement difficile marqué par une précarité sociale que Wor commence à mettre à jour ses projets pour une alternative beaucoup plus crédible à la tête de l’État. Ce qui conduit le récit à la deuxième étape que Greimas appelle : épreuve qualifiante.
-L’épreuve qualifiante : Cette épreuve est la phase du conte où l’auteur tente de singulariser le héros ou l’héroïne de par les actes posés par celui / celle-ci. Pour se hisser au sommet du pouvoir et atteindre son but, Wor a milité dans un parti d’opposition et ne s’est même pas fait distinguer. Juste pour dire qu’il sait user de la patience et de la perspicacité dans tous ses actes. Très rusé, il essaie de jouer les seconds rôles pour se faire passer comme étant un désintéressé du pouvoir. « Wor n’est même pas compris parmi les dirigeants […] Wor parle peu lors des réunions […] Il intervient en dernier. Il prend le temps d’écouter les autres, il fait la synthèse de leurs idées et ajoute quelques choses. Les militants ne peuvent qu’approuver. » Loin de s’arrêter à ce niveau, Wor organise le parti en plusieurs cellules, convoque des réunions dans la clandestinité après que le gouvernement ait ordonné la dissolution de leur mouvement. Il alla jusqu’à infiltrer les officiers subalternes plus proches des soldats du rang afin de les convaincre à renverser le régime sur place par le biais d’un coup d’Etat. « Il se rend à l’évidence la seule parole ne suffit pas pour faire la révolution. La force est nécessaire, même si au début elle peut aboutir à des conséquences graves. Une issue heureuse mérite bien des sacrifices. » Parvenu à convaincre les membres de l’armée, toutes les conditions sont donc réunies pour joindre l’acte à la parole en tant que commanditaire principale du putsch.
-L’épreuve principale : L’épreuve principale dans le récit du conte permet au héro d’obtenir l’objet de la quête pour y parvenir Wor n’a jamais quitté les officiers subalternes qui adhèrent tous à l’idéologie du futur dictateur qui veut précipiter les événements. C’est-à-dire emprunter la voie du changement la plus rapide. Les cellules sont mises en place à l’insu des officiers supérieurs obnubilés par leur part de la curée: les maisons, les belles femmes les voitures. « Bien préparés, les membres attaquent le pouvoir. Il y ajoute des actes qu’on penserait inimaginables [….] Tout le monde est étonné de la grande quantité de sang versé »(P.157) nous rapporte ce passage. Wor et ses compagnons réussissent leur coup d’État, commencent à emprisonner et à fusiller des membres du défunt régime. La situation actuelle du pays de Wor devient de plus en plus ingérable et impacte sur la vie de certaines personnes dont Wor le véritable orchestreur de ce bain de sang.
-L’épreuve glorifiante : L’épreuve glorifiante change la situation sociale du héros dans le récit. Nous le constatons avec Cheik Aliou Ndao dans son roman, quand Wor qui venant de très loin en tant qu’ancien vendeur de journaux parvient à se hisser au sommet de l’État à l’instar du Guide Providentiel dans la Vie et Demie de Sony Labou Tamsi : un Père de la nation qui n’était qu’un simple berger. Cette situation nous rappelle également celle de Koyaga (En attendant le vote des bêtes sauvages),un ancien champion de lutte dans les montagnes du peuple des hommes nus, devenu Président-dictateur. Wor pense ainsi à ses fins quand il a su bien élaborer ses plans jusqu’à éliminer tous les prétendants qui étaient au départ cinq personnes. Grâce à ses manœuvres, deux officiers seulement restent dans l’organe de contrôle et Wor prend la direction de la commande. Il fait de telle sorte que les deux officiers se regardent en chien de faïence avant de les disséminer l’un après l’autre comme nous le rapporte ce passage : « Wor se ligue l’un contre l’autre. Celui-ci est accusé d’un complot imaginaire. Arrêté. Fusillé. Le seul rescapé du groupe des officiers se rend au village de ses parents derrière la capitale. Wor envoie des soldats de confiances. Ils lui tendent un guet-apens. Revenant du village de ses ascendants, l’officier arrive à la hauteur des soldats dissimulés derrière un arbre. Une décharge de bazooka le fait voler en morceaux. Il entraine son chauffeur dans la mort ».P.164. C’est dans ce bain de sang qui continue de terrifier son peuple que Wor arrive seul à la tête du pouvoir et gouverne son pays.
-La situation finale : Elle est la résultante de l’histoire. Ici, la situation finale ne traduit rien d’autre que la chute d’un régime dictatorial en remplacement d’un autre régime dictatorial, d’ailleurs plus sanguinaire, plus violent, bref un régime pire que le précédent. Le malheur qui gagne le peuple sera marqué par le règne de Wor dont les crimes et les atrocités dépassent l’entendement à tel enseigne que ces concitoyens auraient préféré le temps de ses prédécesseurs. Des regrets sont manifestés çà et là par rapport au départ du régime défunt. « Ceux qui sont partis déclare un compatriote, ont montré tous les défauts, ils ont profité de l’argent, ils n’ont qu’à s’amuser. Mais au moins ils ont laissé les gens en paix. Ils n’ont pas ordonné d’aller travailler sous le chaud soleil et sans salaire, en décrétant que c’est par devoir patriotique. Avec Wor le peuple en a assez. » P.169. Cheik Aliou Ndao a réutilisé la même démarche dans le récit du narrateur qui nous retrace l’itinéraire de Mbaam Ngonk, l’âne énorme depuis les temps où Wor commença à exercer sa dictature jusqu’à ce qu’il soit déchu et précipité dans le monde des animaux. La répétition n’est donc jamais gratuite dans le conte ; elle est une partie intégrante de son rythme. « Le rythme domine et anime tous les arts négro-africains »90 soutient L. S. Senghor d’où l’importance manifeste que l’écrivain accorde au rythme dans l’esthétique des arts négro-africains. Le poète sénégalais nous fait à ce titre remarquer qu’« En Europe, le rythme basé sur des répétition et des parallélismes « provoque un ralentissement » et un mouvement statique, en Afrique noire, tout au contraire, répétitions et parallélisme provoquent une progression dramatique »91 C’est ce qu’a certainement compris l’auteur de Mbaam dictateur quand il nous présente une intrigue qui reprend le même cours des événements dans le même roman. Nous avions bien mentionné que le tableau sombre du pays de Wor est antérieur à son règne mais perdure aussi pendant son règne qui n’offre qu’un climat délétère. La répétition de la même démarche par l’auteur traduit par conséquent que les mêmes habitudes, les mêmes comportements des anciens dirigeants sont toujours d’actualité dans l’Afrique contemporaine. C’est la raison pour laquelle on trouve dans le récit de l’hôte de passage une intrigue ou la progression narrative épouse exactement les mêmes étapes c’est-à-dire celles que nous avons évoquées dans la démarche proposée par Greimas. La situation initiale serait marquée ici par la chute d’un régime arbitraire remplacé par un autre beaucoup plus criminel que celui de son prédécesseur. Dans ce contexte, le peuple déçu, hébété, subit toute sorte d’exactions du nouveau pouvoir qui continue de gouverner dans la violence et la terreur. L’épreuve qualifiante : Cette partie, ne sera issue que de la masse qui, ne pouvant plus supporter une telle ignominie du pouvoir, fait penser à un groupe de trois personnes de s’organiser avec à leur tête Jaraaf Biir Réew, le ministre de l’intérieur, pour apporter une autre révolution afin de libérer le peuple de manière pacifique. « Jaraaf Biir Réew, le ministre de l’intérieur, n’a pas foncé tête baissée dans l’entreprise. Il ne s’est pas conduit comme un disciple sur de la parole de son marabout. Equilibré, il a bien étudié la meilleure voie capable de faire aboutir le projet. » P.222 L’épreuve principale de cette partie consiste à la bonne organisation, aux stratégies, du groupe dirigé par Jaraaf Biir Réew, le ministre de l’intérieur qui a permis au peuple de se débarrasser du guide sans verser aucune goutte de sang conformément à leurs intentions de départ. Le rôle qu’a joué le devin a été donc primordial.
L’épreuve glorifiante. Elle est traduite ici par la nouvelle situation de Jaraaf Biir Réew qui n’est plus ministre de l’intérieur du défunt régime, il jouit cependant d’un nouveau statut au même titre que les trois autres membres du groupe considérés tous comme des héros nationaux. La situation finale. Elle est l’expression du résultat issu de cette révolution pacifique qui installe le pays sur les rampes d’une nouvelle ère de démocratie au grand bonheur du peuple libéré comme nous le rapporte ce passage : « Dès que l’assistance a lancé l’idée d’un régime fondé sur des élections, Jaraaf Biir Réew, le ministre de l’intérieur a applaudi à tout rompre. Alors le peuple s’est senti libéré, il a envahi la rue. Il se répand comme du kapok en plein harmattan. Les gens veulent rattraper ces années où ils ont été obligés de se tenir tranquilles. »P.263 De même, dans Le mât de cocagne, René Depestre nous fait découvrir un récit qui s’immisce dans un univers où le conte n’est jamais étranger. C’est pourquoi il est possible d’appliquer dans son roman, l’analyse sémiotique de Greimas que nous avons déjà abordée dans l’œuvre de Cheik Aliou Ndao. Cependant, il importe de préciser que contrairement à Ndao qui dépeint un récit assez complexe accompagné d’actions répétitives, Depestre, lui ne s’aventurerait qu’à nous dresser un récit linéaire, où les événements dépassés ne sont plus repris jusqu’à la fin du roman. C’est ainsi que le schéma selon Greimas peut se découvrir de manière plus simple par rapport à celui qu’on retrouve dans l’œuvre de Ndao.
La situation initiale : Le pays imaginaire dont parle Depestre serait une ile au bon milieu de ses abondances gouverné par un Etat républicain ayant une administration républicaine avec ses institutions et ses universités… Henri Postel et son ami Horace Vermont ont connu cette période jusqu’à l’époque où le pays tombe entre les mains d’un dictateur : Zoocrate Zacharie surnommé Grand Electrificateur Des Âmes. P.13 Aujourd’hui, contraint de gérer un piteux bazar, Henri, Postel connait à peu près la même mésaventure que son ami Horace Vermont devenu un réparateur de souliers après avoir été un directeur de lycée d’une province.
L’épreuve qualifiante : Le sort de Henri Postel ex-sénateur, l’attention et la méfiance que le guide lui accorde seront de bonnes occasions pour que l’homme se décide, et se singularise dans une révolution qu’il engagea seul contre le régime qui l’a déchu avant d’être rejoint par quelques amis qui finiront par adhérer à sa cause ; revoyons les paroles du guide avec son ministre Barbotog dans son palais : « De sa fosse étant, il (Postel) sera encore capable d’organiser des complots. Il vaut mieux lui fabriquer la mort la plus naturelle qui soit ». P.13
L’épreuve principale : Ayant décidé de s’exiler, Henri Postel finira par renoncer à ce projet et veut participer au concours annuel du mât suiffé. A travers son action c’est-à-dire de faire tout pour remporter la compétition, Postel compte atteindre la conscience de ses compatriotes qui s’éveilleront et renverseront le régime dictatorial de Zoocrate Zacharie : « Il s’inscrit au grand concours annuel du mât suiffé qui permettrait non seulement de remporter un triple trophées, un gros chèque, des objets de valeurs un fusil mitrailleur mais surtout d’aider sa cité à avoir une conscience approfondie de ce qu’un individu, même isolé et apparemment vaincu, peut faire pour retrouver l’estime de ses concitoyens et leur redonner le goût perdu de l’action collective. »
L’épreuve glorifiante : Cette étape peut être traduite par la réussite, autrement dit l’atteinte de son objectif qui consistait à participer au tournoi et à le remporter à la grande surprise de ses concitoyens mais également au mépris du dictateur et de sa cour. Cependant même s’il y retrouve la mort, l’homme était certes heureux avant d’avoir tourné le dos à ce bas-monde où il n’arrivait plus à reconnaitre la nature humaine à cause des pratiques ignobles qui définissaient son univers. Postel tombe dans le champ d’honneur, les armes à la main. « L’exploit d’Henri Postel et le bain de sang qui le suivit eurent des échos dans le monde entier ». P.198.
La situation finale : La situation finale replonge l’île dans les vieilles pratiques de ses dirigeants. Les tueries recommencent avec l’assassinat d’Henri Postel avant de continuer dans le reste de la cité. «Pendant trois jours le grand pays Zacharien cessa d’être le tiers d’île le plus à l’écart des combats qui se livrent sur la terre. Puis il retomba dans son silence et ses ténèbres habituels ». P.198 Ainsi, l’étude des groupes fonctionnels telle que Greimas l’a conçue devient un indicateur de taille et apporte beaucoup plus de clarification sur l’analyse des schémas narratifs ;(quinaire et actanciel).
Le schéma de quinaire : Parmi les recherches les plus récentes, c’est le modèle de Paul Larivaille (« L’analyse morphologique du récit », 1974) qui a fini de s’imposer : l’histoire se ramènerait à une suite logique constituée de cinq étapes. L’intrigue, une fois la structure profonde de l’histoire reconstruite par l’analyse, répondrait au modèle suivant :
– Un état initial (un équilibre)
– Une provocation (un détonateur un déclencheur)
– Une action
– Une sanction (une conséquence)
– Un état final (un équilibre)
Ce modèle, certes n’est pas exclusivement réservé à l’intrigue du centre mais s’est révélé très efficace pour rendre compte de la séquence narrative du genre. C’est pourquoi les romanciers négro-africains des œuvres d’après indépendances ne manqueront jamais d’organiser le récit de leur fiction narrative autour de ce modèle. Cependant, même si Cheik Aliou Ndao tente de dérouter son lecteur en mentionnant l’indication « roman » cela devrait être suffisante d’après Iba Ndiaye Ndiadji pour faire œuvre de critique dans la direction indiquée. Il note à cet égard : « […] Ce serait oublier que l’œuvre d’art finie n’appartient plus à l’auteur quelles que soient ses intentions de départ, ses identités affichées et ses confidences. » N’est-ce pas Valéry qui nous avertissait à ce propos qu’il faut toujours se méfier des intentions affichées par l’artiste, de ses confidences, car « ses ouvrages, les propos même que l’on a recueillis de sa bouche, ce ne sont pas les moins trompeuses des données ni celles qui nous conduisent assurément au secret qui fait notre envie.» Dire donc que Mbaam dictateur est un roman politique qui a bâti son récit sur les aspects du conte ne relèverait guère d’une affirmation gratuite. Car, si nous essayons d’appliquer ce schéma quinaire, nous obtenons :
L’état initial : un peuple terrorisé par la tyrannie exacerbante du dictateur, Wor et son régime.
La provocation : La chute inattendue du cadavre de ce charognard devant le Guide, prêt à adresser un message à son peule au cours d’un meeting organisé par Jaraaf Bernde, le ministre des fêtes dans un stade.
L’action
– Le retour inopiné du Guide au palais
– La convocation de tous les marabouts de la contrée par Wor au palais afin d’interpréter l’évènement qui vient de se produire au stade.
– L’exécution de Jaraaf Bernde, sous les ordres du Guide
– L’organisation du groupe des trois (3) membres pour trouver une alternative face au régime de Wor et ses atrocités.
– La rencontre du groupe des trois (3) avec Jaraaf Biir Réew qui devient de plus en plus méfiant à l’égard du Guide.
– La prise de décision : chasser Wor du pouvoir.
– La visite du groupe chez un devin en compagnie de Jaraaf Biir Réew.
La sanction : Wor est transformé en âne par un devin : Mbaam ngonk, l’âne énorme
L’état final
-Délivrance du peuple, liberté retrouvée, début d’une nouvelle ère politique : installation de la démocratie. Dignité retrouvée. Ce même schéma serait très applicable dans le mât de cocagne et l’on obtiendrait dans ce cas :
Etat initial : un peuple théorisé par la tyrannie du dictateur Dr Zoocrate Zacharie
Une provocation : Henri Postel, ex-sénateur est contraint par Dr Zoocrate de gérer un piteux bazar dans un bas quartier de Tête-Bœuf.
L’action :
-Le renoncement par rapport à la décision prise par Postel qui voulait partir en exil
-La participation au concours annuel du mât suiffé
-La victoire de Postel au sommet du mât
La sanction :
-La mort d’Henri Postel
-Les assassinats, les atrocités entre les membres du gouvernement.
La situation final ou l’état : l’éveil des consciences, dignité retrouvée. L’intrigue du récit d’un conte peut être aussi matérialisée sur un des outils linguistiques qui aide à voir plus clair le déroulement de la trame narrative : le schéma actanciel.

Le protocole énonciatif

   Le récit du conte débute par des formules introductives rituelles qui varient d’une région à une autre, d’un peuple à un autre. Elles servent toutes à capter l’attention des auditeurs. Dans les romans de notre corpus, nous avions déjà évoqué que : « Etes-vous au courant de ce qui s’est passé ?» (Mbaam dictateur) a la même valeur dans le conte que « Il était une fois » (Le mât de cocagne)

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LA FICTIONNALISATION DU REEL
Chapitre I : La transgénéricité d’une écriture fictionnelle
I-1 : Roman et Mythe
I-1-1 : le roman de la dictature
I-1-2 : le mythe dans la représentation de la dictature
Chapitre II : Roman, poésie et conte
II-1 : L’écriture poétique dans Mbaam dictateur et Le mât de cocagne
II-2 : Le conte dans l’écriture de la dictature
II-2-1 : Le conte philosophique
II-2-2 : Le conte négro-africain dans le roman de la dictature
Chapitre III : Le cadre spatio-temporel et les personnages dans Mbaam dictateur et le mât de cocagne
III-1 : Le cadre spatio-temporel
III-1-1 : Le cadre spatial
III-1-2 : Le cadre temporel
III-2 : L’étude des personnages des romans du corpus
DEUXIEME PARTIE : LA STRUCTURE NARRATIVE DU RECIT ET L’ETUDE TYPOLOGIQUE DU CONTE
Chapitre I : L’analyse sémiotique du récit
Chapitre II : le schéma actanciel du récit
Chapitre III : La typologie du conte dans Mbaam dictateur et le mât de cocagne
III-1 : Le plan structurel du récit
III-2 : Le schéma structurel
III-3 : le schéma graphique
TROISIEME PARTIE : LA PLACE DE L’INTELLECTUEL ET LA FONCTION DU CONTE DANS LE ROMAN POLITIQUE
Chapitre I : L’écrivain et le pouvoir
I-1 : L’engagement
I-2 : La dénonciation
I-3 : La radicalisation de l’écrivain contre le pouvoir dictatoriale
Chapitre II : L’action des médias et des religieux dans la gestion du pouvoir
II-1 : La religion et le pouvoir
II-2 : La manipulation de la presse
II-3 : La déchéance du dictateur
Chapitre III : La fonction du conte dans le roman de la dictature
III-1 : une fonction satirique
III-2 : une fonction didactique
III-3 : une fonction subversive
CONCLUSION

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