Les archivistes itinérants
Introduction générale
La profession d’archiviste a subi de profondes mutations au cours du XXe siècle. De nouvelles spécialités se sont développées en lien avec le politique, le social et le culturel. L’archiviste hospitalier, en entreprise, ou encore itinérant sont quelques exemples.
Dans un contexte de déploiement de l’intercommunalité, de la mutualisation, de décentralisation à partir de 1982, de l’explosion de la masse documentaire –écrite comme électronique- et de l’essor des formations universitaires, les archivistes itinérants deviennent des acteurs importants au sein du maillage communal et intercommunal.
Le « lyrisme » de l’adjectif « itinérant » accolé à celui d’archiviste peut surprendre1. L’itinérant est celui « qui se déplace dans l’exercice d’une charge, d’une fonction, d’une profession » (CNRTL).Un archiviste itinérant est un professionnel des archives travaillant dans une structure publique qui n’est pas dotée d’un service de gestion d’archives.
Les intercommunalités telles que les communautés de communes, les communautés d’agglomération ou les syndicats communaux sollicitent de plus en plus les archivistes itinérants. Mais généralement, ces derniers prennent en charge les archives de moyennes et petites communes dépourvues de professionnels, faute de moyens financiers suffisants. C’est pourquoi nous nous concentrerons essentiellement aux archivistes itinérants dans les communes.
L’archiviste est sollicité par les collectivités (intercommunalités, syndicats de communes, communes) via les centres de gestion, les EPCI ou les archives départementales.
La première entité est le gros employeur d’archivistes itinérants. Qu’il travaille en EPCI, en centres de gestion, en archives départementales ou en freelance, l’archiviste itinérant doit remplir de nombreux objectifs :
classer des archives communales, former des agents référents, sensibiliser à la bonne conservation des archives. Il travaille en lien étroit avec les archives départementales qui assurent le contrôle scientifique et technique.
L’archiviste itinérant se différencie de l’archiviste communal ou intercommunal bien que ces deux fonctions comportent des similitudes. Les modalités de versement de salaires diffèrent entre les archivistes de centres de gestion ou d’EPCI et d’archives départementales. Les premiers sont davantage perçus par les collectivités comme des prestataires (les factures sont envoyées par les structures encadrantes) et les deuxièmes comme des employés (ils sont payés par les collectivités).
Nous avons choisi de débuter notre étude aux années 1980 car elles correspondent à la première vague de la décentralisation en France.
Dans ce sillage, de nombreux jalons législatifs inscrivent progressivement le métier d’archiviste itinérant dans le réseau archivistique.
Les compétences des communes et des intercommunalités s’étendent ce qui a pour incidence d’augmenter les responsabilités de ces entités en matière d’archivage.
La loi du 16 décembre 2010, la réforme des collectivités territoriales, renforce ces responsabilités.
Pour pallier une augmentation de la masse documentaire, les communes et intercommunalités font appel à des archivistes intercommunaux ou itinérants.
Ces derniers proviennent des archives départementales, des centres de gestion ou des EPCI. La création de services archives au sein de centres de gestion est rendue possible par l’article 25 de la loi n°84-53 du 25 janvier 1984 qui permet aux centres de gestion d’assurer des services communs à des collectivités ou établissements.
La fonction « archives », une mission facultative des centres de gestion, trouve une base légale le 7 avril 2016 avec l’amendement Vasselle.
Le métier d’archiviste et les archives, au coeur des mutations et des évolutions territoriales
Ces acteurs peu mentionnés dans la littérature scientifique sont le fruit de multiples conjonctures économiques, sociales et culturelles. Les différentes étapes de la décentralisation ont influencé les métiers de la culture depuis les années 1980.
Le réaménagement territorial offre de nouvelles structures pour les archives.
Face à ces mutations, le métier d’archiviste est un métier qui s’adapte et se renouvelle.
Décentralisation et culture depuis les années 1980
Les différents « actes de la décentralisation » : quels impacts sur les archives ?
Le ministère des Affaires culturelles apparait pour la première fois en France en 1959. Dirigé par André Malraux jusqu’en 1969, ce ministère a pour but de mettre en valeur et rendre accessible le patrimoine français à échelle internationale, nationale et régionale2. Les concepts de « politique culturelle », de « développement culturel » et de « vitalisme culturel » font progressivement leur apparition jusque dans les années 1980 et le ministère de Jack Lang3.
L’État intervient ainsi de manière plus soutenue dans la Culture française en implantant des Maisons de culture et des comités des affaires culturelles (CRAC) dans les grandes villes françaises. Le champ culturel s’élargit sous le ministère de Jack Lang.
Le décret du 10 mai 1982 précise que le ministère a pour objectifs « de permettre à tous les Français de cultiver leur capacité d’inventer et de créer, d’exprimer librement leurs talents et de recevoir la formation artistique de leur choix ; de préserver le patrimoine culturel national, régional ou de divers groupes sociaux pour le profit commun de la collectivité tout entière ; de favoriser la création des oeuvres de l’art et de l’esprit et de leur donner la plus vaste audience ; de contribuer au rayonnement de la culture et de l’art français dans le libre dialogue des cultures du monde ».
Le contrôle scientifique et technique : une compétence déconcentrée
Prenant ses racines au XIXe siècle avec le contrôle de l’État sur les biens culturels, l’expression de contrôle scientifique et technique n’apparaît que dans les années 1980 au cours de la première vague de la décentralisation13.
Le contrôle scientifique et technique (CST) s’applique à « l’ensemble du secteur du patrimoine culturel. »14 Ainsi il s’étend aux archives publiques, aux bibliothèques, aux musées, et aux monuments historiques.
Le CST est le garant de « la cohérence de la politique des archives publiques, dans un objectif de transparence administrative autant que de valorisation patrimoniale »15.
Sur le plan réglementaire, le CST est défini une première fois à l’article 2 du décret n°79-1037 du 3 décembre 1979.
Le Code du patrimoine vient approfondir la définition du CST par les articles L. 212-10 et R. 212-3 et 4 : « Le contrôle scientifique et technique […] porte sur les conditions de gestion, de collecte, de sélection et d’élimination ainsi que sur le traitement, le classement, la conservation et la communication des archives.
Il est destiné à assurer la sécurité des documents, le respect de l’unité des fonds et de leur structure organique, la qualité scientifique et des techniques des instruments de recherche, la compatibilité des systèmes de traitement et la mise en valeur du patrimoine archivistique. »16
Aménagement du territoire administratif : nouvelles structures pour les archives
Les différentes vagues de la décentralisation (entre 1982 et 2004 puis de 2004 à nos jours) ont eu un impact sur la taille des communes et sur leurs moyens d’assumer les compétences accrues qui leur ont été attribuées23.
C’est dans ce contexte que l’intercommunalité et la mutualisation se développent créant ainsi de nouvelles structures pour les archives. Peu d’ouvrages scientifiques mettent en exergue les liens entre l’intercommunalité et le réseau archivistique.
Nous exposerons ici les principaux jalons législatifs relatifs à l’intercommunalité et aux nouvelles formes de mutualisations qui en découlent tout en essayant de relier ces thématiques aux archives.
Les nouvelles formes de mutualisation
La mutualisation est « la mise en commun de moyens matériels, de l’opportunité d’un projet architectural ou d’une opportunité financière »46.
Elle peut être temporaire ou pérenne et s’appuie sur des ressources humaines, techniques, patrimoniales ou financières. Là encore, la mise en oeuvre de la mutualisation, étroitement liée au développement de l’intercommunalité, est appuyée par de nombreux jalons législatifs.
La mutualisation pour les communautés urbaines est rendue possible par la loi n°2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité. La loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales élargit la mise à disposition des communes à tous les EPCI à fiscalité propre dans le but d’organisation des services.
La réforme des collectivités territoriales, par la loi du 16 décembre 2010, est une étape dans la mutualisation car elle « ouvre des perspectives nouvelles aux communes et intercommunalités, en particulier en instaurant la possibilité de créer des services communs »47.
Une identité professionnelle d’archiviste ?
Est-il pertinent de parler d’une identité professionnelle d’archiviste ? Quelles réalités se trouvent cette identité dans le temps ? Comment se forge-t-elle ?
L’identité professionnelle est, d’après Félix Gentili, inspecteur de l’Éducation nationale, « identité sociale ancrée dans une profession.
Elle est le produit d’une incorporation de savoirs professionnels. »68 Les membres d’une même profession se reconnaissent eux-mêmes comme tels et font reconnaître leur spécificité aux cercles extérieurs.
En dehors des métiers du patrimoine, il est courant de confondre les métiers de documentalistes, bibliothécaires et archivistes. Bien que présentant parfois certaines similitudes sur le plan méthodologique et pratique69, ces métiers se distinguent bien les uns des autres.
Le métier d’archiviste, on l’a vu, a subi diverses évolutions dans un contexte de corpus législatif mouvant et de mutations technologiques. Randall C. Jimerson, Historien et directeur d’un programme en archivistique et sur le records management à l’université de Washington, s’interrogeait, en 1989, sur l’identité de l’archiviste dans la société de l’information.
Dans son article « Redefining Archival Identity: Meeting User Needs in the Information Society », il mettait en avant la difficulté qu’ont les archivistes et les bibliothécaires à définir leur propre image : The problem, which archivists share with librarians and others, is not just how to project a more positive image, but how to reach agreement on exactly what image the profession wishes to send forth. »70 On peut donc souligner un débat sur la manière dont les archivistes apparaissent et veulent apparaître face à autrui.
Le contrôle scientifique et technique
Direction des archives de France. Service technique, Rapport sur l’activité du directeur des Archives départementales : contrôle scientifique et technique des archives publiques : département de la Haute-Vienne, année 1996, Paris, Direction des archives de France/Service technique, 1996, Le contrôle scientifique et technique en question.
Sources orales
La collecte des sources orales
Au départ, des courriels ont été envoyés à Christophe Gandon, coordinateur de l’équipe des archivistes itinérants aux archives départementales de Maine-et-Loire, ainsi qu’aux responsables de services « archives » dans les centres de gestion des Pays de la Loire. Ces courriels expliquaient la démarche méthodologique du projet de recherche et exprimaient la volonté de rencontrer des archivistes itinérants dans la région des Pays de la Loire et du département de Maine-et-Loire.
Le rôle de médiation des archivistes itinérants
Un médiateur est celui qui « sert d’intermédiaire entre deux ou plusieurs choses » (CNRTL).
Cette dimension de médiation est palpable au sein du métier d’archiviste itinérant.
Il est celui qui sert d’intermédiaire entre les archives et le personnel des collectivités.
Conclusion générale
Ce mémoire a permis de mettre en lumière une facette du métier d’archiviste à la fois peu connue par le grand public mais aussi par les archivistes eux-mêmes. Nous avons tenté de mêler le quantitatif au qualitatif en utilisant les données d’une enquête ainsi que des,témoignages d’archivistes itinérants.
Cette enquête symbolise une prise de conscience que cette facette est mal ou peu connue.
Les EPCI sont beaucoup moins nombreux à disposer d’un service archivistes itinérants puisque qu’un centre de gestion prend déjà en charge cette compétence.
Nous nous intéressés dans une première partie aux structures encadrantes des archivistes itinérants en centres de gestion, en EPCI, et aux archives départementales de Maine-et-Loire.
Les modalités d’organisation ne sont pas strictement les mêmes entre ces trois entités. Le salaire varie.
Les possibilités de carrière semblent plus ouvertes dans les centres de gestion ou les EPCI, tandis qu’aux archives départementales de Maine-et-Loire être archiviste itinérant est davantage perçu comme un tremplin efficace avant de se diriger vers d’autres postes. Ce qui ne diffère pas entre les trois entités est le contrôle scientifique des archives départementales – plus ou moins affirmé – sur le travail des archivistes itinérants.
Nous pouvons souligner que dans les communes, les archivistes itinérants sont encore le plus souvent confrontés à des archives papier, malgré une demande appuyée des communes de l’archivage électronique.
Nous avons vu ensuite les différentes missions des archivistes itinérants lors de leurs interventions dans les collectivités.
Nous avons tenté de qualifier les liens qu’ils ont avec le personnel communal et intercommunal.
Des solutions sont trouvées sur le terrain sur la collecte, le classement, le conditionnement et l’emplacement des archives, tout en s’adaptant aux réalités locales. Le métier d’archiviste itinérant présente de nombreuses similitudes avec celui d’archiviste communal ou intercommunal.
Ils sont en effet confrontés à des archives courantes, intermédiaires et historiques. Ils s’efforcent de valoriser un patrimoine local au sein du personnel des collectivités ainsi qu’au-delà à travers des expositions ou des communications dans des journaux locaux. Les archivistes itinérants accumulent des connaissances liées à l’histoire et à la géographie d’une zone géographique donnée.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
LE METIER D’ARCHIVISTE ET LES ARCHIVES, AU COEUR DES MUTATIONS ET DES EVOLUTIONS TERRITORIALES
1. Décentralisation et culture depuis les années 1980
1.1. Les différents « actes de la décentralisation » : quels impacts sur les archives ?
1.2. Le contrôle scientifique et technique : une compétence déconcentrée
2. Aménagement du territoire administratif : nouvelles structures pour les archives
2.1. Les structures intercommunales
2.1.1. Intercommunalités et communes nouvelles
2.1.2. Les centres de gestion, acteurs au sein de l’intercommunalité
2.2. Les nouvelles formes de mutualisation
3. Un métier qui s’adapte
3.1. Formations universitaires en archivistique : de nouvelles générations de diplômés
3.2. Archivistes et identité(s) professionnelle(s)
3.2.1. Le développement de nouvelles compétences pour le métier d’archiviste : le numérique et le records management
3.2.2. Une identité professionnelle d’archiviste ?
BIBLIOGRAPHIE
1. Les communes
2. L’intercommunalité
3. La décentralisation
4. Le contrôle scientifique et technique
5. La formation en archivistique
6. La fonction publique territoriale
7. Records management
8. La professionnalité
9. Archivistes et archivistes itinérants
10. Émotion de l’archive
11. Toponymie en Maine-et-Loire
ÉTAT DES SOURCES
1. Enquête
2. Sources orales
2.1. La collecte des sources orales
2.2. Les témoignages
3. Sources légales
LES ARCHIVISTES ITINERANTS : UN METIER EN PLEINE EXPANSION
1. Les structures d’encadrement des services « archivistes itinérants »
1.1. Le cas des services « archives » dans les centres de gestion (CDG) et des établissements publics intercommunaux (EPCI)
1.1.1. Les raisons de ces créations
1.1.2. La coordination des services « archives »
1.2. Le cas des archives départementales de Maine-et-Loire
1.2.1. La coordination des archives départementales de Maine-et-Loire
1.2.2. L’équipe des archivistes itinérants de Maine-et-Loire est-elle pérenne ?
1.3. Le contrôle scientifique et technique des archives départementales
1.3.1. En centre de gestion et en EPCI
1.3.2. Aux archives départementales du Maine-et-Loire
2. Relations avec les collectivités territoriales : les archivistes itinérants au coeur du maillage communal et intercommunal
2.1. Augmentation des emplois « archivistes itinérants » : quelles demandes ?
2.2. Les missions des archivistes itinérants
2.2.1. La base du métier d’archiviste : Collecte, classement, tri, éliminations
2.2.2. La rencontre avec les archives : une source d’émotion pour l’archiviste et le personnel communal
2.3. Le rôle de médiation des archivistes itinérants
2.3.1. La médiation interne : formation et sensibilisation du personnel des communes
2.3.2. La médiation externe : communication et valorisation du patrimoine
3. Perception du métier par les différents acteurs locaux et nationaux
3.1. L’adaptabilité et la mobilité au coeur du métier
3.1.1. L’arrivée dans les communes : entre rupture et continuité ?
3.1.2. La relation avec le personnel : quel accueil ?
3.2. Un métier qui reste peu connu : vers une quête de reconnaissance ?
3.2.1. Un manque de reconnaissance du Service interministériel des archives de France (SIAF)
3.2.2. La méconnaissance du métier d’archiviste par les collectivités
3.2.3. Des communes satisfaites et demandeuses
3.3. Vers une constitution d’un réseau « archivistes itinérants » à échelle locale et nationale ?
CONCLUSION GENERALE
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