L’agriculture est une activité rurale. Elle constitue le secteur primaire. Depuis longtemps, elle fait l’objet de réflexion en science économique. Dans ce chapitre, nous essayons de savoir pourquoi l’agriculture préoccupe-t-elle les théoriciens et les décideurs politiques. Pour se faire, la première section consiste à déterminer la place de l’agriculture dans les théories économiques. Dans ce cas, nous considérons l’approche physiocratique et l’analyse en terme de dualisme. Dans la seconde section, nous étudions les fondements des politiques agricoles en expliquant le concept et les causes de ces politiques.
La place de l’agriculture dans les théories économiques
L’approche physiocratique
Sous le règne de Louis XIV, l’économie française fût encore agricole. Pourtant, le commerce commença à se développer. Les souverains français favorisèrent ce commerce au détriment de l’agriculture. Les physiocrates critiquèrent cette politique. Selon eux, l’objet de la recherche économique se rapporte aux activités de production et de reproduction. Or le commerce n’appartient pas à la sphère productive. Il entre dans celle de la circulation. Ainsi, le commerce est stérile. François Quesnay (1694-1774) partage aussi cette vision physiocratique. Dans son article « Grains » de l’Encyclopédie (1957), il critique la politique de Colbert, ministre de l’Economie de Louis XIV, sur la promotion du commerce aux dépens de l’agriculture. Dans cet article, il souligne que l’agriculture, la plus féconde et la plus noble du commerce français, la source des revenus du royaume, n’a pas été envisagée comme les fonds primitifs de la richesse (Dehem, 1984). Quesnay retient trois classes sociales dans son analyse à savoir les classes productive et stérile ainsi que celle des propriétaires. Dans la première classe appartiennent les agriculteurs qui sont les seuls à produire du produit net. Ce dernier est le prix payé aux propriétaires en contre partie de leur permission d’utiliser leurs champs. Les souverains, les propriétaires terriens et les décimateurs constituent la classe des propriétaires. Ils vivent du revenu versé par la classe productive. La classe stérile englobe les activités autres que l’agriculture. Elle consomme toute sa production qui ne fait que transformer les richesses produites par l’agriculture. En analysant la classe productive, Quesnay introduit le rôle du capital dans l’agriculture.
Ce capital se devise en avances foncières (exemple : les canaux), primitives (les capitaux fixes) et annuelles (les capitaux circulants). A partir de ces notions de classes et de capital, cet auteur construit un tableau économique qui met en relief la formation du capital et la répartition des richesses dans la société. En somme, Quesnay propose une politique qui donne la primauté à l’agriculture.
Cette vision physiocratique peut être appliquée à l’économie malgache. Madagascar est un pays à vocation agricole. L’agriculture emploie plus de 70% de sa population active. Elle a généré environ 65% des recettes d’exportation (Razafimandimby, 2001). Ainsi, le gouvernement accorde plus d’attention à cette agriculture. Dans les années 70, il y intervenait directement. Etat donnait des subventions aux agriculteurs afin de les motiver et de protéger les consommateurs urbains contre la hausse des prix. Des sociétés publiques assuraient la commercialisation du riz et des cultures d’exportation. L’Etat fixait aussi les prix de ces produits. A l’époque, l’ordonnance 73 054 du 11 septembre 1973 sur “ la charte des prix ” déterminait le régime des prix. Les importations étaient aussi limitées pour protéger les exportations agricoles. Le mercantilisme anglais du XVIème au XVIIIème siècle adopta déjà cette politique protectionniste. Des lois sur l’exportation et l’importation du blé furent promulguées pour contrôler le marché de ce produit.
Vu le rôle crucial de l’agriculture dans l’économie malgache, les politiques adoptées dans les années 70 visaient à la développer et à la protéger. François Quesnay démontre dans ses ouvrages cette importance de l’agriculture. Mais le secteur agricole est aussi une source de main d’œuvre pour le secteur moderne.
L’analyse en terme de dualisme
La terre constitue un facteur de production dans l’agriculture. Selon David Ricardo, cette terre suit la loi des rendements décroissants. Dans son analyse, il s’appuie sur les travaux de Malthus. Ce dernier met en relation la croissance démographique et celle de la production. D’après Malthus, les rendements agricoles sont limités par cet accroissement de la population. Cette limitation s’explique par la diminution des terres fertiles à cultiver. A partir de cette idée, Ricardo stipule que lorsque les terres de bonne qualité deviennent peu abondantes, la population sera amenée à cultiver des terres moins fertiles. Elle y supporte des coûts élevés. Par conséquent, la rente obtenue diminue. Cette situation décourage les agriculteurs. Ils vont émigrer en ville. C’est dans ce sens que Lewis considère l’agriculture comme la source de main d’œuvre pour le secteur moderne. D’après sa théorie, l’agriculture dispose d’une abondante main d’œuvre non qualifiée. La productivité marginale des travailleurs y est faible voire nulle. Mais le taux de transfert de cette main d’œuvre vers le secteur moderne dépend du taux d’accumulation dans ce dernier (Jacquemot, 1985). Dans le cas de Madagascar, malgré l’excès de main d’œuvre agricole, le transfert s’avère difficile. Selon le dernier recensement de la campagne 2004-2005, la population agricole est estimée à 13.316.000 d’habitants. Plus de 96% de la population active occupée y travaillent dans l’agriculture. La superficie physique d’exploitations est égale à 2.083.590 hectares. La taille moyenne des ménages s’élève à 5,51 personnes. Ainsi, chaque agriculteur dispose près de 0,87 hectare. A cause de cette petite part de terre, les agriculteurs s’émigrent vers des centres urbains. Or plus de 80% des agriculteurs ne dépasse pas le niveau d’éducation primaire. Comme le secteur moderne cherche de la main d’œuvre qualifiée, ces émigrés ne peuvent pas donc y travailler. Par conséquent, ils devraient exercer des emplois informels. A Madagascar, l’exode rural ne fait qu’augmenter les investissements en infrastructures urbaines (réseaux de transport, bornes fontaines, etc.). Il entraîne aussi de l’insécurité dans les villes quand la capacité de ces dernières à créer des emplois rémunérateurs est faible.
Les fondements des politiques agricoles
Le concept de politique agricole
La politique agricole englobe tous les efforts du gouvernement pour influencer le milieu rural et les agents économiques qui y vivent. Elle est un ensemble de mesures relatives au secteur agricole et aux secteurs immédiatement liés à ce dernier. Il s’agit des mesures de régulation et d’ajustement conjoncturel ayant des effets à court terme. Elles peuvent être aussi des mesures de programmation, de planification et d’orientations structurelles sur le moyen et le long terme (Griffon et al, 1991). L’objectif final de la politique agricole est de soutenir le développement national. Comme dans les autres domaines, la politique économique en agriculture répond à une vision sociale et politique ainsi qu’à des impératifs nationaux. Les objectifs à atteindre ne sont donc pas seulement d’ordre économique. La politique agricole vise aussi à promouvoir le développement humain en milieu rural. Ces objectifs sociaux seront atteints si des conditions économiques sont réunies. La hausse des rendements agricoles figure parmi ces conditions mais elle n’est pas suffisante. Elle ne répond qu’à la satisfaction des besoins alimentaires des paysans. Ainsi, une augmentation du revenu des ménages agricoles est nécessaire afin qu’ils puissent satisfaire tous leurs besoins. L’agriculture dans le monde se tourne maintenant vers le marché mondial. Les politiques agricoles visent aussi à conquérir ce marché. La promotion des exportations constitue un moyen pour l’Etat d’y arriver. Une dévaluation du taux de change peut l’aider à inciter ces exportations. Par contre, cet Etat devrait maîtriser la dépréciation monétaire afin d’empêcher des inflations catastrophiques. Un durcissement des barrières douanières sur les importations permet de protéger les produits d’exportation agricole. Pourtant, un assouplissement de ces barrières est nécessaire pour que les intrants et les matériels agricoles importés ne soient pas très chers. Néanmoins, l’accès des agriculteurs au marché mondial dépend largement de leur professionnalisme.
Pourquoi une politique agricole ?
La terre constitue l’un des facteurs principaux de la production agricole. Les agriculteurs ont besoin d’une sécurité de la possession de leurs terres. Sans cette sécurité, ils hésitent à les exploiter au maximum. Ainsi, il faut instaurer les droits de propriété foncière. De plus, l’enregistrement de ces droits s’avère nécessaire pour que la société les reconnaisse. A Madagascar, en 2001, 27% des terres agricoles seulement était titré (Randrianarisoa et al, 2003). Cette situation crée des tensions sociales au niveau de la communauté rurale. La sécurisation foncière constitue donc un moyen pour inciter les paysans à produire. La pauvreté rend faible aussi la productivité des paysans. A Madagascar, plus de 80% des pauvres vit en milieu rural (Banque Mondiale, 2007). Ces paysans n’arrivent pas à satisfaire même leurs besoins physiologiques. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le nombre de calories indispensable chaque jour par personne est de 21 30 Kcal. Or pour les agriculteurs malgaches, cet apport calorique n’est que 2040Kcal (Programme des Nations Unies pour le Développement, 2003). De plus, 31% des ménages ruraux seulement a accès à l’eau potable (Fonds des Nations Unies pour l’enfance, 2003). Les paysans souffrent donc des maladies hydriques. Des maladies fréquentes comme le paludisme et la grippe sont également nombreuses en milieu rural. Pourtant, les centres de soins publics de base y sont très rares. Ainsi, plusieurs agriculteurs n’ont pas accès aux services de santé. La malnutrition et les maladies affaiblissent la productivité des paysans. Une politique agricole devrait alors tenir compte de ces variables pour améliorer cette productivité. Le niveau d’instruction des paysans affecte également leur productivité. L’efficacité de la vulgarisation agricole en dépend en partie. Selon Gary Becker, les efforts d’éducation accomplis par un individu amélioreront sa productivité (Longatte, 2001). Or à Madagascar, 58,9%, des ruraux est analphabète (Ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche, 2005).
A cause de leur pauvreté, les parents ne peuvent pas payer les frais et les charges scolaires de leurs enfants. Ainsi, une politique agricole devrait promouvoir l’éducation en milieu rural. Les agriculteurs ont besoin de financement pour leurs exploitations. Ce financement provient de leurs épargnes ou des emprunts. Avec un niveau de revenu assez bas, les paysans ne peuvent pas faire des épargnes. Ils doivent alors recourir aux emprunts chez les institutions de micro finances. Or ces dernières exigent des garanties matérielles. De plus, elles posent beaucoup de conditions dans l’octroi de crédits. Ces institutions pratiquent aussi des taux d’intérêt assez élevés. Les agriculteurs n’ont pas que leurs récoltes comme garanties. Pourtant ces dernières sont vulnérables aux aléas climatiques (sécheresse, cyclones, etc.). Ainsi peu d’agriculteurs ont accès aux crédits ruraux. A Madagascar, le capital agricole par paysan n’est que deux dollars (PNUD, 2003). Le circuit keynésien prouve aussi que l’investissement est fonction du taux d’intérêt (Samuelson, 1990). Une politique agricole doit réglementer les taux d’intérêt dans les institutions de micro finances. Avec un taux assez bas, les agriculteurs peuvent bénéficier des crédits pour leurs exploitations.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I : LES APPROCHES THEORIQUES DES POLITIQUES AGRICOLES
Section 1- La place de l’agriculture dans les théories économiques
I.1.1- L’approche physiocratique
I.1.2- L’analyse en terme de dualisme
Section 2- Les fondements des politiques agricoles
I.2.1- Le concept de politique agricole
I.2.2- Pourquoi une politique agricole ?
CHAPITRE II : LA REVUE DES PROGRAMMES D’AJUSTEMENT STRUCTUREL
Section 1- L’historique de l‘Ajustement Structurel
II.1.1-Le contexte économique malgache dans les années 60 et 70
II.1.2-L’agriculture et les déséquilibres économiques
Section 2- Les principes de l’Ajustement Structurel
II.2.1- L’approche du FMI
II.2.2-L’approche de la Banque Mondiale
CHAPITRE III : L’ETUDE DE CAS DU SECTEUR AGRICOLE MALGACHE
Section 1- Les mesures spécifiques de l’Ajustement structurel et leurs effets dans l’agriculture
III.1.1- Les mesures spécifiques
III1.2- Les impacts de l’Ajustement Structurel sur le secteur agricole
Section 2- Les analyses des échecs des PAS
III.2.1- L’analyse théorique
III.2.2- L’analyse empirique
CHAPITRE IV : LES POLITIQUES AGRICOLES APRES PAS
Section 1- Les cadre de référence de la politique agricole actuelle
IV.1.1- Le Plan d’Action pour le Développement Rural (PADR)
IV.1.2- Le programme Millennium Challenge Account (MCA)
Section 2 : L’analyse de la pertinence du PADR et du MCA
IV.2.1- Le cas du PADR
IV.2.2- Le cas du programme MCA
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES