Les apprentissages de l’écriture longue

La complexité de l’écriture scolaire

     L’écriture est un processus de résolution de problèmes qui requiert une infinité d’actions et de paramètres à prendre en compte. En effet, c’est une activité réflexive qui exige le développement de la pensée, la prise en compte du destinataire et du genre du texte, la maîtrise du lexique et de la grammaire, par exemple. C’est en cela que l’écriture est complexe. Dominique Bucheton l’affirme en ces termes (2014 : 27 ) : [L’écriture] est un observatoire précieux de la diversité des calculs d’ordre cognitif, linguistique, psychologique, socio-affectif, identitaire et expérientiel mis en œuvre par le cerveau. Calculs extrêmement rapides, très complexes dont une grande partie relève de l’épilinguistique5 et donc est peu consciente. Pourtant, bien qu’une grande partie de ces calculs soit « peu consciente », écrire demande tout de même concentration et effort, car cette activité de résolution de problèmes se joue sur plusieurs axes conjoints. Dominique Bucheton (2014 : 29) en rappelle quatre :
– l’axe de la référence. Il précise l’objet dont traite le texte, 5 L’épilinguistique désigne des processus inconscients de contrôle et de régulation des faits langagiers.
– l’axe énonciatif. Il impose des choix qui concernent d’une part, celui qui écrit et d’autre part, celui à qui est destiné ce texte,
– le pôle linguistique. Il représente les points relatifs aux normes de la langue du mot à la phrase,
– le pôle textuel. Il correspond au choix du genre textuel qui déterminera si le texte à écrire doit être un article ou un conte, par exemple.
Ainsi, deux élèves à qui on donnerait la même consigne d’écriture, ne mobiliseraient pas les mêmes calculs référentiels, communicationnels et linguistiques. En effet, dans un premier temps, le récit de ces élèves, malgré une thématique commune, ne se focaliserait pas sur les mêmes éléments. Dans un deuxième temps, on constaterait que les choix énonciatifs dépendraient non seulement du point de vue qu’ils auraient adopté mais aussi des représentations qu’ils se feraient du destinataire. Enfin, ils convoqueraient des points relatifs aux normes de la langue et du texte écrit qui divergeraient. On obtiendrait alors des productions profondément différentes. En analysant attentivement ce schéma, nous avons conscience que ces quatre axes nécessitent un apprentissage-enseignement particulier. L’écriture s’enseigne et s’apprend. L’enseignant se doit d’accompagner l’élève dans ses apprentissages en l’aidant à identifier les usages langagiers et linguistiques et mieux les contrôler. Il se doit aussi de proposer à l’élève d’effectuer des écrits aussi fréquents que possible, en toutes occasions. D’ailleurs, cela nous rappelle Célestin Freinet (Reuter : 96) qui affirme que « c’est en forgeant que l’on devient forgeron ; […] c’est en écrivant que l’on apprend à écrire ». Donc, l’écriture doit être l’objet d’un réel apprentissage, positif, régulier et rigoureusement mené pour éloigner les obstacles à l’écriture.

Le modèle des ateliers d’écriture et de la production de textes littéraires

    Les ateliers d’écriture se développent au cours des années 1970 pour s’imposer à l’intérieur de l’institution scolaire dans les années 1980 et 1990. Deux courants – celui d’Elisabeth Bing et celui de Jean Ricardou et de Claudette Oriol-Boyer – sont à l’origine de ces ateliers et ont eu un rôle primordial. Ce modèle s’est essentiellement développé en marge de l’école. Il met en évidence un nouveau rapport à la langue et à l’écriture tant du côté des enseignants que des élèves. Christine Barré-de Miniac (2007) propose six critères pour définir l’atelier d’écriture : le décloisonnement langue, lecture, écriture ; l’idée de plaisir ; l’intention de produire un texte de fiction ; un travail de réécriture ; un va-et-vient entre le scripteur et le groupe ; une socialisation minimale des textes. Ce modèle présente un certain intérêt. Aujourd’hui, ces ateliers d’écriture sont officiellement reconnus et encouragés par l’institution scolaire alors qu’ils avaient été fondés par des enseignants qui se voulaient en rupture avec les méthodes scolaires traditionnelles. Ils autorisent les élèves à exprimer leurs affects et leur imaginaire. Mais, l’intérêt le plus significatif, c’est que ces ateliers rompent avec les démarches traditionnelles d’enseignement de l’écriture. On peut néanmoins remarquer quelques limites. Ces ateliers d’écriture sont difficilement évaluables car les situations proposées dans la classe sont souvent ludiques. L’activité, différente des autres, implique que la dimension spatiale et les supports d’activité soient l’objet d’une réflexion préalable. L’organisation de l’espace dans la classe doit accompagner les interactions entre l’élève qui présente son texte, les autres élèves et l’enseignant. Les supports des écrits présentés doivent aussi trouver leur place et être archivés dans une zone dédiée. Le dernier modèle didactique traité par Dominique Bucheton propose une réflexion didactique constructiviste s’appuyant sur l’élève. Il s’agit bien de rompre avec toute transmission passive des savoirs et de réaffirmer que c’est l’élève qui apprend et lui seul (Meirieu, 1985).

Présentation des supports de travail

     Si l’on se réfère aux Programmes Officiels en vigueur du cycle 4, la séquence (annexe 1) proposée à ma classe de quatrième sur la nouvelle fantastique s’organise, selon les choix établis par les élèves, à partir de l’entrée « Regarder le monde, inventer des mondes ». Elle fait l’objet du questionnement « La fiction pour interroger le réel » dont les « enjeux littéraires et de formation personnelle » (M.E.N., 2015 : 249) sont les suivants :
-Découvrir des œuvres et des textes narratifs relevant de l’esthétique réaliste ou naturaliste.
-Comprendre quelles sont les ambitions du roman réaliste ou naturaliste au XIXe siècle en matière de représentation de la société.
-Comprendre comment le récit fantastique, tout en s’inscrivant dans cette esthétique, interroge le statut et les limites du réel.
-S’interroger sur la manière dont les personnages sont dessinés et sur leur rôle dans la peinture de la réalité.
Cette séquence intervient à la suite de l’étude d’une œuvre complète sur la nouvelle réaliste de Guy de Maupassant, Contes de la Bécasse de 1883. Elle comporte douze séances d’environ seize heures, hors évaluation et son objectif général recherche à faire les élèves écrire une nouvelle fantastique pour élaborer collectivement un recueil de nouvelles. Tout d’abord, une séance a permis la réalisation du premier jet de la nouvelle fantastique en dyades et triade. La consigne est la suivante : « Rédiger en une trentaine de lignes, le premier jet de votre nouvelle fantastique à partir du personnage principal retenu.» Certains élèves avaient déjà fait remarquer qu’ils connaissaient le genre fantastique. J’ai pu grâce à leurs productions me faire une idée de ce qu’ils avaient avancé. Puis, une séance inaugurale dans laquelle les élèves ont visionné une courte vidéo de Gary Nelson, The black Hole de 1979 a permis de découvrir les fonctions du récit fantastique. Les élèves ont pu alors établir une de ses caractéristiques principales : l’intervention du phénomène surnaturel. Ensuite, plusieurs séances de lecture ont été proposées. Elles visent l’acquisition de repères littéraires pour faire des hypothèses de lecture et découvrir les caractéristiques de la nouvelle fantastique. Ainsi, les élèves ont pu améliorer, en plusieurs étapes, le premier jet de leurs productions, après avoir découvert une nouvelle intégrale, un incipit, plusieurs extraits présentant des cadres spatio-temporels propices au fantastique, et sa chute. Plusieurs séances en étude de la langue, à partir d’extraits littéraires, ont montré l’importance de faits lexicaux et grammaticaux pour l’écriture d’une nouvelle fantastique. Le champ lexical de la peur, les procédés de modalisation et les connecteurs spatio-temporels ont été analysés et ont apporté aux élèves les savoirs nécessaires pour rédiger efficacement leurs nouvelles fantastiques. Pour finir, quelques nouvelles fantastiques ont été placées sous l’œil bienveillant des camarades afin d’y déceler des incohérences ou des modèles à imiter, avant d’être annotées et évaluées. Elles ont été dactylographiées et imprimées par les élèves pour en faire un recueil sur format papier, placé au CDI du collège. Elles ont également été enregistrées sur clés USB pour les montrer aux parents. En prolongement de cette séquence, les élèves ont lu une autre nouvelle fantastique de Dino Buzatti, Le veston ensorcelé de 1966 afin d’en faire un compte rendu oral par groupes.Si l’on se réfère aux Programmes Officiels en vigueur du cycle 4, la séquence (annexe 2) proposée à ma classe de cinquième sur le récit de voyage s’organise à partir de l’entrée « Se chercher, se construire ». Elle fait l’objet du questionnement « Le voyage et l’aventure : pourquoi aller vers l’inconnu ? » dont les « enjeux littéraires et de formation personnelle » ( M.E.N., 2015 : 245) sont les suivants :
-Découvrir diverses formes de récits d’aventures, fictifs ou non, et des textes célébrant les voyages.
-Comprendre les motifs de l’élan vers l’autre et l’ailleurs et s’interroger sur les valeurs mises en jeu.
-S’interroger sur le sens des représentations qui sont données des voyages et de ce qu’ils font découvrir.
Cette séquence s’intègre dans une progression annuelle, à la suite de l’étude de l’adaptation d’une œuvre complète sur la chanson de geste, « La chanson de Roland » adaptée par AnneMarie Cadot Colin. Elle comporte huit séances d’environ douze heures, hors évaluation et son objectif général recherche à faire les élèves écrire un récit de voyage pour élaborer un recueil. Tout d’abord, une séance a permis la réalisation individuelle du premier jet du récit de voyage à partir d’une image. La consigne est la suivante : «Vous arrivez sur des terres inconnues. Sélectionnez une des illustrations et racontez en une vingtaine de lignes ce que vous découvrez comme si vous étiez un explorateur du XVe siècle.» Plusieurs séances de lecture ont été proposées ensuite. Elles visent l’acquisition de repères littéraires pour faire des hypothèses de lecture et découvrir les caractéristiques du récit de voyage. Ainsi, les élèves ont pu améliorer, en plusieurs étapes, leur premier jet, après avoir découvert les enjeux du journal de bord, et les descriptions d’Indigènes et du Nouveau Monde. Une séance en étude de la langue, à partir d’un extrait littéraire, a montré l’importance des attributs du sujet pour la description et a apporté aux élèves les savoirs nécessaires pour rédiger efficacement leurs récits de voyage. Toutes les productions ont été annotées plusieurs fois et évaluées. Pour finir, ces récits ont également été diffusés aux parents et aux autres élèves du collège. Les séquences présentées ont permis de construire des compétences, des savoirs et savoir-faire qui serviront de prérequis aux séquences suivantes. Néanmoins, il faut retenir qu’elles comportent toutes deux des ressemblances et des différences. En effet, dans un premier temps, les deux séquences proposent aux élèves de se plonger dans l’écriture de nouvelles fantastiques ou récits de voyage, sans indications ou informations précises. Aucune référence littéraire ne leur a été fournie. Ce choix a permis de les confronter à une situation problème ayant pour objectif de vérifier leurs connaissances des caractéristiques de la nouvelle fantastique et du récit de voyage. Dans un deuxième temps, ces deux séquences proposent un travail d’écriture par étapes successives à ces deux classes. En effet, après le premier jet, chaque classe a bénéficié de textes de références à chaque étape, lui permettant d’améliorer son incipit, le corps même de sa production, puis son excipit. Cependant, deux différences majeures ont pu être observées entre ces deux classes. Tout d’abord, les élèves de la classe de cinquième ont dû rédiger individuellement, contrairement à la classe de quatrième. Enfin, il ne leur a pas été proposé d’interactions entre pairs, leur permettant d’améliorer leurs productions comme à l’autre classe. En revanche, ces élèves de cinquième ont été aidés par les annotations que j’inscrivais sur leurs feuilles pour chacun des jets présentés. Par contre, ces annotations ont été effectuées uniquement pour l’avant dernier jet des groupes de quatrième. Mais, seuls les derniers jets ont été notés pour ces deux classes avant l’élaboration des recueils.

Conclusion

    Bien que l’écriture longue soit chronophage et énergivore pour les élèves et les enseignants, elle est un acte gratifiant pour ceux qui s’y livrent contre ces supports sont les témoins de leur engagement. Quoi qu’il en soit, dans la pratique, il est toujours étonnant de constater combien cette activité semble effrayer certains élèves et enseignants qui craignent de s’y risquer. Le présent travail de réflexion et les hypothèses qui le sous-tendent restent toutefois partiels. Il s’agissait d’engager la discussion sur l’activité d’écriture longue en explorant quelques données facilement observables pour tenter d’identifier les facteurs qui motivent les élèves. Ainsi, les nombreuses variables introduites dans les séquences ont montré que pour un même objectif final – l’élaboration d’un recueil de textes longs – les comportements motivationnels des élèves différaient. La question de la motivation pour l’activité d’écriture scolaire dépend de multiples facteurs externes et internes sur lesquels nous n’avons pas nécessairement prise. Cependant, il semble qu’en proposant des activités authentiques aux élèves, on arrive à créer une certaine attractivité et à maintenir leur engagement. Une telle expérience enrichit autant les élèves que l’enseignant. En réinvestissant les connaissances acquises au cours de leurs séquences, les élèves de ces deux classes ont certainement pu mesurer les enjeux qui leur permettaient de résoudre cette tâche complexe qu’est l’acte d’écrire. Il s’agissait avant tout de les rendre autonomes et de les inciter à prendre des initiatives pour mener à bien leur projet d’écriture. C’est en les encourageant à écrire et réécrire leur nouvelle fantastique et leur récit de voyage pour les améliorer qu’ils ont appris à mieux rédiger. D’ailleurs, cette exigence, dès la troisième séquence de la progression annuelle, jalonne l’année de cinquième et de quatrième, car c’est l’une des priorités du Socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Sans doute, l’un des enjeux de l’école serait de repenser les postures et l’étayage des enseignants vis-à-vis de l’activité d’écriture. Dominique Bucheton (2014 : 296) encourage tous les enseignants sur la voie du changement : Le changement des pratiques pour faire un enseignement de l’écriture de notre temps ne peut se construire, se reconstruire, s’inventer à nouveau que collectivement. Il relève d’une responsabilité et d’une volonté plurielles. Ce changement réside probablement, comme le souligne encore Dominique Bucheton (2014 : 17), dans la formation des enseignants qui devrait inclure des activités d’écriture longue, permettant de « refonder l’enseignement de l’écriture ».

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Table des matières

1 Introduction
2 Objet d’étude
2.1 Écrire : un acte complexe qui freine les apprentissages ?
2.1.1 La complexité de l’écriture scolaire
2.1.2 Quels sont les obstacles à l’écriture scolaire ?
2.2 Faire émerger les théories de l’écriture : intérêts et limites
2.2.1 Le modèle de la rédaction
2.2.2 Le modèle des types de textes et processus rédactionnels
2.2.3 Le modèle des ateliers d’écriture et de la production de textes littéraires
2.2.4 Le modèle culturel du sujet-écrivant
2.3 Mobiliser les élèves dans leurs apprentissages de l’écriture longue
2.3.1 La motivation extrinsèque
2.3.2 La motivation intrinsèque
2.3.3 L’autodétermination et l’autonomie
3 Cadre théorique
3.1 Objectifs de la recherche
3.2 Problématique et faisceau de questions
3.3 Hypothèses
4 Le cadre méthodologique
4.1 Présentation des classes concernées par l’expérimentation
4.2 Outils d’observation
4.2.1 Historique du projet
4.2.2 Présentation des supports de travail
4.3 Outils d’analyse
5 Résultats de l’expérimentation
5.1 Résultats de l’observation directe
5.2 Résultats de l’évaluation
5.3 Résultats de l’observation par les questions ouvertes
5.4 Résultats de l’observation par les questions à choix multiples
6 Discussion
7 Conclusion
Bibliographie
Annexes

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