Les anticoagulants oraux directs chez la femme en âge de procréer

Depuis leur mise sur le marché en 2008, les anticoagulants oraux directs (AOD) tendent à remplacer les anti-vitamines K (AVK). En effet, de par leur facilité d’utilisation et l’absence de surveillance biologique nécessaire, la prescription des AOD est croissante. Une étude évaluant la prescription des AOD par rapport à celles des AVK chez les patients traités pour une maladie thrombo-embolique veineuse de 2012 à 2017 aux Etats-Unis a montré que, pendant le premier quart de l’année 2012, la warfarine était introduite chez 98.7%. Dans le dernier quart de l’année 2017, la prescription des AVK avait clairement diminuée : la warfarine était prescrite chez 17.5% des patients alors que le rivaroxaban était introduit chez 42.7% des patients et l’apixaban chez 38.6% d’entre eux.

En parallèle de cette facilité de prescription, ils ont démontré une réduction des hémorragies majeures, définies par l’International Society on Thrombosis and Haemostasis (ISTH) comme un saignement cliniquement significatif associé à : une chute du taux d’hémoglobine supérieure ou égale à 2 g/dL et/ou la nécessité d’une transfusion d’au moins 2 culots globulaires et/ou survenant dans un site critique et/ou entraînant le décès. (2) Dans l’étude EINSTEIN-PE, comparant l’efficacité et la sécurité du rivaroxaban par rapport à une anticoagulation standard (enoxaparine puis AVK) chez les patients traités pour une embolie pulmonaire, une hémorragie majeure était survenue chez 26 patients (1.1 %) traités par rivaroxaban versus 52 patients (2.2 %) traités anticoagulation standard [HR 0.49, IC 95 % (0.31 ; 0.79), p = 0.003]. (3) Dans l’étude AMPLIFY, comparant l’efficacité et la sécurité de l’apixaban par rapport à l’anticoagulation standard chez les patients traités pour une maladie thromboembolique veineuse, une hémorragie majeure était survenue chez 15 patients (0.6 %) du groupe apixaban versus 49 patients (1.8 %) du groupe anticoagulation standard [RR 0.31, IC 95 % (0.17 ; 0.55), p < 0.001].

Cependant, chez la femme en âge de procréer, il semblerait que les AOD, et notamment les anti-Xa, seraient plus à risque d’hémorragies génitales que les AVK : une méta-analyse de 2016 a décrit, chez des patients traités par AOD pour une maladie thromboembolique veineuse, une incidence plus faible des hémorragies majeures et mineures chez les hommes comparativement aux femmes. Cette différence pourrait être en lien avec les hémorragies génitales. (5) Selon cette même méta-analyse, le rivaroxaban serait plus souvent associé aux hémorragies génitales que les AVK. Des études comparant le risque d’hémorragie génitale chez les femmes traitées par rivaroxaban par rapport à celles traitées par AVK ont montré une augmentation significative des saignements utérins anormaux sous rivaroxaban (6 10) ; ces saignements sont définis par la Fédération Internationale des Gynécologues Obstétriciens (FIGO) comme : des ménorragies prolongées ou plus abondantes, des saignements inter menstruels, des ménorragies entraînant une anémie, une consultation médicale ou chirurgicale imprévue ou une adaptation du traitement anticoagulant. Selon l’étude AMPLIFY, le risque d’hémorragie génitale était comparable, en valeur absolue, chez les femmes traitées par apixaban et par warfarine. (7,11) Une étude rétrospective, incluant la même population de patientes que dans l’étude AMPLIFY, retrouve cependant une tendance relative aux hémorragies génitales lorsque ces patientes sont traitées par apixaban, avec notamment des ménorragies prolongées chez les patientes non ménopausées (> 8 jours selon le FIGO). (11) Une analyse post-hoc de l’étude HOKUSAI-VTE retrouvait une tendance à des saignements vaginaux plus fréquents chez les femmes traitées par edoxaban que chez celles traitées par warfarine.

L’incidence de la maladie thromboembolique veineuse (MTEV) chez les femmes en âge de procréer est de 1/10 000 habitants/an avec une tendance à l’augmentation. (12) Les contraceptions orales sont la 1ère cause de maladie thromboembolique veineuse chez les femmes jeunes. (13) Les saignements gynécologiques anormaux sont un des problèmes gynécologiques les plus fréquemment rencontrés. (14) Cependant, peu de données de la littérature sont disponibles concernant les hémorragies génitales chez les femmes jeunes en âge de procréer traitées par un anticoagulant oral. (15) Un Programme Hospitalier de Recherche Clinique Inter Régional (GENB-OAC) est actuellement en cours afin d’évaluer la prévalence des hémorragies génitales chez ces femmes jeunes en âge de procréer traitées par anticoagulant oral et d’évaluer l’impact de ces saignements sur leur qualité de vie.

Les médecins généralistes sont souvent les premiers médecins consultés dans le cadre du parcours de soins coordonnés pour la prise en charge d’hémorragies génitales. Ils sont également les destinataires privilégiés des courriers d’autres spécialistes lorsque la patiente consulte en urgence ou est hospitalisée pour des effets secondaires des traitements anticoagulants, notamment hémorragiques. Il est donc intéressant de connaître leurs pratiques concernant l’anticoagulation des femmes en âge de procréer ainsi que leur ressenti vis-à-vis de la modification de leur qualité de vie.

Matériel et méthodes

Population d’étude 

Il s’agit d’une étude descriptive observationnelle, transversale, mono centrique menée au Centre Hospitalo-Universitaire de la Timone, à Marseille. Cette étude ciblait les médecins généralistes des Bouches-du-Rhône, du Var et du Vaucluse. 900 médecins généralistes ont été randomisés via les Pages Jaunes® par tirage au sort aléatoire à l’aide du site www.randomlists.com.

Données recueillies 

Un questionnaire comprenant 11 questions a été envoyé par courrier postal aux médecins randomisés (Annexe 1). 2 questions portaient sur le type de patientèle de ces médecins, 2 sur le type d’anticoagulant le plus prescrit ainsi que son indication et 1 portait sur les complications les plus fréquentes. Un rappel sur la définition d’une hémorragie majeure était donné. Concernant les hémorragies génitales, 2 questions évaluaient le traitement anticoagulant le plus à risque de méno-métrorragies d’après ces médecins, 1 concernait leur prise en charge, 1 évaluait la qualité de vie des patientes et 2 portaient sur l’évocation de leurs menstruations en consultation. Les réponses étaient anonymes. Des enveloppes pré-remplies et préaffranchies étaient jointes pour les réponses des médecins. Deux médecins ont participé à l’envoi des documents et à l’analyse des données.

Analyse statistique

Le recueil de données a été effectué de mars à juillet 2019. Le critère de jugement principal était la détermination du traitement anticoagulant jugé le plus à risque de méno-métrorragies chez les femmes en âge de procréer de moins de 45 ans selon l’expérience et la pratique des médecins généralistes. Les critères de jugement secondaires étaient les plaintes fonctionnelles et le retentissement sur la qualité de vie de ces patientes du point de vue des médecins généralistes. Les réponses ont été codées et rapportées dans un tableau Excel pour permettre l’analyse statistique. Les résultats étaient présentés sous forme de pourcentage pour les valeurs quantitatives.

Conduite à tenir devant une hémorragie génitale
Une question portait sur la conduite à tenir par ces médecins généralistes lorsqu’une patiente en âge de procréer et traitée par anticoagulant oral se présente au cabinet pour des ménométrorragies. Parmi eux :
– 101/198 soit 51 % déclaraient adresser ces patientes chez le gynécologue
– 85 (42.9 %) réévaluaient l’indication du traitement anticoagulant
– 69 (34.8 %) mettaient en place une supplémentation ferrique
– 38 (19.2 %) arrêtaient temporairement le traitement anticoagulant
– 33 (16.7 %) diminuaient la posologie du traitement anticoagulant pendant les menstruations
– 37/198 soit 18.7 % réévaluaient l’indication du traitement anticoagulant et adressaient leur patiente chez un gynécologue.
– 19 (9.6 %) mettaient en place une supplémentation ferrique, réévaluaient l’indication de l’anticoagulation et adressaient la patiente chez un gynécologue.

Anticoagulants et altération de la qualité de vie
– La majorité des médecins généralistes soit 136/198 (68.7 %) estimaient que la qualité de vie de leurs patientes n’était pas altérée. 49 (24.7 %) rapportaient une altération de la qualité de vie chez leur patiente ; 6 la reliaient à l’anxiété et 3 aux contre-indications sportives. 13 (6,6 %) des médecins n’avaient pas répondu à cette question.
– 168/198 soit 84.8 % des médecins n’avaient pas remarqué plus de plainte de saignement d’origine génitale sous AOD que sous AVK alors que 14 (7 %) d’entre eux estimaient que les AOD étaient plus souvent associés à ce type de saignement. 16 (8 %) d’entre eux n’avaient pas répondu à cette question.

Discussion 

Notre étude a montré que, d’après la pratique des médecins généralistes, les ménométrorragies étaient plus fréquentes chez les patientes traitées par AVK par rapport à celles traitées par AOD. Ces résultats ne sont pas en accord avec les données actuelles de la littérature. Seule une analyse post-hoc des études RE-COVER et de l’essai RE-MEDY a récemment démontré que le taux d’hémorragies génitales était significativement plus bas chez les patientes non ménopausées traitées par dabigatran par rapport à celles traitées par warfarine ; cette différence serait liée à une inhibition plus efficace de la thrombine par les AVK. (17) Concernant les anti-Xa, les résultats semblent plutôt en défaveur des AOD par rapport aux AVK.

Nos résultats sont probablement secondaires à une extrapolation, par les médecins généralistes, des méno-métrorragies au sur-risque hémorragique tout site confondu lié aux AVK. En effet, dans les articles comparant la sécurité et l’efficacité des AVK par rapport aux AOD chez les patients anticoagulés pour une fibrillation atriale, il est démontré que les saignements majeurs sont significativement moins fréquents chez les patients traités par AOD par rapport aux patients traités par AVK.(18) Une récente étude menée à partir du registre GARFIELD-AF, comparant les saignements sous AVK versus sous AOD dans la vraie vie, chez des patients traités pour une fibrillation atriale non valvulaire, montre que le taux de saignement majeur est significativement plus élevé dans le groupe AVK (34.2 %) que dans le groupe AOD (18.6 %) [HR = 1.51 ; IC 95% (1.00-2.28)]. (19) De même, dans la MTEV, les études EINSTEIN-PE, AMPLIFY et HOKUSAI VTE ont montré un taux significativement plus bas de saignements majeurs et de saignements non majeurs mais cliniquement significatifs chez les patients traités par rivaroxaban, apixaban et edoxaban par rapport aux patients traités par AVK.

Cependant, les données de la littérature démontrent que les hémorragies génitales semblent plus fréquentes sous AOD que sous AVK (8,20). Selon l’étude de De Crem et coll., le rivaroxaban est à l’origine de saignements menstruels prolongés avec pour conséquences des consultations médicales plus fréquentes que sous AVK et la nécessité d’adapter plus fréquemment l’anticoagulation pour la prise en charge de ces saignements utérins anormaux. (6) Les saignements utérins anormaux regroupent, selon le FIGO, les saignements menstruels irréguliers, les aménorrhées, les oligoménorrhées, les saignements menstruels fréquents, les saignements menstruels abondants et/ou prolongés ainsi que les saignements inter menstruels. Les saignements menstruels abondants sont les plus fréquents. (17) Ils sont définis selon les recommandations du National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) comme une perte sanguine menstruelle excessive, interférant avec le versant physique, émotionnel, social et ou/matériel de la qualité de vie et qui peut survenir de manière isolée ou en association avec d’autres symptômes.

Parmi les médecins généralistes interrogés dans notre étude, 37 d’entre eux soit 18.7 % déclarent réévaluer l’indication du traitement anticoagulant et adresser leur patiente chez un gynécologue lorsque cette dernière se présente au cabinet pour une hémorragie génitale. 19 médecins soit 9.6 % réalisent la même prise en charge et ajoutent une supplémentation ferrique. Cette prise en charge, qui doit être pluridisciplinaire, semble être la plus adaptée. (23,24). Cependant, elle est réalisée par un faible nombre de médecins. Actuellement, il n’existe pas de recommandation pour la prise en charge de ces hémorragies chez les femmes jeunes traitées par anticoagulant alors que leur qualité de vie semble considérablement altérée. En effet, presque un quart des médecins généralistes interrogés estiment que les patientes anticoagulées ont une altération de leur qualité de vie en lien avec ce traitement. Boonywat et coll. ont suggéré une stratégie de prise en charge de ces saignements menstruels abondants .

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Table des matières

I. Introduction
II. Matériel et méthodes
II.1. Population d’étude
II.2. Données recueillies
II.3. Analyse statistique
III. Résultats
III.1. Résultats concernant la patientèle des médecins généralistes
III.2. Résultats concernant le type d’anticoagulant prescrit et leur indication
III.3. Résultats concernant les complications les plus fréquentes
III.4. Résultats concernant les hémorragies d’origine génitale
III.4.1. Taux de méno-métrorragies en fonction du type d’anticoagulant
III.4.2. Conduite à tenir devant une hémorragie génitale
III.4.3. Anticoagulants et altération de la qualité de vie
III.4.4. Evoquer les menstruations en consultation
IV. Discussion
V. Conclusion
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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