CRITIQUES ET RUPTURES (1962-1968)
Le maoïsme spontanéiste, dont la naissance est intimement liée au contexte des années 68, s’inscrit dans l’émergence d’une profonde vague de remise en question traversant le mouvement communiste international, et plus spécifiquement, dans le cas qui nous intéresse, le Parti Communiste Français (PCF). Celle-ci est essentielle pour appréhender les spécificités du courant maoïste français, et, au-delà, les trajectoires et aspirations spécifiques de cette génération de militants, s’investissant, avant même les événements de 1968, dans cette voie politique, et nécessite donc une brève présentation.
DU REFUS DE LA DÉSTALINISATION À L’EXEMPLE CHINOIS
Les conditions d’émergence des courants prochinois puis maoïstes en France sont à mettre en perspective avec le contexte international des années cinquante, et plus particulièrement les nouveaux horizons ouverts par le « modèle » de la République Populaire de Chine face à une Union Soviétique en pleine mutation. La mort de Staline en 1953, y engendre un processus de remise en question de la politique menée par celui-ci. Au terme d’une lutte interne au sein du Parti communiste d’Union soviétique (PCUS), Nikita Khrouchtchev lui succède au poste de premier secrétaire et initie une remise en question de la politique autoritaire de ce dernier. Les purges, les déportations et la police secrète sont dénoncées dans un rapport présenté par Khrouchtchev au cours du XXe congrès du PCUS. Ce rapport, censé être tenu secret, critique outre l’aspect répressif du régime, le culte de la personnalité développé sous la direction de Staline. Rapidement pourtant, les points développés dans ce rapport connaissent des fuites, et, publié à l’étranger, il suscite de vives réactions. La politique de Khrouchtchev, et particulièrement sa politique étrangère se veut la traduction d’une inflexion dans la ligne du PCUS. Si l’immense majorité des partis communistes à l’Est comme à l’Ouest réaffirment leur alignement sur l’URSS, choisissent d’ignorer le débat et restent fidèles à la ligne politique désormais prônée par l’URSS, tendances et dissensions internes émergent en leur sein.
L’Albanie et surtout la République Populaire de Chine sont les seuls pays à s’opposer frontalement à la déstalinisation, ainsi qu’à la mise en place d’une coexistence pacifique avec les pays capitalistes. Les relations sino-soviétiques se dégradent. La Chine dans les Propositions concernant la ligne générale du mouvement communiste international , plus généralement connues sous l’appellation de « lettre en 25 points », affirme son refus de réviser l’histoire du socialisme et d’en évincer Staline , d’occulter le rôle essentiel qu’il y joua et dénonce le « révisionnisme de Khrouchtchev […] variante du socialisme bourgeois » coupable de servir les « besoins de la politique d’évolution pacifique que l’impérialisme américain pratique à l’égard de l’Union soviétique ». Cette opposition polarise en 1963, en France et à l’international les militants communistes.
UN NOUVEAU MODÈLE
C’est dans ce cadre que l’association des Amitiés Franco-chinoises (AFC) se crée en 1956, sous l’égide du Parti Communiste Français, et c’est donc, jusqu’en 1962 de manière interne à celui-ci que se développent les tendances prochinoises en France.
Les AFC rassemblent militants communistes intéressés et bienveillants à l’égard de cette nouvelle réalisation de « socialisme réellement existant », mais également à l’égard des mouvements révolutionnaires des pays du tiers-monde.
Dans la brèche ouverte par la revue Révolution de Jacques Vergès diffusant les thèses chinoises en France, les positions critiques vis-à-vis de la politique du PCF s’axent dans un premier temps sur la modération de la position du Parti sur la question de l’Algérie et sur le rejet de la perspective du passage au socialisme par la voie parlementaire. Ces tendances trouvent écho dans la dégradation des relations entre PCUS et Parti Communiste Chinois (PCC), et souscrivent aux critiques dénoncées par la lettre en 25 points. Suite à la « mise en sommeil » en 1962 par le PCF des Amitiés franco-chinoises et à l’exclusion des dissidents en 1964 , ceux-ci en assurent la continuité en fondant les Cercles Marxistes-Léninistes de France . Ces structures, prémices des organisations auto-proclamées marxistes-léninistes françaises favorisent la diffusion d’informations en provenance de République populaire de Chine puis d’Albanie, tels Pékin information, Radio Tirana ou des ouvrages et brochures édités par le PCC, tout en publiant leur propre presse, l’Humanité Nouvelle dès 1965. En juin 1966 est fondé le Mouvement Communiste de France Marxiste-Léniniste, dernière étape avant sa constitution en « Parti », visant par ailleurs à s’attirer le soutien de la Chine , le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France (PCMLF) en décembre 1967 , publiant lui, l’Humanité Rouge.
L’ESSOR DU TIERS-MONDISME
Mais au-delà de ses relations avec l’URSS, la Chine affirme un intérêt marqué à l’égard des pays du Tiers-Monde. Elle participe à la conférence de Bandung en 1955 – dite conférence des non-alignés – qui marque la revendication de reconnaissance de ces pays, choisissant de ne s’aligner, ni sur l’URSS ni sur les États-Unis. L’écho en France des guerres coloniales amène nombre de militants et d’intellectuels à une sensibilité croissante sur ces questions. Ils trouvent un appui théorique dans la découverte des thèses tiers-mondistes, dont Révolution et les éditions Maspero se font, en France, le relai, marquant là l’émergence d’une remise en question des impérialismes tant américain que soviétique. Un intérêt particulier est porté aux modèles chinois et cubain, auprès d’une audience allant au-delà du cercle strict des sympathisants marxistes-léninistes, comme en témoigne le développement dans les années 1960 d’un certain « tourisme militant ».
DES POSITIONNEMENTS DISTANCIES VIS-À-VIS DU PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS
DE L’UNION DES ÉTUDIANTS COMMUNISTES (UEC) À L’UNION DES JEUNESSES COMMUNISTES MARXISTES-LÉNINISTES
Au cours des années soixante, l’UEC, organisation étudiante du PCF, se développe conjointement à l’accès accru de la jeunesse aux études supérieures. Celui-ci regarde avec méfiance l’organisation étudiante se développer, sans parvenir à analyser correctement les bouleversements touchant la société française. Une des conséquences politiques et sociales de cette situation se traduit par l’apparition de divergences d’analyse quant à la ligne du Parti au sein même de l’UEC. L’une de ces tendances, les « Italiens » – en référence au « réformisme » pour certains, à l’ouverture pour d’autres – du Parti Communiste Italien (PCI) de Togliatti, prend en 1965 la tête du bureau national de l’organisation. Fin 1965, les tendances désignées comme « gauchistes » (trotskistes) du secteur Lettres sont exclues de l’UEC. En 1966, c’est au tour des tendances marxistes-léninistes, le PCF reprenant désormais le plein contrôle sur son organisation de jeunesse.
Les premiers se réclament dès lors ouvertement du trotskisme, certains se ralliant aux thèses de la Quatrième Internationale, faisant leurs les critiques de Trotski à l’encontre de Staline et par là même de l’attitude du PCF quant à l’Union Soviétique.
Les seconds, affirmant un intérêt croissant pour le modèle chinois, s’y affilient en se réclamant du marxisme-léninisme, s’opposant au « révisionnisme » du « Parti “communiste” Français », à la suite de ses dissidents prochinois. Ce dernier courant, rassemblé autour de la branche Philosophie du cercle Lettres de l’UEC, initialement orchestré par des élèves de l’ENS Ulm rassemblés sous l’enseignement de Louis Althusser, constitue à son exclusion de l’UEC une nouvelle organisation, l’UJCml.
L’UJCml créée en 1966, se donne pour programme lors de son premier congrès en février 1967 de « diriger la lutte des classes à l’université et dans la jeunesse », d’« être à la tête des luttes anti-impérialistes dans la jeunesse » et surtout de « [contribuer] à former des intellectuels révolutionnaires qui se lieront aux ouvriers et au peuple travailleur [en instituant] de nouvelles formes d’organisation qui rendront possible la réalisation de cette tâche ». Ce faisant, l’organisation souhaite assumer son rôle d’organisation étudiante, tout en affirmant sa volonté de recentrer ses actions et sa propagande vers les travailleurs. On trouve illustrées dans le dernier point les prémices de ce qui constituera plus tard une des caractéristiques du maoïsme spontanéiste, celle de la multiplication des organisations satellites, structures préalables à la constitution d’un parti. L’UJCml est ainsi à l’initiative de plusieurs organisations lui permettant d’élargir son influence au-delà du cercle de ses militants et sympathisants directs, dont les Cercles Servir le Peuple (SLP) mêlant sensibilité anti-impérialiste et centralité des luttes ouvrières et paysannes, regroupés autour de l’organe du même nom, sont une bonne illustration, « “Servir le peuple” peut et doit être actuellement le pivot de notre propagande et de notre recrutement […] le mouvement de soutien des étudiants aux ouvriers doit donc être un véritable mouvement de masse ».
LA QUESTION DU VIETNAM OU LA CONVERGENCE ANTI-IMPÉRIALISTE
Si la volonté principale de l’UJCml est d’opérer une jonction entre la jeunesse et la classe ouvrière française, son influence dans la jeunesse se propage surtout à travers les mobilisations qu’elle initie contre l’intervention américaine au Vietnam . L’opposition à l’impérialisme, et au capitalisme (dont il est le « stade suprême ») dans les prises de position au sujet des guerres de libération nationale, est à la fin des années soixante, un élément fédérateur de la contestation d’extrême gauche , lieu selon Kristin Ross d’une « nouvelle subjectivité politique passant par l’Autre ». En réponse au Comité Vietnam National (CVN), mêlant des intellectuels et des militants de multiples organisations politiques, dont la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR) , au Comité Information Vietnam lié au PCMLF et au Mouvement pour la Paix du PCF, l’UJCml crée en 1967 les Comités Vietnam de Base (CVB). Organisations de soutien à la lutte de peuple vietnamien visant « l’édification en France d’une force politique antiimpérialiste capable de concrétiser la solidarité de fait entre le peuple français et les peuples agressés par l’impérialisme, capable de concrétiser les aspirations profondes du peuple français à soutenir la lutte des peuples qui affrontent directement l’impérialisme », leur mot d’ordre « FNL vaincra», signe, dans une affirmation de radicalité s’opposant au pacifisme des trotskystes et du PCF, un alignement systématique et absout de toute critique sur le régime du Nord-Vietnam. Ces comités affichent de fait une « solidarité totale, le soutien absolu aux principes politiques, aux objectifs et aux méthodes de lutte du peuple vietnamien».
En pratique, les CVB sont regroupés au sein d’entités géographiques tels que quartiers, établissements scolaires, entreprises ou villes. Les formes prises par le militantisme des CVB témoignent de l’adhésion de l’UJCml à la préconisation de Mao Tsé-Toung faite aux intellectuels et militants d’aller à la rencontre des « masses ». Ces comités mènent pour ce faire leur propagande dans des secteurs délaissés par les CVN, et d’une manière générale moins investis par les autres organisations d’extrême-gauche.
Les quartiers populaires, les cités ou les marchés sont les décors privilégiés de leur agit-prop. Les militants y déploient séances et panneaux explicatifs ainsi que des meetings sur la situation au Vietnam et l’actualité du conflit pour « faire pénétrer les idées justes du Peuple vietnamien, des peuples opprimés en lutte, au sien des masses françaises».
Des journaux tels le Courrier du Vietnam ou Victoire pour le Vietnam y sont distribués . Doublés par le service d’ordre des Groupes de Protection et d’Autodéfense, ils participent aux manifestations de protestation qui fleurissent en cette fin de décennie, voire organisent des actions spectaculaires (dont l’attaque de l’exposition de soutien au Front uni du Sud-Vietnam le 22 avril 1968), préludes aux actions des futures organisations maoïstes-spontanéistes. Ainsi la question du Vietnam permet, à travers les CVB et leur diffusion de propagande maoïste et grâce à leur écho dans la jeunesse, la politisation d’une frange de celle-ci. C’est ainsi que dépassant largement, dans la jeunesse lycéenne et étudiante, l’audience des rangs militants marxistes-léninistes, ces comités sont pour citer Rémi Guillot « de véritables lieux de socialisation politique où se [transmettent] les savoir-faire hérités de la lutte anticoloniale, [éprouvant] les solidarités militantes et [formant] autant de réseaux de solidarités militantes lors des évènements de 1968».
L’ÉCLATEMENT DE L’UJCML
C’est donc immédiatement après les évènements de mai-juin que l’UJCml entame une remise en question de sa ligne politique, principalement axée sur son positionnement vis-à-vis de la révolte étudiante. Les discussions internes, débutant durant l’été 1968, mettent en lumière les dissensions traversant l’organisation . Un mouvement national d’autocritique est lancé, duquel la « ligne noire » de la future GP retient principalement le sectarisme de l’UJCml vis à vis des étudiants . La critique rétrospective fournie semble pour nombre de militants insuffisante, tout comme la propension démagogue, et peu analytique caractérisant la nouvelle Cause du Peuple. Ceux-ci préfèrent ainsi se tourner vers le PCMLF (vers lequel des rapprochements étaient déjà envisagés par certains durant l’existence de l’UJCml sans avoir abouti ) ou vers d’autres groupuscules marxistes-léninistes, entérinant la dissolution de l’organisation. VLR se constitue fin 1968, à partir d’anciens membres de l’UJCml, et se rassemble à partir d’expériences de travail effectuées vers les usines, principalement à Citroën, puis à Flins, organisées autour d’étudiants de Nanterre, conservant ainsi certaines structures esquissées par l’UJCml.
Quant à la Gauche Prolétarienne, c’est autour de deux des principaux dirigeants du bureau politique de l’UJCml qu’elle se constitue, dans une continuité idéologique, tactique et symbolique (conservant son organe la Cause du Peuple, dont la parution après avoir été interrompue durant à la fin juin reprend à leur initiative le 1e novembre ). La création de la Gauche Prolétarienne découle d’un refus de la « liquidation » des pratiques et formes nouvelles mises en place en Mai. Elle affirme par là, une opposition à des positions divergentes au sein de l’UJCml en cours d’éclatement . Ce faisant, elle se place également à contre-courant de l’idée d’un reflux du mouvement contestataire, entamé au mois de juin, et formalisé par la fin de la grève générale.
Face à une compréhension tardive de la portée de l’événement, la GP cherche donc à donner une continuité à « l’étape de mai » au cours de laquelle de nouvelles formes d’action et thématiques ont émergé, ou été réactivées. De celles-ci, certaines sont désormais fondatrices de la politique de la GP et de VLR. L’une d’elle est l’idée « d’exigence démocratique », en écho à la « démocratie nouvelle » prônée par Mao pour la Chine en 1940, couplant refus de la représentation et encouragement à la création de structures revendicatives locales. Au-delà, c’est l’objectif d’unité des diverses classes sociales (mouvement ouvrier, mouvement paysan et mouvement de la jeunesse intellectuelle ) et les rapprochements observés durant Mai qui est à l’origine d’un des mantras de la GP : « unir tout ce qui peut être uni », et au centre de ses choix stratégiques ultérieurs.
La Cause du Peuple, qui avait cessé de paraître après son numéro 21 des 29 et 30 juin 1968 est de nouveau distribuée, en une nouvelle version, en novembre 1968, abandonnant par la même occasion sa revendication de journal « de front populaire » pour se doter désormais du sous-titre plus radical de « communiste révolutionnaire prolétarien ».
L’ÉTABLISSEMENT
Fin août 1967, des dirigeants de l’UJCml prennent ainsi l’initiative de partir à la rencontre du prolétariat français, notamment rural. Dès la rentrée, l’expérience est généralisée et le mot d’ordre est d’organiser de petites « longues marches de la jeunesse » vers les campagnes et les usines. L’UJCml encourage dès lors ses militants à « s’établir » en usine, c’est-à-dire, pour des étudiants ou lycéens, arrêter leur scolarité afin de travailler à la chaîne ou de proposer un travail bénévole auprès de paysans travailleurs, faisant ainsi le choix d’une mobilité sociale descendante à laquelle ils n’étaient, de par leur milieu social d’origine ou leur niveau d’étude, souvent pas destinés . Si cette pratique recouvre un aspect novateur par l’ampleur qu’elle prit, elle ne l’est pas tant d’un point de vue de l’expérience historique . Elle fut par exemple expérimentée par des groupes aussi divers que les populistes russes de la fin du XIXe , des militants chinois des années vingt ou la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC) – dans des perspectives politiques ou religieuses, en tout cas portée par la volonté de passer un message – et fit des émules chez certains intellectuels soucieux d’approcher « [l’] énigme et [l’] enjeu politique » que représentait cette réalité sociale étrangère, celle de la classe ouvrière – tout en restant le fait de décisions individuelles, donc marginales.
Ce mouvement lancé par l’UJCml à la fin des années soixante est donc, sinon un mouvement de masse, bel est bien conséquent en terme de nombre de personnes touchées, et ce quelle que soit leur sensibilité politique au sein de l’extrême-gauche. À l’aune de l’étude de Marnix Dressen sur l’établissement, faisant date sur la question, on peut estimer le nombre d’ « ouvriers volontaires » se situant entre cinq cent et deux à trois mille, pour une grande part maoïstes, mais également prochinois voire, plus rarement, appartenant à des organisations trotskistes ou au PSU.
L’enquête, et particulièrement dans la forme prise par l’établissement, est une tentative de synthèse entre l’espérance placée en la spontanéité d’un prolétariat révolutionnaire par essence, et le tiraillement des militants, majoritairement étudiants et/ou issus de classes plutôt privilégiées, entre une conscience politique de formation marxiste-léniniste et la nécessité d’agir, sinon au nom de ce prolétariat, du moins de façon à semer les germes d’une possibilité d’action.
Il s’agit donc de montrer la voie, tout en s’effaçant au mieux derrière son rôle d’ouvrier, ou derrière les camarades, eux seuls légitimes pour porter une revendication, dès lors qu’une action, débrayage, grève ou occupation est suivie ou entamée.
LA QUESTION SYNDICALE
ANARCHOSYNDICALISME OU HÉRITAGE LÉNINISTE ? RENOUER AVEC UN SYNDICALISME D’ACTION DIRECTE
La complexité et la mobilité du rapport du courant maoïste à la question syndicale font écho aux débats internes traversant le mouvement ouvrier depuis la fin du XIXe , portant, entre autres, sur l’interrogation de la voie la plus adaptée pour la prise du pouvoir, par la création d’un parti, et donc d’une avant-garde révolutionnaire, ou par la voie syndicale. L’acception de syndicalisme révolutionnaire, telle que définie dans la Charte d’Amiens en 1906, introduit la dimension d’indépendance vis-à-vis des partis politiques . Au-delà de la question de la prise de pouvoir, celle de la pratique syndicale en elle-même est, elle aussi, divisée selon plusieurs courants. Dès le tournant du XXe , la CGT nouvellement constituée se prononce pour un syndicalisme d’action directe n’excluant pas la voie violente, et « préconisant le boycottage et le sabotage».
Les maoïstes inscrivent leur conception de la lutte dans cette tradition de l’action directe. N’hésitant pas à encourager l’occupation des usines au cours des grèves, ils analysent ces occasions comme des prises de pouvoir des travailleurs susceptibles de les mener à radicaliser leur position. Leur volonté de s’inscrire dans une histoire du mouvement ouvrier les pousse à fréquemment en mobiliser des références, se décrivant volontiers comme les héritiers « de leurs pères, les casseurs de 48 » ou à appeler par exemple à multiplier les occupations et ainsi à « raviver le souvenir de 1936 ». Ils tentent par là de légitimer aux yeux des travailleurs leurs appels à la radicalisation des pratiques et des actions et l’opposition à l’encontre d’une CGT, selon eux, bureaucratisée et corrompue. Occupations, sabotages et séquestrations sont relatés de manière dithyrambique dans la Cause du Peuple. Mais au-delà du domaine propre au travail, dont relèvent usines, entreprises et exploitations agricoles, cette conception de l’action est appliquée à tous les secteurs revendicatifs tels le logement, le coût de la vie, les transports.
UNE LOGIQUE OUVRIÉRISTE
CRÉER DES NOYAUX COMMUNISTES DANS L’USINE
La GP tout comme VLR entretiennent tout au long de leur existence un discours ouvriériste marqué, masquant tant bien que mal la composition encore largement étudiante de ses cadres et militants . Le prolétariat ouvrier étant appréhendé comme l’élément moteur de la lutte des classes, il est donc pour les maoïstes l’objet privilégié de toute leur attention et dans les premières années d’existence de ces organisations, le destinataire privilégié des actions et de la propagandes mises en œuvres.
Cette priorité accordée aux ouvriers, s’inscrivant dans la lignée de l’UJCml, se traduit chez la GP par une démarche populiste parfaitement illustrée par la CdP, dont la majeure partie des pages est occupée par des récits de lutte en usine. À la lecture de la Cause du Peuple apparaît en effet frappante l’importante proportion d’articles retraçant telle ou telle action locale (débrayage, opposition à un délégué syndical, etc.) . Dans sa volonté de saisir les préoccupations de la classe ouvrière, elle verse souvent dans un populisme assumé : « “C’est simpliste ” : tant mieux, nous le voulons ! Nous imposerons le style du père Duchesne !».
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Table des matières
Introduction
Les « années 1968 » : sujet fécond de l’histoire du mouvement social
Le maoïsme : omniprésence et lacunes
Sources
Première Partie : De la lutte des classes (1966-1970)
Chapitre I. Critiques et ruptures (1962-1968)
A. Du refus de la déstalinisation à l’exemple chinois
B. Des positionnements distancies vis-à-vis du Parti Communiste Français
C. Du meutre du « père » : une critique du Parti Communiste Français (PCF)
Chapitre II. De la logique de classe (1967-1969)
A. « Servir le peuple » : diffusion de la pensée maoïste
B. La question syndicale : anarchosyndicalisme ou héritage léniniste ?
C. Une logique ouvriériste
Chapitre III. De la logique de masse (1969-1970)
A. Lotta Continua, une influence italienne
B. Les travailleurs immigrés
Chapitre IV. Action, répression, mobilisation (1968-1970)
A. Des violences politiques
B. Révolte et violence « symbolique » des maos
C. De la répression qui en découle
Seconde Partie : À la critique des dominations (1970-1974)
Chapitre V. Passage à une stratégie « démocratique » (1970-1972)
A. De la dissolution des organisations maoistes
B. Intellectuels et Extrême-gauche, une unité fragile
C. L’enquête et la naissance de l’ « intellectuel spécifique »
Chapitre VI. Vers une autonomisation des mouvements sociaux (1971-1973)
A. Lutte de classe, lutte anti-despotique ou lutte démocratique ?
B. « Action directe, Démocratie directe »
C. Éclatement des fronts : un militantisme affinitaire
Chapitre VII. Disparition, continuités et filiations (1973-1974)
A. Délitement, réappropriation et autonomisation 1
B. L’impossible dépassement
C. Continuités et descendance
Conclusion
Bibliographie
Sources
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