A l’heure où la demande industrielle est grandissante, suite à l’accroissement rapide de la population mondiale, il y a une prise de conscience générale des effets nocifs et toxiques qu’induisent certains effluents industriels sur l’environnement. Les pressions tant législatives que sociales et environnementales sont de plus en plus importantes pour l’utilisation de « procédés à pollution zéro ». Les progrès des techniques de traitement ont permis l’amélioration de la qualité de nos rejets, mais la mise en place de normes toujours plus sévères entraîne un fort intérêt pour le développement de nouveaux systèmes épuratoires. De nouveaux procédés de traitement ont émergé au cours des 20 dernières années. Parmi lesquels, les Procédés d’Oxydation Avancées (POA) sont très intéressants pour la dégradation des molécules organiques récalcitrantes. Ces procédés sont complémentaires aux méthodes habituelles de coagulation-floculation, précipitation, adsorption sur charbon actif ou procédés membranaires. Les POA ont pour but la minéralisation complète des polluants aqueux en CO2 et autres composés minéraux. La sonochimie (chimie induite par des ultrasons) est un procédé avancé d’oxydation basé sur le phénomène de cavitation acoustique. Elle permet entre autre la dégradation de molécules récalcitrantes en phase aqueuse et a déjà prouvé son efficacité pour la minéralisation complète de nombreux polluants des eaux comme les pesticides et les colorants.
LES ALKYLPHENOLS DANS L’ENVIRONNEMENT ET LA SONOCHIMIE
LES ALKYLPHENOLS DANS L’ENVIRONNEMENT
Les activités humaines produisent de nombreux déchets qui sont traités systématiquement par des technologies en constante évolution. Le traitement de l’eau occupe une place importante dans les soucis environnementaux, car les rejets d’eaux résiduaires ont fortement évolué en quantité et en qualité depuis quelques décennies. L’épuration des eaux résiduaires urbaines est réalisée au niveau des stations d’épuration où leurs différents polluants sont séparés ou dégradés par des procédés physiques, chimiques ou biologiques. Notre objectif est d’exposer l’intérêt du développement d’une technique de dépollution adaptée aux effluents chargés en alkylphenols et plus particulièrement en 4- isopropylphénol et en 4-cumylphénol. Cette étude est menée en utilisant ces molécules modèles, car elles présentent des caractéristiques d’études intéressantes : d’une part, elles constituent environ 90% du marché des alkylphénols utilisées dans l’industrie du plastique et des détergents et, d’autre part, les traitements classiques sont inopérants sur ce type de composés (polluants récalcitrants) reconnus comme des perturbateurs endocriniens. Dans cette partie, nous présenterons brièvement ces composés organiques.
Tensioactifs
Il s’agit du type de substances émergentes le plus rencontré dans les rejets. On les trouve encore sous le nom de surfactants, agents de surface, détergents, surfactifs… Leur utilisation est basée sur leur caractère amphiphile. Une substance amphiphile possède une double affinité que l’on définit du point de vue physico-chimique comme une dualité polaire-apolaire. La molécule typique d’un amphiphile comprend deux parties : d’une part un groupe polaire qui contient des hétéro-atomes comme O, S, P ou N, qui se trouvent dans des groupes alcool, thiol, acide, sulfate, sulfonate, phosphate, amine, amide etc., d’autre part, un groupe apolaire ou peu polaire qui est en général un groupe hydrocarboné du type alkyle ou alkylbenzène, et qui peut contenir éventuellement des atomes d’halogène et même des atomes d’oxygène. La partie polaire possède une affinité pour les solvants polaires, en particulier l’eau, et on l’appelle souvent la partie hydrophile. Le groupement apolaire s’appelle la partie hydrophobe. Les tensioactifs sont largement utilisés dans la vie quotidienne par le biais des détergents commerciaux et des produits cosmétiques. Ils ont aussi de nombreuses applications industrielles. En 1987, il a été estimé que la consommation totale dans les pays industrialisés s’élevait à 6 kg par habitant. Les anioniques et les nonioniques sont les plus utilisés. Deux familles de tensioactifs ont plus particulièrement soulevé des interrogations quant à leur comportement dans l’environnement et leur toxicité vis-à-vis des organismes aquatiques, les alkylphénols éthoxylés et les alkylbenzènesulfonates. Après leur utilisation, les tensioactifs, via les effluents des stations d’épuration, aboutissent dans les eaux naturelles douces ou marines.
Alkylphénols éthoxylés (APE)
Les APE sont des composés non-ioniques synthétisés par addition d’une chaîne éthoxylée hydrophile (polymère d’oxyde d’éthylène) sur une molécule hydrophobe à hydrogène mobile du type alkylphénol. Les APE commerciaux, dont les plus communs en Europe sont du type nonylphénols éthoxylés (NPE), sont sous forme d’un mélange d’homologues et d’isomères. Chaque homologue correspond à plusieurs isomères qui se différencient suivant la structure de la chaîne alkyl hydrophobe. La présence des alkylphénols dans les milieux aquatiques est donc uniquement anthropogénique. En Europe, la production et l’importation des nonylphénols avoisinaient les 82000 tonnes en 1997 [1]. En Allemagne, cette production est passée de 18500 tonnes en 1984 à 49000 tonnes en 1990 [2]. On estime à plus de 300000 tonnes la production annuelle mondiale d’alkylphénols [3]. Les alkylphénols sont ubiquitaires dans l’environnement de part leur spectre d’utilisation et l’absence de traitement approprié dans les stations d’épuration. En effet, on estime que 65% des alkylphénols et dérivés entrant dans les stations d’épuration sont rejetés dans l’environnement [4].
Toxicité des alkylphénols
Des études récentes ont démontré le potentiel toxicologique des AP principalement en tant que perturbateurs endocriniens chez l’animal, mais aussi chez l’homme [5-11]. Les APs, de part leurs structures chimiques, peuvent se fixer, par compétition avec l’œstrogène, sur les récepteurs œstrogénique [5]. Ceci entraîne notamment une induction de la vitellogenine altérant le métabolisme stéroïdien et la croissance testiculaire [12]. Des effets directs du NP sur la structure et les fonctions de l’ADN dans la larve de bernacle ont été décrits [13]. Ce mécanisme pourrait être responsable des effets de perturbation hormonale observés dans l’ensemble des organismes vivants [14]. Peu d’information sont disponibles sur la toxicité des octylphénols (OP) et dérivées. Cependant, il a été démontré une toxicité sur l’activité oestrogénique quarante fois plus importante pour les OP par rapport aux NP et aux NP1EO [15]. Le 4-cumylphénol est douze fois plus active que le bisphénol A [16]. Une bioconcentration des AP a été constatée chez diverses espèces aquatiques (algues, plantes aquatiques, poissons, moules). Une synthèse bibliographique sur la toxicité aquatique des AP a été publiée par plusieurs chercheurs [14-20]. Des travaux récents ont soulevé des préoccupations relevant directement de la santé humaine. Par exemple, Chitra et al. [21] et Adeoya-Osigawa et al. [22] décrivent des effets sur les fonctions du sperme chez les mammifères, tandis que de récents documents citent également une détérioration de l’ADN dans les lymphocytes humains [23]. L’évaluation des risques effectuée par l’Union Européenne pour les nonylphénols a conclu une présence de risques significatifs pour l’environnement aquatique, les sols et les organismes supérieurs par empoisonnement secondaire (accumulation des NP dans la chaîne alimentaire). Du fait de cette toxicité démontrée, une volonté de réduction et de régulation des NPE a été mise en place en Europe (Commission Oslo-Paris, OSPAR [24]) et en Amerique du Nord depuis quelques années. Le Tableau 1 regroupe les données concernant les niveaux de concentration des APEs dans les effluents de différentes stations dépuration [5].
Les alkylphénols, les alkylphénols éthoxylés et leurs acides carboxyliques se retrouvent généralement en mélange dans le milieu aquatique. Leurs effets toxiques pour la faune et la flore aquatique ne peuvent être considérés de façon individuelle, car cela pourrait mener à une sous-évaluation de la toxicité totale du mélange. Pour tenir compte de l’additivité des effets et des différences de toxicité des divers alkylphénols, le Conseil Canadien des Ministres de l’Environnement [25] a proposé une méthode basée sur les équivalents toxiques (Tableau 2). Cette méthode est analogue à celle couramment utilisée pour les dioxines et furanes [26]. Le 4 nonylphénol (4-NP), le 4-octylphénol (4-OP), le 4-isopropylphénol (4-IPP) et le 4- cumylphénol (4-CP) ont été classés dans le cadre de la directive eau de l’Union Européenne comme « substances dangereuses prioritaires ». Les alkylphenols (4-NP, 4-OP, 4-IPP et 4-CP) font partie de la liste des 87 substances à rechercher obligatoirement dans l’eau.
Procédés de traitement des eaux polluées par les alkylphénols
Les eaux contaminées par les alkylphénols peuvent être traitées par des procédés physiques, chimiques ou biologiques. Le traitement de ces effluents toxiques et/ou peu biodégradables par ces techniques classiques trouve rapidement ses limites en matière d’efficacité du fait de la nature même des effluents. L’objectif est de parvenir à amener l’effluent à un niveau de dépollution satisfaisant tout en conservant un coût de traitement acceptable. Les procédés classiques tels que l’adsorption, les techniques membranaires, l’extraction par solvant et par membrane liquide émulsionnée ne répondent pas à cette attente car ils sont pour la plupart non destructifs. C’est pourquoi de nouvelles techniques de traitement se développent actuellement dans de nombreux laboratoires. Ce sont les procédés d’oxydation avancés. Ils fonctionnent sur le principe de l’oxydation radicalaire. Comme dans le cas des ultrasons ou des ultraviolets, ces techniques permettent de générer des radicaux hydroxyles qui réagissent avec les composés organiques et les oxydent.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
Chapitre I : LES ALKYLPHÉNOLS DANS L’ENVIRONNEMENT ET LA SONOCHIMIE
INTRODUCTION
I.1. LES ALKYLPHENOLS DANS L’ENVIRONNEMENT
I.1.1. Tensioactifs
I.1.2. Alkylphénols éthoxylés (APE)
I.1.3. Toxicité des alkylphénols
I.1.4. Procédés de traitement des eaux polluées par les alkylphénols
I.2. ULTRASONS ET SONOCHIMIE
I.2.1. Onde ultrasonore
I.2.1.1. Définition et classification des ultrasons
I.2.1.2. Origine et développement des ultrasons
I.2.1.3. Propagation de l’onde ultrasonore
I.2.1.4. Atténuation du son dans un milieu liquide
I.2.2. Phénomène de cavitation
I.2.2.1. Dynamique d’une bulle de cavitation
I.2.2.1.1. Naissance
I.2.2.1.2. Croissance
I.2.2.1.3. Effondrement et sonoluminescence
I.2.3. Cavités transitoires et cavités stables
I.2.4. Génération des ultrasons
I.2.4.1. Convertisseurs électromécaniques
I.2.4.1.1. Convertisseurs magnétotrictifs
I.2.4.1.2. Convertisseurs piézoélectriques
I.2.4.2. Réacteurs sonochimiques
I.2.4.3. Effets physiques des ultrasons
I.2.4.4. Effets thermiques
I.2.4.5. Ondes de choc et jets de liquide
I.2.4.6. Courants acoustiques
I.2.4.7. Force de radiation et geyser acoustique
I.2.4.8. Courant de microagitation
I.2.4.9. Modèles théoriques
I.2.4.9.1. Théorie du point chaud
I.2.4.9.2. Théorie électrique
I.2.5. Sonochimie et formation d’espèces oxydantes
I.2.5.1. Sonolyse
I.2.5.2. Localisation des réactions sonochimiques
I.2.5.3. Paramètres influençant les réactions sonochimiques
I.2.5.3.1. Nature du liquide
A. Viscosité
B. Tension superficielle du liquide
C. Pression de vapeur du liquide
I.2.5.3.2. Puissance et intensité acoustique
I.2.5.3.3. Température du liquide
I.2.5.3.4. Pression statique
I.2.5.3.5. Fréquence ultrasonore
I.2.5.3.6. Hauteur du liquide et géométrie du réacteur
I.2.5.3.7. Temps d’irradiation
I.2.6. Dégradation des composés organiques en solution aqueuse
I.2.6.1. Dégradation d’un polluant modèle
I.2.6.2. Phénol
I.2.6.3. Dégradation d’un mélange de polluants
CONCLUSION
Références bibliographiques
CHAPITRE II : PROCEDURES EXPERIMENTALES ET METHODES ANALYTIQUES
INTRODUCTION
II.1. PRODUITS CHIMIQUES
II.2. PREPARATION DES SOLUTIONS D’ALKYLPHENOLS
II.3. REACTEUR SONOCHIMIQUE
II.3.1. Emetteur à haute fréquence
II.3.2. Caractérisation du système générateur d’ultrasons
II.3.2.1. Puissance acoustique
II.3.2.2. Mesure calorimétrique
II.3.2.3. Formation de H2O2
II.3.2.4. Oxydation de l’ion iodure (dosimétrie KI)
II.4. TECHNIQUES ANALAYTIQUES
II.4.1. Analyse par CLHP
II.4.2. Analyse des alkylphénols
II.4.3. Mesure de la conductivité
II.4.4. Mesure du pH
Références bibliographiques
CHAPITRE III : DEGRADATION SONOCHIMIQUE DU PERTURBATEUR ENDOCRINIEN 4-CUMYLPHENOL DANS L’EAU
Résumé
Abstract
1. Introduction
2. Materials and methods
2.1. Chemicals
2.2. Ultraonic reactor
2.3. Analyses
3. Results and discussion
3.1. Effect of ultrasound frequency
3.2. Effect of initial 4-CyP concentration
3.3. Effect of ultrasonic power
3.4. Effect of initial Ph
3.5. Effect of temperature
3.6. Effect of saturating gas
3.7. Effect of KBr and tert-butyl alcohol
3.8. Effect of bicarbonate
3.9. 4-CyP treatment in natural water
4. Conclusion
References
CHAPITRE IV : EFFET DES MATRICES MINERALE ET ORGANIQUE SUR LA DEGRADATION SONOCHIMIQUE DU 4-ISOPROPYLPHENOL A FAIBLES CONCENTRATIONS
Résumé
Abstract
Introduction
Experimental
Chemicals
Reactor
Analyses
Results and discussion
4-IPP degradation and hydrogen peroxide formation
Effect of bicarbonate concentration on 4-IPP degradation
4-IPP degradation in sucrose solution
Conclusion
References
CONCLUSION GENERALE