Les algues rouges et les carraghénanes
La paroi des algues rouges
Les cellules végétales possèdent, en plus de leur membrane plasmique, une paroi polysaccharidique, dont le rôle est à la fois structural et protecteur. Sa structure semi-rigide forme une armature résistante qui permet de soutenir l’organisme, de résister à la pression osmotique, et de se protéger contre les agressions extérieures. La paroi joue aussi un rôle lors de la croissance et du développement de l’organisme. Les cellules des algues, comme celles des plantes supérieures, possèdent une paroi, constituée d’une phase squelettique et d’une phase matricielle (Figure 1). La paroi des algues diffère de celle des plantes terrestres par l’importance relative de sa phase matricielle par rapport à la phase squelettique, et par la nature de cette phase matricielle.
La phase squelettique est composée de polysaccharides linéaires neutres et insolubles. La cellulose en est le polysaccharide majoritaire, elle est présente sous forme de microfibrilles cristallines, et représente de 1 à 9 % du poids sec de l’algue (Ross, 1953). Cette phase squelettique peut également être constituée de mannanes ou de xylanes de structures diverses (Craigie, 1990). La phase matricielle est composée d’un réseau de polysaccharides anioniques appelés phycocolloïdes. Les constituants majoritaires de la paroi de nombreuses algues rouges, de la classe des Florideophyceae, sont des galactanes linéaires sulfatés dont les unités galactopyranose sont alternativement liées en α(1→3) et β(1→4). Ces macromolécules sont classées en trois grandes familles : les carraghénanes, les agarocolloïdes et les carragars. Les unités liées en β sont toujours de configuration D, tandis que les unités liées en α sont de configuration D dans le cas des carraghénanes et L dans le cas des agarocolloïdes. Les carragars possèdent des structures intermédiaires entre les carraghénanes et les agarocolloïdes. Les carraghénanes sont beaucoup plus sulfatés (17 à 53% de sulfate), que les agarocolloïdes (0 à 8%) (Armisén, 2000). Ces polysaccharides composent également la matrice intercellulaire, qui joint les cellules entre elles, et qui est totalement dépourvue de squelette cellulosique insoluble. La paroi des algues contient également des protéines qui, bien que présentes en faible quantité, jouent un rôle important pour la biosynthèse (en particulier pour la maturation des carraghénanes) et le maintien de la structure de la paroi (Vreeland & Kloareg, 2000). Grâce à sa composition chimique particulière et à son architecture, la paroi confère aux cellules d’algues rouges des propriétés particulièrement adaptées à la vie en milieu marin (Kloareg & Quatrano, 1988). Elle possède une souplesse et une élasticité qui lui permettent de résister à l’hydrodynamisme du milieu. Le caractère fortement hydrosoluble de ses constituants permettrait une rétention d’eau assurant la résistance à la dessiccation lors des longues périodes d’émersion. Sa concentration en groupements sulfate lui permet d’intervenir dans la régulation ionique et osmotique. La paroi agit aussi comme barrière vis-à-vis des agressions extérieures, tout en assurant les échanges avec le milieu, notamment les échanges ioniques et gazeux. Elle participe également aux phénomènes d’adhésion au support rocheux.
Structure chimique des carraghénanes
Les carraghénanes sont des galactanes linéaires sulfatés, de poids moléculaire compris entre 10⁵ et 10⁶ Da environ (Viebke et al., 1995) dans lesquels les unités D-galactose sont alternativement liées par liaisons α(1→3) et β(1→4). Les unités de répétition sont donc des disaccharides, appelés carrabioses, qui se distinguent par la présence et la position de groupements tels que des groupements sulfate, O-méthyle ou pyruvate sous la forme de cétal cyclique. Il arrive aussi que les carraghénanes soient substitués par des groupements glycosidiques tels que le β-D-xylopyranose (Craigie, 1990) (Stevenson & Furneaux, 1991). L’unité α-D-galactopyranose peut également exister sous la forme 3,6-anhydro Dgalactopyranose. Les unités β-D-galactopyranose et α-D-galactopyranose adoptent la conformation chaise 4C1 qui permet de placer en position équatoriale les groupements les plus volumineux, comme le groupement CH2OH, ainsi que les éventuels substituants. Pour les unités 3,6-anhydro-D-galactopyranose, la conformation en chaise 1C4 est imposée par la présence du pont 3,6-anhydro .
Nomenclature
Les différentes unités disaccharidiques ont tout d’abord été désignées par des lettres de l’alphabet grec (Rees, 1969). A chaque nouvelle unité disaccharidique découverte était attribuée une nouvelle lettre. Mais le nombre de motifs disaccharidiques augmentait rapidement et l’alphabet grec ne compte que 24 lettres. Knutsen a donc proposé une nouvelle nomenclature (Knutsen et al., 1994) basée sur un code alphabétique et numérique, qui permet de décrire n’importe quel motif. Avec cette nomenclature les unités liées en α(1→3) sont notées G, les unités liées en β(1→4) sont notées D, et les unités 3,6-anhydro-D-galactopyranose sont notées DA. Les substituants sulfate sont notés S, les méthyles sont notés M et les pyruvates sont notés P. La position des substituants est indiquée par le numéro des carbones qui les portent, sauf dans le cas du pyruvate, toujours lié aux carbones 4 et 6 de l’unité D. Un des avantages de cette nomenclature est qu’elle s’applique à la fois aux carraghénanes et aux agarocolloïdes. Dans ce dernier cas, les unités liées en β(1→4), qui sont de configuration L, sont simplement désignées par la lettre L, ou par LA lorsqu’elles comportent un pont 3,6-anhydro. Ainsi, les principaux carraghénanes commerciaux, à savoir le kappa- (κ-), le iota- (ι-) et le lambda- (λ-) carraghénanes sont décrits respectivement par les codes (G4S-DA), (G4SDA2S) et (G2S-D2S,6S). Dans le cas des oligosaccharides, la position des différentes unités au sein de la molécule est indiquée par les suffixes suivants : nr pour l’unité située en extrémité non réductrice et nr’ pour l’unité directement adjacente. Pour l’unité située en extrémité réductrice, on utilisera le suffixe r, et l’on précisera l’anomérie rα ou rβ ; pour l’unité directement adjacente le suffixe sera donc r’α ou r’β. Ainsi la forme majoritaire du néo-tétraκ-carraghénane peut s’écrire : DAnr-G4Snr’-DAr’β G4Srβ. Cette nomenclature est celle acceptée par l’IUPAC (International Union of Pure and Applied Chemistry). Néanmoins, à l’heure actuelle les deux nomenclatures coexistent, les lettres grecques étant toujours très largement utilisées pour désigner et classer les différents carraghénanes commerciaux.
Classification des carraghénanes
La classification des carraghénanes a tout d’abord été basée sur leur solubilité dans le potassium (Smith & Cook, 1953). Les carraghénanes extraits de Chondrus crispus ont ainsi été séparés en deux fractions, l’une soluble, alors appelée λ-carraghénane, et l’autre insoluble, appelée κ-carraghénane. Avec les avancées de l’analyse structurale, les carraghénanes ont été classés en différentes familles, en fonction de leur similarité de structure avec le λ- ou le κ-carraghénane (McCandless & Craigie, 1979). Ainsi on trouve dans la famille lambda tous les carraghénanes dont l’unité G est porteuse d’un groupement sulfate en position 2 (unité G2S), et la famille kappa est composée des carraghénanes dont l’unité G est sulfatée en position 4 (unités G4S). A ces deux familles se sont ensuite ajoutées la famille beta dont l’unité G n’est pas sulfatée (Greer & Yaphe, 1984a) et la famille oméga dont l’unité G est sulfatée en position 6 (Mollion et al., 1986) .
Famille beta
Elle est constituée de tous les carraghénanes qui ne portent pas de sulfatation sur leur unité G. Le β-carraghénane (beta, G-DA) et son précurseur biosynthétique, le γ-carraghénane (gamma, G-D6S) sont présents dans la paroi des algues Betaphycus gelatinum (Greer & Yaphe, 1984a), Furcellaria lumbricalis (Knutsen & Grasdalen, 1987) et Tichocarpus crinitus (Yermak et al., 1999). L’α-carraghénane (alpha, G DA2S) et son précurseur, le δcarraghénane (delta, G-D2S,6S) ont été observés chez Catenella nipea (Zablackis & Santos, 1986 ; Falshaw et al., 1996).
Famille lambda
Cette famille se caractérise par une sulfatation en 2 de l’unité G. Ces carraghénanes se trouvent majoritairement dans les parois des tétrasporophytes de certaines espèces de Gigartinaceae et Phyllophoraceae (McCandless et al., 1982 ; McCandless et al., 1983). Le motif le plus fréquemment rencontré est le motif λ (lambda, G2S-D2S,6S). La forme mature du λ-carraghénane, le θ-carraghénane (thêta, G2S-DA2S) a été rencontrée chez l’algue Callophyllis hombroniana (Miller, 2003). Elle peut également être obtenue par lente conversion à partir du λ carraghénane chauffé en milieu alcalin. On rencontre également chez les formes tétrasporophytes de certaines Gigartinaceae des structures désulfatées comme le ξcarraghénane (ksi, G2S-D2S) (Penman & Rees, 1973), pyruvatées comme le π-carraghénane (pi, G2S-DP2S) (DiNinno et al., 1979) ou présentant une sulfatation supplémentaire (G2S,4S-D2S,6S) (Guibet et al., 2006).
Famille kappa
Elle regroupe tous les carraghénanes qui portent une sulfatation en position 4 de leur unité G. Outre le κ-carraghénane (kappa, G4S-DA), elle contient le ι-carraghénane (iota, G4SDA2S), ainsi que leurs précurseurs biosynthétiques respectifs : le µ-carraghénane (mu, G4SD6S) et le ν-carraghénane (nu, G4S-D2S,6S) (Anderson et al., 1973). Le µ-carraghénane et le ν-carraghénane peuvent être convertis respectivement en κ-carraghénane et en ι-carraghénane lors de la biosynthèse par l’action d’enzymes, les galactose-6-sulfurylases. Cette conversion est également réalisée par un traitement alcalin à chaud au cours du procédé industriel (Bellion et al., 1983). Ces carraghénanes se retrouvent chez de nombreuses espèces d’algues rouges, soit sous la forme de quasi homopolymères, soit sous la forme d’hétéropolymères constitués d’au moins deux des quatre motifs présentés. Il est intéressant de noter que parmi les carraghénanes, le ι-carraghénane est celui qui porte le plus fréquemment des substituants méthyles. Il a par exemple été observé récemment un carraghénane de structure quasi idéale (G4S,6M-DA2S) (Chiovitti et al., 2004).
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Table des matières
Introduction
Première partie : Introduction générale
1. Les algues rouges et les carraghénanes
1.1. La paroi des algues rouges
1.2. Structure chimique des carraghénanes
1.2.1. Nomenclature
1.2.2. Classification des carraghénanes
1.2.2.1. Famille beta
1.2.2.2. Famille lambda
1.2.2.3. Famille kappa
1.2.2.4. Famille oméga
1.2.3. Les carraghénanes : des hétéropolymères
1.3. Biosynthèse des carraghénanes
1.4. Diversité des algues rouges carraghénophytes
1.4.1. Diversité des espèces
1.4.2. Cycle de vie
1.5. Procédé d’extraction industrielle
1.6. Propriétés physico-chimiques des carraghénanes
1.7. Activités biologiques des carraghénanes
2. Méthodes d’analyse
2.1. Poids Moléculaire
2.2. Méthodes chimiques
2.3. Spectroscopie Infrarouge
2.4. Spectroscopie de Résonance Magnétique Nucléaire (RMN)
2.5. Analyse par spectrométrie de masse des oligo-carraghénanes
2.5.1. MALDI-TOF
2.5.2. ElectroSpray Ionisation Mass Spectrometry (ESI-MS)
2.5.3. Couplage Chromatographie Liquide – Spectrométrie de Masse (LC-MS)
2.6. Analyse de la distribution
2.6.1. Etudes des propriétés physico-chimiques
2.6.2. Etude de la distribution par séparation et analyse des produits de dépolymérisation enzymatique
3. Les carraghénases
3.1. Les κ-carraghénases
3.2. Les ι-carraghénases
3.3. La λ-carraghénase
4. Objectifs et présentation de l’étude
Deuxième partie : résultats
Chapitre 1 : Analyse structurale du κ-/µ-carraghénane de K. alvarezii
Chapitre 2 : Analyse structurale du ι-/ν-carraghénane d’E. denticulatum
Chapitre 3 : Analyse structurale de carraghénanes hybrides
Chapitre 4 : Etude de la conversion alcaline des précurseurs biosynthétiques des carraghénanes
Troisième partie : Discussion et perspectives
1. Utilisation de la RMN pour l’analyse structurale des carraghénanes
2. Les carraghénases dans l’analyse structurale
3. Longueur des blocs
4. Origines de la complexité des échantillons de carraghénanes
5. Conclusions et perspectives
Quatrième partie : Matériel et méthodes
1. Extraction des carraghénanes
1.1. Extraction en milieu neutre
1.2. Extraction alcaline
2. Purification des κ- et ι-carraghénases
3. Conditions d’hydrolyse
3.1. Pour l’analyse
3.2. Pour la purification d’oligo-carraghénanes
3.3. Hydrolyse enzymatique des oligo-κ/µ-carraghénanes
4. Purification des oligo-carraghénanes
4.1. HPSEC préparative
4.2. HPAEC semi-préparative
5. Purification des Fractions Résistantes aux enzymes
6. Analyses des carraghénanes et des hydrolysats
6.1. Dosage des extrémités réductrices
6.2. HPAEC analytique
6.3. FACE
6.4. Résonance Magnétique Nucléaire
6.4.1. Caractérisation par RMN des carraghénanes et des fractions résistantes aux enzymes
6.4.2. Caractérisation par RMN des oligo-carraghénanes
7. Conversion alcaline
7.1. Carraghénanes de K. alvarezii et E. denticulatum
7.2. Carraghénane de M. laminarioides
Conclusion
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