Les algues rouges, dont Solieria chordalis
Une algue peut être définie comme étant un organisme vivant photosynthétique, thallophytique, autotrophe présent principalement dans les milieux aquatiques marins ou d’eau douce, mais également sur le milieu terrestre. L’ensemble des algues compte entre 20 000 à 30 000 espèces dans le monde, ce qui correspond à environ 18 % du règne végétal (GaronLardière 2004). La distinction entre macroalgues (macroscopiques et pluricellulaires) et microalgues (microscopiques et unicellulaires) est couramment faite. Ces dernières se distinguent principalement par des critères d’ordre cytologique et biochimique. Les macroalgues sont en général classées en trois groupes selon leur pigmentation. Il existe ainsi les algues vertes (Chlorophytes), les algues brunes (Chromophytes) et les algues rouges (Rhodophytes).
Les algues rouges sont des organismes eucaryotes sans flagelle et avec de l’amidon floridéen comme réserve énergétique. Elles utilisent la chlorophylle a et des pigments surnuméraires que sont principalement les phycobiliprotéines. Ce sont ces dernières qui donnent la couleur de ces algues. Environ 6 600 espèces d’algues rouges ont été décrites (Guiry 2013, Collén et al 2014). Elles sont, pour la plus grande majorité, pluricellulaires, macroscopiques, marines et peuvent se reproduire de façon sexuée et/ou asexuée. Les algues rouges font partie de la flore inter- et subtidale et sont trouvées sur des substrats variés. Une grande partie de ce groupe d’algues vit en milieu tempéré, mais certaines d’entre-elles ont été trouvées dans des régions froides et d’autres dans des zones tropicales (Knutsen et al. 1987, Dawes et al. 1998, Chopin et al. 1999a, Hurtado et al. 2013).
Elles représentent une ressource économique importante. D’après le rapport de 2014 de la FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations), 23,8 millions de tonnes d’algues sont commercialisées par an dans le monde, ce qui génère un marché économique de 6,4 milliards de dollars américain. 95 % de cette production mondiale provient de l’aquaculture.
Parmi ces algues cultivées, plus des trois quarts (14 millions de tonnes) sont des algues rouges (8-9 millions de tonnes d’Eucheuma spp. et de Kappaphycus alvarezii, 2-3 millions de Gracilaria spp. et 1-2 millions de Porphyra spp) et sont essentiellement utilisées pour l’alimentation humaine et pour la production d’hydrocolloïdes (agars et carraghénanes) (FAO 2014).
Solieria chordalis, le sujet de cette étude , appartient aux Florideophytes, un groupe regroupant 95 % des algues rouges pluricellulaires existantes dont la plupart ont un impact écologique important (Collén et al. 2014). Dans ce premier chapitre, il s’agira de décrire les macroalgues rouges et en particulier Solieria chordalis. Sa systématique, son environnement, sa morphologie ou encore sa composition biochimique sont détaillées afin de connaître ce modèle d’étude et d’envisager des voies de valorisation.
Histoire, distribution biogéographique et systématique
Le genre Solieria a été créé par le botaniste suédois Jakob Georg Agardh en 1842 se basant sur l’espèce Solieria chordalis collectée à Cadiz en Espagne. Il est le fils de Carl Adolph Agardh lui aussi grand botaniste et homme politique suédois. Ces scientifiques donnent leur nom à l’algue . À cette époque, le genre Solieria comportait quatre espèces (S. dura, S. robusta, S. tenera et S. chordalis). Aujourd’hui, il en comporte 9 (Gabrielson et Hommersand 1982, Xia et Zhang 1984 Algaebase 2015). La classification de la famille des Solieriaceae ne fut acceptée qu’en 1993 grâce à la révision de Silva selon le respect des codes de Montréal de 1959 et celui de Sydney de 1981 (Silva 1993, Fredericq et al. 1999). S. chordalis a été trouvée pour la première fois en Angleterre en avril 1976 pendant l’inventaire de Farnham et Jephson (Farnham et Jephson 1977). D’après ces chercheurs, l’algue proviendrait du nord de la France et aurait été introduite sur d’autres côtes par adhésion sur les bateaux. Il est fort possible que S. chordalis ait toujours été présente sur les côtes Est de l’Atlantique bien qu’il manque des données pour valider cette hypothèse (Farnham 1980).
Vingt ans après, les outils moléculaires se sont largement développés et ont permis de rassembler les espèces selon des homologies dans leur patrimoine génétique qui s’acquière et se modifie au cours de l’Évolution du monde vivant. En 1999, l’américaine Fredericq et ses collaborateurs ont classé les espèces de la famille des Solieriaceae (Gigartinales, Rhodophyta) grâce à l’analyse de leur séquence du gène rbcL (Fredericq et al. 1999). Cela a permis d’approfondir les connaissances sur la systématique et la biogéographie de ces espèces. Le gène plastidique rbcL (ribulose-1,5-bisposphate carboxylase/oxygénase pour RUBISCO) est très commun chez les organismes photosynthétiques et est ainsi le plus utilisé dans l’étude de la phylogénie des plantes (Bafeel et al. 2012). Les données des séquences nucléotidiques ont été générées à partir de 37 taxons d’algues rouges de la famille des Solieriaceae. Les résultats sont présentés sous forme d’arbre phylogénétique regroupant les espèces proches, apparues au même moment dans l’histoire de l’évolution du monde vivant à partir d’un ancêtre commun. Deux groupes majeurs ont été identifiés. Il a été démontré que ces deux groupes définis par leur arbre phylogénétique basé sur leur séquence du gène rbcL pouvaient être aussi classés selon leurs caractères morphologiques et aussi selon leur distribution biogéographique. Un groupe de Solieriaceae rassemble des espèces avec des thalles ayant des filaments uniaxiaux et un autre groupe ayant des filaments multiaxiaux provenant d’un nombre indéfini de cellules apicales. Les espèces du premier groupe sont particulièrement trouvées dans le Sud et dans l’Ouest de l’Australie et certaines en Afrique du Sud. L’autre groupe identifié possède des espèces aux thalles multiaxiaux composés de filaments, dérivés de quatre ou plus cellules apicales distinctes. Ces espèces sont retrouvées dans des zones tropicales ou tempérées. D’après ces résultats, 9 espèces de Solieria ont été étudiées. Elles ont été retrouvées dans les océans Indo-Pacifique (S. robusta, S. pacifica, S. dichrotoma, S. tenuis, S. jaasundii et S. dura) et Atlantique (S. chordalis, S. filiformis, S. robusta et S. anastomosa). La distinction morphologique entre les espèces de l’Atlantique et celles de l’Indo-Pacifique se ferait seulement sur des différences dans la croissance apicale des thalles. Cette étude met en évidence que les données moléculaires et les données morphologiques supportent l’idée que l’ancêtre commun des membres de la famille des Solieriaceae vivait dans les eaux tempérées d’Australie et d’Afrique du Sud. Au cours du temps, il y a entre 100 millions et 20 millions d’années, les courants d’eaux marines ont changé et ont pu causer les premières distributions des algues dans la mer Méditerranée, via la mer Rouge et le canal de Suez puis dans l’Océan Atlantique .
Depuis, les taxons ancestraux de tous les genres composant la famille des Solieriaceae ont été conservés dans l’Atlantique et pour ceux qui sont trouvés actuellement dans l’océan Indo-Pacificique, ils auraient dérivé de ces taxons ancestraux. Cependant, des recherches plus approfondies seraient nécessaires pour définir exactement le statut taxonomique des espèces de Solieriaceae (Hommersand et al. 1994, Fredericq et al. 1999).
Sur cette même séquence génétique rbcL, Mineur et al. 2012 ont identifié Solieria sp. dans le Golfe du Morbihan. Les chercheurs affirment que les séquences génétiques identifiées des algues trouvées en abondance dans cet environnement sont très proches de celles référencées de S. chordalis.
Traditionnellement et encore de nos jours, la systématique des algues peut aussi faire intervenir de nombreux critères écologiques, physiologiques, cytologiques et biochimiques comme les structures cellulaires, le mode de reproduction, l’habitat, les polysaccharides de réserve ou encore la nature et la localisation des pigments. Malgré une extrême diversité et complexité d’un point de vue structural, macroscopique mais aussi microscopique, les algues peuvent être classées en cinq grands phylums. Comprenant les formes les plus simples et ayant évolué dans des directions très variées, les algues (rouges et vertes) occupent, dans l’ensemble du règne végétal, une place prépondérante au niveau phylogénétique. En effet, c’est à partir d’elles que dérivent tous les autres groupes végétaux.
Les algues rouges sont des organismes eucaryotes du royaume des végétaux et font partie du phylum des Rhodophytes. Ce phylum est divisé en huit classes selon les données d’Algaebase, dont deux qui se démarquent par leur quantité d’espèces qu’elles renferment. La Classe des Bangiaceae regroupe 164 espèces et celle des Florideophyceae 6 281. Cette dernière englobe 29 ordres dont celui des Gigartinales qui comprend 820 espèces dont Solieria chordalis. C’est le deuxième ordre le plus important après celui des Céramiales (2 493 espèces) . Hommersand et ses collaborateurs ont fait une étude de systématique phylogénétique des Gigartinales encore basée sur la séquence génique rbcL. Les chercheurs ont analysé 43 espèces de Gigartinales. Leurs résultats supportent la révision taxonomique de leur étude précédente (Hommersand et al. 1994) et la classification traditionnelle des caractères morphologiques. Les Gigartinales sont des carraghénophytes rangés en trois taxons d’un point de vue moléculaire :
❖ Les familles des Solieriaceae, Cystocloniaceae, Hypneaceae, Caulacanthaceae, Tichocarpaceae, Furcellariaceae, et les genres Turnerella et Opuntiella
❖ Les Gigartinaceae et les Phyllophoraceae;
❖ Les Endocladiaceae, Gloiosiphoniaceae et les Phacelocarpaceae (Hommersand et al. 1994).
De plus, en 1999, l’équipe canadienne de Chopin a démontré que les phycocolloïdes étaient des indicateurs taxonomiques pour la phylogénie des Gigartinales (Chopin et al. 1999a). Sur l’échelle de temps géologique, les Gigartinales seraient apparues il y a entre 160 et 130 millions d’années. Quant aux premières algues rouges qui étaient unicellulaires, elles datent du Précambien, il y a 2 milliards d’années (Saunders et al. 2004). Les premières formes de vie multicellulaires datent d’1,2 milliards d’années. Un fossile renfermant des traces d’une algue rouge est exposé au musée américain d’histoire naturelle de New York .
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Table des matières
Introduction générale
Avant-propos : Le contexte de l’étude et les projets de recherche
1. Le projet VB2
1.1. Les partenaires privés
1.2. Les partenaires publics
2. Le projet Littoralg
3. Mobilités internationales à l’Université de Dalhousie, Nouvelle-Écosse, Canada
Chapitre I Les algues rouges, dont Solieria chordalis
1. Introduction
2. Histoire, distribution biogéographique et systématique
3. Environnement et écologie
3.1. Rôle écologique
3.2. Milieu de vie
3.3. Proliférations
4. Morphologie, composition biochimique, physiologie et cycle de vie
4.1. Morphologies macro- et microscopiques
4.2. Composition biochimique, physiologie et activités biologiques
4.2.1. Les métabolites primaires
4.2.2. Les métabolites secondaires
4.3. Cycle de vie
4.3.1. Multiplication végétative
4.3.2. Reproduction sexuée
5. Enjeux et applications économiques
5.1. Algues sur le marché économique
5.1.1. Les algues dans le monde
5.1.2. Les algues en France
5.1.3. Les algues en Bretagne
5.2. Applications
5.2.1. « Légumes » et Colloïdes
5.2.2. Agrofournitures et autres
5.2.3. Les AlgoBox® avec S. chordalis
6. Conclusion
Chapitre II Effets de la saisonnalité sur les caractéristiques biochimiques et biologiques de Solieria chordalis
1. Introduction
1.1. Les algues affectées par leur environnement
1.1.1. Influence des facteurs abiotiques
1.1.2. Influence des facteurs biotiques
1.1.3. Influence des facteurs anthropiques
1.2. Écophysiologie du cycle de vie
1.3. Hypothèses et cibles de recherche
1.3.1. Première partie
1.3.2. Deuxième partie
1.3.3. Troisième partie
2. Matériels et méthodes : étude de la variabilité saisonnière de S. chordalis et de ses polysaccharides
2.1. Matériel biologique : S. chordalis
2.1.1. Étude sur le terrain : prélèvement in situ
2.1.2. Analyses microscopiques
2.2. Observations et prévisions côtières : PREVIMER et METEO France
2.3. Préparation des échantillons en vue de leur caractérisation biochimique
2.3.1. Extractions acide et à l’eau pour la caractérisation de la matière première
2.3.2. Extraction des polysaccharides
2.4. Analyses mensuelles de la composition biochimique
2.4.1. Détermination du taux de matière sèche de la matière première
2.4.2. Rendement d’extraction des polysaccharides
2.4.3. Dosage colorimétrique des sucres totaux
2.4.4. Dosage colorimétrique des acides uroniques
2.4.5. Dosage colorimétrique des groupements sulfates
2.4.6. Dosage colorimétrique du 3,6-anhydrogalactose
2.4.7. Dosage colorimétrique des protéines
2.4.8. Détermination du taux de matière minérale de la matière sèche
2.5. Analyses chromatographiques et spectroscopiques
2.5.1. Profil des monosaccharides par HPAEC-PAD
2.5.2. Profil des acides aminés par GC-FID
2.5.3. Analyse des polysaccharides par spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier
2.6. Analyses statistiques
3. Résultats et Discussion
3.1. Lieu d’étude : géomorphologie et variation saisonnière des facteurs environnementaux
3.1.1. La Presqu’île de Rhuys
3.1.2. Variation saisonnière des facteurs environnementaux de la Presqu’île de Rhuys
3.2. Impact des saisons sur la quantité
3.2.1. Évolution de la biomasse d’algues rouges au cours des saisons
3.2.2. Variations saisonnières des morphologies macro- et microscopiques
3.2.3. Variation saisonnière du taux de matière sèche
3.3. Impact des saisons sur la qualité
3.3.1. Composition biochimique annuelle
3.3.2. Impact des saisons sur la composition biochimique de la matière sèche
3.3.3. Récapitulatif des résultats majeurs
3.4. Impact des saisons sur les polysaccharides
3.4.1. Rendement d’extraction des polysaccharides
3.4.2. Analyse en Composantes Principales des spectres obtenus par spectroscopie infrarouge des polysaccharides isolés de S. chordalis collectée mensuellement
3.5. Conclusion : aspects éco-physiologiques pour une gestion de la ressource naturelle de S. chordalis de la Presqu’île de Rhuys
Chapitre III Optimisation des conditions de l’extraction assistée par enzymes en suivant une méthodologie des surfaces de réponse
1. Introduction
1.1. Les technologies d’extraction conventionnelles et alternatives
1.1.1. Les méthodes d’extraction conventionnelles
1.1.2. Les méthodes d’extraction alternatives
1.2. L’Extraction Assistée par Enzymes
1.2.1. Les enzymes
1.2.2. Principe de l’extraction assistée par enzymes
1.2.3. Paramètres influençant l’extraction assistée par enzymes
1.3. Optimisation des conditions d’extraction par la méthodologie des surfaces de réponse
1.3.1. Plan d’expérience : Box-Behnken
1.3.2. Statistiques et mathématiques associées au plan Box-Behnken
1.4. Hypothèses et cibles de recherches
2. Matériels et Méthodes
2.1. Matériel biologique : S. chordalis
2.2. Matériel enzymatique
2.2.1. Les protéases
2.2.2. Les glycosidases
2.3. Extractions
2.4. Détermination du rendement d’extraction de l’EAE
2.5. Analyses de la composition biochimique
2.6. Plan d’expériences de Box Behnken pour l’optimisation des conditions de l’EAE.
2.7. Analyses statistiques
3. Résultats et Discussions
3.1. Composition biochimique de la MP de S. chordalis collectée en octobre 2013
3.2. Extraction assistée par enzymes : criblage enzymatique
3.2.1. Rendements d’extraction des extraits hydrosolubles (EHs)
3.2.2. Compositions biochimiques des extraits hydrosolubles (EHs)
3.2.3. Discussion et conclusion : sélection de l’enzyme la plus efficace pour la production d’EHs riches en matière sèche de l’algue
3.3. Méthodologie des surfaces de réponse : optimisation des conditions d’extraction selon un plan d’expériences de Box-Behnken
3.3.1. Rendements d’extraction des EHs obtenus après l’application du plan d’expériences de Box-Behnken et prédiction des conditions optimales de l’EAE
3.3.2. Validation des conditions optimales de l’EAE pour une production d’EHs riches en composés
3.3.3. Influence des paramètres de l’EAE étudiés
3.4. Conclusion : l’EAE, une technologie d’extraction respectueuse de l’environnement
Chapitre IV Perspectives d’applications
Conclusion générale