Les agressions sexuelles : définition et état de la situation
Dans son plan d’action 2008-2013, le Secrétariat à la condition féminine du gouvernement du Québec définit une agression sexuelle ainsi : un geste à caractère sexuel, avec ou sans contact physique, commis par un individu sans le consentement de la personne visée ou, dans certains cas, notamment sans celui des enfants, par une manipulation affective ou par du chantage. Il s’agit d’un acte visant à assujettir une autre personne à ses propres désirs par un abus de pouvoir, par l’utilisation de la force ou de la contrainte, ou sous la menace implicite ou explicite. Une agression sexuelle porte atteinte aux droits fondamentaux, notamment à l’intégrité physique et psychologique et à la sécurité de la personne. (p. 9)
Les agressions sexuelles comptaient en 2013 pour 5 % des crimes perpétrés contre la personne (Sécurité publique, 2013). Pour l’ensemble des infractions sexuelles, le ministère de la Sécurité publique a établi cette année-là que la proportion de femmes victimes, tous âges confondus, était de 83 % par rapport à 17 % pour les hommes. La même année, 97 % des auteurs présumés étaient des hommes : des adultes (76 %) et des garçons (21 %). Les victimes étaient âgées de moins de 18 ans dans 66 % des cas. Parmi elles, 78 % étaient des jeunes filles et 22 % de jeunes garçons. L’auteur est majoritairement connu des victimes dans une proportion de 85,6 % dans le cas des victimes mineures, et de 68,3 % pour ce qui est des victimes adultes. Les deux tiers des infractions sexuelles sont commises dans une résidence.
Les statistiques en matière d’agressions sexuelles sont préoccupantes. Toutefois, à elles seules, elles permettent difficilement de prendre la mesure de toutes les implications sociales qui en découlent. Pour résumer grandement, outre les conséquences psychologiques directes, précisons la peur ressentie quotidiennement par beaucoup de femmes dans l’espace public et la mise en place de précautions ou de stratégies d’évitement qui en découle (Bereni et al., 2012). L’incidence économique des crimes violents au Canada mérite aussi une part d’attention. Selon Justice Canada (2009), les coûts liés aux frais judiciaires, médicaux et sociaux de la catégorie « Agression sexuelle et autres infractions d’ordre sexuel » s’élèvent à plus de 3,5 milliards de dollars pour les femmes victimes (1,2 milliard de dollars pour les hommes).
Pour toutes ces victimes, le droit à l’égalité des sexes est compromis. L’égalité des sexes est un principe juridique fondé sur les droits de la personne qui a pour but de garantir à tous les êtres humains les mêmes droits sans égard au sexe. Ce principe est garanti par l’article 2⁶ de la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée à Paris en 1948 par l’Assemblée générale des Nations Unies, et qui interdit notamment la discrimination fondée sur le sexe. Au Canada, la discrimination fondée sur le sexe est également interdite par la Charte canadienne des droits et libertés depuis 1982 et la Charte des droits et libertés de la personne adoptée au Québec en 1975 (articles 15 et 10).
Reconnaître que l’agression sexuelle est un acte de violence de genre qui met en lumière l’existence d’une relation de pouvoir. Dans cette perspective, nous explorerons la notion de pouvoir pour éclairer la compréhension de la dynamique des agressions sexuelles.
Le concept de pouvoir
Le pouvoir est une notion clé qui traverse toute la pensée féministe, même s’il peut être pensé de façon différente (van Zoonen, 1994). La conviction que les femmes occupent une position subordonnée qui varie dans le temps et dans l’espace, et qu’il est nécessaire de transformer cette réalité, est en effet partagée par l’ensemble des féministes. Celles-ci ont toutefois une compréhension différente des causes de l’oppression et des stratégies de changement à déployer selon la tradition de pensée féministe dont elles se réclament : libérale, marxiste socialiste ou radicale (Toupin, 1997) Nous verrons aussi que les féministes qui s’inscrivent dans une approche intellectuelle poststructuraliste conçoivent le pouvoir différemment.
Pour la tradition féministe libérale égalitaire, l’oppression des femmes réside dans la socialisation différenciée selon le sexe. Par conséquent, l’éducation non sexiste, le travail sur les mentalités et la réforme des lois figurent au nombre des stratégies pour changer la situation (Toupin, 1997). Pour le dire autrement, lorsque les femmes sont appréhendées comme formant une minorité désavantagée, il est jugé bon, selon cette tradition, de les munir de lois et de droits plus que de pouvoir (van Zoonen, 1994).
Le pouvoir devient toutefois un enjeu central dans les traditions marxiste socialiste et radicale (van Zoonen, (2012/1991). Pour le féminisme de tradition socialiste, le pouvoir est localisé dans les structures socioéconomiques et circule à travers l’idéologie (van Zoonen, 2012/1991). L’oppression des femmes est attribuable à la division sexuée du travail qui découle du système économique capitaliste (Toupin, 1997). Les hommes se voient confier la « production sociale et le travail salarié » et les femmes « le travail domestique et maternel gratuit à la maison, hors de la production sociale » (p. 14). Le changement passe alors par le renversement des structures économiques, qui oppriment les femmes en les maintenant hors de la sphère sociale productive, ainsi que par le partage collectif des tâches domestiques (Toupin, 1997).
Pour le féminisme de tradition radicale, le pouvoir réside dans le patriarcat. Ce dernier constitue un « système social des sexes ayant créé deux cultures distinctes : la culture masculine dominante, et la culture féminine dominée » (p. 22). Le patriarcat est souvent désigné comme étant « le pouvoir des hommes dans la famille et dans toute la société » (Toupin, 1997, p. 14) ou comme le fruit « d’une inclinaison innée des hommes à dominer les femmes, un besoin déterminé génétiquement et qu’ils peuvent satisfaire – en dernier recours – en exerçant leur force physique » (van Zoonen, 2012/1991, p. 2). Il circule également à travers les représentations sociales (Toupin, 1997). Le changement passe ici par son renversement. Le contrôle de la sexualité et de la maternité des femmes est l’une des formes les plus manifestes du patriarcat. L’objectif est que les femmes se réapproprient elles-mêmes leur corps. Elles mettent donc en œuvre des stratégies visant à développer une culture féminine alternative ou à attaquer plus directement le patriarcat, par exemple, par des manifestations (Toupin, 1997).
|
Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : problématique de recherche
1.1 Mise en contexte
1.2 État des connaissances
1.2.1 Les agressions sexuelles : définition et état de la situation
1.2.2 Le concept de pouvoir
1.2.3 Les hommes, des alliés potentiels sur des enjeux de genre?
1.2.4 Les hommes, des alliés dans la lutte contre les agressions sexuelles?
1.2.5 Le marketing social
1.2.6 La publicité sociale
1.2.7 La campagne My Strength is Not for Hurting
1.3 Le cadre théorique
1.3.1 Le genre
1.3.2 Les études sur les hommes et les masculinités
1.3.3 Le genre et la communication publique
1.3.4 La réception
1.3.5 Le genre dans la réception médiatique
1.4 Problème de recherche
1.4.1 Les buts généraux de la recherche
1.4.2 Questions de recherche
Chapitre 2 : cadre méthodologique
2.1 Le paradigme des théories critiques
2.1.1 Des réalités subjectives dans une réalité sociohistorique
2.1.2 Pertinence pour notre projet de recherche
2.1.3 Les critères de scientificité
2.2 La recherche qualitative
2.2.1 L’approche inductive de type délibératoire
2.2.2 Pertinence pour notre projet de recherche
2.3 Le focus group ou l’entretien ciblé de groupe
2.3.1 Pertinence pour notre projet de recherche
2.3.2 Défis et limites de l’entretien ciblé de groupe
2.3.3 L’échantillonnage théorique
2.3.4 Interviewer des hommes : les enjeux
2.3.5 Le guide de discussion
2.3.6 Présentation et justification du corpus
2.4 L’analyse de discours
2.4.1 L’approche de la psychologie discursive en analyse de discours
2.4.2 Pertinence pour notre projet de recherche
2.4.3 La transcription et le codage de la discussion
Chapitre 3 : présentation et analyse des résultats
3.1 Une réception négociée de la campagne My Strength
3.1.1 Comprendre et être d’accord sans se sentir interpellé
3.1.2 Une campagne qui réaffirme la virilité
3.1.3 Un malaise à l’égard du viol
3.1.4 L’altérisation : c’est pas nous, c’est eux
3.1.5 Des messages secondaires pertinents et réalistes
3.2 Des rapports de pouvoir femmes-hommes invisibilisés
3.2.1 Déféminiser et démasculiniser le discours
3.2.2 Alcool, drogue, non-consentement et manque de respect en cause
3.2.3 Normal que les hommes agissent et que les femmes apparaissent
3.3 Un discours avisé sur les moyens à prendre pour être un allié
3.3.1 Se responsabiliser
3.3.2 Dénoncer les commentaires et les comportements sexistes
3.3.3 Briser le tabou de la masculinité hégémonique
4. Conclusion
Télécharger le rapport complet