Les abondances naturelles des isotopes stables de l’azote chez le rat

Les protéines (P) corporelles, qui représentent une masse d’une dizaine de kg chez l’homme adulte en bonne santé, remplissent des fonctions variées (P de structure, P motrices, P impliquées dans la transduction du signal, P immunitaires, enzymes, hormones, transporteurs …) qui sont vitales pour l’organisme. Les P corporelles sont synthétisées à partir d’un pool d’acides aminés (AA) de petite taille (environ 200g) et sont renouvelées de manière permanente par l’intermédiaire des processus de synthèse protéique (SP) et de dégradation protéique (DP), dont l’équilibre assure la conservation de la masse protéique. Les AA sont utilisés comme précurseurs pour les SP et pour former des composés spécifiques biologiquement actifs, mais sont également catabolisés en permanence, leur oxydation complète aboutissant à la formation d’urée et d’ammoniaque excrétés dans les urines et de CO2 expiré. Le pool d’AA est en partie alimenté par la DP et la synthèse de novo d’AA non essentiels, mais l’apport d’AA exogènes, par l’alimentation, est indispensable pour compenser les pertes irréversibles d’AA et maintenir constant les pools d’AA et de P corporels (Figure 1). Les différents flux azotés (d’AA, de P, d’urée ou d’ammoniaque) qui permettent l’assimilation de l’azote alimentaire, le transfert des AA entre les tissus, le renouvellement des différentes P corporelles via les processus de SP et DP ainsi que l’élimination de l’azote, sont fortement intriqués et coordonnés, et leur régulation fine à l’échelle de l’organisme est indispensable au maintien de l’homéostasie azotée. Malgré les techniques diverses développées pour l’étude des différents flux métaboliques, l’organisation de ce réseau complexe de flux azotés inter- et intra-organes ainsi que sa régulation et les facteurs contribuant à sa dérégulation, sont encore mal connus.

En parallèle, des données croissantes et convergentes, principalement en écologie, montrent que les teneurs relatives des différents isotopes stables de l’azote (15N et 14N) observées à l’état naturel chez différents organismes et à différents niveaux (organisme, organes, tissus, pools métaboliques…) diffèrent selon les individus au sein d’une population et selon les tissus au sein d’un individu. Ces différences reflèteraient des caractéristiques spécifiques du métabolisme azoté et ses modulations en lien avec des modifications des conditions nutritionnelles et physio pathologiques. L’objectif de cette thèse est de démontrer l’intérêt d’une approche combinée basée sur l’investigation des modulations des abondances isotopiques naturelles dans l’organisme et leur analyse par modélisation mathématique pour étudier le système complexe des AA et des P dans l’organisme et les flux azotés inter- et intra-organes.

LE SYSTÈME COMPLEXE DES FLUX D’AZOTE INTER- ET INTRA-ORGANES

Le maintien d’un bilan azoté équilibré et l’homéostasie protéique sont assurés par le jeu complexe d’un enchaînement de flux de protéines (P), d’acides aminés (AA) et de différents composés azotés (urée, ammoniaque…) permettant l’assimilation de l’azote, son transfert entre les organes ou son orientation vers les voies d’élimination. La masse protéique de l’organisme est continuellement renouvelée via les flux de synthèse protéique (SP) et de dégradation protéique (DP) tissulaires, qui sont coordonnés et finement régulés à l’échelle de l’organisme afin de préserver l’intégrité des tissus maigres et les fonctions vitales qu’ils assurent. Les différents flux azotés assurent également des échanges continus entre les différentes zones de ce système métabolique fortement compartimenté et régionalisé, avec de nombreux transferts inter-organes de P circulantes, d’AA, d’urée, d’ammoniaque… Chez l’individu sain, la régulation de l’ensemble de ces flux, par des modulations de leur amplitude, leur orientation et leur distribution, est déterminante pour l’adaptation d’une part, à court terme, à la discontinuité de l’apport alimentaire, et d’autre part, à plus long terme, à des modifications des conditions nutritionnelles ou physio pathologiques. Les différentes méthodes qui ont été développées pour estimer les flux azotés ont permis d’accumuler de nombreuses données concernant la SP mais les données concernant les autres flux (DP et échanges inter-organes) sont plus rares et parcellaires en raison de difficultés et limites méthodologiques (Fouillet et al. 2002a; Tessari & Garibotto 2000). On méconnaît ainsi encore largement le fonctionnement intégré et coordonné de l’ensemble des flux azotés dans l’organisme, comment ce système complexe est régulé pour assurer l’homéostasie protéique en conditions normales et comment il se dérégule lors de dérives vers des situations pathologiques.

Diversité, organisation et coordination des flux métaboliques azotés et méthodes d’investigation

Le métabolisme azoté est un système fortement structuré et compartimenté qui met en jeu un ensemble de flux azotés très divers de par leur nature (P, AA libres, urée …), leur origine (alimentaire ou endogène), leur rôle (simple transport ou réaction de SP, DP, transamination …), leur ampleur … Ces flux azotés sont globalement organisés en plusieurs sous-systèmes connectés et coordonnés afin d’assurer : l’assimilation de l’N exogène et sa mise à disposition pour le reste de l’organisme au niveau du tractus gastro-instestinal (TGI) ; le transfert de l’N alimentaire et endogène, principalement sous forme d’AA, entre les tissus ; son utilisation anabolique dans chaque tissu (flux de synthèse et dégradation protéiques) ; et enfin son élimination à travers différentes voies (urinaire, fécale, dermique …).

L’équilibre entre les flux azotés entrant (apports alimentaires) et sortant (pertes azotées) permet le maintien d’un bilan azoté global nul. En raison de la diversité des flux métaboliques, les méthodes qui ont permis de les identifier et quantifier sont également très diverses, chaque technique étant souvent dédiée à l’étude d’un type de flux particulier. Dans cette partie, nous détaillerons les principaux flux impliqués dans le métabolisme azoté, en rendant compte de leur organisation spatiale. Nous rapporterons également les données disponibles concernant la valeur de ces flux en mettant en avant la diversité des méthodes ayant permis de les obtenir.

Assimilation de l’azote par le sous-système absorptif du tractus gastro intestinal 

Organisation et nature des flux dans les différents compartiments du tractus gastro-intestinal 

Le TGI assure l’assimilation de l’azote alimentaire et sa mise à disposition pour le reste de l’organisme. Il est alimenté de manière continue par différentes sécrétions endogènes (P et urée), et de manière transitoire par des protéines et AA alimentaires. On peut distinguer, dans le TGI, trois compartiments majeurs (l’estomac, l’intestin grêle et l’ensemble côlon et caecum) qui ont chacun un rôle différent dans la mise à disposition de l’azote alimentaire et dans la régulation des flux d’échanges d’azote alimentaire et endogène avec le reste de l’organisme. Transit de l’azote alimentaire dans l’estomac : Digestion et vidange gastrique L’estomac assure la première étape de digestion des P, qui y sont partiellement dégradées sous l’action de l’acidité et des pepsines. Cette étape conduit à la formation de polypeptides, d’oligopeptides et d’AA libres, qui sont ensuite vidangés dans l’intestin grêle. La vitesse avec laquelle ces composés azotés sont évacués de l’estomac vers la lumière intestinale (c.-à-d. la vitesse de vidange gastrique) joue un rôle déterminant dans les cinétiques des phénomènes digestifs en aval et particulièrement dans la modulation des cinétiques d’absorption et de mise à disposition des AA alimentaires (Gaudichon et al. 1994). La vitesse de vidange gastrique est modulée par la quantité et la nature des apports alimentaires : elle est en particulier ralentie pour des apports élevés en énergie (Jian et al. 1986); (Fouillet et al. 2001); (Mariotti et al. 2000) ou P (Peraino et al. 1959). Flux d’azote dans l’intestin grêle La phase finale de la digestion des P alimentaires a lieu dans la lumière de l’intestin sous l’action d’abord des enzymes pancréatiques puis des peptidases de la bordure en brosse des entérocytes. Cette étape aboutit à la formation de tripeptides, de dipeptides et d’AA libres qui sont progressivement absorbés par la muqueuse intestinale (Erickson & Kim 1990). Plusieurs types de transfert d’azote ont lieu au niveau de l’intestin grêle : des P endogènes sont sécrétées vers la lumière intestinale, l’azote alimentaire et endogène luminal est absorbé par la muqueuse intestinale, et l’azote non absorbé transite le long de l’intestin vers le côlon (Figure 2).
– Les sécrétions de P endogènes dans la lumière intestinale sont majoritairement issues du foie et du pancréas exocrine (sécrétion bilio-pancréatique) et de l’épithélium intestinal (mucines produites par les cellules caliciformes, protéines présentes dans les cellules épithéliales expulsées des villosités du fait du renouvellement tissulaire). Des P plasmatiques et des composés non protéiques tels que l’urée sont également sécrétés mais en plus faible quantité. Les sécrétions pancréatiques sont particulièrement modulées par les conditions nutritionnelles, contrairement aux sécrétions biliaires qui y sont peu sensibles (Buraczewska 1979).

– Les P endogènes et alimentaires présentes dans la lumière intestinale subissent les phénomènes de digestion et d’absorption de manière simultanée. L’absorption des AA et di/tripeptides issus de la digestion se fait par diffusion facilitée impliquant des échangeurs d’acides aminés ou des transporteurs sodium ou proton-dépendants) (Broer 2008; Daniel 2004). La cinétique de mise à disposition des AA alimentaires varie selon la nature des P ingérées et ces différences sont susceptibles d’influencer le devenir métabolique protéique postprandial (Boirie et al. 1997a; Dangin et al. 2001).
– L’N qui n’a pas été (ré)-absorbé (N alimentaire ingéré et N endogène sécrété) est transféré de la lumière de l’intestin grêle vers le caecum. L’importance des pertes iléales d’azote alimentaire dépend principalement de la digestibilité des P alimentaires ingérées.

Quantification des flux gastro-intestinaux par des méthodes diverses et spécifiques

Les flux d’azote à travers le TGI sont difficiles à quantifier car, d’une part, ils sont fortement dépendants de l’apport P alimentaire et variables dans le temps par rapport au moment de la prise alimentaire, et d’autre part, ils impliquent des composés azotés de nature (P, AA, urée) et d’origine (alimentaire ou endogène) variées. Par conséquent les méthodes développées pour estimer ces flux sont très diverses. Les flux de transit le long du TGI et d’un compartiment à l’autre sont généralement déterminés par le suivi de marqueurs non-digestibles grâce à la pose de canules ou de sondes intestinales (Bos et al. 2007; Deglaire et al. 2009; Maes et al. 1995). Les techniques de bilan artério-veineux (entre l’artère hépatique et la veine porte) permettent d’estimer les flux d’absorption d’AA totaux (Darcy-Vrillon et al. 1991; Rerat et al. 1992). Cette technique a été largement appliquée chez le porc et a permis d’estimer que l’absorption d’AA totaux représentait entre 75 à 140% de l’apport azoté selon la source protéique (Rerat et al. 1992; Souffrant et al. 1993; Krawielitzki et al. 1990) et avait lieu pour 82 à 97% depuis l’intestin grêle. Cette mesure ne reflète cependant que l’absorption apparente puisque certains AA luminaux captés par l’épithélium peuvent être métabolisés par la muqueuse intestinale. Les méthodes les plus couramment utilisées pour mesurer les flux de sécrétions endogènes totales et distinguer les flux d’absorption d’N endogène et alimentaire en phase nourrie sont des méthodes isotopiques, qui consistent à marquer soit les P endogènes (Hess et al. 1998) soit les P alimentaires (Bos et al. 2005a; Gaudichon et al. 1994; Mahe et al. 1994) et à déterminer la dilution du traceur dans les contenus gastro-intestinaux. Le recueil des contenus digestifs est réalisé soit in vivo par la pose de canules au niveau de la valve cécale (Leterme et al. 1996) ou directement par prélèvement après sacrifice chez l’animal (Hess et al. 1998), soit à l’aide de sondes positionnées au niveau terminal de l’iléon chez l’homme (Mahe et al. 1992). Malgré leurs limites (problème de l’identification du pool précurseur des synthèses de P endogènes sécrétées ou non prise en compte du recyclage du traceur) et leur caractère fortement invasif, l’application de ces méthodes, principalement chez le porc, mais également chez l’homme, a permis d’estimer l’amplitude des flux d’absorption de l’azote alimentaire (qui correspondent à la digestibilité de l’azote alimentaire) en phase post-prandiale. Les données quantitatives rapportées pour les flux de sécrétions endogènes, également obtenues par ces techniques, sont très variables selon les études et les espèces : elles représenteraient environ 50% de l’apport alimentaire chez l’homme (Mahe et al. 1994; Munro 1964), un peu moins de 50% chez le porc (Souffrant et al. 1993; Krawielitzki et al. 1990) et seraient équivalentes à l’apport alimentaire chez le rat (Twombly & Meyer 1961).

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE 1 : INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIQUE
A. Le système complexe des flux d’azote inter- et intra-organes : Comment sont-ils organisés, quelles sont leurs valeurs et les méthodes utilisées pour les étudier, et comment sont-ils coordonnés et modulés ?
I. Diversité, organisation et coordination des flux métaboliques azotés et méthodes d’investigation
I.1. Assimilation de l’azote par le sous-système absorptif du tractus gastro-intestinal
I.2. Élimination de l’azote par différentes voies
I.3. Transferts et échanges inter-organes d’AA
I.4. Utilisation anabolique des AA par les organes
I.5. Coordination des flux d’échange inter et intra-organes et représentations régionales ou globales
II. Régulations et modulations nutritionnelles et physio-pathologiques des flux azotés dans l’organisme
II.1. Variabilité temporelle et régulation homéostatique à court terme des flux azotés
II.2. Modulations des flux azotés en réponse à des modifications quantitatives et qualitatives de l’apport en P
II.3. Altérations des flux azotés dans des conditions nutritionnelles défavorables ou des situations physiopathologiques particulières
B. Les abondances isotopiques naturelles : quelles informations peuvent-elles nous apporter sur le métabolisme protéique et les flux d’azote dans l’organisme ?
I. Abondances isotopiques naturelles et fractionnement isotopique : définitions, notations et principes généraux
I.1. Définitions, notations et méthodes de mesure
I.2. Fractionnement et effet isotopiques
II. Facteurs de variabilité intra et inter-individuelle des abondances isotopiques naturelles de l’azote et capacité de ces abondances à constituer des signatures de l’impact métabolique de conditions nutritionnelles et physio-pathologiques particulières
II.1. Existence d’une discrimination isotopique entre tissus et régime (Δ15N) en lien avec le catabolisme protéique
II.2. Existence d’une variabilité intra-individuelle, inter-tissulaire des Δ15N en lien avec la compartimentation et la variabilité régionale du métabolisme azoté
II.3. Existence d’une variabilité inter-individuelle des Δ15N selon les conditions nutritionnelles et physiopathologiques, en lien avec des modulations des flux azotés
III. Interprétation et exploitation des abondances isotopiques par modélisation : relations avec le métabolisme protéique et les flux azotés
III.1. Intérêt de la modélisation pour interpréter et expliquer la variabilité tissulaire ou individuelle des δ15N à l’état stationnaire en relation avec les flux azotés
III.2. Analyse des variations temporelles des δ15N tissulaires en termes de vitesse de renouvellement et de croissance tissulaires
C. Conclusions et Justification des travaux personnels
Fiche technique n°1
CHAPITRE 2 : TRAVAUX PERSONNELS
A. ÉTUDE 1 (article n°1) : Variations des abondances isotopiques naturelles en azote (δ15N) dans différents tissus chez le rat en réponse à une modulation nutritionnelle : effet de la qualité des protéines alimentaires.
B. ÉTUDE 2 : Variations des abondances isotopiques naturelles en azote et en carbone (δ15N et δ13C) dans différents tissus chez le rat dans une situation pré-pathologique : effet d’un syndrome métabolique nutritionnellement induit associant insulino-résistance et obésité.
C. ÉTUDE 3 (article n°2) : Analyse des dynamiques tissulaires d’incorporation isotopique (δ15N) après un changement de régime pour l’étude du renouvellement protéique.
D. ÉTUDE 4 : Modélisation multi-compartimentale des variations intra- et inter-individuelles des abondances isotopiques naturelles en azote (δ15N) pour l’étude des flux azotés de l’organisme et de leurs modulations
Fiche technique n°2
DISCUSSION GÉNÉRALE
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES

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