Les obstacles
Erreurs déclaratives et erreurs procédurales
Ainsi sous l’influence de la pensée de Gaston Bachelard, on admet aujourd’hui que l’erreur, si son origine est analysée et si l’élève en prend conscience, peut devenir un outil didactique pour l’enseignant. Elle est bienvenue voire même provoquée dans une pédagogie que l’on pourrait appeler « pédagogie de l’erreur » pour tous les avantages qu’elle présente.
Etre attentif aux erreurs des élèves suppose une démarche pédagogique particulière dans laquelle est établi un contrat explicite entre l’enseignant et l’élève. Du côté de l’enseignant, l’erreur doit être dégagée de toute dimension morale, ne plus être ressentie comme une agression et une faute, il doit accepter que ses élèves se trompent car cela fait partie du processus d’apprentissage.
De son côté, l’élève doit savoir qu’à certains moments clairement définis, il n’encourt pas de réactions négatives de la part du maitre en cas d’erreur : moments de recherche et de tâtonnement. Au contraire, sa réponse sera prise en compte, qu’elle soit juste ou pas, et confrontée, mise en commun avec celle du reste de la classe pour en tirer des principes, des règles. Cela implique que l’enseignant ait institué une pratique de classe qui encourage chacun à proposer, à imaginer, à inventer, à puiser dans ses connaissances.
Toutes les formes d’erreurs n’ont pas le même intérêt d’un point de vue pédagogique.
C’est ce qu’explique Gérard Perrot, chercheur à l’INRP, dans l’analyse qu’il a fait lors d’une conférence donnée en Novembre 1986 à l’ESPE de Paris et à laquelle fait référence Jean Daniau dans L’évaluation dynamique à l’école primaire.
Il oppose ainsi les erreurs procédurales (très intéressantes car elles mettent à jour les procédures utilisées par les élèves) aux erreurs déclaratives (qui ont rapport au résultat). Ces dernières ont un moindre intérêt : elles peuvent masquer des démarches pertinentes. Par exemple, on ne peut accepter pas une écriture du type : 5+3=8-2=6+10=16. Cette écriture correspond pourtant à l’opération faite sur une calculatrice et qui donne 16 comme résultat juste. Ou encore, certains résultats corrects sont obtenus par des procédures que l’on cherche à éviter et/ou à faire abandonner (comme le recours aux doigts en calcul mental, à l’addition itérée au lieu d’un calcul automatisé dans le cadre de la multiplication).
Afin de pouvoir analyser au mieux les productions des élèves, il convient de connaitre l’origine de leurs erreurs pour comprendre quels sont les obstacles auxquels ces derniers sont confrontés.
Les obstacles
« Il y a obstacle lorsque les conceptions nouvelles à former contredisent les conceptions antérieures bien assises de l’apprenant ».
Dans la Formation de l’esprit scientifique , Gaston Bachelard parlait d’obstacles épistémologiques pour désigner ce qui vient se placer entre le désir de connaitre du scientifique et l’objet qu’il étudie. Ces obstacles sont, pour Gaston Bachelard, internes à l’acte de connaitre puisque c’est l’esprit qui fait des raccourcis, qui imagine des explications aux choses.
Gérard Perrot, déjà cité, partait de l’hypothèse que les erreurs des élèves sont liées aux différents obstacles que les élèves rencontrent et en proposait une typologie pour les mathématiques.
Cette typologie, qui peut être transposée à divers domaines de l’enseignement, classe les obstacles en quatre types : obstacles psychogénétiques, obstacles épistémologiques, obstacles de « connaissance initiale » et obstacles didactiques.
Les obstacles psychogénétiques
Ces obstacles sont liés au développement intellectuel propre à chaque élève : donner à un élève une tâche d’un niveau de développement intellectuel supérieur à celui qu’il a atteint engendre inévitablement des erreurs voire même des blocages.
Les obstacles épistémologiques
C’est le second type de problèmes auxquels sont confrontés les élèves. Le terme “épistémologique” est un terme emprunté à la science, Gaston Bachelard définissait le concept d’obstacle épistémologique comme une résistance (dans son sens psychanalytique) au développement de la connaissance, il est interne à l’acte même de connaitre. Ces obstacles ne sont pas externes ou techniques (comme la difficulté́ d’observations de phénomènes ou de manipulation d’instruments). Ce sont des phénomènes internes à l’esprit même du chercheur. « C’est dans l’acte même de connaitre, intimement, qu’apparaissent, par une sorte de nécessité fonctionnelle, des lenteurs et des même du chercheur que se manifestent des De manière plus générale, en pédagogie on cherche à souligner les erreurs dont l’origine se trouve de valeur de l’objet d’un apprentissage.
En référence à Gérard Perrot élèves font entre forme et aire. Autant i une autre si leurs formes sont rectangulaires (figure 1), d’elle à une forme triangulaire (figure 2) fonctionnelle, des lenteurs et des troubles ».
Autrement dit, c’est dans l’esprit du chercheur que se manifestent des barrières au progrès de la connaissance., en pédagogie, on parle d’obstacles épistémologiques cherche à souligner les erreurs dont l’origine se trouve dans la signification, la portée apprentissage.
Perrot, on donnera comme exemple la confusion que certains élèves font entre forme et aire. Autant ils sont capables d’estimer une aire et de la comparer à leurs formes sont rectangulaires (figure 1), autant ils en sont incapables si l’une (figure 2). Ils auront recours à un calcul d’aire pour trancher.
Les obstacles didactiques
Ce sont les plus fréquents. Ils sont liés aux situations d’enseignement entre l’enseignant et les élèves. Suivant leur type, on les retrouve aux trois axes du triangle le triangle pédagogique de Jean Houssaye : axe “maître-savoir”, axe “maître- élève” ou axe “élève- savoir”.
Commençons par celui qui est lié à la “transposition didactique” c’est à dire au passage du “savoir savant” au “savoir enseigné ” . On le retrouve donc dans l’axe maître-savoir.
Afin de rendre certains savoirs intelligibles, l’enseignant a besoin de faire des choix et de les simplifier. Mais cette réduction peut dénaturer les connaissances, elles deviennent incomplètes voire fausses. Prenons l’exemple de la multiplication, utilisé par Gérard Perrot : au cycle 2, elle est présentée aux élèves comme une addition itérée.
Dans l’axe maître – élève, se retrouvent les obstacles liés à la technologie pédagogique de l’enseignant c’est à dire les procédés et les techniques qu’il emploie: par exemple, le langage peut être à l’origine de beaucoup d’erreurs. En effet, pour aider les élèves (comme pour la transposition didactique) l’enseignant est obligé de faire un choix dans le vocabulaire spécifique de la notion qu’il veut faire acquérir. Il ne peut pas utiliser un répertoire trop étendu et doit parfois recourir à la métaphore pour améliorer la compréhension de certains mots difficiles. Ceci peut conduire à une mauvaise interprétation de la part des élèves. De la même façon, on peut parler du langage utilisé par l’enseignant dans la passation d’une consigne. Si celle-ci n’a pas été ‘pensée’, réfléchie, elle peut être mal comprise quand donnée avec un vocabulaire peu clair ou une syntaxe compliquée. La consigne peut aussi être chargée d’implicite que tous les élèves ne comprennent pas.
Nous allons maintenant aborder les obstacles liés au contrat didactique. Le contrat didactique a été défini par Guy Brousseau comme l’ensemble de règles régissant le fonctionnement d’un groupe et, dans le cadre des tâches scolaires, les rapports entre l’enseignant et les élèves. Pour lui, il s’agit d’« une relation qui détermine, explicitement pour une petite partie, mais surtout implicitement ce que chaque partenaire, l’enseignant et l’enseigné, a la responsabilité de gérer et dont il sera responsable d’une manière ou d’une autre devant l’autre. Ce système d’obligation réciproque ressemble à un contrat ».
Souvent devenues des habitudes, ces règles sont implicites pour les élèves et sont perçues dès lors comme des repères réguliers dans les activités. Mais le contrat didactique peut avoir des effets pervers. Ainsi en mathématiques, lors de la résolution de problèmes, l’élève recherche absolument une solution et ne peut pas concevoir qu’un problème n’ait pas de solution, ou encore il utilise toutes les valeurs numériques qui lui sont fournies pour formuler un résultat. Nous pouvons illustrer ce propos par le très célèbre problème de Stella Baruk qu’elle relatait dans “L’Âge du Capitaine”, en 1985 : « Sur un bateau, il y a 26 moutons et 10 chèvres. Quel est l’âge du capitaine ? ». Parmi les 97 élèves de primaire à qui ce problème a été posé, 76 ont donné l’âge du capitaine en utilisant les nombres figurant dans l’énoncé soit 26+10=36 donc le capitaine a 36 ans.
On voit bien ici deux effets pervers notables du contrat didactique. Tout d’abord : l’élève pense qu’un problème posé a une réponse et une seule, que toutes les données doivent être utilisées pour y parvenir, qu’aucune indication supplémentaire n’est nécessaire et enfin qu’il doit faire appel aux connaissances enseignées pour trouver la solution. Le deuxième tient au fait que l’élève, devant un exercice, se dit que le professeur l’aurait averti s’il y avait un écueil. Le maître « protège » ainsi ses élèves en évacuant ce qui semble difficile ou hors de portée. Il convient donc de se demander face à certaines réponses d’élèves s’il a répondu à la consigne ou s’il a répondu à son enseignant.
Pour terminer, Gérard Perrot examinait les obstacles liés à la maitrise insuffisante des outils méthodologiques par l’élève. On se situe là dans l’axe élève-savoir.
En premier lieu, les erreurs peuvent avoir été commises par un « savoir-faire approximatif » comme par exemple lorsque l’élève maitrise mal les marques du pluriel (il applique au verbe ce qu’il sait pour le nom : « ils sont plusieurs je mets un s à la fin : ils parles »).
L’erreur, un outil pour enseigner”
Le traitement de l’erreur et les remédiations proposées par l’enseignant varient beaucoup en fonction du modèle en place dans la classe.
Remédiations
Selon le modèle transmissif
Aucune remédiation n’est proposée avec le modèle transmissif. Comme expliqué précédemment, les erreurs scolaires n’y ont pas leur place. Ce sont des fautes dont l’élève est responsable et qui sont provoquées par son manque d’intérêt, de motivation ou son manque d’intelligence. Les erreurs sont mises en avant au stylo rouge et sont souvent moquées lors de séances de correction magistrales. Pour les éviter, les élèves sont encouragés à travailler par un système de récompenses- sanctions, les mêmes explications et les exercices sont répétés jusqu’à ce qu’ils soient exécutés sans erreur.
Ce modèle est critiquable sur de nombreux points : l’élève qui se trompe, qui échoue n’est pas encouragé à comprendre mais à exécuter sans erreur pour plaire à l’enseignant. Dans le pire des cas ce modèle peut entrainer un blocage scolaire. En outre, le savoir n’est transmis que par l’enseignant, et si un élève ne comprend pas la première explication donnée, il ne comprendra pas mieux la seconde donnée de la même manière avec les mêmes exemples et les mêmes mots par la même personne.
Selon le modèle béhavioriste
Suivant ce modèle, l’erreur est considérée comme un dysfonctionnement dû à une segmentation trop « ambitieuse » du savoir. En cas d’erreur, l’enseignant doit donc revenir sur certaines étapes, les renforcer voire même revoir entièrement sa planification pour proposer de nouvelles étapes intermédiaires, plus simples.
Ce modèle a pourtant ses limites. En premier lieu, on ne peut réduire un apprentissage complexe en une succession d’apprentissages plus simples. Même si l’élève réussit toutes les étapes intermédiaires d’apprentissage, il peut ne pas maîtriser l’apprentissage complexe initialement visé par l’enseignant. De plus, ce parcours d’apprentissage fortement guidé ne certifie pas l’autonomie intellectuelle de l’élève : sera-t-il capable de réussir en dehors de ce cadre didactique ? Rien ne le garantit. Enfin, à force de contourner les difficultés pour éviter les erreurs peut conduire les élèves à réaliser des tâches au cours desquelles ils n’apprennent pas suffisamment.
Selon le modèle constructiviste
Selon ce modèle l’erreur n’est plus cachée, elle est montrée, positivée, voire provoquée afin d’être analysée afin de mieux la traiter. L’erreur et son origine sont analysées en référence au triangle didactique pour que la remédiation soit adaptée à l’obstacle rencontré par l’élève.
Obstacles psychogénétiques
Il n’existe que peu de remédiations possibles à ce type d’obstacles: si un élève n’a pas atteint la maturité nécessaire pour accomplir une tâche, on peut simplement la différer. Il ne faut cependant pas renoncer à proposer à l’élève des situations d’approche d’une notion en veillant à varier les ‘entrées’, les procédés, les canaux possibles afin de solliciter tous les profils d’apprenants (visuel, auditif ou kinesthésique).
Obstacles épistémologiques
Les erreurs liées à ces obstacles apparaissent quand deux notions voisines sont confondues par l’élève (ex chiffre et nombre ou encore aire et surface). L’enseignant les repère relativement rapidement quand les tâches qu’il propose amènent les élèves à designer.
Pour remédier à ce type d’erreur, il faut repenser la logique de la discipline, la recontextualiser et faire la liaison avec une autre discipline.
Dans ‘Initiation mathématique’ , quand le statut de l’égalité n’est pas compris par les élèves, Jean et Suzanne DANIAU préconisent dans un premier temps de proposer des activités non numériques comme la désignation d’objets, d’actions et ensuite la mise en relation de différentes désignations pour un même objet avant d’introduire le signe « = ». Le signe « = » sera d’abord introduit dans des situations non numériques avant de l’être dans des situations additives.
Obstacles de “connaissances initiales”
Les erreurs liées à ces obstacles sont les plus fréquentes. Cependant elles n’apparaissent que dans certaines situations et ne sont pas repérables immédiatement. Pour y remédier, l’enseignant doit amener l’élève à prendre conscience des limites de ses conceptions initiales.
Obstacles didactiques
A chaque obstacle didactique correspond une remédiation spécifique, il serait donc illusoire de proposer une liste exhaustive. En fonction du type d’obstacles didactiques et de leur situation sur le triangle pédagogique, on peut proposer quelques pistes :
– Sur l’axe élève-savoir, l’enseignant peut remédier aux erreurs liées à l’insuffisante maîtrise des outils méthodologiques en vérifiant et en s’assurant que les savoir-faire utilisés sont maîtrisés et en procédant régulièrement à des mises au point. Il peut aussi entraîner les élèves à gérer le temps et l’espace, à organiser leur travail et prendre du recul par rapport aux tâches demandées. Pour remédier aux erreurs liées à la surcharge cognitive des élèves, l’enseignant doit éviter de proposer des travaux qui demandent une grande gestion de données, ce qui implique de dissocier différentes tâches. Par exemple, en production d’écrits, il est préférable de prévoir un temps pour la production et l’écriture du texte et un autre à la relecture et la vérification de l’orthographe.
– Sur l’axe savoir-enseignant, l’enseignant peut proposer, pour remédier aux erreurs induites par la transposition didactique et aux ruptures didactiques, des situations transitoires qui permettront aux élèves de passer plus facilement d’une logique d’enseignement à une autre.
– Sur l’axe élève-enseignant, l’enseignant peut éviter les erreurs relevant de la consigne de travail en étant attentif à la manière dont il la formule. Il doit aussi travailler spécifiquement sur la lecture des consignes : les reprendre en les simplifiant, en utilisant un vocabulaire accessible et en la faisant reformuler par les élèves.
En ce qui concerne les erreurs relevant de l’utilisation d’un langage métaphorique pouvant induire des représentations erronées, l’enseignant doit relativiser la portée des métaphores utilisées en multipliant les modèles et les images. Il doit aussi insister sur les limites de la comparaison qu’il propose.
Les erreurs dont l’origine se trouve dans les habitudes scolaires et le mauvais décodage des attentes, peuvent se résoudre en étant clair sur les attentes de la classe, en étant capable de les remettre en cause. Par exemple, en proposant aux élèves des problèmes sans solution, des soustractions impossibles. On peut aussi ‘renverser’ les habitudes scolaires en proposant une réponse et en demandant aux élèves de retrouver quelle était la question posée.
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Table des matières
Introduction
1. L’erreur : Définition et statut
1.1. Définition
1.1.1. Erreur ou faute ?
1.2. Statut de l’erreur
1.2.1. Le modèle transmissif
1.2.2. Le modèle béhavioriste (conditionnement)
1.2.3. Le modèle constructiviste
2. Les obstacles
2.1. Erreurs déclaratives et erreurs procédurales
2.2. Les obstacles
2.2.1. Les obstacles psychogénétiques
2.2.2. Les obstacles épistémologiques
2.2.3. Les obstacles de « connaissance initiale »
2.2.4. Les obstacles didactiques
3. “L’erreur, un outil pour enseigner”
3.1. Remédiations
3.1.1. Selon le modèle transmissif
3.1.2. Selon le modèle béhavioriste
3.1.3. Selon le modèle constructiviste
3.2. Comment prendre en compte l’erreur pour enseigner ?
3.2.1. En mathématiques
3.2.2. En français : la dictée du jour
Conclusion
Bibliographie
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