L’Errance et la solitude comme moteur de l’écriture de la mémoire

L’Errance et la solitude comme moteur de l’écriture de la mémoire

   L’exil est un thème prédominant dans les œuvres romanesques d’Alain Mabanckou. De Bleu Blanc Rouge18 à Tais-toi et meurs19 en passant par Verre Cassé20 et Black Bazar21, nous retrouvons cette représentation de l’exil à travers des personnages en quête d’un ailleurs meilleur. Les quatre œuvres de l’auteur congolais montrent des personnages errants même si leur façon d’errer diffère d’une personne à une autre. Le plus souvent, nous remarquons que l’exil pousse le sujet à l’errance et à la solitude. Ce que nous tenterons de montrer ici c’est comment l’errance et la solitude poussent les narrateurs à plonger dans la réminiscence mais aussi essayer d’expliquer comment à travers ces deux notions, l’écriture de la mémoire a été rendue possible. Ce qui va plus nous intéresser dans notre analyse c’est que nous allons essayer de voir comment analyser cette attitude d’errant et de solitaire chez des personnages partagés entre deux mondes. Le dictionnaire Universel définit l’errance comme étant « l’action d’errer, de marcher longuement sans destination préétablie »22. Elle est attribuée à une personne qui n’est pas fixée. Moreau de Bellaing et Gouillou, dans leur ouvrage intitulé Les sans domicile fixe, un phénomène d’errance23 définissent l’errance comme étant « le déplacement indéfini ou provisoire, dans un temps plus ou moins continu, sur un ou plusieurs territoires »24 . Le voyage, tel que le présente Alain Mabanckou dans ses œuvres, propose une quête d’identité nouvelle et aussi d’une nouvelle forme d’écriture. Cette nouvelle esthétique met en exergue la notion de voyage ou plutôt d’errance chez des personnages qui se sentent exclus dans les pays où ils vivent. Pour Edouard Glissant, « L’errance a des vertus […] de totalité : c’est la volonté de connaitre le « tout monde », mais aussi des vertus de préservation dans le sens ou on n’entend pas connaitre le « tout monde »pour le dominer pour lui donner un sens unique »25.L’errance se manifeste dans la littérature comme thématique mais aussi comme style d’écriture. À l’époque postcoloniale, elle se caractérise dans les romans africains par la présence de personnages partagés entre deux mondes. L’errance s’inscrit donc dans un contexte particulier de la production romanesque du 20e siècle. Elle renvoie le lecteur à une période post- indépendance caractérisée par l’émigration des jeunes africains vers l’Europe. La solitude quant à elle est définie par le Dictionnaire Universel comme étant le fait d’être solitaire. Elle caractérise l’état d’une personne solitaire c’est-à-dire qui est seule ou qui aime être seule. Cette solitude peut être volontaire lorsque l’individu en personne choisit de vivre en marge de la société ou alors contrainte, lorsqu’il évolue dans un pays où il ne parvient pas à accéder aux normes de la société et qu’il est par la suite rejeté. L’errance et la solitude peuvent être considérées comme des facteurs qui poussent les narrateurs des quatre romans à se remémorer de leurs passés. Dans la production romanesque en général et africaine en particulier, les personnages des œuvres errent d’un espace à un autre.

La variation spatiale dans les récits

   Ce sous chapitre de notre travail, qui met en exergue l’espace dans les œuvres d’Alain Mabanckou, nous pousse, dans la perspective de porter une analyse plus ou moins détaillée, à poser les questions suivantes : qu’est-ce que l’espace ? Et aussi qu’est-ce qu’un espace varié ? Comment est-il agencé dans les œuvres d’Alain Mabanckou ? Est-il restreint ou élargi ? L’espace, depuis longtemps, a été l’objet de nombreuses études en littérature. Le dictionnaire Robert le définit comme étant une étendue indéfinie ou encore une étendue de temps et de lieu. Jean Weisgerber affirme que l’espace « est intimement lié non seulement au ʺpoint de vueʺ, mais encore au temps de l’intrigue, ainsi qu’à une foule de problèmes stylistiques, psychologiques, thématiques, qui, sans posséder de qualités spatiales à l’origine, en acquièrent cependant en littérature comme le langage quotidien ».33 H. Mitterrand quant à lui, considère que l’espace est « le lieu qui fonde le récit. Parce que l’évènement a besoin d’un ubi autant d’un quid ou d’un quando ; c’est le lieu qui donne à la fiction l’apparence de la vérité ». Dans le roman en général et africain en particulier, le recours à la notion d’espace est très courant. Les données spatiales occupent ainsi une place importante dans l’univers romanesque africain. Dans la narration des récits, Alain Mabanckou effectue un va-et-vient incessant entre l’Europe et l’Afrique à partir des souvenirs des personnages. La variation de l’espace peut donc être considérée en premier lieu comme le rapprochement qui existe entre deux univers distincts grâce aux mouvements alternatifs qu’effectuent les narrateurs. Les personnages des différentes œuvres se situent dans une zone bien déterminée. Grâce aux souvenirs qu’ils ont d’un autre endroit et à un autre moment, ces lieux deviennent proches. Le premier espace qu’on retrouve dans le roman africain est le village. Alain Mabanckou opère un changement du côté de la représentation de l’espace lorsqu’il campe le décor des romans d’une part en Europe et d’autre part, au fil du récit l’Afrique et plus précisément le Congo va constituer l’espace de souvenir. Il constitue en même temps le lieu d’origine de ses personnages. L’espace varie donc dans les quatre œuvres de notre corpus. Ce qui est le plus constant, c’est que les lieux mentionnés ancrent le récit dans le réel (Pointe Noire, Brazzaville, Nantes, Paris etc.. .). En second lieu, la variation de l’espace peut être un seul et unique lieu où évoluent des personnages mais qui, à partir des souvenirs qu’ils ont, essayent de se construire eux même ou de construire dans les lieux où ils se trouvent, un cadre de vie qui pourrait les définir au sein de cet espace. Les personnages dans les œuvres se trouvent en France mais créent un espace différent à partir des souvenirs qu’ils ont de leur pays d’origine. Cette alternance de l’espace se manifeste dans les œuvres d’Alain Mabanckou par la création d’espace virtuel donc du Congo Natal, dans un univers totalement européen. Cela veut dire que les protagonistes des quatre romans se situent en France mais le fait qu’ils fassent appel à la mémoire pour se souvenir des choses qui ont eu lieu au Congo, rend cet espace différent. Dans Black Bazar, cette variation de l’espace se manifeste lorsque le narrateur se souvient de la façon dont le président du grand Congo élimina son opposant Moleki Nzela. Cette partie de la réminiscence, caractérisée par le monologue du personnage, s’étend sur neuf pages et il n’est question ici que de raconter ce qui s’était passé en évoquant des rues et des noms de ville qui se trouvent au Congo. L’histoire évoquée plonge le lecteur dans un univers africain alors que la France est le lieu où se situe le narrateur. L’espace renvoie à l’Europe et à l’Afrique en même temps. Ceci se justifie lorsque Fessologue, le narrateur de Black Bazar s’exprime en ces termes J’ai aussitôt repensé à la façon dont le président du grand Congo avait éliminé son farouche opposant, Moleki Nzela, il y’a déjà plus de deux décennies […]. C’est un fait historique qu’on raconte dans toutes les rues des deux Congo. Et si ça s’était passé ici en Europe, il y’a longtemps que les élèves l’étudieraient à l’école. Outre black Bazar, ce changement d’espace est aussi présent dans Verre Cassé. Ici le décor change contrairement à Black Bazar. Le personnage se situe au Congo et parle d’une histoire qui s’est passée en France. Dans la narration du récit, le souvenir que l’Imprimeur a d’un épisode de sa vie s’étend sur vingt-huit pages. De plus, toute l’histoire de cette partie se passe en Europe. A cet effet, il va essayer de décrire ou de parler de quelques lieux qui se trouvent en France. L’exemple qui suit est tiré de Verre Cassé : « et alors nous sommes allés les voir dans un coin de la Vendée appelé Noirmoutier, une île avec un pont qui la relie au continent, et les parents de Céline ont dit que j’étais un jeune homme distingué intelligent, fin, ambitieux, respectueux des valeurs républicaines ». La variation de l’espace peut, en troisième lieu, renvoyer à un même espace conçu ou bien perçu différemment selon les personnes cohabitant dans un même environnement. C’est ce que Homi K. Bhabha37 appelle le « tiers-espace ». Pour ce grand penseur du postcolonialisme, le tiers-espace constitue « les conditions discursives d’énonciation qui attestent que le sens et les symboles culturels n’ont pas d’unité ou de fixité primordiales, et que les mêmes signes peuvent être appropriés, traduits, réhistorisés et réinterprétés ».

L’identité individuelle

   Nous portons ici une analyse sur le traitement de la quête d’identité dans les quatre œuvres d’Alain Mabanckou. Il s’agit pour nous, suivant la logique de la narratologie structurale qui consiste à porter une analyse sur les textes narratifs, d’étudier l’identité individuelle des personnages tout en essayant de montrer comment l’esthétique de la déchéance est décrite dans les œuvres d’Alain Mabanckou. Nous tenterons d’analyser comment la vie en groupe participe à la construction identitaire des personnages et enfin, montrer la relation qui existe entre le souvenir et la notion d’identité. Il s’agira pour nous d’illustrer le processus par lequel l’identité se manifeste, décrire son cheminement mais aussi, montrer que c’est le dédoublement identitaire des personnages qui participe à la reconstruction de leurs identités perdues. Les études relatives à la notion d’identité sont très nombreuses. Du domaine sociologique au domaine littéraire en passant par la psychologie, plusieurs définitions ont été proposées pour ce concept et nous allons, pour ce travail en énumérer quelques-unes. L’identité signifie l’ensemble des caractères attribués à une personne et influant sur son comportement et ses relations. Ce concept existe depuis longtemps en littérature mais depuis quelques années, il connait un succès remarquable car fortement étudié. Gilles Ferréol et Guy Jucquois considèrent pour leur part qu’étant un « concept polymorphe que se partagent tant les approches scientifiques que les connaissances ordinaires, l’identité est une donnée complexe à appréhender en raison à la fois de sa transversalité disciplinaire et des rapports dialectiques auxquels elle peut être associée ». La notion d’identité, d’autant plus complexe, renvoie non seulement à l’individu mais aussi au groupe. Geneviève Vinsonneau, dans son ouvrage intitulé L’identité Culturelle, propose quant à elle cette définition « L’identité signifie généralement non pas la nature profonde d’un individu, ou d’un collectif en soi, mais la relation entres les appartenances collectives (c’est à dire le fait pour un individu de pouvoir être identifié au moyen de catégories sociales) et des personnalités individuelles (la manière dont chacun s’identifie lui-même)».98 L’identité se manifeste dans les œuvres d’Alain Mabanckou sous différentes formes. Nous remarquons que dans chaque roman, les personnages se regroupent et ont, à un certain moment de leur parcours, besoin de s’affirmer ou bien de construire une identité qui pourrait les définir. Il convient pour nous, dans l’optique de présenter une analyse plus ou moins exhaustive de cette notion, de préciser que la quête de l’identité se retrouve de façon continuelle dans les quatre œuvres de notre corpus. Nous remarquons de ce fait que l’identité des personnages se distingue d’une part par son unicité, et d’autre part, elle se caractérise par sa diversité car, les protagonistes, dans leur quête incessante d’identité, sont en perpétuels contact avec d’autres milieux, d’autres individus. Nous remarquons qu’Alain Mabanckou essaye de montrer la façon dont les personnages cherchent à associer l’image qu’ils ont de leur propre personne, et celle qu’ils ont en terre étrangère, au contact de « l’autre ».

Le souvenir comme moyen de reconstruction de soi

   Ce dernier sous point de notre chapitre, portant sur le rapport entre l’identité et la mémoire, nous pousse, dans la perspective de mettre en exergue tous les liens qui unissent ces deux notions, à analyser comment le souvenir participe à la reconstruction de l’identité. De façon plus explicite, il nous faut montrer comment le souvenir des personnages des quatre œuvres permet-il de les définir. Alain Mabanckou comme nous l’avons montré présente ses quatre romans qui sont marqués par les vagues de souvenirs incessants des personnages. Chaque personnage se souvient à sa manière mais essaye aussi de s’approprier une identité qui pourrait lui correspondre. Le souvenir, d’une manière ou d’une autre est indispensable dans le processus de construction identitaire. Host Möller considère de ce fait que « L’identité est soumise à des changements tout au cours de la vie. D’une certaine manière, l’individu détient même plusieurs identités, sa perception des événements de sa vie, mais aussi des faits historiques se modifie ».115 Cela revient à dire que l’identité n’est pas une notion fixe. Elle évolue, change selon l’individu et le milieu dans lequel il évolue. Pour le cas de notre étude, l’identité se compose et se décompose à partir des souvenirs que les personnages ont de leur vie passée. Entre souvenir et identité donc un rapport se noue car, pour les quatre œuvres de notre corpus. C’est à partir de la première notion que la deuxième devient possible. Pour Bleu Blanc Rouge, la vie en terre étrangère ne semble pas se passer comme l’aurait souhaité Massala-Massala. Arrêté par la police pour trafic de tickets, le jeune homme sera emprisonné. Dans ses moments de solitude, il va tenter de se souvenir de son passé pour en retour, reconstruire son identité perdue. Le passage qui suit montre largement que l’identité est, ici, nourrie par la mémoire : « Je me souviendrai. C’est ici et maintenant que je dois égrener cet effort de mémoire. Ecarter cette nuit qui me brouille la vue. Gratter la terre, trouver les indices, les dépoussiérer et les mettre de côté afin de remettre les choses à leur place. Après, il sera peut-être trop tard… ».116 À partir de cet extrait, nous savons donc que le personnage de Massala-Massala cherche à construire une identité à partir de la réminiscence de son passé. Il réalise de ce fait des efforts en convoquant le passé pour construire son présent déjà problématique. Par ces vagues de souvenirs, le narrateur tente aussi de recoller les morceaux de son identité divisée par son installation en terre étrangère. Il accepte lui-même l’oscillation de son identité lorsque plus loin il dit « J’étais l’ombre de Moki, c’est lui qui m’a façonné. À son image 117». La relation entre le souvenir et l’identité est ambiguë car les souvenirs résident dans l’évocation du passé pour rendre possible le présent.

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Table des matières

Première partie : Des romans du souvenir
Chapitre 1 : les éléments déclencheurs du souvenir et l’impact du cadre spatio-temporel
Chapitre2 : l’écriture de la mémoire chez Alain Mabanckou
Deuxième partie : La construction identitaire
Chapitre 1: la Quête d’identité chez les protagonistes de Mabanckou
Chapitre2 : le processus de subjectivation
Troisième partie : L’esthétisation du souvenir
Chapitre1: la transgression du code romanesque
Chapitre 2 : L’intertextualité chez Alain Mabanckou

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