L’ERGONOMIE SENSORIELLE AU SERVICE DE LA LUTTE CONTRE LA DESORIENTATION SPATIALE

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Désorientation d’origine vestibulaire

Si la vision constitue la composante principale de l’équilibration et de l’orientation, c’est le vestibule qui est à l’origine de la majorité des cas de désorientation spatiale. Comme nous le verrons dans la section suivante (§ 2.1.2), cet organe fonctionne de façon adaptée à la locomotion terrestre, mais s’accomode particulièrement mal aux contraintes aéronautiques. Il en découle un nombre assez important d’illusions vestibulaires qui constituent environ 90% des incidents rapportés. On distingue deux grandes classes parmi ces phénomènes, les illusions somatogyrales d’une part, associées au fonctionnement des canaux semi-circulaires, et les illusions somatograviques d’autre part, associées au fonctionnement des otolithes.

Les illusions somatogyrales

Lors d’une rotation à vitesse constante, les propriétés naturelles de ces accéléromètres biologiques que sont les canaux semi-circulaires font que le vestibule cesse d’informer correctement le système nerveux central sur la vitesse de rotation après quelques secondes. Le principe général de fonctionnement des canaux semi-circulaires est simple. Ils contiennent un liquide, l’endolymphe, qui se déplace avec une certaine inertie dans les canaux et qui provoque le déplacement d’un volet gélatineux, la cupule. Les mouvements de la cupules sont convertis en impulsions nerveuses, transmises au système nerveux central par le nerf vestibulaire (cf. § 2.1.2.2, pour plus de détail). Les propriétés du système font que les canaux semi-circulaires ne sont sensibles qu’aux accélérations. Par conséquent, lorsqu’un pilote s’engage dans une manœuvre incluant des rotations durables avec peu ou pas de variation de vitesse (virage, tonneau, vrille, spirale), il se place dans des conditions favorables à l’apparition d’illusion vestibulaire. Lors d’une telle manœuvre, les signaux émis par les canaux semi-circulaires s’estompent progressivement au cours des 20 premières secondes suivant l’arrêt de l’accélération angulaire. A ce moment, seules les données visuelles, celles fournies par le monde extérieur ou par l’instrumentation, permettent au pilote de percevoir la rotation.
Lorsqu’une vrille se déroule dans des conditions de mauvaise visibilité, une situation extrêmement dangereuse, appelée communément «la vrille du cimetière», peut s’établir. La figure 5 présente la succession des évènements. Lorsque le pilote s’engage dans la vrille, les cupules des canaux semi-circulaires sont défléchies par l’accélération (1). La vrille se poursuit alors à vitesse constante et se prolonge suffisamment pour que les cupules des canaux semi-circulaires reviennent, partiellement ou totalement, à leur position de repos (2). La sensation de rotation est alors faible ou absente. Lorsque le pilote exécute les manœuvres de sortie de vrille, les cupules sont défléchies et une sensation de rotation en sens inverse de la précédente apparaît, faisant croire à l’établissement d’une nouvelle vrille, opposée à celle d’origine (3). Le pilote exécute les manœuvres de sortie de cette vrille imaginaire et part à nouveau en vrille dans le même sens qu’auparavant (4).
Contrairement à ce qui se passe dans une vrille, au cours de laquelle l’avion tombe, il vole lorsqu’il est en spirale : il descend rapidement en virant. La vitesse en virage étant constante, le pilote cesse au bout d’un certain temps de percevoir qu’il tourne. Il ne peut se rendre compte que de sa perte d’altitude. Pour arrêter sa descente, il est tenté de tirer sur le manche et de pousser sur la manette des gaz. En fait, cette manœuvre n’aboutirait qu’à resserrer la spirale. Pour l’arrêter, il faut que le pilote remette d’abord les plans de son appareil à l’horizontale, grâce à de bonnes références visuelles extérieures ou à une confiance totale dans les instruments de bord.

Les illusions somatograviques

Au cours du vol, l’organisme est soumis, du fait des mouvements de l’avion, à un ensemble de forces (force d’inertie, force centrifuge…) qui s’ajoutent au champ de pesanteur terrestre. Il s’agit là d’un phénomène spécifique et nouveau, parce que l’homme est habitué à vivre dans le champ de pesanteur terrestre, toujours constant. L’action la plus immédiate se fait sentir sur l’appareil otolithique dont nous verrons qu’il est incapable de faire la distinction entre la force de gravité terrestre et les accélérations linéaires provoquées par un déplacement (§ 2.1.2.1).
Lors d’une accélération dirigée dans le sens du vecteur vitesse de l’avion (augmentation de la puissance du moteur, rentrée des aérofreins) ou en sens inverse (sortie des aérofreins), la force d’inertie qui l’accompagne se compose avec la force de pesanteur pour donner une résultante gravito-inertielle inclinée par rapport au champ de pesanteur (Fig. 7). Une accélération linéaire de 0,45 G, par exemple, donne lieu à un vecteur résultant de 1,1 G incliné de 24° vers l’arrière. Les otolithes sont stimulés de la même manière que par une bascule du corps vers l’arrière. En l’absence de repères visuels extérieurs, le pilote a l’impression que l’avion se cabre. Il peut alors être tenté de pousser sur le manche en avant pour corriger son assiette, au risque de venir percuter le sol. Il faut, en général que l’accélération en cause soit de longue durée, de l’ordre de la minute, pour que ces illusions se développent complètement. Elles apparaissent néanmoins pour des accélérations intenses ne durant que quelques secondes, lors de décollages catapultés par exemple (Cohen, 1977).

Autres phénomènes liés à la désorientation spatiale

Le phénomène du break-off

Le phénomène du «break-off» apparaît durant des phases de vol très monotones, particulièrement à haute altitude (30000 pieds) quand l’horizon est mal défini. Ce phénomène consiste en la perception altérée de la relation entre le pilote et son appareil. Le pilote se sent détaché, isolé de l’avion qu’il contrôle. La plupart du temps, il s’agit d’une impression, d’un sentiment modéré, mais des cas extrêmes de sensation de désincarnation ont été rapportés. Dans ces cas, les pilotes se percevaient comme flottant à l’extérieur du cockpit en s’observant soi-même aux commandes de l’avion. Ce phénomène, quoique potentiellement très alarmant pour un pilote non informé (Bohnker et al., 1991), est rarement associé à une perte d’orientation dans l’espace. De plus, elle apparaît uniquement dans des phases de vol très calmes. Le danger associé à ce phénomène est donc négligeable.

Le phénomène de la main géante

Le phénomène de la main géante peut être ressenti à la suite de plusieurs types de désorientation spatiale, comme l’effet de Coriolis ou le vertige alternobarique. Il s’agit de l’incapacité du pilote à manipuler le manche comme il le souhaite (Slater, 1993). Une impression de résistance des commandes est ressentie, comme si une main géante appuyait sur l’une des ailes et empêchait le pilote de rétablir une attitude souhaitée. Curieusement, il suffit au pilote de saisir le manche par le bout des doigts pour reprendre le contrôle (Lyons et Simpson, 1989). Les mécanismes générateurs de ce phénomène et l’effet bénéfique du contrôle digital restent largement inconnus, dans la mesure où les cas en vol restent rares et qu’il n’a jamais été possible pour l’instant de les répliquer en laboratoire de façon satisfaisante (Weinstein et al., 1991).

Les mécanismes de l’orientation spatiale

Comprendre la désorientation spatiale, c’est d’abord comprendre les mécanismes qui permettent à l’Homme de s’orienter dans l’espace et de se déplacer dans le monde qui l’entoure. Cette faculté à s’orienter correctement dans l’espace repose sur un processus d’intégration d’informations sensorielles variées issues de différents capteurs: l’œil, l’appareil vestibulaire et les récepteurs somesthésiques principalement. Chacun d’eux possède ses propres caractéristiques et fournit une somme d’informations utiles pour s’orienter, mais, nous le verrons, pas toujours suffisante. L’ensemble de ces entrées sensorielles est pris en charge par des processus intégratifs mettant en jeu des structures supérieures du système nerveux central, pour élaborer une représentation adaptée des relations entre le corps propre et l’environnement. Une telle représentation doit pouvoir être accessible à tout instant à la conscience de l’individu pour lui permettre d’adapter ses actions et ses intentions à un contexte donné. La nécessité d’une représentation conforme à la réalité s’impose alors. Pour toutes ces raisons, la perception de l’orientation spatiale constitue un modèle privilégié d’étude des capacités intégratives et adaptatives du système nerveux.
La synthèse qui suit n’est pas exhaustive. Trois modalités sensorielles seulement (la vision, le système vestibulaire et la somesthésie) y sont développées, alors que l’audition participe également, mais dans une nettement moindre mesure, à l’orientation spatiale. De plus, nous ne présenterons que les connaissances les plus pertinentes pour la compréhension de la désorientation spatiale et des moyens de lutter contre.

Les organes otolithiques

Les organes otolithiques prennent la forme de deux «sacs» comprenant chacun une plaque d’épithélium sensoriel, la macula. Ces macules comportent des cellules sensorielles munies de cils dont la pointe s’enchâsse dans une membrane gélatineuse baignant dans un liquide visqueux, l’endolymphe (Fig. 13).
De nombreux cristaux de calcite sont incrustés dans la membrane. Lorsque la tête est inclinée, la membrane glisse le long de la macula. Lorsqu’une accélération linéaire est appliquée dans le plan de la macula, les cristaux, par inertie, se déplacent moins vite. Dans les deux cas, une force de cisaillement s’exerce entre les cristaux et la base, d’où un mouvement des cils qui provoque des décharges nerveuses dans les cellules sensorielles. Ces décharges, conduites par le nerf vestibulaire, renseignent le cerveau sur l’orientation de la tête ou sur l’amplitude de son accélération.
Ce principe de fonctionnement s’applique aux deux organes qui constituent l’appareil otolithique, le saccule et l’utricule. Ceux-ci ne diffèrent que par leur orientation. Lorsque la tête est tenue droite, les macules utriculaires se trouvent dans un plan approximativement horizontal et les macules sacculaires dans un plan vertical. La combinaison des informations émanant de l’ensemble des macules permet au système nerveux central d’être renseigné sur les forces gravitationnelles s’exerçant sur la tête, quelle que soit leur direction.

La somesthésie

Les récepteurs vestibulaires ne sont pas les seuls récepteurs sensibles aux variations gravito-inertielles. Des gravicepteurs présents au niveau abdominal et certaines afférences en provenance des reins et du système vasculaire jouent un rôle dans la détection d’accélérations, de rotations à vitesse constante et dans l’estimation de l’orientation du corps lors d’inclinaisons du sujet (Mittelstaedt, 1995a, 1995b, 1998). Ces récepteurs font partie de l’ensemble complexe désigné sous le terme de somesthésie. Dans son sens le plus large, la somesthésie peut être définie comme l’information sensorielle issue du corps. On parle également de kinesthésie pour désigner l’ensemble des informations renseignant sur le mouvement des segments corporels les uns par rapport aux autres. Les récepteurs vestibulaires, dans la mesure où ils renseignent sur l’attitude de la tête, sont considérés par certains comme faisant partie de la kinesthésie. Cependant, cette fonction sensorielle est également assurée en grande partie par les récepteurs musculaires, cutanés et tendineux, qui contribuent à la proprioception, cet autre sens longtemps resté inconnu et découvert par Sherrington (1893).
Les fuseaux neuro-musculaires, tout d’abord, sont des unités à la fois motrices et sensorielles, incluses dans tous les muscles du corps, qui renseignent sur la longueur d’étirement des muscles. Les organes tendineux de Golgi, logés au sein des insertions tendineuses des muscles, ainsi que divers récepteurs articulaires renseignent également sur la position des différents segments corporels. L’information fournie par ces récepteurs joue un rôle crucial dans la régulation du tonus musculaire en général et dans le maintien de la position érigée en particulier. En vol, la résultante des forces d’inertie et de pesanteur, en augmentant ou en diminuant l’étirement des muscles, en particulier des muscles extenseurs du cou, de la tête, du tronc et des membres, provoque des modifications des contractions réflexes destinées à maintenir le corps dans des relations spatiales normales avec la verticale. Les récepteurs proprioceptifs cutanés jouent également un rôle non-négligeable dans la perception de l’orientation, dans la mesure où la force de pesanteur fait naître des sensations de pression et de contact dont la distribution nous renseigne sur la position du corps par rapport à la verticale gravitaire. La combinaison des forces d’inertie et de pesanteur, en modifiant la distribution normale des pressions, modifie donc aussi les renseignements émanant des récepteurs cutanés.
L’information kinesthésique, en particulier proprioceptive, alimenterait un modèle global de la configuration des segments corporels, élaboré par le système nerveux central, désigné sous le terme de schéma corporel (Head et Holmes, 1911-1912). Plus qu’une association d’indices kinesthésiques, le schéma corporel serait une référence par rapport à laquelle ces indices seraient synthétisés sur la base de modèles internes des propriétés du corps. Selon Gurfinkel et Levick (1991), le schéma corporel aurait une composante perceptive (l’image du corps), base de la conscience du corps, et une composante automatique (le schéma corporel postural), agissant par le biais de processus sensori-moteurs pour le contrôle de la posture et des mouvements corporels. Graziano et al. (2000) proposent des arguments neurophysiologiques convaincants qui situent les fonctions du schéma corporel dans le cortex pariétal postérieur (voir également Flor et al., 2000). C’est pourquoi il est proposé que le schéma corporel est impliqué dans la mise en relation de l’espace du corps avec l’espace extracorporel où les mouvements orientés sont produits (Gurfinkel et al, 1993 ; Mars et al., 1998 ; Richard et al., 2000).

Les facteurs de l’intégration sensorielle

Nous avons jusqu’ici parcouru les différents systèmes perceptifs impliqués dans l’orientation spatiale. Bien entendu, chaque système ne fonctionne pas pour lui-même et isolément des autres. L’expérience que nous faisons du monde qui nous entoure n’est pas fragmentée. Le monde nous apparaît comme stable et formant un tout grâce aux processus d’intégration multisensorielle mis en jeux par le système nerveux central. Cette intégration se fait grâce la mise en relation des diverses informations sensorielles, malgré leurs natures différentes, dans des cadres de référence de plus en plus généraux.

Plurimodalité de la perception : redondance, complémentarité et gestion des conflits

Les différentes modalités sensorielles apportent de l’information spatiale, chacune avec leurs caractéristiques et leur limites. Il est probable que, dans des conditions favorables, une certaine redondance existe dans l’information fournie par l’ensemble des systèmes sensoriels. Cette redondance est probablement utilisée pour réduire les imprécisions de chacun des systèmes pris isolément. Cependant, il apparaît que les sytèmes sensoriels sont complémentaires, plus que redondants. Autrement dit, les limites d’une modalité sensorielle peuvent être dépassées grâce à sa coopération avec les autres modalités. L’interaction étroite entre le système visuel et le système vestibulaire est par exemple très bien documentée.
Considérons par exemple l’incapacité des organes otolithiques à faire la distinction entre une accélération linéaire et une inclinaison de la tête (cf §2.1.2.1). Comment alors faire la différence entre «je bouge vers l’avant» et «je suis penché vers l’arrière» ? Une représentation correcte de la relation corps/environnement ne peut pas être établie exclusivement sur la base des informations otolithiques. Le caractère plurimodal de la perception pallie à ce problème. La vision, intervenant dans un registre différent, permet de référer la position du corps par rapport aux repères stables du monde physique externe, notamment verticaux et horizontaux. Elle contribue de façon conséquente à la perception du mouvement, d’une part par le biais de la vision périphérique qui procure une information «proprioceptive» sur la vitesse et la direction du déplacement (notion de flux optique) et d’autre part, en dispensant des informations extéroceptives sur la structure de l’environnement (vision centrale). Selon Tokumaru et al. (1998), c’est cette dernière information qui va permettre au système nerveux central de distinguer une accélération linéaire d’une inclinaison du sujet en arrière.
A l’opposé, si la vision détecte les mouvements relatifs de l’environnement visuel sur la rétine, elle ne s’appuie sur aucune référence fixe dans l’environnement (à l’inverse des otolithes qui utilisent la gravité) et ne permet pas de discerner s’il s’agit d’un mouvement du sujet ou bien de l’environnement. L’étude des phénomènes de vection (illusion de mouvement propre du corps induite par un déplacement de la scène visuelle) illustre cet aspect «lacunaire» du système visuel. On trouve là l’explication de l’illusion bien connue du train en gare : lorsque le train voisin de celui dans lequel vous vous trouvez démarre, vous pouvez interpréter l’information visuelle comme étant la conséquence du départ de votre propre train. Pourtant, lorsque le flux visuel crée par le départ du train voisin stimule notre rétine périphérique, aucun influx vestibulaire n’est généré, ce qui devrait nous conduire à interpréter le flux comme résultant bien d’un mouvement dans l’environnement. L’explication tient dans le fait que les détecteurs de mouvements vestibulaires et visuels travaillent dans des gammes de sensibilité différentes. Le vestibule est plutôt plus sensible aux hautes vitesses, la vision (en particulier périphérique) plus sensible aux basses vitesses. De nos jours, le démarrage d’un train est suffisamment «souple» pour que les informations vestibulaires et tactiles soient inopérantes. L’information visuelle périphérique (très sensible au mouvement et dont la plage préférentielle de fonctionnement se situe dans le spectre des basses fréquences) a donc un poids énorme dans une telle situation. Le système nerveux central «prend une décision» pour résoudre l’ambiguïté, décision correspondant à la situation la plus communément rencontrée de façon naturelle : notre corps a plus de facilité à se déplacer par rapport à l’environnement que le contraire. Ce n’est que lorsque l’individu dispose de plus d’informations (référentiel externe accessible, incompatibilité entre la fréquence du stimulus visuel et l’absence de stimulation vestibulaire…) ou bien qu’il analyse la situation (ce n’est pas encore l’heure de départ de son train, il possède une expérience antérieure de la situation, il constate qu’un passager monte dans le train…) qu’il prend conscience de son erreur.
L’exemple du train démontre bien que ce qui est nécessaire n’est pas toujours suffisant. Pourtant, dans des conditions normales, les modalités visuelles et vestibulaires sont sans conteste complémentaires. La vision informe l’organisme sur la direction et la vitesse des mouvements de la tête à vitesse constante, améliorant par conséquent la fonction tachymétrique du système vestibulaire, et les organes labyrinthiques permettant de distinguer les mouvements du corps propre de ceux de l’environnement. Cette complémentarité s’étend aux bandes passantes respectives des deux systèmes, la vision étant prépondérante aux basses fréquences et le système vestibulaire aux fréquences élevées. Sur le plan fonctionnel, les relations visuo-vestibulaires sont très étroites, les deux systèmes coopérant dans la plupart des situations. Cette coopération s’appuie sur la convergence des afférences vestibulaires et visuelles vers des structures nerveuses communes telles que les noyaux vestibulaires et le cervelet (Lacour et Borel, 1993). Ainsi, l’intégration des informations visuelles et vestibulaires permet à tout instant au système nerveux central de reconstruire, en théorie, l’orientation de la tête dans l’espace.
Disposant de récepteurs aux caractéristiques diverses et souvent complémentaires, le système nerveux central va pouvoir intégrer toutes les informations recueillies et élaborer une représentation «cohérente» de la relation corps/environnement. Il est toutefois possible que la situation prive l’organisme de certaines entrées ou bien génère des informations conflictuelles. Le système nerveux central, face à une configuration inhabituelle d’informations, doit alors résoudre l’ambiguïté qui en découle. Merfeld et al. (1999) proposent que des modèles internes puissent servir à lever certaines de ces ambiguïtés. La notion de modèle interne fait référence à la capacité qu’a le système nerveux central de simuler des principes physiques de l’environnement. Merfeld et al. (1999) s’intéressent en particulier au problème posé par la confusion faite par les gravicepteurs, en particulier les otolithes, entre gravité et accélération linéaire. Ils soumettent des sujets à des combinaisons d’inclinaisons corporelles et de rotations continues pour créer des stimulations gravito-inertielles ambiguës et observent que les réflexes vestibulo-oculaires générés à l’arrêt de la rotation témoignent d’une estimation faite par le système nerveux central de la direction de la gravité, à l’aide d’indices fournis par les canaux semi-circulaires. Cette estimation se ferait sur la base d’un modèle interne des relations entre l’accélération gravitaire et les accélérations provoquées par le mouvement, ce qui permettrait d’interpréter les configurations d’informations ambiguës. Les auteurs suggèrent également que de tels modèles internes sont des processus généraux utilisés pour synthétiser l’information issue de capteurs disparates et pour combiner l’information afférente et l’information efférente. En effet, la capacité de simulation que représente un modèle interne permet l’anticipation, c’est-à-dire pouvoir prédire les conséquences d’une action ou d’un mouvement en cours. Ces modèles internes s’élaboreraient au fil de l’expérience perceptive et moduleraient en retour le traitement de l’information spatiale.

Espaces et référentiels spatiaux

Comme nous l’avons suggéré plus haut, c’est l’intégration centrale des différentes sources d’informations sensorielles qui permet d’aboutir à une représentation de la relation corps/environnement. Cette notion de relation corps/environnement fait appel à la notion de référentiel où sont repérés les mouvements, puisque l’organisme vivant doit pouvoir distinguer, en cas de déplacement, qui de l’environnement ou de lui-même est en mouvement. Pour effectuer cette distinction, il est indispensable d’une part, d’être informé de ses propres modifications de position et d’orientation, d’autre part de référer ces dernières à des invariants spatiaux présents dans l’environnement. La notion de relation corps/environnement est également inséparable de la notion d’espace. Nous avons tous la conviction qu’un espace constant, invariant, unifié nous entoure. Il s’agit là pourtant d’une élaboration cognitive qui cache une réalité neurologique bien différente. Nous allons voir, en effet, qu’il est plus juste de parler d’espaces, au pluriel, que d’un espace unique.
L’étude des référentiels spatiaux a pour objectif de déterminer quels sont les repères fondamentaux par rapport auxquels les informations spatiales sont appréciées. Par exemple, il est possible de représenter la place des objets dans l’espace de plusieurs façons. Supposons que vous souhaitiez décrire les relations entre deux objets dans une pièce. Une façon de coder ces relations consiste à tout rapporter à vous-même, à estimer la distance et l’angle de chacun des objets par rapport à votre corps. Les informations relatives aux objets sont alors appréhendées dans un référentiel dit égocentré. Dans la vie courante, un grand nombre de situations impliquent une perception précise de la position et des mouvements des objets par rapport au corps. Pour Jeannerod et Biguer (1989), cette «référence au corps propre constitue une des bases de l’organisation du comportement orienté vers l’espace extra-corporel». Ils proposent que la représentation interne du plan sagittal médian servirait de référence par rapport auquel serait évaluée la position des objets. Cependant, de nombreux arguments plaident en faveur de référentiels égocentrés multiples, centrés sur différentes parties du corps (le tronc, la tête, l’épaule, la main) et mis en jeu lors de tâches différentes (Heuer et Sangals, 1998 ; McIntyre et al., 1997 ; Soechting et Flanders, 1992 ; Soechting et al., 1990). Par exemple, Carrozzo et al. (1999), proposent que les coordonnées spatiales d’une cible visuelle est d’abord représentée dans un référentiel centré sur la tête avant d’être transposée dans des référentiels centrés sur le corps, puis sur le bras, lorsqu’un mouvement d’atteinte doit être dirigée vers elle.
L’idée plus ou moins explicite que ces référentiels sont «emboîtés» ou hiérarchisés est souvent mise en avant dans les conceptions actuelles. Un modèle de l’orientation spatiale proposé par Mergner donne une illustration de ce courant d’idée. Mergner et al. (1991) proposent en effet un modèle décrivant la façon dont les informations fournies par le système vestibulaire à propos des mouvements de la tête sont combinées avec la proprioception nucale pour référer la tête au tronc. Cette interaction vestibulo-proprioceptive ne serait qu’une fraction d’un mécanisme complexe de transformation de coordonnées, qui lierait les différents segments corporels entre eux (Fig. 19). Par le biais de flux d’informations à la fois ascendants et descendants, la position et l’orientation de la tête dans l’espace seraient fonctionnellement liées avec les forces de réaction entre le corps et les surfaces sur lesquelles il s’appuie (Mergner et al., 1998). De cette façon, l’information sensorielle provenant d’une partie du corps peut être utilisée pour des tâches perceptives ou motrices dont le capteur ou l’effecteur réside sur une autre partie du corps (Mergner et al., 1997).

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Table des matières

CADRE GENERAL
1. LA DESORIENTATION SPATIALE EN AERONAUTIQUE
1.1. DESORIENTATION D’ORIGINE VISUELLE
1.2. DESORIENTATION D’ORIGINE VESTIBULAIRE
1.2.1. Les illusions somatogyrales
1.2.2. Les illusions somatograviques
1.2.3. Les illusions visuo-vestibulaires
1.3. AUTRES PHENOMENES LIES A LA DESORIENTATION SPATIALE
1.3.1. Le phénomène du break-off
1.3.2. Le phénomène de la main géante
2. LES MECANISMES DE L’ORIENTATION SPATIALE
2.1. LES SYSTEMES SENSORIELS
2.1.1. La vision
2.1.2. Le système vestibulaire
2.1.3. La somesthésie
2.2. LES FACTEURS DE L’INTEGRATION SENSORIELLE
2.2.1. Plurimodalité de la perception : redondance, complémentarité et gestion des conflits
2.2.2. Espaces et référentiels spatiaux
2.2.3. Le cortex pariétal
2.3. LA VERTICALE SUBJECTIVE : INDICATEUR PRIVILEGIE DE L’ORIENTATION PERÇUE DE LA GRAVITE
2.3.1. Manipulation des indices visuels
2.3.2. Manipulation de l’orientation corporelle
2.3.3. Verticale subjective et perception de l’orientation du corps
2.3.4. Variabilité associée à la verticale subjective : influence des styles perceptifs
3. L’ERGONOMIE SENSORIELLE AU SERVICE DE LA LUTTE CONTRE LA DESORIENTATION SPATIALE
3.1. PROBLEME DU PILOTAGE A DOMINANCE VISUELLE
3.2. REMISE EN QUESTION DE L’INDICATEUR D’ATTITUDE «INSIDE LOOKING OUT»
3.3. L’HORIZON DE MALCOLM (PERIPHERAL VISION DISPLAY)
3.4. PROSPECTIVE : ET LES AUTRES SENS?
3.4.1. Les stimulateurs tactiles
3.4.2. La stimulation vestibulaire
PARTIE EXPERIMENTALE I : EFFETS D’UN CADRE VISUEL SOLIDAIRE DE LA TETE SUR LA VERTICALE SUBJECTIVE – IMPLICATIONS POTENTIELLES POUR LA CONCEPTION DES AFFICHEURS DE CASQUE EN AERONAUTIQUE 
1. INTRODUCTION
2. EXPERIENCE 1 : EFFETS D’UN CADRE VISUEL CEPHALOCENTRE SUR LA VERTICALE SUBJECTIVE LORS D’INCLINAISONS DE LA TETE
2.1.METHODES
2.1.1. Sujets
2.1.2. Matériel
2.1.3. Procédure
2.1.4. Analyse des données
2.2. RESULTATS
2.2.1. Analyses individuelles
2.2.2. Analyses globales
2.3. DISCUSSION
2.3.1. Réfutation de l’hypothèse d’additivité des effets visuels et posturaux
2.3.2. La désorientation spatiale : un phénomène à deux visages
2.3.3. Traitement de l’information visuelle en mouvement dans le référentiel céphalocentré
3. EXPERIENCE 2 : EFFETS D’UN CADRE VISUEL CEPHALOCENTRE SUR LA REORIENTATION DE LA TETE ET LA VERTICALE SUBJECTIVE LORS D’INCLINAISONS CORPORELLES
3.1.METHODES
3.1.1. Sujets
3.1.2. Matériel
3.1.3. Procédure
3.2. RESULTATS
3.3. DISCUSSION
3.3.1. Ancrage des références visuelles et réorientation de la tête
3.3.2. Ancrage des références visuelles et verticale subjective
4. CONCLUSIONS DE LA PARTIE EXPERIMENTALE I
PARTIE EXPERIMENTALE II : EFFETS DE LA STIMULATION GALVANIQUE VESTIBULAIRE SUR LA PERCEPTION DE L’ORIENTATION SPATIALE
1. INTRODUCTION
1.1. LA STIMULATION GALVANIQUE VESTIBULAIRE
1.2. STIMULATION GALVANIQUE VESTIBULAIRE ET FONCTIONS MOTRICES
1.3. STIMULATION GALVANIQUE VESTIBULAIRE ET ILLUSIONS D’ORIENTATION
2. EXPERIENCE 3 : EFFET SUPRAMODAL DE LA STIMULATION GALVANIQUE VESTIBULAIRE SUR LA VERTICALE SUBJECTIVE
2.1.METHODES
2.2. RESULTATS
2.3. DISCUSSION
3. EXPERIENCE 4 : DISSOCIATION ENTRE INCLINAISON DE LA VERTICALE SUBJECTIVE ET ILLUSIONS D’ORIENTATION DU CORPS INDUITES PAR LA STIMULATION GALVANIQUE
VESTIBULAIRE
3.1.METHODES
3.2. RESULTATS
3.2.1. Analyses globales
3.2.2. Analyses individuelles
3.3. DISCUSSION
3.3.1. Illusions d’inclinaison corporelle induites par la stimulation galvanique vestibulaire
3.3.2. Dissociation entre verticale subjective et perception de l’orientation du corps
3.3.3. Interprétation de la réponse posturale de la tête
4. CONCLUSIONS DE LA PARTIE EXPERIMENTALE II
CONCLUSIONS GENERALES ET PERSPECTIVES
REFERENCES

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