L’ergonomie dans le processus de conception

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L’ergonomie dans le processus de conception

Approches de conception de produit

L’approche traditionnelle de conception de produit est caractérisée par des activités s’effectuant de manière séquentielle (Quarante 1994). L’organisation des acteurs est dictée par les différentes étapes du cycle de vie du produit à concevoir : étude de faisabilité (spécification), étude préliminaire (conception générale), étude détaillée (conception détaillée), réalisation (fabrication), et post-conception (utilisation, évaluation, extinction).
L’approche séquentielle classique correspond à une vision de conception où chaque métier est cloisonné et où l’acteur N+1 a une tâche bien déterminée qu’il commence lorsque l’acteur N a terminé, et ainsi de suite. Depuis plusieurs années, des changements organisationnels de la conception ont permis l’émergence de nouvelles approches permettant de passer d’un processus séquentiel traditionnel, à des processus dits concourants, simultanés, collaboratifs ou encore intégrés (Sohlenius 1992; Gomes 1999; Bocquet 1998). Ces approches sont basées sur la coordination, l’anticipation, et l’intégration des différents métiers, dès les premières phases du processus de conception. Le processus devient alors de plus en plus pluridisciplinaire, car de nouveaux acteurs, qui intervenaient jusque-là dans les phases avales, sont aujourd’hui sollicités en amont du processus, et encouragés à exprimer au plus tôt leur point de vue (Béguin 2004).
Ainsi, la conception de produits est aujourd’hui vue par de nombreux auteurs comme une discipline transversale et multi-métiers, dans laquelle la maitrise des points de rencontre avec des disciplines métiers carrefours est indispensable (Duchamp 1999; Perrin 2001). De nombreuses disciplines telles que le design, le marketing, la qualité, la fiabilité ou encore l’ergonomie s’insèrent ainsi dans le processus de conception de produit. De ce fait, ce type d’approche de conception peut être reconnu aujourd’hui comme favorisant l’intégration de l’ergonomie et donc du facteur humain (Sagot 1999).
Intégration de l’ergonomie
Dans une approche classique, l’ergonome est accompagnateur de la conception (Garrigou et al. 2001), et tient principalement un rôle d’observateur, s’intéressant à l’observation et à l’analyse des activités de conception. L’ergonome est sollicité ponctuellement, par exemple lors d’études préliminaires pour analyser des situations existantes et définir les besoins liés au produit (Roussel, 1996; Duchamp, 1999). Cependant, certains travaux, basés notamment sur des modèles d’ingénierie concourante, permettent de favoriser une meilleure intégration de l’ergonome (et la prise en compte du facteur humain) dans le processus de conception. L’ergonome est alors considéré comme un acteur au sein du processus de conception (Fadier 1997; Sagot et al. 2003; Quarante 1994; Duchamp 1999), et mute d’un rôle d’observateur à celui de co-concepteur (Sagot 1999; Béguin 2004).
L’approche présentée dans ces travaux propose ainsi une meilleure articulation du couple « ergonomie-conception », et ce tout au long du processus (Chitescu et al. 2003). La méthodologie représentée Figure 1-2 est basée sur une approche systématique (Gomes 1999) permettant de décrire le système global « Homme-Produit-Environnement » à différents états (réel et virtuel) et durant les différentes phases du processus de conception (études de faisabilité, études préliminaires, études détaillées, et réalisation).
La traduction des recommandations ergonomiques est ainsi favorisée et conditionnée par l’utilisation et l’évolution d’Objets Intermédiaires de Conception (OIC). Les travaux de Chitescu permettent ainsi de définir un processus de conception centré sur l’homme, basé sur des représentations numériques de ces OIC, et particulièrement sur l’intégration de simulations par mannequins numériques. Cette démarche répond à deux besoins : la participation active de l’ergonome à la matérialisation des recommandations ergonomiques du cahier des charges en des principes de solutions ; la possibilité pour les concepteurs d’évaluer ergonomiquement les solutions proposées.
Nous proposons de spécifier plus précisément ce concept d’objet intermédiaire, et de présenter leurs apports dans l’intégration du facteur humain, et spécifiquement au-travers des représentations par mannequin numérique.

Les simulations numériques comme support d’intégration du facteur humain

Les objets intermédiaires (OIC) pour intégrer l’ergonomie dans la conception
Afin d’optimiser la collaboration entre les différents experts métiers et ainsi l’intégration du facteur humain dans la conception de produits, les concepteurs ont besoin de représentations communes ; ce sont les objets intermédiaires de conception. Pour Boujut & Laureillard (2002), cette notion d’objet intermédiaire englobe tous les artefacts physiques (croquis, maquettes, dessins, etc.) ou virtuels (modèles CAO, prototypes virtuels, etc.) générés par les acteurs au cours du processus de conception de produits, qui représentent une partie ou la totalité du produit en cours de conception. Ils servent à la fois de supports de communications, d’outils de médiation entre les différents acteurs de la conception, ainsi que d’artefacts de représentation du futur produit (Boujut & Blanco 2003). Les OIC vont donc permettre la création d’un langage commun à tous les acteurs de la conception, entrainant une meilleure communication entre eux au plus tôt du processus de conception (Brandt 2007).
Les mannequins numériques comme OIC
Les mannequins et environnements numériques peuvent être considérés comme des OIC, permettant de tester différents aspects du produit avant même qu’il n’ait de représentation physique (Chitescu et al. 2003). Ces représentations en 3D servent aussi bien de support aux représentations mentales des concepteurs, qu’à la verbalisation des différentes configurations du concept. L’utilisation des mannequins numériques est souvent considérée comme une des solutions les plus adéquates pour simuler l’activité future possible ou souhaitable (Sagot et al. 2003) de l’utilisateur, et donc la fonction d’usage des produits (Chedmail et al. 2002).
En effet, en plus d’une représentation du produit futur en 3D, ces outils peuvent permettre de faciliter la simulation de l’interaction entre le sujet et l’environnement, et donc l’évaluation du produit étudié (Hogberg 2009). Bon nombre de mannequins numériques intègrent des outils d’analyse ergonomique, permettant d’évaluer par exemple l’accessibilité, le volume d’atteinte, la visibilité, ou les contraintes biomécaniques liées aux postures adoptées (risques de troubles, fatigue, etc.). Chitescu (2005) souligne ainsi la contribution des mannequins numériques à une meilleure intégration de l’ergonomie dans la conception de postes de travail, à travers la simulation numérique des activités gestuelles et posturales des futurs utilisateurs. Ils sont intégrés lors des études préliminaires, permettant de définir des principes de solutions. Le système « Homme-Produit-Environnement » représenté Figure 1-2 est alors complètement virtuel.
Ces outils peuvent contribuer à réduire le nombre de tests physiques dans les processus de développement, et faciliter les examens ergonomiques de prototypes virtuels au plus tôt du processus (Chitescu et al. 2003). Ils sont désormais largement utilisés dans de nombreux domaines industriels, comme l’aéronautique ou l’automobile (Pinto & Taneja 2005; Chaffin 2005; Hanson & Högberg 2008; Hanson et al. 2011; Lämkull et al. 2007; Reed et al. 2003). La Figure 1-3 représente un exemple de l’utilisation d’un mannequin numérique (RAMSIS) pour l’étude de tâches d’assemblage dans un contexte industriel (chaine de production automobile) (Lämkull et al. 2009). De nombreux logiciels de simulation numérique proposent ce type de représentations anthropométriques et d’évaluations ergonomiques virtuelles. Sans présenter une liste exhaustive, nous pouvons par exemple citer les logiciels JACK (Raschke 2004; Blanchonette 2009), RAMSIS (Seidl 1997; Van Der Meulen & Seidl 2007), SAMMIE (Case et al. 1990; Porter et al. 2004), ANYBODY (Rasmussen et al. 2003) ou encore SANTOS (Abdel-Malek et al. 2007).
A noter que de nombreux logiciels de modélisation humaine proposent également des représentations de mannequins virtuels « anthropomorphes ». Contrairement aux mannequins numériques présentés ci-avant, ceux-ci ne sont pas construits sur la base d’une structure morphologique permettant une définition anthropométrique des membres. Ils sont généralement définis sous le nom d’avatar et permettent une représentation physique très « réaliste ». Nous pouvons par exemple citer les logiciels MakeHuman, Quidam, ou encore Poser. Bien que n’étant pas initialement développés dans un but ergonomique, ces mannequins peuvent tout de même servir d’outils de représentation et de communication en conception de produit.

Bilan des apports des mannequins et simulations numériques en conception centrée sur l’homme

Les travaux présentés soulignent donc une meilleure prise en compte des caractéristiques de l’humain (utilisateur), due à la représentation numérique en 3D du problème. Ces outils fournissent un support efficace pour intégrer le facteur humain lors des phases amont du processus de conception, notamment à travers la simulation numérique des activités gestuelles et posturales de l’utilisateur (Chitescu 2005). Ils permettent de tester, optimiser et valider les concepts numériques retenus par les concepteurs, et de mieux appréhender les situations dans lesquelles les utilisateurs vont se trouver (Sagot et al. 2005). Ces simulations sont propices à l’établissement d’un processus de conception, et permettent une forte réactivité face aux nombreux changements apportés en phase de conception (facilité de modification d’un modèle numérique par rapport à un prototype physique). Ces représentations fournissent un support de coordination et de collaboration entre les acteurs métiers, et permettent de bien partager les informations, en respectant la vision produit de chacun.

Vers une prise en compte des déficiences physiques des utilisateurs

Les entreprises ont généralement tendance à concevoir les produits pour un utilisateur « idéal » qui ne souffre d’aucune déficience, limitation d’activité ou restriction de participation (Wisner 1995; Sagot 1999). Les méthodes traditionnelles de conception centrée-utilisateur ne permettent pas (ou peu) la prise en compte des personnes déficientes (Bodker 1989; Newell 1993; Gregor et al. 2005).
Dans une démarche de conception centrée sur l’utilisateur, il parait essentiel de prendre en compte les différentes caractéristiques et aptitudes des sujets pour lesquels le produit doit être développé (Newell & Gregor 1999). C’est pourquoi, de plus en plus d’approches anthropocentrées se concentrent sur l’intégration des personnes présentant des limitations physiques (personnes âgées, personnes en situation de handicap, etc.) dans le processus de conception. On peut parler par exemple de « barrier-free design », « design for disability », « rehabilitation design », « accessible design », « design for all », « inclusive design », « user-sensitive design», « inclusive design», ou bien encore de « universal design » (Erlandson 2007; Newell et al. 2011; Conte 2004; Clarkson et al. 2013).
Dans la suite du document, nous allons nous intéresser à l’intégration et la prise en compte par les concepteurs des capacités physiques spécifiques en conception de produit. Nous proposons de placer notre approche dans une démarche de conception dite «pour tous » ou « universelle ». Nous nous intéresserons notamment à l’utilisation des modèles numériques dans l’intégration et la simulation des handicaps et déficiences.

Conception de produits « pour tous »

Introduction

La prise en compte du handicap dans la conception de produit est un problème essentiel à prendre en compte, que ce soit d’un point de vue social, économique, ou éthique.
Avec le vieillissement de la population, les personnes âgées et les personnes avec handicap moteur faisant partie d’une réelle minorité jadis, sont aujourd’hui partie intégrante de la société. D’après l’INSEE (Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques), en 2050, un français sur trois serait âgé de 60 ans ou plus, contre un sur cinq en 2005. Et cette tendance de vieillissement de la population est présente au niveau mondial. L’allongement de la durée de vie allant de pair avec une augmentation des maladies chroniques, les limitations fonctionnelles sont de plus en plus fréquentes et multidimensionnelles, associant des problèmes physiques, sensoriels et cognitifs (Vignier et al. 2008; Danet & Haury 2011). Selon l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), plus de 10 % de la population mondiale dépend aujourd’hui d’un handicap ou d’une invalidité partielle ou totale, touchant spécifiquement les fonctions relatives à la motricité générale. Ces limitations engendrent dans de nombreux cas des difficultés dans la réalisation des tâches quotidiennes (cuisiner, se laver, etc.) (Oliver et al. 2001), pouvant aller jusqu’à une perte totale d’autonomie (Bouvier 2009).
Des approches de conception spécifiques ont été développées. Le courant de conception dit « accessible » consiste à concevoir des produits spécifiques répondant aux personnes déficientes. Nous pouvons par exemple citer les approches de « rehabilitation design », « accessible design », « adaptable design », ou de « design for disability » (Erlandson 2007). De nombreuses solutions industrielles se cantonnent souvent à cette approche de conception spécifique. Cependant, celles-ci sont souvent considérées comme « exclusives », car elles ne répondent qu’aux exigences d’une certaine partie de la population (personnes en situations de handicap). Ces conceptions spécialisées se voient ainsi souvent rejetées ou abandonnées par les utilisateurs, et ce pour plusieurs raisons (Triomphe 1999) :
x difficultés quant à l’utilisabilité (apprentissage, manipulation, contrôle, usage courant, etc.) ;
x coût élevé des produits lié à un marché de “niche” ;
x effets stigmatisant renvoyés à l’utilisateur et son entourage, notamment dus à un manque d’esthétisme des systèmes proposés.
Pour répondre à ces limitations, de nouvelles approches ont été développées dans l’objectif de concevoir des produits répondant à la fois aux personnes avec et sans handicap, sans chercher de conception spécifique. C’est le principe de la conception « pour tous » ou « universelle ».

Concept de la conception universelle

De nombreux travaux ce sont développés ces dernières années autours de cette idée de conception pour tous, sous différentes terminologies telles que « conception universelle » ou « conception inclusive » (Keates & Clarkson 2004; Brangier & Barcenilla 2003; Vanderheiden & Jordan 2006; Conte 2004). Bien que ces différentes terminologies présentent de subtiles variations de définitions ou d’approches (notamment dues à l’évolution du concept dans différents pays), l’état d’esprit reste identique, à savoir concevoir des produits et des environnements adaptés au plus grand nombre, sans avoir recours à une adaptation ou conception spécialisée, pouvant être stigmatisante pour l’utilisateur. A noter que dans ce manuscrit, nous ne ferons pas de distinction entre ces différentes terminologies, et pourrons être amenés tour à tour à parler de conception « pour tous, « universelle », ou  » inclusive ».
C’est R. Mace, professeur à l’Université de Californie du Nord, qui fonda le concept de conception universelle, et créa en 1989 le « Centre pour le logement accessible », actuellement connu sous le nom de «Centre pour la Conception Universelle». La définition de la conception universelle diffusée par ce centre d’information et de recherche est la suivante :
« La conception universelle est la conception de produits et d’environnements dont l’usage est destiné à tous dans la plus large mesure, sans besoin d’adaptation ou de conception spéciale. Le but du concept « Universal Design » est de simplifier la vie de chacun en fabriquant des produits, des systèmes de communications et en construisant un environnement plus confortable à l’usage pour le plus grand nombre de personnes ; sans coût ou avec un faible coût supplémentaire. Le concept de « conception universelle » vise les personnes de tous âges, toutes tailles et toutes capacités « .
Cette vision universaliste de la conception centrée sur l’homme, contrairement à la conception « spécifique » présentée précédemment, peut donc être considérée comme « inclusive », l’homme étant considéré de manière holistique. Elle représente d’une certaine manière une réponse à des questions d’ordre éthique, apportant l’idée qu’il n’existe pas de discontinuité entre un individu « moyen » et un individu ayant des capacités spécifiques (Newell & Gregor 2000; Brangier & Barcenilla 2003).
Pour tenter de fournir les outils nécessaires à la mise en œuvre de ce concept, le « Centre pour la Conception Universelle » a publié en 1997 les sept principes de la conception universelle. Ces principes sont : (1) usage équitable, (2) flexibilité ou souplesse d’usage, (3) usage simple et intuitif,
(4) information perceptible immédiatement donnée par le produit, (5) tolérance à l’erreur, accidentelle ou involontaire, (6) faible niveau d’effort physique, et (7) dimensions et espace libre pour l’approche et l’utilisation. Ils ont pour objectif de servir de lignes directrices pour la prise en compte de la diversité humaine dans une démarche de conception pour tous (Story 1998; Preiser 2008). Ils permettent à la fois d’évaluer les produits existants et de guider la conduite du processus de conception (Dupin 2007). Selon Mace et al. (1990), l’intégration de ces principes au plus tôt du processus permet une approche universelle réalisable, et ne coûtant pas plus cher qu’une conception classique.

Démarche de conception

Les courants universalistes utilisent en général une démarche de conception centrée-utilisateur basée sur des principes de conceptions à respecter, comme les 7 principes présentés précédemment. La littérature semble cependant montrer que la démarche de conception elle-même reste peu formalisée, et qu’elle est le plus souvent apparentée à un guide de « bonnes pratiques » à suivre. Nous présentons tout de même les variations de telles approches par rapport à une méthodologie centrée-utilisateur « classique ».
Une vision de la conception universelle (ou plus précisément inclusive) définit que « concevoir pour tous = concevoir pour le plus grand nombre + concevoir pour le plus petit nombre ». Une telle approche vise donc à réunir deux démarches pouvant paraître opposées:
x Concevoir des produits « grand public », essentiellement destinés à des individus « moyens », c’est à-dire adulte bien portant et sans déficiences physiques et cognitives spécifiques;
x Concevoir des produits « spécifiques », destinés aux personnes dites en situation de handicap. D’un point de vue de la démarche de conception pour tous, deux approches peuvent ainsi être adoptées : une approche adaptative (ou top-down) et une approche proactive (ou bottom-up). La première consiste à concevoir des produits spécifiques pour après étendre les besoins à d’autres utilisateurs. La seconde consiste à concevoir pour le plus grand nombre et ensuite étendre le spectre pour inclure d’avantage d’utilisateur ayant des besoins spécifiques. Cette dernière peut être vue comme plus proche d’une vision universelle, permettant d’inclure à la base le plus de personnes possible, et donc d’avoir plus de chance d’accommoder un grand nombre d’utilisateurs.
Il est d’ailleurs intéressant de souligner une différence fondamentale entre l’approche ergonomique classique, et l’approche universelle. La conception universelle n’est pas uniquement le résultat d’une topologie optimisée permettant d’accommoder l’utilisateur en fonction de ses besoins et des caractéristiques du problème. L’optique est également de permettre un réexamen du problème lors du processus de conception, et spécifiquement durant la phase de génération de concepts. Ainsi, plutôt que de déterminer un niveau d’accommodation ou une gamme de réglages par exemple, la conception universelle doit permettre de proposer de nouvelles solutions là où les approches traditionnelles ne sont pas pertinentes. Le principe de conception universelle est donc réalisable, là où « l’accommodation universelle » n’est généralement pas possible. Ainsi, la conception universelle se distingue par exemple de l’accessibilité, basée sur des réglementations cherchant à établir un niveau minimal nécessaire pour accommoder les personnes handicapées et non sur un réexamen du problème (Salmen 2001).
D’un point de vue global, la conception de produits universels peut être apparentée à un processus de conception itératif, centré sur l’utilisateur, et défini à partir de trois étapes majeures, renouvelées
à chaque modification importante du produit en cours de conception (Lonchampt 2004; Plos et al. 2011; Vanderheiden & Tobias 2000; Keates & Clarkson 2004):
x définition du problème : analyse de la situation, des utilisateurs, de leurs capacités, leurs besoins, etc. ;
x développement de solutions : recherche et production de solutions de conception ;
x évaluation des solutions proposées.

Prise en compte des besoins et handicaps par les concepteurs

Classiquement, la prise en compte des handicaps dans la conception peut être réalisée par le biais d’observations, d’entretiens, et de tests en situations réelles, impliquant directement des personnes déficientes (Demirbilek & Demirkan 2004). Cette approche implique de disposer de prototypes physiques et d’un panel de personnes représentatives, ce qui peut être couteux et difficile à mettre en place, notamment dans les phases amonts de conception. En plus de ces approches, un ensemble d’outils est maintenant proposé aux concepteurs, permettant à la fois une sensibilisation à la démarche de conception universelle, et un soutien pour comprendre, quantifier, et ressentir les situations de handicaps2. L’objectif étant de mieux intégrer les caractéristiques, besoins et attentes des utilisateurs dans le processus de conception. Nous pouvons citer l’exemple des interfaces physiques permettant de simuler certains handicaps en contraignant directement l’utilisateur (Figure 1-9). Ceci permet de fournir des données qualitatives liées au ressenti physique (Cardoso & Clarkson 2012). Ces moyens technologiques sont cependant destinés à la simulation de déficiences ou de handicap spécifique, et ne fournissent que difficilement des données quantitatives. Certaines interfaces logicielles permettent à la fois de fournir des indicateurs quantitatifs (pourcentage d’accommodation attendu par exemple), ainsi que des données qualitatives (représentation d’un handicap visuel par exemple) liées aux capacités physiques spécifiques des sujets. C’est le cas par exemple de « l’Inclusive Design Toolkit », développé par l’Université de Cambridge3 (Clarkson et al. 2007). Cependant, on peut déplorer ici un manque de contexte et d’interaction avec le produit, et par conséquent un manque de ressenti physique des déficiences.

Limitation des représentations numériques dans une démarche de conception centrée-utilisateur et pour tous

Nous proposons de résumer les principaux manques des mannequins numériques dans une démarche de conception centrée-utilisateur et universelle au travers de plusieurs points : d’un point de vue des simulations posturales et gestuelles proposées, de l’intégration des déficiences, de l’interaction et de l’usage, et enfin en tant qu’objet de conception.
Simulations posturales et gestuelles
La structure cinématique des mannequins numériques est variable d’un modèle à l’autre. Dans de nombreux cas, les mannequins utilisés permettent de ne reproduire qu’un nombre limité de postures et gestes de l’homme (Chitescu (2005) par exemple). Les méthodes les plus couramment utilisées pour la définition de posture des mannequins numériques se font soit en manipulant manuellement chaque articulation (cinématique directe), soit en déplacent la partie du corps voulue (main par exemple) pour atteindre un point donné (cinématique inverse) (Monnier et al. 2009). Cependant, ces méthodes sont longues et subjectives due à la manipulation manuelle des membres. La manipulation clavier/souris ne permet pas toujours une définition de postures réalistes, et peut donc engendrer des analyses basées sur des postures non correctes. De plus, seule la posture finale est souvent définie, et donc les mouvements réalisés pas considérés (Abdel-Malek & Arora 2009).
Des méthodes existent tout de même pour prendre en compte ces mouvements (Pasciuto et al. 2011). Une première approche (data-based method) consiste en la simulation des mouvements du mannequin à partir de données préalablement capturées (Park 2008). Un acteur exécute le mouvement souhaité, et un ensemble de dispositifs est utilisé pour enregistrer les configurations articulaires des membres. Les données enregistrées sont ensuite utilisées pour générer automatiquement le mouvement voulu du mannequin. Dans Chang & Wang (2007) par exemple, cette approche est utilisée pour l’évaluation ergonomique de postes de travail. Cependant, cette technique implique quelques limitations. En effet, les mouvements sont enregistrés en situation réelle, ce qui implique de faire appel à un environnement ou prototype déjà existant. De plus, les mouvements sont dans ce cas seulement générés pour des tâches spécifiques. Le comportement du mannequin virtuel n’est donc que difficilement adaptable en fonction d’un changement de conditions d’étude (les données virtuelles et réelles devant être identiques). Enfin, les caractéristiques du mannequin virtuel sont identiques à celles de l’opérateur, ce qui implique de faire appel aux réels utilisateurs finaux dans le processus. D’autres approches (physics-based methods) sont basées sur des modèles cinématiques, et prennent en compte de multiples critères tels que les amplitudes de mouvements, les contraintes articulaires, les efforts etc., pour construire et prédire le mouvement. Cependant, nombreux de ces modèles sont basés sur des calculs complexes et utilisent des méthodes d’optimisation pouvant être lentes à converger, ce qui n’est pas adapté pour des simulations en temps réel. Or, la simulation du mouvement doit pouvoir s’adapter automatiquement et en temps réel à la situation rencontrée (Chaffin 2005), tout en tenant compte des modèles biomécaniques et dynamiques complexes des mouvements du corps humain. Par exemple, il est très difficile de définir des modèles biomécaniques statiques permettant de simuler le comportement complexe de l’épaule dans des conditions dynamiques (Chaffin 2002). Ces caractéristiques sont cependant très importantes à prendre en compte, notamment lors d’études d’accessibilités (poste de travail, poste de pilotage, etc.), où l’atteinte des différents points de l’environnement dépend grandement des caractéristiques biomécaniques et dynamiques du sujet. De nombreux logiciels proposent des modèles de mannequins numériques incluant des propriétés biomécaniques du corps humain, pour tenter de prendre en compte ces facteurs pouvant affecter l’atteinte d’un individu, comme les mouvements des épaules et du tronc par exemple (Chaffin 2002). Cependant, ces modèles de cinématiques inverses ne sont pas toujours représentatifs des réelles caractéristiques biomécaniques et comportementales du corps humain (Chaffin 1999). De plus les mouvements sont tous fondés sur des principes empruntés à la robotique, la reproduction de mouvements est moins fluide que ceux du corps humain. Ainsi, pour Lämkull et al. (2009) la question se pose de la précision des analyses des mannequins virtuels par rapport à une tâche réelle.
Il peut donc être difficile, dans certaines conditions, de définir des postures et comportements de mannequins représentatifs d’une situation d’étude réelle. Or la définition de postures réalistes est essentielle pour toute utilisation de mannequins dans la conception de produits.
Intégrations de capacités physiques spécifiques
Les simulations des handicaps par mannequins numériques sont souvent cantonnées à une représentation de personnes en fauteuil roulant. Certains travaux tentent d’intégrer des déficiences fonctionnelles par le biais de limitations articulaires dans la chaine cinématique du mannequin. Cependant, ces représentations ne permettent pas la prise en compte réaliste des comportements associés, comme les stratégies d’adaptations employées par exemple.

Vers une optimisation du concept numérique

Objet de conception
Les mannequins numériques relèvent également une insuffisance dans le processus de conception centré sur l’utilisateur, d’un point de vue de la communication entre les acteurs métier. En effet, bien que ces simulations représentent un bon support de représentation mentale, de verbalisation, et donc de communication entre les concepteurs, nous pensons que le manque d’interaction fourni limite quelque peu leur potentiel de « médiateur de la conception ».
Interaction et usage
Le passage des simulations numériques, faites à l’aide du mannequin, à la réalisation d’un prototype matériel reste encore difficile. En effet, le « tout numérique » n’a pas vocation à anticiper tous les problèmes de conception et en particulier ceux liés à la fonction d’usage (Sagot et al. 2005). Ces outils de simulation présentent un intérêt certain pour la définition et l’évaluation ergonomique des produits numériques, mais n’apportent pas aux concepteurs un niveau d’interaction et d’immersion suffisant pour appréhender la notion d’usage dans sa globalité (Mahdjoub 2007). En effet, la visualisation et l’interaction sont souvent limitées à une interaction de type clavier-souris face à un simple ordinateur. Les experts en facteurs humains ne peuvent donc pas se mettre à la place de l’utilisateur comme pour une situation réelle, et ainsi ressentir les contraintes liées à l’usage du produit, et percevoir de manière naturelle les éléments subjectifs de la conception. Les mannequins numériques seuls leurs permettent seulement de les imaginer.
Ce manque d’interaction induit un usage vécu « par procuration », et donc un manque d’appropriation et d’expérience de l’activité souhaité par les acteurs de la conception (Chitescu 2005). Cette limitation, souvent couplée à une simulation scénarisée de l’activité, engendre également une limitation de la capacité des concepteurs à anticiper les activités de l’utilisateur face à un nouveau produit, ou à une modification des conditions d’utilisations (changement d’environnement, etc.). Ceci induit intrinsèquement une autre limitation qui est que ces simulations numériques classiques ne permettent pas de prendre en compte (ou difficilement) les capacités liées à l’ergonomie cognitive (l’ouïe, la communication, la réflexion, etc.) (Thorvald et al. 2012).

Vers une optimisation du concept numérique

Depuis quelques années, la réalité virtuelle semble être envisagée comme un outil efficace pour supporter le processus d’évaluation et de conception (interactivité entre l’homme et le système, évaluation collaborative, etc.), mais également la prise en compte de la fonction d’usage du produit (Burkhardt 2003). La réalité virtuelle peut en effet permettre d’entraîner une personne dans une activité sensori-motrice et cognitive dans un monde artificiel, créé numériquement et pouvant simuler certains aspects du monde réel (Fuchs & Moreau 2003). Ainsi, certains auteurs ont souligné le potentiel de cet outil comme soutien aux acteurs de la conception, pour mieux simuler l’activité des utilisateurs et optimiser la collaboration entre les acteurs métier (Sagot et al. 2005; Mahdjoub 2007; Bennes 2013).
Nous proposons donc dans le paragraphe suivant de présenter la réalité virtuelle et ses concepts, et de mettre en avant son application et ses apports dans la conception centrée sur l’homme.

La réalité virtuelle en conception de produit centrée sur l’homme

Définition de la réalité virtuelle

La réalité virtuelle (RV), ou tout du moins le terme « réalité virtuelle » n’est plus réservé à un public de scientifiques ou d’industriels spécialisés. L’apparition de nouvelles technologies interactives accessibles à tous et leurs applications dans les domaines du divertissement ont largement contribué
à cette démocratisation. Les médias emploient ce terme tantôt pour les jeux vidéo, tantôt pour vanter le réalisme d’effets spéciaux créés pour un film. Pourtant, les concepts associés à ce domaine sont bien plus complexes, et reposent sur de multiples champs scientifiques, allant de l’informatique, la robotique, la mécanique, l’optique, l’ergonomie, à la psychologie et aux sciences humaines en générale.
La définition même de réalité virtuelle est sujette à débat au sein de la communauté scientifique. En effet, cet oxymore vient de l’expression anglaise virtual reality définie en 1989 par Jaron Lanier (Kelly et al. 1989). Cependant, le terme virtual en anglais peut signifier « de fait », « pratiquement », « quasiment ». La traduction française ne rend pas compte de cette signification. Selon Fuchs & Moreau (2003), l’expression de réalité vicariante aurait d’ailleurs été plus adéquate.
La littérature fournit de nombreuses définitions de la réalité virtuelle, tantôt assez généralistes (Morris, 1992), tantôt technologiques (Pimentel et al. 1994; Ellis 1991; Sherman & Craig 2002), tantôt sur des concepts tels que l’interaction, l’immersion, et la présence (Arnaldi et al. 2003; Burdea & Coiffet 1993; Bouvier 2009; Zeltzer 1992).
Dans un souci de clarté, nous proposons de présenter la RV par une approche fondatrice définie par Fuchs & Moreau (2003), proposant une définition sur trois niveaux : technique, fonctionnelle, et d’un point de vue de la finalité de la RV.
Définition technique: “La réalité virtuelle est un domaine scientifique et technique exploitant l’informatique et des interfaces comportementales en vue de simuler, dans un monde virtuel, le comportement d’entités 3D étant en interaction en temps réel entre elles et avec un ou des utilisateurs, eux-mêmes en immersion pseudo-naturelle par l’intermédiaire de leurs canaux sensori-moteurs”.

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Table des matières

Introduction
Chapitre I : Etat de l’art scientifique et problématique de recherche
1 Conception centrée utilisateur et conception pour tous
1.1 Conception de produits centrée sur l’utilisateur
1.2 Conception de produits « pour tous »
1.3 Limitation des représentations numériques dans une démarche de conception centrée utilisateur et pour tous
1.4 Vers une optimisation du concept numérique
2 La réalité virtuelle en conception de produit centrée sur l’homme
2.1 Définition de la réalité virtuelle
2.2 Concepts d’interaction et d’immersion
2.3 Interfaces comportementales
2.4 La réalité virtuelle en conception de produits centrée sur l’utilisateur
2.5 La réalité virtuelle et la prise en compte du handicap
2.6 Limitations des approches existantes dans une démarche universelle
2.7 Conclusion
3 Problématique de recherche
4 Positionnement
Chapitre II : Outils de réalité virtuelle pour l’évaluation ergonomique de produits: étude d’une tâche d’atteinte
5 Etude comparative expérimentale
5.1 Introduction
5.2 Matériels et méthodes
5.3 Application expérimentale
5.4 Résultats
5.5 Discussion
5.6 Conclusion
Chapitre III : Création d’un dispositif de réalité virtuelle pour la conception universelle
6 Création du dispositif de réalité virtuelle
6.1 Introduction
6.2 Création de l’infrastructure
6.3 Création d’un mannequin virtuel paramétrable
6.4 Résultats obtenus
6.5 Intégration des données physiques spécifiques
6.6 Interface utilisateur
6.7 Conclusion
Chapitre IV : Application du dispositif développé
7 Application à l’évaluation ergonomique
7.1 Introduction
7.2 Expérimentation 1 : étude qualitative et quantitative de l’usage en RV
7.3 Optimisation de l’évaluation du couple produit/usage en RV
7.4 Outil complémentaire d’analyse des déficiences et de l’usage
7.5 Evaluation qualitative du dispositif développé
7.6 Perspectives d’applications
7.7 Conclusion
8 Dispositif de réalité virtuelle dans une approche de conception inclusive
8.1 Apports du dispositif
8.2 Prise en compte structurée de la variabilité humaine
8.3 Discussion
8.4 Conclusion
Conclusion et perspectives 
Bibliographie 

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