Ecrit en 1947 par Jean-François Gravier, Paris et le désert français est souvent considéré comme l’ouvrage symbole de la prise de conscience d’une véritable nécessité d’aménager le territoire. Les disparités entre les régions sont alors telles, que l’Etat français, en tant que planificateur et responsable du « bien-être » des citoyens devait apporter une réponse à ce problème. Il était en effet considéré en toute logique que les déséquilibres dont souffrait le territoire français d’après-guerre allaient être réduits par une politique volontariste de l’Etat. Plusieurs enjeux apparaissent alors comme essentiels : faire de la reconstruction et de l’urbanisme des objectifs immédiats s’inscrivant dans une politique nationale, répondre aux mutations économiques, sociales et culturelles du développement du territoire national et enfin limiter l’opposition entre Paris et la Province et entre la France industrielle et la France agricole. Ces enjeux peuvent se refléter dans la communication faite en 1950 en conseil des ministres par le Ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, Eugène Claudius-Petit : « L’aménagement du territoire est la recherche dans le cadre géographique de la France, d’une meilleure répartition des hommes, en fonction des ressources naturelles et des activités économiques. Cette recherche est faite dans la constante préoccupation de donner aux hommes de meilleures conditions d’habitat, de travail, de plus grandes facilités de loisirs et de culture. Cette recherche n’est donc pas faite à des fins strictement économiques, mais bien davantage pour le bien être et l’épanouissement de la population. » Cette déclaration va donc pendant plus de 40 ans influencer les grandes lignes de l’aménagement du territoire dit à la française. En effet le 14 février 1963, la création de la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR) vient concrétiser la volonté de l’Etat de donner un véritable outil institutionnel d’aménagement du territoire à l’espace français. Ainsi l’idée qui a présidé à la naissance de la DATAR était simple en ce sens que le gouvernement décidait de créer une délégation rattachée aux plus hautes sphères de l’Etat pour dépasser les administrations existantes. L’Etat se dotait d’un levier direct permettant de lutter contre les cloisonnements hérités de l’histoire.
Le nom même de la DATAR fait référence à l’échelon régional. Derrière cette notion d’action régionale se cache l’idée selon laquelle, l’aménagement du territoire institutionnalisé par la délégation ne pourra se départir de cet échelon. En ce sens, l’Etat considère les disparités qui affectent chacune des régions françaises et va ainsi essayer de leur donner plus de poids. Le premier grand projet d’envergure mis en place la même année (1963), s’intitule donc « la politique des métropoles d’équilibre ».
La recherche d’un nouvel équilibre au sein du réseau urbain a conduit à concevoir cette politique. Celle-ci s’est appuyée sur les notions « de niveau supérieur de l’armature urbaine, de pouvoir de commandement et d’aires d’influence ». Au terme d’un travail rigoureux, huit villes (ou groupes de villes) ont pu être déterminées : Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Nantes, Strasbourg et Toulouse. Le statut de métropole d’équilibre a été défini en 1964. « Ces villes n’exerçaient qu’une part infime du rôle qu’une grande agglomération doit assumer dans l’expansion économique. Que ce soit pour la direction des grandes entreprises, l’octroi des crédits bancaires, les commerces spécialisés, les grandes écoles, etc., elles devaient faire appel à Paris. La décision fut donc prise de faire de ces villes incomplètes des métropoles d’équilibre, capables de fournir aux entreprises et à la population de leur région les services qu’elles allaient jusqu’alors chercher dans la capitale ». (Monod J. et De Castelbajac P., 1997).
Cette intervention à long terme de l’Etat sur l’espace français s’inscrit donc dans l’idée de favoriser la solidarité entres les territoires et d’utiliser l’aménagement comme un facteur de réduction des inégalités spatiales. Cette politique de « répartition » entreprise dès 1963 n’est que la première étape de la décentralisation engagée par la France à cette même période. En 1964, ce sont 21 circonscriptions d’action régionale qui sont organisées et qui laissent présager la naissance des régions françaises. La région devient aux yeux des forces publiques, un échelon pertinent en ce qui concerne la politique d’aménagement du territoire. L’Union Européenne, alors appelée Communauté Economique Européenne, perçoit la nécessité de donner aux régions les plus défavorisées, la capacité de se développer. Ainsi est créé en 1975, le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER). Véritable outil financier permettant l’élaboration de projets d’infrastructures et d’investissements productifs dans les territoires en retard de développement, le FEDER appuie la politique française d’aménagement du territoire s’inscrivant dans un schéma solidaire et de cohésion. Ensuite les lois de décentralisation (1982) institutionnalisent la notion de région et donnent à 22 régions métropolitaines l’occasion de jouer un rôle dans leur propre développement, d’influer sur l’aménagement de leur territoire. Mais des changements notables surviennent également en 1995 et 1999 et proposent une autre vision de ce que doit être la planification spatiale française. Instituée pour la première fois par la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995 (LOADT dite loi Pasqua), la notion de Pays propose un nouveau cadre de coopération aux communes, groupements de communes et acteurs socioprofessionnels et associatifs. Cette collaboration a pour ambition d’élaborer un projet commun traduisant une communauté d’intérêts économiques ou sociaux. Cette première reconnaissance légale des Pays avec la loi Pasqua a été reprise et renforcée dans la Loi d’Orientation pour l’Aménagement et le Développement Durable du Territoire du 25 Juin 1999 (LOADDT dite loi Voynet). De nouvelles orientations de la politique des Pays sont impulsées et le cadre juridique de leur mise en œuvre est précisé.
Le Pays est défini comme « un territoire présentant une cohésion géographique, culturelle, économique ou sociale, porteur d’un projet de développement durable, qui prend la forme d’une charte de Pays ». La carte 1 montre à quel point les « Pays » maillent le territoire français (au 1er janvier 2006, on compte 352 pays). Ceci illustre le fait que les acteurs du développement local se sont pleinement saisis de la démarche.
Ainsi s’affirme également la notion de « territoire de projet », instaurant une autre logique que celle de la réduction des inégalités spatiales. L’ambition est alors de donner à ces espaces des moyens humains et financiers mieux adaptés afin de mettre en place des projets à l’échelle du territoire (notamment en favorisant la logique de projet par rapport à la logique de guichet). Le mythe du projet comme élément clé du développement est au coeur des réformes souhaitées. J. Auroux écrit à ce sujet : « Je préconise ainsi que soit engagée sur l’ensemble du pays (métropole et outremer) la mise en oeuvre de territoires de projets dont le périmètre et le contenu seront définis par les partenaires eux-mêmes, avant d’être cofinancés par l’Etat, les Régions et les intéressés eux-mêmes . » .
Les conséquences de cette spécificité française
Lorsque l’on parle d’aménagement du territoire en France, il devient difficile de traduire ce champ d’actions dans les différents pays étrangers. C’est pourquoi ce concept semble typiquement français dans bien des aspects. D’ailleurs, en Allemagne, on parle plutôt de « développement spatial » tandis qu’au Royaume-Uni et dans la langue anglaise aménagement du territoire n’a pas d’équivalent satisfaisant. Les idées de planification spatiale (« spatial planning ») ou de politique régionale (« regional policy ») sont plus communément évoquées. Ces deux notions ne reflètent pas l’ambition globale de parvenir à une répartition harmonieuse des activités économiques. Ainsi, il semble que seule la France ait à ce point théorisé le concept et en même temps mis en pratique des fondements à tous les niveaux (national, régional et local).
Aussi, il est important de dire que l’évolutivité est une des grandes caractéristiques de ces principes fondamentaux. En effet, pour nuancer quelque peu, on peut aisément affirmer que ces spécificités sont apparues progressivement dans le paysage de l’aménagement du territoire français. Le modèle a mûri de manière constante, lui donnant ainsi aujourd’hui une plus grande légitimité. La DATAR (et aujourd’hui la Délégation Interministérielle à l’Aménagement et la Compétitivité des Territoires) et les gouvernements successifs ont toujours lancé des politiques majeures qui ont parfois bouleversé les institutions (on peut penser en particulier à la décentralisation). Ces grandes lignes ont participé à la mise en place des principes fondamentaux qui sont appliqués à l’échelle régionale et locale de manière permanente. Selon l’ouvrage 40 ans d’aménagement du territoire (Delamarre A. et Lacour C., 2003), cinq grands principes d’action régissent la façon dont l’aménagement du territoire s’est développé au cours des années.
La naissance de la notion de compétitivité en Europe : prise de conscience et bouleversement
La nécessité pour l’Union Européenne de répondre aux mutations économiques actuelles
Le rêve de construire une Europe unie a émergé d’une volonté d’assurer la paix et la prospérité aux différents Etats membres. Il est rapidement devenu évident que les différences de développement entre les régions européennes étaient trop importantes, et que ces disparités représentaient une « menace » majeure pour l’idée même d’unité européenne. Pour cette raison, chaque membre de l’Union Européenne (UE) contribue en fonction de ses moyens à un budget partagé qui est ensuite redistribué aux territoires et populations les moins favorisés. Cette politique de solidarité est une des quatre priorités européennes avec le marché unique, l’Euro et l’agriculture. La politique de cohésion a été entérinée dans les traités avec l’adoption de l’Acte Unique Européen (1986). Les objectifs de la politique régionale européenne (art. 130a) sont alors : « la communauté aura pour but de réduire les disparités entre les niveaux de développement des différentes régions et les retards des territoires les moins favorisés, dont les régions rurales ».
A travers trois générations de programmes de fonds structurels (1988-1993/1994- 1999/2000-2006), l’Union a investi depuis 1988 environ 480 milliards d’euros pour les régions « en retard » (ou « les moins favorisées »). Avant l’élargissement, les principaux bénéficiaires de l’aide étaient la Grèce, le Portugal, l’Irlande, les nouveaux « Länder » de l’Allemagne de l’Est, l’Italie (Mezzogiorno) et l’Espagne. Ensuite, différents types d’application des programmes ont vu le jour selon les pays. En France, par exemple, les Contrats de Plan Etat Région (CPER) ont été largement inspirés de ces programmes européens. Le CPER définit les actions que l’Etat et la Région s’engagent à mener conjointement sur les quelques années de la période considérée et les conditions de suivi et d’évaluation de sa mise en œuvre. En particulier, ces contrats ont permis aux régions françaises et plus directement aux territoires de profiter de financements pour mener à bien des projets de développement. Ainsi le volet territorial des CPER, l’une des innovations majeures des contrats de plan 2000-2006, permettait d’appuyer la politique d’aménagement du territoire sur des organisations territoriales présentant une réelle pertinence géographique, économique et sociale.
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Table des matières
Remerciements
Introduction
Première Partie – L’ère de la compétitivité : favorable à une évolution des modèles d’aménagement du territoire
I. L’aménagement du territoire « à la française »
1. Histoire de l’aménagement du territoire en France : lutter contre les inégalités spatiales en renforçant la solidarité entre les territoires
2. Les conséquences de cette spécificité française
II. La naissance de la notion de compétitivité en Europe : prise de conscience et bouleversement
1. La nécessité pour l’Union Européenne de répondre aux mutations économiques actuelles
a. L’idée d’une unité européenne à travers la cohésion
b. La stratégie de Lisbonne : le concept de compétitivité né d’un besoin de réforme
2. La cohésion européenne face au défi de la compétitivité
a. La compétitivité, entre théorie et pratique
b. Des enjeux à toutes les échelles
3. Une politique régionale redéfinie
a. Des tensions inhérentes entre les différents objectifs
b. L’uniformisation des politiques nationales de compétitivité
III. La volonté de l’Etat français de conduire une nouvelle politique d’aménagement du territoire
1. Eléments contextuels de la mise en place des pôles de compétitivité
2. Stratégie élaborée en accord avec la nouvelle politique industrielle
Deuxième partie – La stratégie française d’aménagement du territoire en mutation à l’echelle nationale
I. La politique des pôles de compétitivité : un des symboles du renouveau
1. Caractéristiques des pôles de compétitivité
a. Fonctionnement et financement des pôles
b. Eléments de compréhension
c. La place définie des collectivités dans la démarche
2. Exemples de pôles
a. Végépolys : pôle à vocation mondiale
b. Cosmetic Valley : pôle national
c. S²E² : pôle national
3. Implications pour les territoires
a. Un nouveau rayonnement économique
b. Les pôles de compétitivité, territoires de projet ?
II. Rupture ou suite logique de l’aménagement dit « à la française »
1. Renouveau de l’antagonisme politique industrielle / aménagement du territoire ?
2. Des évolutions « institutionnelles »
3. Une remise en cause des principes à relativiser
a. Une répartition mise à mal
b. Une création favorisée par les pôles de compétitivité
c. Une stratégie : « anticiper pour ne pas avoir à réparer »
d. Des éléments de compensation
Troisième Partie – La stratégie française d’aménagement du territoire en mutation à l’échelle des collectivités locales
I. Les pôles de compétitivité moteurs d’une nouvelle dynamique territoriale 66
1. Compétitivité et aménagement des territoires
a. Structuration du territoire
b. Stratégies locales de développement économique
2. Dans quelle mesure les collectivités territoriales se sont-elles emparées d’une démarche engagée par l’Etat ?
a. Pôles de compétitivité : la dimension régionale
b. Un soutien important des agglomérations aux pôles
3. Apparition d’une concurrence entre les territoires ?
II. Les collectivités à l’épreuve d’une solidarité territoriale reconsidérée
1. De nouveaux débats qui vont naître des changements apportés par la compétitivité
a. Réciprocité des enjeux ?
b. Adaptabilité des collectivités impliquées dans les clusters ?
2. Perspectives d’avenir : les solutions à envisager pour faire de la compétitivité un facteur de cohésion
a. Proposer une nouvelle stratégie de développement des territoires ruraux
b. Evaluer pour mieux préparer l’avenir
c. Aider les acteurs à travailler ensemble
Conclusion
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