La médecine est une science qui ne cesse d’évoluer et les avancées thérapeutiques des dernières décennies soulèvent de nouveaux enjeux médicaux. Aux bénéfices d’un meilleur contrôle de la maladie sous immunosuppresseurs, d’une guérison au prix de chimiothérapies intensives ou de thérapies ciblées, s’ajoutent les risques infectieux liés à l’immunodépression induite, ou innée. Les polynucléaires neutrophiles jouent un rôle majeur dans l’immunité innée en attaquant les agents bactériens et fongiques, déclenchant ainsi une cascade proinflammatoire au site de l’infection. Une neutropénie, qualitative ou quantitative, expose ainsi les patients immunodéprimés à un risque d’infection bactérienne et/ou fongique grave.
L’altération de la fonction immunitaire peut être congénitale, comme cela se retrouve chez les enfants présentant un déficit immunitaire combiné sévère ou bien une granulomatose septique. Elle peut également être secondaire aux corticothérapies prolongées, aux cancers (hématologiques en particulier), aux chimiothérapies, à l’utilisation d’immunodépresseurs au long cours, et aux greffes (de moelle ou d’organe). Cependant, les niveaux d’immunodépression ne sont pas les mêmes pour tous ces patients. Dans cette population hétérogène, une augmentation en nombre et en durée des épisodes de neutropénie fébrile est constatée .
En cas de neutropénie fébrile, les bactériémies sont les infections les plus fréquemment documentées (jusqu’à 22%) . Les complications infectieuses demeurent la cause majeure de morbidité chez ces enfants immunodéprimés . Ces épisodes infectieux allongent la durée moyenne d’hospitalisation, impactant la qualité de vie des patients et de leurs familles. Les soins engendrés ne sont pas dénués de risques : infections nosocomiales, effets secondaires et toxicité des antibiotiques, retard dans les protocoles de chimiothérapie… Ces épisodes infectieux entraînent un surcoût médico-économique .
Dans les pays développés, la mortalité liée à ces infections bactériennes demeure basse. Dans son étude prospective multicentrique, réalisée dans 8 instituts d’oncologie pédiatrique allemands et suisses, de 2007 à 2010, Ammann et al. rapportent 3 décès (1,8% ; 3/179) attribuables aux septicémies. Un des pathogènes identifiés était un Enterobacter cloacae sécréteur de bêtalactamase à spectre élargi résistant au traitement de première ligne par pipéracilline – tazobactam et gentamicine . Une étude plus ancienne de L’European Organisation for Research and Treatment of Cancer (EORTC) comparant les bactériémies chez les enfants et les adultes immunodéprimés rapporte une mortalité liée aux infections de 1% chez les enfants contre 4% chez les adultes (p=0,001) .
Pour mémoire, les infections fongiques opportunistes (Candida, Aspergillus, Mucorales) peuvent également être à l’origine de tableaux sévères chez ces enfants immunodéprimés, notamment pour ceux ayant une neutropénie profonde et prolongée. En cas d’infection invasive à Aspergillus, le taux de survie était de 58% (étude de 2001-2010) dans une étude française . Ce taux chutait drastiquement en cas d’infection mucorale. Une origine infectieuse virale ou encore parasitaire ne doit cependant pas être oubliée en fonction du contexte clinique. De plus en plus de pédiatres sont amenés à prendre en charge ces épisodes fébriles, voire infectieux, dans cette population hétérogène d’enfants immunodéprimés. L’objectif étant de soigner, tout en minimisant l’échec clinique, la toxicité thérapeutique et la sélection de souches bactériennes résistantes.
DEFINITIONS
Il faut dans un premier temps identifier et définir ces situations à risque. A l’heure actuelle, il n’existe pas en France ou à l’international de consensus exact sur la définition de Neutropénie Fébrile (NF) chez ces enfants immunodéprimés . Selon l’Infectious Diseases Society of America (IDSA), la neutropénie fébrile (NF) est définie par une température orale ≥ 38,3°C une fois, ou bien ≥ 38°C pendant une durée > 1 heure. Le chiffre de polynucléaires neutrophiles (PNN) doit être inférieur à 500/mm3 ou pouvant le devenir dans les prochaines 48 heures. Pour la Société Européenne d’Oncologie Médicale (ESMO), la NF associe une fièvre > 38,5°C en une seule prise ou > 38°C en deux prises à un intervalle de deux heures, associée à un compte de PNN inférieur à 500/mm3 ou pouvant le devenir . Le risque d’infection devient majeur si les PNN sont < 100/mm3 .
EPIDEMIOLOGIE
Seules 40 à 50% des NF sont d’origine infectieuse, et 10 à 30 % seront documentées par une bactériémie . Toutefois, l’introduction d’une antibiothérapie probabiliste à large spectre demeure une urgence. Il n’existe pas à ce jour de test clinico-biologique sensible et spécifique permettant de différencier les NF bactériémiques des autres. Le choix d’un traitement empirique exige d’une part une connaissance fine et actualisée du spectre microbiologique en cause dans les septicémies des patients immunodéprimés. D’autre part, il faut identifier les facteurs de risque propres à l’hôte : portes d’entrée infectieuses (muqueuses ORL et digestives, voie veineuse centrale), antécédents de portages ou de bactériémies à germes multi-résistants, compétences immunologiques de l’hôte (pathologie sous jacente, phase de chimiothérapie, profondeur et durée de la neutropénie, existence d’une réaction du greffon contre l’hôte en cas de greffe). Chez cette population, les bactéries responsables de septicémies sont souvent issues de leur propre flore (nasopharynx, intestin, peau) constituant un réservoir endogène et exogène .
L’épidémiologie des agents pathogènes responsables des bactériémies est en constante évolution géographique et temporelle. Depuis les années 1970, on observe en Europe, un glissement du spectre bactérien des septicémies chez les patients atteints de neutropénie fébrile, des Gram-Négatifs (GN) aux Gram-Positifs (GP) . Les staphylocoques à coagulase négative (CoNS) sont majoritaires, dont plus de la moitié sont résistants à la méthicilline. Les causes de cette modification écologique sont plurifactorielles : l’utilisation d’antibiothérapie prophylactique, la décontamination digestive, la présence de voies veineuses centrales au long cours, l’altération de la barrière cutanéomuqueuse (mucites) induite par les chimiothérapies de plus en plus agressives, l’utilisation d’antibiotiques à large spectre sélectionnant les Cocci Gram-Positifs (CGP). Concernant les bactéries à Gram Négatifs (BGN) , Escherichia coli est la plus fréquemment identifiée dans les bactériémies symptomatiques, devant les entérobactéries et Pseudomonas aeruginosa (6-7% selon les études) . De récentes études menées en Allemagne, aux Pays-Bas et en Suisse sur les bactériémies lors de NF, ont montré des taux bas de bactéries multi résistantes aux antibiotiques utilisés en routine (Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline, entérocoques résistants à la vancomycine, BLSE) .
Toutefois les bactéries circulent facilement à l’ère de la mondialisation et des transports aériens : il faut donc s’intéresser également à l’épidémiologie bactérienne des autres continents. Avec 70% de la population mondiale vivant en Asie/Pacifique, cette région est devenue un épicentre des résistances bactériennes. Une étude sur les bactériémies, menée en Inde en 2013 dans une unité d’oncologie pédiatrique, rapporte des taux alarmants de bactéries multirésistantes. Soixante-et-onze pour cent des pathogènes identifiés étaient des GN avec 24% de bactéries sécrétrices de bêtalactamases à spectre élargi (BLSE) et 26,9% de résistances aux carbapénèmes. La moitié des Klebsielle était résistante aux carbapénèmes (probablement NDM-1) ; 41,6% des staphylocoques dorés étaient résistants à la méthicilline . Une étude italienne publiée en 2014 est également alarmante. Caselli et al. ont réalisé une étude rétrospective multicentrique (2000-2008) dans 12 centres d’oncologie pédiatrique. Cent-vingt-sept enfants avaient une bactériémie à Pseudomonas aeruginosa. : 31% (39/127) des souches étaient multi-résistantes (résistance à la pipéracilline, aux céphalosporines, aux carbapénèmes et aux fluorochinolones). La mortalité était de 36% (14/39) en cas de résistance bactérienne aux antibiotiques contre 13% (11/88) en l’absence de résistance.
ANTIBIOTHERAPIE
L’antibiothérapie probabiliste initiale doit donc être adaptée au niveau d’immunodépression ainsi qu’à cette nouvelle écologie : elle doit couvrir les pathogènes majoritaires : les GP, tels que les staphylocoques CoNS et les streptocoques du groupe viridans. Cependant, à cause de la morbidité et de la mortalité élevée associée aux bactériémies à GN, l’antibiothérapie probabiliste doit également couvrir ces pathogènes. En effet en cas de NF et bactériémie à GN, la mortalité peut atteindre 70% .
Il existe peu de recommandations mais de nombreux protocoles locaux concernant le choix de la stratégie antibiotique en cas de survenue d’aplasie fébrile en pédiatrie. En 2012 et 2017, un panel international d’experts en oncologie pédiatrique et en maladies infectieuses ont rédigé des recommandations concernant la prise en charge des neutropénies fébriles chez des enfants atteints de cancer et/ou bénéficiant d’une greffe de cellules souches hématopoïétiques . Ce travail avait pour objectif d’établir des recommandations solides pour la prise en charge pédiatrique des neutropénies fébriles. Il existe en effet une hétérogénéité dans les pratiques françaises concernant la prise en charge initiale des neutropénies fébriles. . Ces recommandations proposaient chez les patients à haut risque de NF l’usage d’une monothérapie à large spectre (bêtalactamine active sur le Pseudomonas : carbapénème ou céphalosporine de 4ème génération) en première intention en l’absence de sepsis (recommandation forte). Un second antibiotique actif sur les agents GN ou un glycopeptide doit-être administré dans les formes septicémiques/instables ou bien dans les unités à haut taux de résistances bactériennes. En effet, une revue systématique des études cliniques randomisées en cas de NF (3 études avaient des patients à haut risque de NF) comparant une monothérapie vs une combinaison avec adjonction d’un aminoglycoside ne montrait pas de différence significative en terme d’échec thérapeutique et de mortalité. Lorsque le risque de NF est faible, ils recommandent (recommandation faible) une antibiothérapie orale.
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Table des matières
I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME