Introduction
L’obésité et le surpoids touchent de nombreux adolescents : en 2015, l’étude ESTEBAN rapporte qu’en France 19% des garçons et 15,1% des filles de 11-14 ans sont en surpoids ; ainsi que 8,9 % des garçons de 15-17 ans et 13,1 % des filles. (1) La persistance de l’obésité à l’âge adulte pour un adolescent post pubère varie de 50 à 70 % (2), d’où l’importance de le prendre en charge rapidement. Les complications à l’adolescence sont principalement liées à la discrimination et à la stigmatisation, avec notamment une diminution de l’estime de soi et une baisse de moral. (3) Le médecin généraliste (MG) est au centre de cette prise en charge mais dispose de peu d’outils et se sent souvent inefficace et impuissant face à cette problématique. (4) Les recommandations internationales et nationales préconisent une éducation thérapeutique du patient (ETP) dès le diagnostic de surpoids ou d’obésité, pour permettre à l’adolescent de gagner en autonomie et aider les parents à développer leurs compétences parentales. (2) L’entretien motivationnel (EM) est particulièrement adapté pour les prises en charge qui nécessitent un changement de comportement du patient. D’abord employé en addictologie, il est maintenant utilisé dans de nombreux domaines dont celui de l’obésité et du surpoids. Les études réalisées sur l’efficacité de l’EM dans la prise en charge du surpoids ou de l’obésité sont peu concluantes à causes de nombreux biais (5–7). D’après un travail de thèse récent consistant en une revue de littérature sur l’EM appliqué au surpoids et à l’obésité chez l’enfant et l’adolescent, il semblerait que l’EM entraine des effets positifs sur les comportements, l’adhésion au suivi et la satisfaction des parents et du soignant (8). Le ressenti des soignants pratiquant l’EM dans cette prise en charge a été peu exploré. Afin d’améliorer la prise en charge de l’obésité et du surpoids de l’adolescent, il nous a paru intéressant d’accéder aux représentations et expériences des médecins généralistes et infirmières ASALEE (Action de Santé Libérale En Équipe) (IA) sur ce sujet. L’objectif principal de cette étude était d’explorer la perception des soignants sur l’utilisation de l’EM dans la prise en charge du surpoids ou de l’obésité chez l’adolescent, en soins primaires. Les objectifs secondaires étaient d’évaluer la place de la famille dans cette prise en charge et l’apport de l’EM d’un point de vue personnel pour le soignant.
L’EM, un outil adapté – et adaptable- chez l’adolescent en surpoids ou obèse
Bien qu’il soit utilisé plus fréquemment chez l’adulte, l’EM était particulièrement pertinent chez l’adolescent pour la majorité des participants : « Tous les outils invitent à un ton, une manière et un non-jugement qui est extrêmement bien adapté au dialogue avec les ados.” (M7) L’autonomie et la responsabilité que l’EM procurait renforçaient sa pertinence : “à lui de se prendre en charge en tant que patient, et de le responsabiliser” (M12). Certains outils étaient plus appropriés comme les reflets, les reformulations, alors que les questions ouvertes étaient moins utilisées : “on peut se retrouver face à des murs sur les questions ouvertes” (M11). L’objectif de la prise en charge de l’adolescent en surpoids ou obèse était le bien-être psychosocial de l’adolescent “ en EM on va beaucoup se baser sur les ressentis de l’adolescent (…) plutôt que quelque chose de très figé sur l’alimentaire (…), on va passer plus de temps sur la santé mentale que chez un enfant parce qu’ils sont dans une période où ils sont en recherche de personnalité, c’est une période (…) complexe de la vie” (IDE 2). En facilitant l’abord de l’intimité et de l’image corporelle, l’EM aidait à atteindre cet objectif. L’EM permettait un travail exploratoire, qui aidait le soignant à comprendre le mode de vie de l’adolescent et ses ressources, et donc de trouver ensemble des objectifs adaptés à l’adolescent : “y’a un panier de basket qui est dehors (…), essayer de voir s’il ne peut pas aller jouer un peu plus (…), il a mis en place tout ça doucement plutôt que rester dans sa chambre à jouer devant sa console” (IDE 3).
La satisfaction professionnelle des soignants grâce à l’EM
L’EM donnait le sentiment au soignant d’une amélioration de la qualité de prise en charge, ce qui participait à une meilleure qualité de vie professionnelle. L’EM était un outil supplémentaire à proposer à leur patient et une alternative à la prise en charge classique : “l’impression de ne pas être impuissant quoi, de faire autre chose que de dire «il faut maigrir, vous êtes en surpoids », (…) et d’éviter de donner une simple invective” (M7). L’EM permettait aux soignants de voir où en était le patient dans le processus de changement, et de s’adapter à la phase dans laquelle il se situait, ce qui diminuait leur sentiment d’échec : « Se dire (…) est-ce qu’il est en contemplatif, en pré contemplatif, en actif et là comment je peux renforcer le fait qu’il soit actif, ou il a reculé d’un step comment on peut reprendre ? (…) dans la durée je pense que l’EM peut vraiment nous soutenir (…) à pas se décourager non plus (…). Ça aide à pas se sentir en échec ». (M13) L’utilisation de l’EM en consultation améliorait leur satisfaction professionnelle : “il y a un ressenti au niveau de la consultation qui est agréable et satisfaisant sur le moment.” (M4) Ils se sentaient moins responsables d’un échec de prise en charge et étaient moins frustrés “l’EM ça aide aussi bien le médecin à gérer ce côté (…) agacement. (…). Le patient (…) a dit de lui-même ce qu’il fallait qu’il change dans son alimentation. (…) Donc (…) ça apporte aussi pour le médecin, peut-être moins de frustration “. (M4) Et de manière plus générale, l’EM les apaisait : “l’EM j’ai l’impression que ça me détend. Enfin c’est quelque chose qui ne me sature pas” (M3).
L’EM vient compléter les outils du soignant
Les médecins généralistes se disent démunis face à la prise en charge des adolescents en surpoids ou obèses (9). Les participants identifiaient l’EM comme un outil additionnel dans cette prise en charge. Il leurs permettait d’instaurer une relation de confiance et de fixer avec l’adolescent des objectifs atteignables. Ils décrivaient une majoration de l’estime de soi et de la motivation intrinsèque des patients. Ces facteurs ont déjà été identifiés comme moteur de perte de poids pérenne dans une étude qualitative réalisée aux États-Unis auprès d’adolescents (10). Une méta analyse publiée en 2018 retrouvait également des résultats qualitatifs sur les effets positifs de l’EM sur la nutrition, l’activité physique et la qualité de vie. (11) Cependant elle ne retrouvait pas d’effet statistiquement significatif de l’EM sur l’IMC chez les adolescents. Une méta-analyse publiée en mars 2022 ne retrouve aucune preuve sur l’efficacité de l’EM dans la prise en charge de l’obésité, mais celle-ci n’a analysé que peu d’études d’une durée de plus de 12 mois et trop peu d’études ont été incluses pour évaluer les effets sur le bien être psychologique.
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Table des matières
I. Introduction
II. Matériel et méthodes
a) Population et recrutement
b) Recueil de données
c) Analyse des résultats
III. Résultats
a) Description de l’échantillon (tableau 1)
b) L’EM, un outil adapté – et adaptable- chez l’adolescent en surpoids ou obèse
c) L’EM favorise l’inclusion de la famille dans la prise en charge
d) La satisfaction professionnelle des soignants grâce à l’EM
e) L’utilisation de l’EM nécessite des conditions optimales
f) L’infirmière ASALEE, une aide précieuse pour le MG
IV. Discussion
a) L’EM vient compléter les outils du soignant
b) L’abord de la santé mentale facilitée
c) L’inclusion de la famille, des avis divergents
d) L’EM étroitement lié au psychisme du soignant
e) Forces et limites de l’étude
V. Conclusion
VI. Bibliographie
VII. Annexes
a) Résumé en français
b) Résumé en anglais
c) Tableau de verbatims
L’EM favorise l’inclusion de la famille dans la prise en charge
La satisfaction professionnelle des soignants grâce à l’EM
L’utilisation de l’EM nécessite des conditions optimales
L’infirmière ASALEE, une aide précieuse pour le MG
d) Mail envoyé aux médecins et infirmières formés à l’EM
e) Guide d’entretien : Première version
f) Guide d’entretien: dernière version
g) Questionnaire: données socio-démographiques des participants
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