L’entrée de la géométrie dans le monde scolaire 

« Apprends-moi à faire seul », Maria Montessori

Maria Montessori a été la première femme médecin en Italie au début du XXe. Son observation d’enfants issus de milieux sociaux variés lui a permis d’établir les conditions favorisant le bon développement de l’enfant. Elle a ainsi mis en place la pédagogie Montessori. Dans son raisonnement, l’enfant naît avec toutes les clefs en main, le rôle de l’adulte est de créer un environnement qui lui permettra d’exprimer sa volonté de réussir.
Cette pédagogie est dite active puisque l’enfant construit son savoir dans un environnement adapté et accompagné de l’adulte. L’apprentissage passe par l’expérimentation, c’est pourquoi Maria Montessori prône la manipulation d’objets, elle permet de travailler tous les sens lors des phases d’apprentissage. Elle a donc créé des objets utiles pour ce qu’elle nomme « l’éducation des sens ». Le matériel issu de cette pédagogie est constitué d’objets colorés, sonores, plus ou moins lourds, et de tailles variées. L’enjeu de la manipulation et du travail dans un environnement adapté, c’est-à-dire où les jeux/objets sont accessibles pour des enfants, est de développer leur autonomie. Par exemple, pour un travail en géométrie autour de la reconnaissance des formes, la pédagogue a construit des emboitements géométriques car selon elle « l’association du sens tactilo-musculaire au sens visuel aide beaucoup à la perception des formes et en fixe la mémoire » (M. Montessori, traduction de 1970).

Célestin Freinet

La pédagogie Freinet a été instaurée par Célestin Freinet, instituteur dans la première moitié du XXème siècle. Elle met l’élève dans une position d’acteur dans ses apprentissages. Elle repose sur plusieurs principes : l’importance de la libre expression ; des activités artistiques ; et l’expérimentation grâce à la mise en place de projets menés à partir des centres d’intérêts des élèves, les plaçant ainsi dans de vraies situations. Alors, la place de l’enseignant évolue : il responsabilise l’élève et il ne donne plus que des conseils pour la réalisation du projet.

La place de la manipulation dans les textes officiels

La Loi de refondation de l’École a fait de la maternelle un cycle unique, elle prône sa place fondamentale dans la scolarité des élèves. C’est une école bienveillante qui établit « les fondements éducatifs et pédagogiques sur lesquels s’appuient et se développent les apprentissages des élèves pour l’ensemble de leur scolarité ».
Le Bulletin Officiel de l’Éducation Nationale, numéro 31, de Juillet 2020 présente l’école maternelle comme une école « aux modalités spécifiques d’apprentissage ».
En effet, les activités proposées à l’école maternelle offrent de multiples expériences sensorielles et motrices. L’enseignant varie les supports (objets, jeux, livres).
Les situations sont adaptées aux élèves en fonction de leurs capacités, leurs limites, leurs motricités.
En maternelle, les mains des élèves servent toute la journée : elles servent à « apprendre en jouant ». Le jeu permet d’enrichir les expériences des élèves dans tous les domaines d’apprentissage. C’est un moyen pour l’enseignant d’observer ses élèves dans un contexte libre (les jeux libres) ou en ateliers lorsqu’il propose un jeu en lien avec un apprentissage spécifique. Un jeu peut prendre plusieurs formes : jeux collectifs, jeux symboliques, jeux fabriqués, jeux d’exploration, jeux de construction et de manipulation et jeux de société. Ainsi, le jeu et la manipulation sont intimement liés.
L’enseignant de maternelle doit donc mettre en place des situations d’apprentissage qui vont permettre aux élèves d’établir les caractéristiques des objets qu’ils manipulent. On remarque que la manipulation et son utilisation pédagogique viennent illustrer les propos de Jean Piaget. En effet, il pense que l’action sur les objets permet la construction de l’intelligence de l’enfant.

Les apports de la manipulation

Pour l’enseignant, la manipulation est un outil permettant de mettre au travail facilement et rapidement, de gérer l’hétérogénéité d’une classe ou d’un niveau et de donner des outils de résolution. L’enseignant peut également constater l’avancée d’un élève et observer son raisonnement. C’est un temps précieux, notamment en maternelle, puisque l’enseignant peut également remarquer un éventuel trouble moteur ou un comportement inadapté à un système scolaire « classique ».
Pour l’élève, la manipulation répond à un besoin sensoriel très présent en maternelle.
Elle permet de s’adapter aux différentes manières de penser des élèves et de les laisser répéter plusieurs fois. Ainsi, la manipulation développe l’autonomie des élèves, donne une place positive aux erreurs et le libère de l’aspect graphique qui n’est pas nécessaire en mathématiques en maternelle. François Boule, dans Manipuler, organiser, représenter – prélude aux mathématiques (1985), dépeint le jeu et donc la manipulation comme une « source de motivation suffisante » pour les élèves en maternelle. Elle permet aux enseignants de susciter l’enrôlement des élèves c’est à dire qu’elle favorise l’adhésion des élèves dans la tâche demandée (J. Bruner, 1983).

Les apports grecs

Le terme « géométrie » est un terme issu du grec : « géo- » signifie la terre, et « -métrie » renvoie à la mesure. Littéralement, la géométrie est donc la « mesure de la terre » en grec. Ce qui était, à ses débuts, une science déductive, c’est-à-dire faites d’hypothèses et de déductions, la géométrie évolue avec les 13 livres d’Euclide, Les Éléments. Cette œuvre définit la géométrie euclidienne.
Deux écoles marquent l’Antiquité : la Fraternité pythagoricienne de Crotone à laquelle on attribue notamment la découverte de la racine carrée de deux ; et l’École d’Alexandrie fondée en 331 avant J.C. où Euclide a rédigé son ouvrage.

L’apport d’autres civilisations

Le monde arabe a également contribué aux avancées scientifiques principalement en Orient et au Moyen-Orient. Les œuvres hellénistiques sont traduites et développées. De nouvelles méthodes de calculs d’aires et de volumes apparaissent et les connaissances en trigonométrie progressent.
En Occident, les universités sont en plein essor à l’époque médiévale. Ce sont dans ces lieux que les connaissances scientifiques se diffusent. La géométrie projective ne se développera qu’à la Renaissance lors des échanges entre l’Orient et l’Occident.
Elle naît en même temps que la perspective et est la source d’un besoin en dessin et en peinture de représenter la nature de façon réaliste (telle qu’on la voit). Pierro della Francesca (1412-1492) rédige De prospectiva pingendi à la manière d’un traité géométrique, destiné aux peintres.

La géométrie euclidienne

La géométrie euclidienne est issue de l’œuvre d’Euclide, Les Éléments. Elle est composée de 13 livres et elle est construite à partir de postulats, d’axiomes, de définitions, de propriétés et de théorèmes. La géométrie euclidienne est l’étude des figures (tridimensionnelles et planes) et des transformations. Cette définition pose la question de la place des formes. En effet, la géométrie est une modélisation de la réalité immédiate. Cependant, elle ne porte pas sur des objets matériels. La figure géométrique est un objet de la géométrie euclidienne ; elle se différencie d’une forme géométrique. Cette dernière est une classe de figures géométriques. En effet, les formes géométriques regroupent toutes les figures géométriques qui sont un agrandissement ou une réduction d’une même forme. Par exemple, un triangle isocèle (non équilatéral) et un triangle équilatéral ne représentent pas la même forme géométrique. En revanche, deux triangles équilatéraux représentent la même forme géométrique puisqu’en réalisant un agrandissement ou une réduction, on obtient toujours un triangle équilatéral.
La maternelle prépare au travail de la géométrie euclidienne en faisant réfléchir et visualiser les élèves. Elle permet d’ancrer des petites notions dans l’esprit des jeunes élèves telles que la reconnaissance des formes.

L’entrée de la géométrie dans le monde scolaire

La transmission des connaissances géométriques est millénaire. Elle était, dans un premier temps, réservée aux élites grecques, occidentales et orientales. A l’époque médiévale, dans l’ancienne France, les hommes de bonnes familles fréquentaient l’université. La géométrie faisait partie d’un ensemble de notions appelé « quadrivium » au même titre que la musique, l’astronomie et l’arithmétique.
A la fin du XIXe, l’École devient une institution de plus en plus accessible même si l’enseignement dispensé est différent. La géométrie fait son entrée dans les instructions officielles à cette époque, en étant enseignée de manière intuitive et pratique. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre Mondiale que l’observation et la manipulation apparaissent dans le domaine de la géométrie.
En 1985, les programmes d’enseignement évoquent le passage de l’espace au plan.
La circulaire ministérielle de juin 1986 sur les « activités géométriques » vient compléter les programmes des classes élémentaires. Ce n’est qu’en 1995 que les programmes de maternelle voient apparaitre le terme de géométrie. Cette année-là les programmes effleurent l’idée de travailler la géométrie de manière « non verbale ». Ils reprennent les idées d’activités de 1986 : la reconnaissance, la construction, la description et les différents types d’espaces. On remarque que ce sont les verbes que l’on retrouve actuellement dans les programmes de maternelle : « reconnaître », « construire », « décrire ».
Les programmes de 2002 et 2008 viennent illustrer les activités réalisables en maternelle : c’est alors qu’apparaît la mention « reproduction de formes simples ».

La position prototypique

Chaque catégorie de formes possède des exemplaires très représentatifs avec une majeure partie des caractéristiques de la catégorie, et des exemplaires moins représentatifs. Parmi les exemplaires représentatifs, il y a la forme représentera le « type » de la catégorie, une sorte de « chef de famille » . Ce représentant type est donc le prototype de la catégorie : il a le plus de propriétés communes avec les exemplaires représentatifs et le moins avec les autres.
En suivant ce raisonnement, le prototype prend en compte le rapport entre les différentes longueurs des côtés ainsi que la position spatiale de la figure. Par exemple, en prenant un document « élève » : un carré dont les côtés sont parallèles aux bords de la feuille est un carré en position prototypique (cf. Figure 1). C’est la position la plus connue et reconnue par les élèves. En revanche, à partir de cet exemple, le carré dont ses diagonales sont parallèles aux bords de la feuille, est toujours un carré. Dans ce cas, certains élèves peuvent l’associer, à tort, à un losange (non carré) (cf. Figure 2).

Problématique et hypothèses

De nombreux travaux ont été réalisés sur la position prototypique des formes géométriques (L. Pinet et E. Gentaz, 2007), sur la contribution du système haptique pour la reconnaissance des figures géométriques chez les enfants de 5 ans (L. Pinet et E. Gentaz, 2008), ou encore sur l’aide que représente la manipulation pour l’apprentissage des concepts géométriques (G. Prigge, 1978). Les études se sont interrogées sur l’apprentissage des formes géométriques en maternelle et notamment sur la manière la plus efficace pour permettre leur reconnaissance. Il ressort de ces dernières que la manipulation est la méthode la plus efficace pour travailler l’apprentissage des formes en maternelle. Au regard de ces informations, ce travail de recherche a pour objet d’apporter des réponses à la problématique suivante : « Comment la manipulation favorise-elle l’apprentissage des formes géométriques en maternelle ? »

Méthodologie

Participants

L’expérimentation proposée a été mise en œuvre dans deux écoles maternelles rurales du nord du département de l’Indre.
A l’école maternelle La Poterne, la classe d’expérimentation fait partie du RPI (Regroupement Pédagogique Intercommunal) de Vatan. La classe compte vingtquatre élèves de grande section issus d’origine socio-culturelle variée, tous ne sont pas francophones. Dans cette classe, le niveau est très hétérogène :
– Un élève en attente d’un bilan psychologique probablement orienté dans un IME dès le CP (élève A) ;
– Six élèves sont suivis par un orthophoniste dont l’élève B ;
– Un élève bilingue français/roumain ;
– Une élève qui a de faibles bases en français puisqu’à la maison elle parle anglais et coréen (élève C) ;
– Quelques élèves à fort potentiel.
La classe est organisée en quatre groupes qui travaillent en fonction des besoins éducatifs de chacun :
– Le groupe des jaunes sont des élèves aux besoins éducatifs particuliers où l’enseignante s’adapte et différencie les supports et contenus d’apprentissage.
– Le groupe des verts et des bleus sont des groupes d’élèves hétérogènes avec des besoins éducatifs dans différents domaines.
– Le groupe des rouges sont des élèves qui ont des facilités avec les contenus d’apprentissage.
La seconde classe est le groupe témoin de grande section de l’école maternelle rurale Joseph Pêcherat de Levroux. Vingt-trois élèves ont été interrogés dans cette classe hétérogène de grande section : deux élèves maintenus à ce même niveau dont un en attente d’une place dans une classe ULIS-école.

Matériel

Dans cette étude, le choix du matériel a été une étape importante pour la réalisation de l’expérimentation puisque ce dernier a été manipulé par les élèves et a permis de construire leurs apprentissages. Pour cela, j’ai choisi d’utiliser un assortiment de formes géométriques issu de la mallette « La moisson des formes » et des formes de tangrams. J’ai opté pour ces deux supports afin d’avoir un large choix de formes, toutes différentes les unes des autres.
Dans ce corpus de formes, il y avait au total soixante-quatre formes :
– Seize rectangles ;
– Douze disques ;
– Douze carrés de tailles différentes ;
– Dix-huit triangles (huit triangles rectangles, cinq triangles équilatéraux et cinq triangles isocèles) ;
– Six formes « pièges ».
Ce sont des formes en plastique rigide qui ne peuvent pas être confondues avec des solides. Les soixante-quatre formes ont été manipulées en partie ou totalement par les élèves en fonction de l’activité demandée.

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Table des matières
Introduction 
Partie 1 : Cadre théorique
I. Le développement de l’enfant en classe de maternelle
1. Synthèse du développement cognitif des élèves de maternelle
2. Le sens haptique
3. Une exploration visuo-haptique
4. Les aspects langagiers
II. Pourquoi manipuler à l’école ?
1. Une définition généraliste
2. Une pratique au cœur de la pédagogie active
2.1 « Apprends-moi à faire seul », Maria Montessori
2.2 Célestin Freinet
3. La place de la manipulation dans les textes officiels
4. Le rôle de la manipulation
4.1 Trois arguments en faveur de la manipulation
4.2 Les apports de la manipulation
III. Vers les mathématiques, quel travail en maternelle ?
1. La géométrie : une branche ancienne des mathématiques
1.1 « Le don du Nil »
1.2 Les apports grecs
1.3 L’apport d’autres civilisations
1.4 La géométrie euclidienne
2. L’entrée de la géométrie dans le monde scolaire
3. Les programmes du cycle 1
4. Les figures géométriques étudiées
4.1 Cercle/disque, carré, rectangle, triangle
4.2 La position prototypique
4.3 Quel matériel pour les travailler ?
IV. Problématique et hypothèses
Partie 2 : Méthodologie 
I. Participants
II. Matériel
III. Protocole expérimental
1. Évaluations diagnostique et sommative
2. L’organisation de la séquence proposée
Partie 3 : Résultats
I. Description des formes géométriques
II. Reconnaissance des formes géométriques
1. La reconnaissance nominative
2. Discrimination du triangle et du rectangle
III. Cas d’élèves à besoins particuliers
1. L’élève A
2. L’élève B
3. L’élève C
Partie 4 : Discussion 
I. Analyse des résultats
1. L’acquisition d’un vocabulaire transitoire
2. L’enrichissement des connaissances des formes géométriques
3. La manipulation différenciée pour remédier aux difficultés langagières
II. Limites de l’expérimentation
Conclusion 
Bibliographie 
Annexes 

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