Appareillage théorique : l’entrée des petits dans la culture de l’écrit
Organisation et statut de l’école maternelle
L’école maternelle constitue souvent une transition entre la crèche (qui ne fait pas partie du système scolaire) et l’école élémentaire, avec laquelle elle forme l’école dite primaire. Elle se décompose en quatre niveaux liés à l’âge, certaines classes pouvant inclure plusieurs niveaux.
– La toute petite section ou TPS (2-3 ans)
– La petite section ou PS (3-4 ans)
– La moyenne section ou MS (4-5 ans)
– La grande section ou GS (5-6 ans) .
L’école maternelle est une étape essentielle du parcours des élèves pour garantir leur réussite scolaire. Sa mission principale est de donner envie aux enfants d’aller à l’école pour apprendre, affirmer et épanouir leur personnalité. C’est une école où les enfants vont apprendre ensemble et vivre ensemble. Ils y développent leur langage oral et commencent à découvrir les écrits, les nombres et divers autres domaines d’apprentissage. Ils apprennent en jouant, en réfléchissant, en résolvant des problèmes, en s’exerçant, en se remémorant et en mémorisant.
A l’école maternelle, les apprentissages sont organisés en cinq domaines d’apprentissages :
– mobiliser le langage dans toutes ses dimensions
– agir, s’exprimer, comprendre à travers l’activité physique
– agir, s’exprimer, comprendre à travers les activités artistiques
– construire les premiers outils pour structurer sa pensée
– explorer le monde .
Pour ce mémoire, nous nous intéresserons plus particulièrement au domaine1 : Mobiliser le langage dans toutes ses dimensions. En effet, le langage a une fonction d’expression de la pensée et de communication entre les humains, mis en œuvre par la parole ou par l’écriture.
Quelques points de repère sur l’entrée dans l’écrit à l’école maternelle
L’école maternelle, même la troisième année, ne possède pas comme objectif principal l’apprentissage même de la lecture et de l’écriture. Néanmoins, les professionnels du monde de l’éducation s’accordent à dire que l’école maternelle a un rôle à jouer dans les premiers contacts de l’enfant avec la culture de l’écrit. Ce rôle est d’autant plus crucial lorsqu’il s’agit d’enfants provenant de milieux socioculturels plus défavorisés. En effet, il apparaît que les milieux socioculturels plus favorisés apportent souvent, presque inconsciemment, à travers leurs habitudes de vie, une approche fonctionnelle du monde de l’écrit qui se révèle bénéfique aux premiers apprentissages. Mais qu’entend-on concrètement par « premiers contacts avec la culture de l’écrit » ? Nous pouvons envisager deux grandes compétences autour de l’écrit qui seront à acquérir par les élèves avant même d’apprendre formellement à lire et à écrire.
Tout d’abord, il y a la question des fonctions de l’écrit : Qu’est-ce que le monde de l’écrit ? A quoi cela sert-il de savoir lire ? A quoi cela sert-il de savoir écrire ? Quels sont les différents types d’écrit ? A quoi servent-ils ? Cette compétence permet aux enfants de donner du sens aux activités que sont la lecture et l’écriture. En effet, quand un enfant apprend à parler, il perçoit bien à quoi cela peut bien lui servir et très vite, il ressent l’expression orale comme un besoin. D’après une recherche de Christine Caffieaux (enseignante), Sophie Lecloux (conseillère pédagogique) et Sylvie Van Lint (institutrice primaire de formation) concernant l’entrée dans l’écrit à l’école maternelle, ressentir l’apprentissage comme un besoin donne du sens et apporte une motivation intrinsèque qui portera l’enfant tout au long de son apprentissage. En ce qui concerne l’apprentissage de la lecture, qui suppose un effort soutenu, l’enfant doit prendre conscience de ce à quoi cela va lui servir. L’enfant doit découvrir les enjeux individuels et sociaux de cette activité : dans notre société moderne, l’écrit est omniprésent et la lecture est devenue un outil totalement indispensable à l’intégration sociale et professionnelle de toute personne. De plus, les fonctions de l’écrit sont diverses (informative, imaginative, communicative, régulatrice,…) et chaque fonction privilégie un type de support, un type de mise en page, un champ sémantique déterminé, etc. A ce niveau, l’école maternelle a un rôle important à jouer. Dès l’entrée à l’école maternelle, l’enseignant peut, petit à petit, faire découvrir ces différentes fonctions. Cela commence par la lecture régulière d’histoires, d’affiches publicitaires, d’invitations, d’informations, ou encore l’utilisation du calendrier. En troisième année de maternelle, cette sensibilisation sera de plus en plus intensifiée. C’est autant la question de « l’envie » de lire qui est en jeu que la prise de conscience de l’omniprésence de l’écrit dans notre environnement.
La construction du concept d’écriture
Dès l’entrée à l’école, il est nécessaire voire primordial d’aider les enfants à se construire une représentation de l’acte d’écrire. L’acte d’écrire possède plusieurs fonctions : communiquer quelque chose que ce soit un vécu, une expérience, une histoire, à un destinataire absent. On parlera alors de boucle de communication : l’écrit est une production qui va être conçue pour être réceptionnée, lue et comprise par quelqu’un. Écrire sert également à laisser une trace pour organiser ses idées, ses actions mais aussi à garder en mémoire, se souvenir. Il est important de faire produire des écrits dès la maternelle dans le but de démystifier cette activité. Les enfants doivent prendre conscience que l’acte d’écrire est une activité de langage particulière incluant de nombreuses procédures. Il est nécessaire de montrer aux enfants la richesse, le pouvoir et le plaisir que procure l’acte d’écrire. Suite à la lecture des Instructions Officielles de la maternelle (2015), on peut noter qu’il appartient à l’école maternelle de donner une culture commune de l’écrit. Les enfants sont amenés à comprendre de mieux en mieux des écrits à leur portée, à découvrir la nature et la fonction langagière de ces tracés réalisés par quelqu’un pour quelqu’un, à commencer à participer à la production de textes écrits dont ils explorent les particularités. En fin de cycle, les enfants peuvent montrer tous ces acquis dans leurs premières écritures autonomes.
Les quatre stades d’Emilia Ferreiro
Emilia Ferreiro est une chercheuse d’origine argentine. Elle s’efforce, dès les années 70, d’adopter un point de vue scientifique à la fois centré sur le sujet apprenant et sur l’objet à apprendre. Elle note : L’essentiel de l’activité de l’enfant face à l’écrit est d’ordre cognitif, du domaine du « travail mental » : il convient d’étudier comment l’enfant parvient à connaître et à intégrer l’ensemble des règles constitutives du système de la langue écrite. Ce travail d’appropriation cognitive de l’écrit s’effectue progressivement comme une longue construction : il comporte une évolution. L’approche génétique cherchera à identifier les principales étapes jusqu’à l’acquisition de la lecture.
Dans une recherche menée au Mexique, E. Ferreiro a choisi de centrer son analyse sur les processus d’appropriation de la langue écrite par l’enfant, dans sa façon de concevoir le système d’écriture. Les conceptions que les enfants se constituent de l’écrit suivent une progression assez régulière. E.Ferreiro a appelé cette progression «évolution psychogénétique». Elle met en lumière plusieurs étapes.
Le stade pré syllabique
Le premier sous-stade est caractérisé par le fait que l’enfant ne fait aucun lien entre ce qu’il écrit et ce qui est dit. Au tout début, pour lui l’écriture est un dessin, c’est justement le rôle de l’école de construire la différence entre l’écriture et le dessin. Avec le temps et les différents dispositifs mis en place en classe (dictée à l’adulte, écrits fonctionnels), l’élève va prendre conscience qu’écrire sert à communiquer. En ce qui concerne le tracé, celui-ci est lié au sens que l’enfant donne. On voit d’abord une sorte de gribouillis mais pour l’enfant ce n’est pas un dessin, c’est de l’écrit (tracés figuratifs). Ensuite des lettres apparaissent au milieu des gribouillis. Les premières lettres qui apparaissent dans les productions d’écrit sont les lettres de son prénom.
Dans ce premier sous stade, le même tracé peut être utilisé pour des sens différents. Le même mot peut être écrit à l’aide de tracés différents d’un instant à l’autre. Le deuxième sous-stade est caractérisé par le fait que l’enfant commence à comprendre qu’il existe des liens entre l’oral et l’écrit, mais il ignore encore lesquels. Pour pouvoir lire des choses différentes, il a compris qu’il faut écrire des choses différentes. A ce stade, l’enfant utilise toutes les lettres qu’il connaît et il en invente au besoin. Il les combine dans des ordres variés, il n’y a toujours pas de correspondance entre les éléments sonores et les éléments graphiques. En revanche, il commence à y avoir des liens entre l’écrit et les aspects sémantiques : l’enfant pense que pour écrire par exemple «chat» il a besoin de plus de lettre que pour écrire «papillon» car le chat est plus gros que le papillon dans la réalité.
Le stade syllabique
Au stade syllabique, l’enfant établit la correspondance entre l’écrit et l’oral. Il va d’abord essayer une correspondance entre graphies et syllabes. A ce stade se produit un conflit : l’enfant écrit une seule lettre par syllabe. Par ailleurs, il a du mal à accepter qu’un mot puisse ne comporter qu’une seule lettre puisqu’il avait au préalable compris qu’écrire c’est tracer beaucoup de lettres variées. L’enfant a alors du mal à écrire un mot monosyllabique. L’enfant donne aux lettres une valeur syllabique. L’enfant apprend progressivement à contrôler et à anticiper la quantité de graphies puisqu’il met autant de graphies que de syllabes. A ce niveau, l’enfant écrit soit n’importe quelle graphie, soit une graphie correspondant à la voyelle ou à la consonne de la syllabe qu’il veut écrire.
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Table des matières
1. Introduction
2. Appareillage théorique : l’entrée des petits dans la culture de l’écriture
2.1. Organisation et statut de l’école maternelle
2.2. La construction du concept d’écriture
2.2.1. Les quatre stades d’Emilia Ferreiro
2.2.2. L’oral source d’écrit : la dictée à l’adulte
2.2.3. L’écrit « modèle » pour l’oral
2.2.4. L’approche physique de la lettre
2.3. Commencer à utiliser l’écrit
2.3.1. Différencier le dessin, le graphisme et l’écriture
2.3.2. Le geste d’écriture
3. Explicitation de la méthodologie
3.1. Protocole de recherche
3.2. Méthodologie de recueils de données
4. Analyse des recueils
4.1. Les représentations initiales d’élèves de Petite Section (PS) vis à vis de l’écrit
4.2. Une prise de conscience
4.2.1. …de l’existence de l’écrit
4.2.2. … et de la fonction de l’écrit
4.2.3. … par la manipulation
5. Conclusion
6. Bibliographie
7. Annexes
Annexe 1 : Transcription : Représentations initiales de l’écrit
Annexe 2 : La dictée à l’adulte
Annexe 3 : La manipulation de l’initiale
Annexe 4 : Un atelier de graphisme
Annexe 5 : Un simulacre d’écrit