L’enseignement, une «  renaissance  » professionnelle? Les enseignants débutants en situation de reconversion professionnelle

L’entrée dans le métier d’enseignant est bien souvent période cruciale. Les premières années de la carrière enseignante sont ainsi le temps d’une confrontation nécessaire entre les attentes que les aspirants à cette fonction ont pu avoir et une réalité bien souvent différente.

En effet, celui-ci va se trouver confronter, dans les premières années d’enseignement à des conditions de travail parfois difficiles (en termes d’horaires, d’affectation, de publics…) qui peuvent mettre à mal sa motivation à exercer le métier. En effet, comme le soulignent Pascal GUIBERT, Gilles LAZUECH et Franck RIMBERT, les nouveaux enseignants sont souvent confrontés à une précarité qu’ils qualifient « d’institutionnalisée ». En effet, ceux-ci sont plus souvent sujets à une grande mobilité géographique (70% des enseignants du second degré interrogés par les auteurs sont affectés à plus de 300 kilomètres de la localisation choisie initialement), ont un nombre de classe élevé (30% ont ainsi plus de 4 niveaux différents) et ont des charges de travail souvent conséquentes (40% déclarent travailler plus de 45 heures par semaine). Ces conditions, bien souvent imposées aux enseignants débutants, peuvent ainsi mettre à mal la motivation que peut avoir un enseignant débutant et être ainsi à l’origine d’une «désillusion » que ceux-ci peuvent éprouver par rapport au métier (« désillusion » qu’il conviendra d’objectiver et de quantifier).

De par ma situation personnelle, une catégorie de nouveaux professeurs du second degré m’intéresse tout particulièrement : celle des enseignants en reconversion professionnelle. Ceux-ci ont donc eu une expérience professionnelle précédente autre que l’enseignement et ont décidé de se réorienter durant leur vie active pour différentes raisons.

Constats et questionnements

Des reconversions en augmentation

Pour élaborer mon questionnement et mon sujet de réflexion je suis parti d’un premier constat. Faisant parti d’une Ecole Supérieure du Professorat et de l’Enseignement (ESPE), je me suis rendu compte qu’une part non négligeable d’étudiant en première année de master était, moi y compris, en reconversion professionnelle. Je me suis donc intéressé à cette particularité que je trouvais moins prégnante chez les enseignants des générations précédentes.

Dans leur ouvrage, « Faire ses classes, L’insertion professionnelle des professeurs du second degré » , Pascal GUIBERT, Gilles LAZUECH et Franck RIMBERT analysent à l’aide d’une cohorte d’enseignants en début de carrière les conditions d’exercice auxquelles ceux-ci sont confrontés. Même si ceux-ci, comme tout échantillon statistique ne constitue pas un échantillon représentatif de la totalité des enseignants du second degré, il permet toutefois, selon les auteurs d’en avoir une bonne représentation statistique. Ainsi près d’un tiers de leurs enquêtés ont un passé professionnel significatif.

Le constat formulé dans cet ouvrage semble être corroboré par le rapport «Attractivité du métier d’enseignant » initié par le CNESCO (Centre national d’Evaluation du Système Scolaire) et publié en Novembre 2016 . En effet, selon les conclusions de ce rapport, l’âge moyen des lauréats du concours externe de professeur des écoles (CRPE) est de 28,2 ans. Cet âge est similaire pour les lauréats du CAPES externe. Il est à noter que cet âge était 26,4 ans en 2006. Cette évolution, bien que grandement due à la masterisation de la formation du métier d’enseignant, témoigne néanmoins d’un accès relativement tardif à la profession et donc qu’une part significative de néoenseignants disposent d’une expérience professionnelle précédente. En effet, comme nous le montre le tableau n°2 présent dans le rapport du CNESCO de 2015 et reproduit en annexe, 35% des personnes se destinant au concours du second degré ont 22 ans ou plus. Ainsi les métiers de l’enseignement n’attirent pas que des individus en cours d’études mais aussi, et de plus en plus, des personnes plus âgées.

Concernant les reconversions professionnelles à proprement parlé, ce rapport nous apprend que les lauréats du CAPES externe en reconversion sont de plus en plus nombreux. En effet, comme nous le montre le tableau ci-dessous, les candidats issus de la catégorie « demandeurs d’emploi et salariés public/privé » représentent 14% des admis en 2015. Ce chiffre monte à 16,7% si on y ajoute la catégorie des personnels d’éducation et de surveillance (donc la totalité des personnes en situation de reconversion professionnelle). Le rapport constate que le recrutement des enseignants s’est donc particulièrement élargi et que « les concours de l’enseignement intéressent davantage des catégories de candidats non étudiants qui totalisaient 20,9% des effectifs en 2005, 22,1% en 2010 et 33,4% en 2015 » . L’une des principales causes de ces reconversions et de la modification du vivier de recrutement est, toujours selon le rapport, « la dégradation sensible du marché de l’emploi » sur cette période due à la période de crise économique post-2008 .

Le cas particulier et les attentes du professeur en reconversion

Un individu en situation de reconversion ayant par définition un passé professionnel derrière lui, aura donc un âge moyen souvent plus élevé. Il est à noter que, selon le rapport du CNESCO de Novembre 2016, les statistiques font état d’un âge moyen plus avancé pour les enseignants du premier degré que du second. Le rapport explique cela par trois grandes raisons. En premier lieu, le fait d’être nommé et de rester dans l’académie dans laquelle le concours a été passé semble être une raison déterminante surtout pour « des candidat(e)s ayant déjà une vie familiale » . En second lieu, le concours ne nécessite pas la maitrise élevée d’une discipline particulière. Enfin, le fait d’être en contact avec des enfants et non des adolescents constitue la troisième raison pour laquelle il y a davantage de reconversion dans le premier degré.

Ainsi, un professeur en reconversion aura des attentes différentes du métier et de son organisation qu’un jeune néo professeur. Les cas de la mobilité géographique (pour les professeurs du second degré) et du salaire semblent être deux facteurs essentiels. Il aura de plus pu être en situation de démission vis-à-vis de son ancien emploi. Autant de raisons qui nous pousse à penser qu’un néoprofesseur en reconversion pourrait avoir davantage de contraintes que les autres.

Ce mémoire sera donc là pour éprouver ces prénotions grâce aux différents entretiens que nous aurons pu effectuer auprès de néo-enseignants en reconversion.

Un acteur porteur de stigmates ? 

Etant donné que nous ne vivons pas dans un « vide social » et que notre perception de ce qui nous entoure est en partie lié aux expériences que nous avons éprouvé précédemment, il semblerait logique qu’un enseignant en reconversion n’est pas la même vision du métier, des élèves et de l’institution qu’un enseignant « tout droit sorti des études ». Ces marques que l’individu peut porter suite à des expériences passées et qui le font être différents de la majorité a été défini et théorisé par la sociologue Erving GOFFMAN. Selon lui, un stigmate est « un attribut qui jette un discrédit profond, mais il faut bien voir qu’en réalité, c’est en termes de relations et non d’attributs qu’il convient de parler » . C’est donc le regard de la société sur cet individu qui contribue à faire reconnaitre cet attribut comme un stigmate et donc à stigmatiser l’individu. Il convient de préciser que pour E. GOFFMAN, un individu est porteur de deux identités sociales : une identité « virtuelle » (ce que la société attend de lui en fonction de ses attributs sociaux) et une identité « réelle » (ce qu’il est réellement). La présence d’un stigmate et donc d’une stigmatisation proviendra donc d’une différence entre ces eux identités : ses attributs effectifs seront différents de ce que la société attend de lui.

Ainsi, l’âge d’un individu, qui résulterait de sa précédente expérience professionnelle et de sa reconversion, pourrait être aller au discrédit de cet agent et donc être analysé comme un stigmate. En effet, comme le rappelle Pascal GUIBERT et alii , l’âge peut être vu comme un des facteurs influant sur la vision qu’un enseignant débutant va avoir sur son métier.

L’âge a d’ailleurs été analysé, entre autres par Pierre BOURDIEU . Pour lui, les frontières d’âge sont bien souvent des enjeux de lutte au sein des sociétés. En effet, les plus âgés sont généralement ceux qui vont disposer des différents pouvoirs (économique, culturel, politique et symbolique) et vont essayer de rejeter la jeunesse leur étiquetant des qualificatifs comme irresponsabilité ou immaturité.

A l’inverse, un individu plus âgé pourra se voir étiqueter des attributs comme expérimenté, solide, etc… Nous reviendrons sur ce point dans le cas des professeurs en reconversion. En tant que métier de représentation, l’âge du professeur débutant va avoir un impact sur la vision que celui-ci va avoir de son métier.

Le constat dressé par les chercheurs

L’enseignement : une vocation ?

La profession d’enseignant n’est pas une profession comme les autres. En effet, elle fait partie des rares métiers à pouvoir prétendre au statut de « vocation ». Cette notion de vocation a été introduit en sociologie par Max WEBER qui, pour la définir, reprend l’usage qu’en avait fait le théoricien protestant Martin LUTHER la définissant comme un métier, une profession mais aussi comme un appel. C’est le sens du mot allemand Beruf employé par ce dernier. Ce terme désigne donc un travail qui n’a d’autre fin que lui-même et qui répond donc à l’appel que Dieu envoie aux hommes. Selon cette acception, tout travail peut donc être une vocation.

Cependant, la notion de vocation a été travaillé sous une autre acception, moins religieuse. Toujours Max WEBER, dans le Savant et le Politique , étudie cette notion en lui conférant deux dimension. En effet, une vocation est définie comme une activité étant lui-même sa fin mais y ajoute le fait que celle-ci doit être caractérisée par un engagement désintéressé pour une cause.

La sociologie contemporaine prolonge la définition de vocation défendue dans Le Savant et le Politique. Sous cet angle d’analyse, tous les métiers ne peuvent donc prétendre à être une vocation. A ce sujet, Christian CHEVANDIER souligne que « les métiers pour lesquels on peut parler de vocation sont généralement ceux où l’on porte aide et secours à autrui » . Les professions pouvant correspondre à cette définition sont donc relativement rares. A cet effet, nous pourrions citer les professions religieuses, les magistrats, les policiers et l’enseignement.

Dans l’ouvrage précédemment cité, Christian CHEVANDIER nous apprend qu’une vocation n’est jamais choisie par hasard. Même si à travers l’histoire celleci a pu prendre l’apparence de la volonté divine nous assignant à un poste bien précis dans la société, il insiste sur le fait qu’il faut aujourd’hui reconstruire le discours des acteurs pour trouver l’origine de ce choix. Pour l’auteur, ceci est très important pour le monde de l’enseignement où l’une des motivations peut être une rencontre avec un idéal. Nous pourrions prendre, avec l’auteur, l’exemple d’un instituteur ou d’un enseignant exemplaire qui a particulièrement influencé l’acteur et par rapport auquel il veut se conformer. Ce rôle de la personne « inspirante » dans le choix de la carrière enseignante a d’ailleurs été développé par Jérôme DEAUVIEAU . Nous aurons l’occasion de revenir ultérieurement sur les ressorts de la vocation et les motivations de l’engagement dans le métier d’enseignant.

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Table des matières

Introduction
1. Cadrage de l’objet de recherche
1.1. Constats et questionnements
1.1.1. Des reconversions en augmentation
1.1.2. Le cas particulier et les attentes du professeur en reconversion
1.1.3. Un acteur porteur de stigmates ?
1.2. Le constat dressé par les chercheurs
1.2.1. L’enseignement : une vocation ?
1.2.2 Les variables influant sur les représentations du métier d’enseignant
2. Méthodologie de l’enquête de terrain
3. Résultats et confrontation avec la littérature existante
3.1. Présentation préalable des enquêtés
3.2. Résultats de l’enquête
3.2.1. Les raisons de l’entrée dans le métier d’enseignant
3.2.2. Les représentations du métier d’enseignant
3.2.3. La reconversion : handicap ou avantage ?
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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