Cette thèse de doctorat (voir chatpfe.com) étudie les comportements des enseignants-chercheurs face à l’intégration de la pédagogie numérique dans l’exercice de leur métier. La recherche, à visée exploratoire, est réalisée sur le terrain de l’enseignement supérieur français en universités et écoles d’enseignement supérieur. Elle a pour vocation première d’identifier des actions de gestion des ressources humaines initiées en faveur du déploiement des innovations pédagogiques dans le métier d’enseignant-chercheur.
Après avoir exposé le contexte initial de notre recherche doctorale (1), la problématique dégagée ainsi que l’intérêt qu’elle suscite (2), nous présenterons l’objet et la question de recherche (3). Puis, nous présenterons la démarche méthodologique utilisée pour la réalisation de ce travail (4). Enfin, nous exposerons le contexte actuel de crise (5) qui nous a conduit à approfondir notre recherche (6). Le plan annoncera les deux parties de ce travail doctoral.
A partir des années 2000, des efforts constants ont été portés par les politiques publiques pour introduire le numérique dans les établissements d’enseignement supérieur français. Dans cette dynamique de modernisation de l’enseignement, entre 2000 et 2002, les premiers appels d’offres de type « Campus Numériques Français » ont été diffusés pour impulser les enseignements à distance avec l’appui des nouvelles technologies (Sidir, 2007). En 2006, les UNR (Universités Numériques de Région), par le bais de contrats, ont mis à disposition des étudiants, des personnels enseignants, chercheurs et administratifs, des infrastructures facilitant l’accès aux services et aux ressources numériques par le réseau sans fil Eduroam. Dans la continuité de vouloir développer le numérique, le gouvernement Fillon, dès 2008, a inscrit dans son plan « France numérique 2012 » l’idée que l’usage du numérique dans les universités contribue à la réussite des étudiants et à la qualité de la recherche, avec par exemple la conversion des documents pédagogiques en format numérique pour les étudiants (Cerisier, 2014, 2015). Ces actions émanant de l’État en faveur de la modernisation de l’enseignement supérieur, applicables dans les universités et dans les écoles d’enseignement supérieur, s’appuyaient sur une hypothèse commune et large de transformation pédagogique comprise comme la modification des dispositifs des pratiques pédagogiques (outils complémentaires au registre de la pédagogie par les cas, la méthode des cas ou encore les simulations) (Chevalier, Dejoux & Poilpot-Rocaboy, 2018).
Le CESE (Conseil Économique, Social et Environnemental) dans le Journal Officiel de la République française (Mandature 2010-2015, séance du 24 février 2015, p. 8) précise qu’il est possible de parler de pédagogie numérique pour « désigner l’ensemble des moyens humains, technologiques et matériels dédiés à l’apprentissage de connaissances et de compétences qui intègrent les usages numériques que ce soit en présentiel ou à distance via Internet. C’est un domaine clé de l’innovation qui n’est pas seulement affaire de technique, mais porteur de nouvelles façons d’enseigner, d’apprendre et de travailler ». Les apprentissages restent cependant fondés sur des exigences académiques permettant d’attester de la maîtrise des savoirs et savoir-faire.
Ce phénomène de « transformation digitale » bouleverse l’enseignement supérieur depuis environ 15 ans d’introduction des TICE (Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement). Les TICE font référence à l’ensemble des équipements technologiques tels que les ordinateurs et des logiciels pouvant servir de supports pédagogiques de présentation, production, communication et collaboration. Il s’agit, selon Duguet & Morlaix (2017, p. 7), de « l’ensemble des matériels, logiciels et services numériques pouvant être utilisés pour enseigner ». D’où l’extension « E », des TIC pour l’Enseignement. Selon le rapport de la FNEGE (Dudezert & Boughzala, 2018, p. 15), la transformation digitale se définit comme « l’exploration et l’exploitation de ces nouvelles opportunités offertes par les technologies numériques par les organisations ». Ce phénomène conduit les universités et les écoles d’enseignement supérieur à s’équiper d’une offre riche d’outils pédagogiques numériques générant ainsi une arrivée massive de logiciels intégrés et dédiés supposés venir renforcer les ressources traditionnelles de formation, « le bouquet pédagogique », selon Chevalier (2012) et Chevalier et al. (2018). L’introduction du numérique est vue comme un levier permettant la diversification des méthodes pédagogiques (Dubrac & Djebara, 2015). Elle est fondée sur l’usage de nouveaux outils audiovisuels et informatiques.
Progressivement, des travaux de recherche ont été réalisés pour interroger l’émergence des TICE dans le domaine éducatif, leur appropriation par les personnels enseignants et leur intégration dans leurs pratiques professionnelles. Ces recherches se sont progressivement développées et structurées dans les courants scientifiques des sciences humaines et sociales (sciences de l’éducation et de la formation, sciences de l’information et de la communication) et sciences de gestion. Ces travaux ont porté sur le concept d’usage (à partir de la sociologie des usages) dans l’appropriation de l’innovation technique et des incidences au travail à partir d’enquêtes menées auprès des utilisateurs et portant également sur la professionnalisation des personnels enseignants.
Nous avons exploré un ensemble de ces travaux, émanant essentiellement d’auteurs scientifiques, pédagogues ou ingénieurs des sciences de l’éducation et des sciences de l’information et de la communication. Nous avons étudié et référencé les articles les plus caractéristiques de l’intégration du numérique dans la pédagogie universitaire. La première période de publication, à partir des années 2000, porte sur la mise à disposition des premiers outils avec l’utilisation de l’ordinateur comme source de communication (audiovisuel, communication écrite pour le mail par exemple) et d’information avec un accent mis sur l’enseignement assisté par ordinateur, l’enseignement multimédia et à distance. La deuxième période située de 2005 à nos jours et sur laquelle nous nous sommes essentiellement appuyée, porte, elle, sur l’émergence de l’hypermédia, un mode de communication coopératif qui résulte d’un partage d’information, un accès simultané à des données textes, images, sons et parfois un travail sur plusieurs écrans. Nous nous sommes également appuyée sur les enquêtes gouvernementales réalisées à partir de 2005 suite au lancement des campus numériques des années 2000 dans l’enseignement supérieur (Albero, 2004). En croisant ces ressources et en ayant repris les points revenant le plus fréquemment, les résultats révèlent une intégration plutôt mitigée de l’utilisation des outils pédagogiques numériques dans les pratiques des enseignants-chercheurs.
En effet, les enseignants-chercheurs perçoivent ces outils plutôt comme un obstacle, non comme un canal de délivrance du savoir (Ben Youssef & Hadhri, 2009) et comme une tâche supplémentaire dans leur travail (Béchard, 2001 ; OCDE enquête, 2005). Les innovations pédagogiques sont présentées comme des ressources matérielles conçues pour améliorer et innover dans les situations d’apprentissage. Elles sont pourtant perçues comme un problème. Elles n’ont pas convaincu les acteurs de leur intérêt en tant que ressource complémentaire. La valeur pédagogique, c’est-à-dire leur utilité, est faiblement perçue ou non-perçue par les enseignants-chercheurs (Ben Youssef & Rallet, 2009 ; Charlier, 2011 ; Duguet & Morlaix, 2012 ; JORF, 2015 ; Lameul, Peltier & Charlier, 2014 ; Michel, George & Garrot, 2007 ; OCDE enquête, 2005 ; Poteaux, 2013 ; Poyet, 2015). Les avancées en matière d’appropriation des TICE sont en général le résultat de quelques « intrapreneurs », isolés et intéressés, selon Isaac & Kalika (2007). L’usage est par conséquent limité (Poteaux 2013 ; Trestini, 2012).
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
.1. Contexte initial de la recherche
.2. Problématique et intérêt
.3. Objet de la recherche
.4. Démarche méthodologique
.5. Contexte actuel de crise
.6. Recherche complémentaire
.7. Annonce du plan
CHAPITRE 1 L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR : DIVERSITÉ ORGANISATIONNELLE
1. Université et École Supérieure de Commerce : zoom historique
1.1 Les universités françaises
1.2 Les Grandes Écoles de commerce françaises (GECF)
2. Les principes généraux du management public et ses dernières évolutions
3. Les principes généraux des établissements privés : Grandes Écoles de management
4. HCERES et CEFDG : l’évaluation des établissements
4.1 HCERES : Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur
4.2 CEFDG : Commission d’Évaluation des Formations et Diplômes de Gestion
SYNTHÈSE DU CHAPITRE 1
CHAPITRE 2 LA CONFIGURATION DES ORGANISATIONS ET LE COMPORTEMENT DES ACTEURS
1. Les configurations organisationnelles
2. Les dispositifs organisationnels internes
3. La différenciation et l’intégration (Lawrence & Lorsch (1969)
4. Le comportement des acteurs
4.1 La notion de comportement
4.2 La théorie de l’acteur stratégique (Crozier & Friedberg, 1977)
4.3 Le jeu des acteurs : choisir d’utiliser ou pas les outils pédagogiques numériques
4.4 L’acteur et la culture de l’organisation
4.5 L’acteur et son identité
5. Le changement, l’apprentissage et l’innovation technologique
5.1 Le comportement de résistance au changement
5.2 L’apprentissage organisationnel (Argyris & Schön, 1996)
5.3 L’acteur et les innovations technologiques
CONCLUSION GÉNÉRALE
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