L’enseignement et l’apprentissage de la géométrie
La géométrie : considérations épistémologiques
Répondre à Qu’est-ce que la géométrie? est forcément une entreprise ambitieuse tant sur le plan historique qu’épistémologique. Pour les besoins de notre recherche, nous présentons ci-après quelques aspects susceptibles de nous aider à mieux comprendre des choix faits par l’institution scolaire au sujet de l’enseignement et de l’apprentissage de la géométrie à l’entrée au secondaire.Une première prise de conscience de notre environnement, de l’espace physique qui nous entoure et auquel nous appartenons, nous est rendue possible par la perception, l’action, le langage. Nous pouvons voir, prendre, déplacer, orienter des objets (ou nousmêmes), chercher à nommer ce qui les rend semblables, différents, etc. Nos premières appréhensions tridimensionnelles des objets, bidimensionnelles ou unidimensionnelles en considérant les faces et les éléments des faces qui les composent, nous familiarisent avec la forme et la grandeur des choses. Par exemple, l’observation de la symétrie des ailes d’un papillon aide à créer un premier bagage de connaissances géométriques. Le Centre de Recherche en Enseignement des Mathématiques de Belgique (Lismont et 3Nous considérons l’expert géomètre comme un théoricien et non un arpenteur. Rouche, 1999, p. 303) mentionne que ce bagage n’est pas propre à l’enfance et que des élèves plus âgés ou des adultes y ont recours lorsqu’ils cherchent « […] à construire, à comprendre ou à se représenter des situations planes ou spatiales qui posent question. ».
Mais la géométrie n’est pas réductible à une prise de conscience sensorielle de l’espace physique. La géométrie permet aussi de le saisir en pensée. Puisque nos sens sont limités, la géométrie favorise l’extension de ceux-ci par l’esprit. C’est aux Grecs du 6e siècle avant J.-C. que sont attribuées ces idées de modélisation de l’espace physique à l’aide d’une théorie géométrique. Auparavant, soit trois mille ans avant J.-C., il semble que les Babyloniens et les Égyptiens faisaient des travaux de géométrie. Mais leur usage de la géométrie était avant tout pratique, utilitaire et servait principalement à résoudre des problèmes concrets de mesure notamment en astronomie, arpentage et constructions architecturales (Dahan-Dalmedico et Peiffer, 1986). D’un point de vue étymologique, la géométrie signifie mesure de la Terre : « […] du latin geometria, du grec geômetria, de gê, la Terre et metria, technique, science de la mesure. » (Baruk, 1992, p. 524). La
géométrie n’était toutefois pas un objet de réflexion pour lui-même. Ce sont les Grecs du 6e siècle avant J.-C. que l’on reconnaît comme les premiers à avoir considéré la géométrie non seulement d’un point de vue pratique pour résoudre des problèmes, mais aussi d’un point de vue théorique pour décrire et révéler des propriétés. « À partir de la simple description d’un bloc de pierre ou d’une étendue de sable, ils dégagèrent les idéaux que sont le point, la droite, le plan. » (Mlodinow, 2002, p. 15). Ces objets idéaux appartiennent à un nouvel espace, un espace géométrique, c’est-à-dire une abstraction mathématique qu’il est possible de théoriser.
Éléments pour une étude de problèmes géométriques
Généralement, l’enseignant offre des problèmes aux élèves qui proviennent d’un matériel pédagogique mis à sa disposition en particulier le manuel scolaire et le guide correspondant ou un matériel qu’il adapte ou conçoit. Choisir des problèmes est une partie importante de l’activité professorale dans la mesure où leur mise en oeuvre auprès des élèves est constitutive de leur milieu. Dans cette perspective, des questions au sujet de la nature des problèmes, les méthodes et les éléments théoriques nécessaires à leur résolution s’avèrent pertinentes. Les réponses à ces questions font écho au modèle d’analyse praxéologique de Chevallard (1999). De plus, des interrogations quant à la géométrie travaillée par les problèmes sont susceptibles de trouver des réponses dans le modèle des paradigmes géométriques développé par Houdement et Kuzniak (2006, 1999, 1998-1999). Nous présentons les deux modèles ci-dessous.
La praxéologie de Yves Chevallard
Chevallard (1999) considère que toute activité humaine régulièrement accomplie est observable selon un modèle nommé praxéologie. En fait, l’activité est décomposable en types de tâches, techniques, technologies et théories. Les types de tâches sont des travaux desquels sont attendus des résolutions et des résultats. Les techniques favorisent la réalisation des types de tâches. Les technologies sont les discours qui produisent et légitiment les techniques. Les théories jouent les mêmes rôles envers les technologies que ces dernières envers les techniques. Le couple tâches-techniques peut être associé au savoir-faire et celui de technologies-théories au savoir.
Le modèle praxéologique caractérisant une activité humaine est donc fonction des individus occupant des positions déterminées dans des institutions données. Ainsi, des tâches, des techniques, des technologies et des théories naissent, disparaissent et évoluent relativement aux individus et à leurs conditions environnementales. L’activité de résolution de problèmes géométriques dans le cadre scolaire n’échappe pas à cette considération, puisqu’elle a été et est encore pratiquée par des enseignants et des élèves en des époques et des lieux différents. Il est alors approprié de considérer l’activité de résolution de problèmes géométriques sous un angle praxéologique selon divers types de tâches, différentes techniques, technologies et théories. Aussi, il existe des variations dans les techniques et les technologies-théories inhérentes à l’activité géométrique ellemême.
Par exemple, si nous considérons l’activité de construction de droites parallèles, nous voyons que ce type de problème29 n’implique pas tout à fait la même technique selon qu’il soit résolu avec une équerre et une règle ou avec un compas et une règle, ce qui se répercute sur les technologies respectives aux deux techniques. Dans le premier cas, l’outil équerre porte en lui la perpendiculaire nécessaire à la construction, ce qui est différent avec le compas. Détaillons notre exemple.
Choix des objets géométriques et clientèle scolaire ciblée
Nous avons privilégié les objets géométriques triangles et quadrilatères. L’étude de ces objets géométriques a débuté au primaire et elle se poursuit au secondaire. Les triangles et les quadrilatères sont une partie intégrante du programme de mathématiques du premier cycle du secondaire et leur étude en est faite généralement dès la première secondaire. Ces objets, qui sont encore un peu ancrés dans le primaire et qui ne sont pas complètement nouveaux, sont pertinents pour nos analyses. N’étant pas étrangers aux élèves de première secondaire, ils représentent des avantages et des inconvénients. Des avantages dans la mesure où les élèves ayant le sentiment de bien connaître ces objets seront possiblement à l’aise pour en parler et résoudre des problèmes à leur sujet. Des inconvénients, peut-être aussi, puisque ce sentiment de déjà vu risque de freiner leur enthousiasme ou leur désir d’en savoir encore sur ces objets géométriques. Par ailleurs, la présence de nombreux problèmes de triangles et de quadrilatères dans les manuels scolaires est un autre facteur en faveur du choix de ces objets géométriques pour l’étude de conceptions d’élèves. De plus, dans l’étude des triangles et des quadrilatères entre en jeu leurs définitions et propriétés, ce qui est pertinent pour l’analyse des problèmes et des conceptions d’élèves en relation aux géométries de référence GI et GII.Nous avons fait le choix de classes d’élèves de la première année du secondaire. Cela s’inscrit dans la foulée des préoccupations émises à la problématique concernant le passage d’une géométrie de l’observation vers une géométrie de la déduction; passage que semble suggérer le programme sans clairement l’annoncer. Nous considérons qu’un nombre de quatre classes dirigées par des enseignants distincts représente un échantillon convenable pour la réalisation de notre recherche qui est de nature qualitative.
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Introduction
Chapitre 1 Problématique
1.1 La géométrie : considérations épistémologiques
1.2 La géométrie en milieu scolaire
1.2.1 Quelques difficultés d’élèves
1.2.2 L’enseignement et l’apprentissage de la géométrie : points de vue
1.2.3 La géométrie dans les programmes d’études
1.2.4 La géométrie dans les manuels scolaires : bref contexte général
1.3 Synthèse du questionnement
Chapitre 2 Cadre théorique
2.1 Éléments pour une étude du système didactique
2.1.1 La théorie des situations didactiques de Guy Brousseau
2.1.2 Les niveaux de l’activité du professeur de Claire Margolinas
2.2 Éléments pour une étude de problèmes géométriques
2.2.1 La praxéologie de Yves Chevallard
2.2.2 Les paradigmes géométriques de Catherine Houdement et Alain Kuzniak
2.3 Éléments pour l’étude de conceptions d’élèves
2.3.1 Le modèle de connaissances de Nicolas Balacheff et Claire Margolinas
2.4 Objectifs et questions de recherche
Chapitre 3 Méthodologie
3.1 Choix des objets géométriques et clientèle scolaire ciblée
3.2 Sélection des enseignants, des classes et des élèves
3.3 Dispositif expérimental et questions de recherche
3.4 Précautions d’ordre éthique et méthodologiqu
Chapitre 4 Analyse des résultats
4.1 Analyse de problèmes géométriques de manuels scolaires
4.2 Analyse des situations didactiques de chacune des classes
Chapitre 5 Interprétation des résultats
5.1 La géométrie souhaitée et la géométrie actualisée
5.2 Les types de problèmes proposés
5.2.1 Problèmes proposés par les enseignants
5.2.2 Problèmes soumis aux enseignants
5.3 Les conceptions d’élèves et les géométries associées
5.4 L’articulation enseignement-problèmes-conceptions
5.5 Limites de la recherche
Conclusion
Bibliographie
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