L’enseignement de l’oral
L’oral intégré
Initialement théorisé par Turco et Plane (1999), ce courant ne s’intéresse pas à l’oral comme objet d’enseignement mais présente l’avantage de n’être guère cantonné à la didactique du français. Il propose de conduire les élèves à développer des stratégies d’écoute et de prise de parole dans les situations quotidiennes de la classe, comme argumenter, justifier, décrire, raconter (Guillemin, 2015).
L’approche pragmatique
Développée par Maurer (2001), cette approche, qui relève pour Guillemin (2015) de l’oral intégré, « suggère un enseignement de la communication orale en fonction de l’oralité plutôt que […] par les genres ou les types de discours (par exemple, enseigner l’exposé ou la discussion) » (Bergeron, Lafontaine & Plessis-Bélair, 2008, p. 11). L’approche pragmatique vise à permettre aux élèves de développer des conduites non conflictuelles dans des situations qui peuvent s’avérer « périlleuses », à l’école ou dans leur quotidien. Autrement dit, une large place est accordée à l’apprentissage des conventions de communication, verbales et non verbales, qu’il s’agisse de politesse, du respect des tours de parole, du niveau de langue à adopter ou même du regard, autant de compétences que les élèves pourront transférer lors de situations de la vie courante.
L’enseignement de l’oral par les genres
Dolz et Schneuwly proposent un modèle de l’enseignement de l’oral qui se centre autour de la notion de genre, avec comme objectif « de créer un objet scolaire avec des contours précis », prolongeant différentes traditions scolaires pré-existantes (Dolz & Schneuwly, 2009, p. 22). Ce modèle, que reprendra Lizanne Lafontaine (2007), s’inspire de l’enseignement de l’écrit et se centre autour de la notion de genre. C’est la raison pour laquelle les séquences didactiques proposées par Dolz et Schneuwly – sur lesquelles nous reviendrons dans un chapitre ultérieur – s’insèrent dans cinq rubriques, permettant aux élèves d’avoir un point de référence sur lequel construire la communication : narrer, relater, transmettre des savoirs, argumenter et réguler des comportements. Cet oral « suppose un objectif d’enseignement précis comme par exemple planifier sa production orale en tenant compte des caractéristiques du genre choisi et des préparations qu’elle suppose » (Guillemin, 2015, p. 7) et reste celui que « nous rencontrons le plus souvent dans les classes » vaudoises (Guillemin, 2015), certainement parce que les séquences didactiques S’exprimer en français (2001) de Dolz, Noverraz et Schneuwly sont largement diffusées en Suisse romande.
L’oral réflexif
L’oral réflexif (Chabane & Bucheton, 2002) permet de stimuler la pensée de l’élève et le conduit à verbaliser ses réflexions de façon à créer une distanciation entre lui et ses apprentissages. Autrement dit, il s’agit là d’un oral métacognitif, qui s’appuie de façon informelle sur une matière donnée (la lecture d’un texte par exemple), « [un] oral des explications, des questions et des réponses ; [un] oral des discussions afférentes à la compréhension de nouveaux concepts » (Plessis-Bélair, 2008, p. 76). Notons que le rôle de l’enseignant dans ce type d’échanges est central : son soutien, ses questions et reformulations, ainsi que la mise en place d’un climat de classe favorable, conditionnent à n’en pas douter la qualité de l’oral réflexif. À terme par ailleurs, par un effet de ricochet, l’oral réflexif semble impacter de façon tout à fait positive le développement de l’écrit pour des élèves en grande difficulté scolaire notamment (Plessis-Bélair, 2008).
Question de recherche
Aujourd’hui donc, et ce malgré les travaux de recherche menés au Québec notamment, l’enseignement de l’oral reste une source d’inconfort pour les enseignants (Lafontaine, 2000).
Deux études québécoises (Lafontaine & Messier, 2009 ; Dumais, 2010 ; recherches citées par Dumais et Lafontaine, 2011b) signalent par ailleurs que l’enseignement de l’oral se ferait essentiellement par consignes et serait appuyé sur une préparation écrite de la prestation orale ; l’évaluation, dont on sait pourtant qu’elle est fondamentale (Dumais, 2015) pour permettre à l’élève de progresser et au maître de réajuster son enseignement en fonction des besoins spécifiques de sa classe, se caractériserait par son arbitraire et son absence de commentaires (Lafontaine & Messier, 2009 ; Sénéchal & Chartrand, 2011). Gagnon (2015) explique notamment que les enseignants disent éprouver de la difficulté à réagir sur le vif ou à rétroagir sur les productions orales des élèves.
Ce statut de parent pauvre de la didactique du français – et « des manuels », pour reprendre l’expression de Maurer (2002) – est d’autant plus problématique dans les collèges du canton de Vaud qu’il fait partie des deux premières visées prioritaires du PER : Maîtriser la lecture et l’écriture et développer la capacité de comprendre et de s’exprimer à l’oral et à l’écrit en français; Découvrir les mécanismes de la langue et de la communication.
C’est la raison pour laquelle ce mémoire professionnel vise à se demander comment développer un enseignement de l’oral efficace au 3ème cycle HarmoS. Comme Guillemin (2015), intimement convaincue de l’importance de construire un enseignement de l’oral explicite et métissé pour faciliter l’apprentissage du plus grand nombre d’élèves, j’ai construit une séquence didactique alignée curriculairement sur le PER. Pour ce faire, je me suis inspirée du modèle proposé par le manuel S’exprimer en français (2001), mais également du modèle théorique de l’oral objet d’enseignement qui m’a permis d’isoler et de travailler les objets d’apprentissage qui posaient le plus problème à mes élèves.
Méthodologie
Pour répondre à cette question de recherche, j’ai tout d’abord souhaité interroger les pratiques et les représentations de l’enseignement de l’oral des maîtres de français de l’Établissement secondaire dans lequel j’ai effectué mes deux années de stage professionnel. J’ai donc mené une recherche qualitative en faisant passer un questionnaire – dont on lira une copie vierge en annexe 1 – à dix enseignants de français présents dans le collège depuis trois ans au minimum. Ce questionnaire a été construit en collaboration avec la cheffe de file de l’Établissement concerné. Il traite de la pratique en enseignement de l’oral en français comme en option de compétence orientée métier (OCOM), des sujets ou séquences didactiques enseignés mais également de l’évaluation. Pour chaque élément, j’ai par ailleurs souhaité obtenir une réponse détaillant les motifs régissant les choix didactiques de mes collègues.
Si tout questionnaire a ses limites, les réponses fournies par mes collègues comportent de nombreuses similitudes qu’il me semble important de relever, et c’est l’objet du chapitre suivant.
Dans un deuxième temps, suite à l’analyse du questionnaire, j’ai voulu recenser et présenter – un peu à la manière du travail effectué par Christian Dumais et Raymond Nolin (2012) – les moyens qui se trouvaient déjà à disposition des enseignants interrogés souhaitant intégrer des exercices ponctuels sur l’oral ou se lancer dans une séquence didactique complète.
Pour ce faire, j’ai choisi de focaliser mon attention sur les étagères de la salle de travail des maîtres et de ne pas traiter les ressources en ligne, notamment parce que l’article de Dumais et Nolin (2012) en énumère déjà une partie. J’ai par ailleurs demandé à deux collègues de tester dans leurs classes de VG certaines activités ou séquences didactiques proposées par les moyens d’enseignement que je présente, de façon à en mentionner les forces et les faiblesses. Enfin, j’ai souhaité élaborer une séquence didactique à destination d’une classe de 10 VG niveau 1. Il s’agit de la création de vidéos présentant des auteurs choisis par mes onze élèves, séquence dont on pourra lire la planification générale à la fin de ce mémoire
professionnel, ainsi que son analyse, nourrie par la tenue d’un journal de bord des différentes étapes jalonnant la séquence. Pour la créer, j’ai mobilisé différentes idées glanées au fil de mes lectures théoriques, mais aussi des éléments présents dans les manuels de la salle de travail des maîtres du collège dans lequel j’ai effectué mon stage professionnel, ainsi que les commentaires faits par mes collègues.
Présentation des résultats et analyse
Analyse des représentations des collègues
Interrogés sur leurs pratiques d’enseignement de l’oral, dix maîtres de français d’un établissement secondaire du Gros-de-Vaud fournissent des réponses éloquentes : le débat oral a été assez largement proposé aux élèves car il faisait partie du programme commun de l’option compétence orientée métier (OCOM), option prise en charge par les enseignants de français à raison d’une période par semaine en 11VG et imaginée afin d’aider les élèves à développer leurs compétences communicationnelles dans la sphère privée et publique. Le matériel utilisé par l’ensemble des enseignants concernés par la séquence sur le débat oral en OCOM provient cependant essentiellement de Jeunesse Débat. J’y reviendrai dans le chapitre consacré à l’analyse des moyens didactiques à disposition des maîtres, mais signalons d’ores et déjà que c’est bel et bien sur la recherche d’arguments et d’exemples ainsi que sur l’aspect formel du débat que l’accent est mis, plutôt que sur des compétences propres à l’oral.
En ce qui concerne l’expression orale en classe de français, huit enseignants sur les dix interrogés déclarent l’« enseigner », mais à la question « comment? », tous restent évasifs sur la méthode qu’ils emploient réellement et préfèrent répondre en listant les sujets traités avec leurs élèves. Reviennent ainsi immanquablement les traditionnels exposés, la lecture à haute voix, la mise en scène de saynètes dans un cas ou encore l’oralisation de poèmes, ce qui correspond à la progression des apprentissages préconisée par le PER : « Activités de restitution et de production liées aux genres suivants : la lecture expressive (nouvelle, récit,…), la restitution ou l’interprétation d’un texte appris (conte, poésie, théâtre, chanson,…), le compte rendu (lecture, visite, film, spectacle,…) ».
Une enseignante a cependant proposé à ses élèves deux séquences didactiques qui n’ont été mentionnées par aucun des neuf autres maîtres : il s’agit dans les deux cas d’un enseignement de l’oral par les genres, puisque la première séquence concerne l’élaboration d’un CD fonctionnant comme un guide touristique et la seconde porte sur l’entrevue. Dans le cas des exposés, les enseignants interrogés déclarent majoritairement que le ton, le volume, la diction, le débit et tout ce qui relève du non-verbal (posture) influent sur l’évaluation de l’élève, mais non de manière déterminante, notamment parce que ces éléments n’ont pas fait l’objet de séquences didactiques particulières. À vrai dire, la plupart des maîtres parlent de commentaires ponctuels, effectués par les pairs ou par eux-mêmes, qui relèvent donc d’un enseignement de l’oral intégré.
Avant d’évoquer les pratiques en compréhension de l’oral, j’aimerais m’arrêter brièvement sur l’oral du Certificat de français, tel qu’il est pratiqué dans l’établissement scolaire où j’ai effectué mon stage professionnel. Signalons que de façon générale, il sanctionne plus le fond que la forme, d’autant que l’exercice demandé aux élèves (de VP et de VG niveau 2 en tout cas) s’avère être celui de l’analyse de texte. À nouveau, des éléments de la progression des apprentissages du PER comme l’« adaptation du ton, du volume, de la diction, du rythme, à la situation d’énonciation », ou encore l’« adaptation de la gestuelle (posture, mimique, occupation de l’espace) et [la] recherche du contact visuel » (L1 34) ne sont a priori pas directement évalués. Signalons cependant que deux enseignants de français en niveau 1 se lancent cette année dans un examen oral de Certificat qui comprendra une compréhension audiovisuelle, bien que celle-ci ne soit que peu enseignée ou testée dans le collège.
Un jeune collègue explique ainsi qu’il voudrait s’essayer à l’enseignement de la compréhension de l’oral, mais n’ose pas pour le moment car il « manque de recul et de compétences dans cette approche », « peine à cerner les objectifs du PER » à ce sujet et à définir la manière de les réaliser. Si l’on retrouve une réponse quasiment identique chez trois autres collègues, deux enseignantes déclarent en revanche lire ponctuellement des textes à leurs élèves ou leur faire visionner des documents audiovisuels en leur demandant de remplir un questionnaire. Elles proposent donc des tâches en compréhension de l’oral, mais ne mènent cependant pas de séquences didactiques permettant à leurs classes de développer des compétences nécessaires à l’écoute.
Une dernière enseignante déclare demander à ses élèves de 10ème année VP de prendre des notes pendant les exposés de leurs camarades notamment. Elle relève cependant qu’il ne s’agit là que d’un travail sur un contenu. Elle s’avoue par ailleurs bien démunie et s’interroge :
« Cet axe a été introduit dans le PER sans aucune formation obligatoire des enseignants, et les pages 40-41 sont bien maigres ! Ma question sous-jacente est : estce pour uniformiser les objectifs dans les langues étrangères et en français, et pouvoir tout regrouper dans le volume « langues » du PER, sans distinguer FRA et langues étrangères ? Le PER concerne aussi des cantons bilingues (Berne, Fribourg) où le français serait finalement « langue 2 » dans une partie du canton… »
Si l’on s’intéresse enfin aux raisons invoquées par les enseignants de français interrogés pour expliquer le peu de place accordée à l’oral – qu’il s’agisse de compréhension comme d’expression d’ailleurs –, on s’aperçoit qu’elles sont multiples et qu’elles correspondent aux différentes explications apparaissant dans de nombreuses études (Lafontaine, 2000; Dumais, 2015; Gagnon, 2015; Ticon & Guillemin, à paraître): tous mentionnent systématiquement l’absence de matériel didactique adéquat (comme on en trouve pour l’allemand ou l’anglais) et signalent de façon générale le manque de pistes, d’idées de séquences à mener avec les classes. Les enseignants regrettent ensuite la pauvreté du PER à ce sujet en comparaison de la structuration par exemple et s’avouent démunis face à l’évaluation; trois d’entre eux s’interrogent enfin sur le sens de ce type d’enseignement pour les élèves.
État des lieux du matériel disponible
Certes, les ouvrages de références que sont le Livre unique (ci-après : LU) et l’Atelier du langage (ci-après : ADL) ne proposent que peu de tâches permettant de travailler les L1 33 (Comprendre et analyser des textes oraux de genres différents et en dégager les multiples sens) et L1 34 (Produire des textes oraux de genres différents adaptés aux situations d’énonciation). Guillemin et Ticon notent ainsi dans un article à paraître que le livre du maître de l’ADL propose des tâches facultatives d’oralisation permettant de prolonger des activités relatives à l’écriture et que le LU comporte différentes mises en situation de l’oral sans établir cependant de lien explicite avec le PER.
Partant de la remarque récurrente de mes collègues à propos du manque de matériel didactique sur l’enseignement de l’oral, il m’a semblé important de faire un état des lieux de ce qui pouvait leur être immédiatement disponible. Pour ce faire, j’ai consulté ce qui se trouvait sur les rayonnages de la salle de travail des maîtres du collège dans lequel j’ai effectué mon stage professionnel. J’y ai trouvé cinq méthodes, présentées ici dans un ordre chronologique : Le Corporal (1999); S’exprimer en français. Séquences didactiques pour l’oral et l’écrit (2001); Enseigner l’oral au secondaire. Séquences didactiques intégrées et outils d’évaluation (2007); Jeunesse Débat (2012) et enfin, Enseigner l’oral, c’est possible! 18 ateliers formatifs clés en main (2014). Si certains collègues ont mentionné avoir travaillé des séquences présentes dans S’exprimer en français. Séquences didactiques pour l’oral et l’écrit, ainsi que Jeunesse Débat (2012), je me suis rendue compte au fil des discussions qui ont suivi la passation du questionnaire que peu connaissaient les deux ouvrages de Lafontaine (2007 et 2014)
|
Table des matières
1. Introduction
2. Cadre théorique
2. 1. Historique de l’enseignement de l’oral
2. 2 PER
2. 3. Les modèles d’enseignement
2. 3. 1 L’oral objet d’enseignement
2. 3. 1 L’oral intégré
2. 3. 2 L’approche pragmatique
2. 3. 3 L’enseignement de l’oral par les genres
2. 3. 4 L’oral réflexif
3. Question de recherche
4. Méthodologie
5. Présentation des résultats et analyse
5. 1 Analyse des représentations des collègues
5. 2 État des lieux du matériel disponible
5. 3 Séquence didactique : présentations vidéos d’auteurs
5. 3. 1 Planification générale du projet
5. 3. 2 Descriptif et analyse des séances
6. Conclusion
7. Bibliographie
8. Annexes
Annexe 1
Annexe 2
Annexe 3
Annexe 4
Annexe 5
Annexe 6
Annexe 7
Annexe 8
Annexe 9
Annexe 10
Annexe 11
Télécharger le rapport complet