Inscrit dans une perspective d’éducation tout au long de la vie, l’enseignement en milieu pénitentiaire a pour finalité de permettre à chaque personne détenue scolarisée de se doter des compétences nécessaires pour se réinsérer dans la vie sociale, professionnelle et citoyenne. Pour l’année 2017-2018, le bilan annuel de l’enseignement en milieu pénitentiaire rapporte qu’environ un quart des personnes incarcérées a des besoins importants dans la maitrise des savoirs de base, notamment en français.
Cet enseignement en milieu pénitentiaire s’adresse donc en priorité aux mineurs ou aux jeunes majeurs de moins de 25 ans « ayant abandonné leurs études sans avoir validé un diplôme de niveau 3 », ainsi qu’aux « détenus qui ne maitrisent pas la langue française (analphabètes, illettrés, allophones) et les savoirs fondamentaux », et qui doivent bénéficier d’une « prise en charge spécifique » dans les meilleurs délais (convention partenariale entre les ministères de l’Éducation nationale et de la Justice, 2019).
Cette prise en charge des publics dits prioritaires nécessite des réponses pédagogiques adaptées qui tiennent compte des besoins spécifiques des personnes, et de la diversité langagière, linguistique et culturelle des groupes ainsi constitués. Dans ce contexte, nous nous intéressons plus spécifiquement aux problématiques liées à cet enseignement auprès des majeurs, dont les acteurs institutionnels s’accordent à reconnaitre des besoins importants en termes de formation de base ; c’est-à-dire aux aspects didactiques liés à « la formation linguistique en contextes d’insertion » (Bretegnier, 2011) des « adultes ou jeunes adultes maitrisant mal un certain nombre de compétences de base, nécessaires à la vie sociale et professionnelle, et notamment de compétences langagières » (Leclercq, 2017, p. 64).
En effet, quels parcours de formation adaptés construire, qui tiennent compte des centres d’intérêt d’adultes en reprise d’études, de leurs besoins spécifiques et de la durée de leur peine ? Quelles démarches, quels contenus, quels outils mettre en œuvre pour favoriser et faciliter les apprentissages en formation ? Quelles réponses enseignantes peut-on apporter dans le contexte de l’enseignement en milieu pénitentiaire pour adultes en parcours d’insertion ?
Enseignant en Maison d’Arrêt depuis une dizaine d’années en direction des publics dits prioritaires et ne maitrisant pas ou peu les savoirs de base, nous nous intéressons aux questions liées à l’intégration socioculturelle et linguistique des apprenants, dans le contexte spécifique de cet enseignement en milieu pénitentiaire. En 2019, nous avons ainsi présenté un mémoire professionnel (Meur, 2019) portant sur l’analyse d’une démarche de réception d’une œuvre d’un artiste contemporain, avec des apprenants allophones majeurs scolarisés en Maison d’Arrêt.
Notre questionnement initial portait sur les particularités d’une démarche d’enseignement-apprentissage du Français Langue d’Intégration (FLI) (Adami & André, 2013) en milieu pénitentiaire avec ces apprenants. Nous cherchions en effet à expérimenter une démarche susceptible de favoriser l’accès à une langue-culture, c’est-à-dire susceptible d’accompagner les apprenants dans la maitrise des différents usages de la langue. Comment aider les apprenants à passer des premiers parlers fonctionnels – proches d’un « parler-Tarzan », en référence à « la formulation d’un contenu de pensée avant une mise en mots respectant les règles de syntaxe de la langue » (Péret, 2018a) – au second usage de la langue qui s’appuie sur les fonctions expressives et cognitives du langage ? Autrement dit, comment passer de la langue de service, utile pour communiquer en détention de basique, à la langue de culture qui émerge du dialogue entre les individus (Wismann, 2005) ?
Notre analyse portait principalement sur les conditions du dialogue autour de l’œuvre et la manière dont nous avons permis aux apprenants de négocier, ou non, la langue dans laquelle ils communiquaient. Nous avons en particulier analysé « les aspects organisationnels de l’interaction (tours de parole, ouverture et clôture, structuration des échanges) » (Kerbrat-Orecchioni, 2005).
Nous avons ainsi pris conscience de l’importance cruciale de la dynamique des postures enseignantes et apprenantes (Bucheton & Soulé, 2009), en situation d’enseignement-apprentissage avec des publics en grande insécurité langagière ou linguistique (Adami & André, 2014). Ce jeu des postures peut contraindre ou au contraire faciliter les possibilités de négociations conversationnelles (Kerbrat-Orecchioni, 2005). En effet, « la posture est relative à la tâche mais construite dans l’histoire sociale, personnelle et scolaire du sujet. Les sujets disposent d’une ou plusieurs postures pour négocier la tâche. Ils peuvent changer de posture au cours de la tâche selon le sens nouveau qu’ils lui attribuent. La posture est donc à la fois du côté du sujet dans un contexte donné, mais aussi de l’objet et de la situation, ce qui en rend la saisie difficile et interdit tout étiquetage des sujets » (Bucheton & Soulé, 2009). De ce point de vue, certaines de nos postures ont abouti à des interactions-sans-discours, où l’articulation des tours de parole et le pilotage de l’échange a eu pour conséquence un jeu de questions-réponses qui nous a paru insipide et superficiel, tandis que d’autres ont permis le développement de « discours-en-interaction » (Kerbrat-Orecchioni, 2005) et une meilleure appropriation de la langue par les apprenants qui sont alors en mesure de circuler dans plusieurs postures d’étude (Bucheton & Soulé, 2009).
De plus, l’expérience empirique de l’appropriation de la langue française par des apprenants allophones majeurs s’effectue principalement en milieu social et non en formation. « Cette situation les différencie des publics traditionnels du FLE [Français Langue Étrangère], par exemple, qui sont essentiellement des apprenants qui se trouvent en situation d’apprentissage guidé et en situation exolingue » (Adami, 2012) et a des incidences sur le développement et la mise en œuvre d’une posture réflexive par rapport à la langue. Or, cette activité réflexive est essentielle pour pouvoir se détacher d’une communication basique en « parler-Tarzan » (Péret, 2018a) et enrichir ses pratiques langagières. En d’autres termes, « la posture réflexive est celle qui permet à l’élève non seulement d’être dans l’agir mais de revenir sur cet agir, de le « secondariser » pour en comprendre les finalités, les ratés, les apports » (Bucheton & Soulé, 2009) ; autrement dit de parler et écrire pour penser et apprendre. Dès lors, si « l’apprentissage en milieu naturel n’exclut pas de possibles tactiques voire des stratégies d’apprentissage conscientisées » (Adami, 2012), le développement d’une posture réflexive ne pourrait-il pas prétendre à un intérêt immédiat de l’utilité et de l’efficacité d’une formation linguistique pour les apprenants ?
|
Table des matières
Introduction
Ancrage de la question
1. Une étude portant sur l’intégration socioculturelle et linguistique d’apprenants
allophones scolarisés en Maison d’Arrêt
➢ Présentation de l’étude
➢ Résultats, limites et perspectives de l’étude
2. Les rapports entre langue, culture et intégration
➢ Culture, cultures et grammaire culturelle
➢ Biographies singulières et enseignement de l’objet langue-culture
État de la question
1. La professionnalisation du métier d’enseignant en milieu pénitentiaire
➢ Les premiers personnels enseignants en prison
➢ Le métier d’enseignant en milieu pénitentiaire
2. La formation linguistique des adultes en contexte d’insertion
➢ L’enseignement de la langue en formation d’adultes
➢ L’apprentissage de la langue, démarches, contenus et outils
Question problématisée
Note méthodologique
1. Le protocole de recueil des données
2. Le choix de l’entretien de recherche
Le corpus d’étude
1. Présentation du corpus
2. Conventions de transcription adoptées
Analyse
1. Présentation de l’analyse de discours retenue
2. Codes utilisés pour l’analyse
3. Repérage des voix de discours dans les entretiens-tests
➢ Premier extrait de l’échange avec l’enseignante E1
➢ Deuxième extrait de l’échange avec l’enseignante E1
➢ Un extrait de l’échange avec l’enseignant E2
➢ Synthèse du repérage des voix dans les entretiens-tests
4. Repérage des points de vue sur l’enseignement de l’objet langue-culture
➢ Fragments discursifs extraits de l’entretien avec l’enseignante A
➢ Fragment discursif extrait de l’entretien avec l’enseignante B
➢ Fragments discursifs extraits de l’entretien avec l’enseignant C
➢ Fragment discursif extrait de l’entretien avec l’enseignante D
5. Synthèse de l’analyse des points de vue extraits des entretiens
Conclusion
Télécharger le rapport complet