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Les changements politiques en Espagne : une ouverture pour les langues
L’avènement de la démocratie espagnole : la Constitution espagnole
La Constitution espagnole se présente comme l’aboutissement du processus de transition démocratique espagnole ; un processus qui a permis à l’Espagne la sortie du régime dictatorial du général Francisco Franco et la mise en place d’un régime démocratique. Approuvée par le Parlement espagnol le 31 octobre 1978 et ratifiée par référendum populaire le 6 décembre 1978, la Constitution espagnole est la loi fondamentale qui fonde le cadre juridique et l’État espagnol. Ainsi, elle établit autant l’organisation et la hiérarchisation de l’ensemble des institutions publiques que les droits et les devoirs des citoyens.
Tel qu’explicité dans le préambule, les articles de la Constitution espagnole résultent de la volonté de la nation espagnole d’établir « la justice, la liberté et la sécurité et de promouvoir le bien de tous ceux qui la composent (…) » (Constitution espagnole, 1978, p. 7).18 Pour ce faire, il y est proclamé la volonté de « PROTÉGER (sic) tous les Espagnols et les peuples d’Espagne dans l’exercice des droits de l’homme, de leurs cultures et de leurs traditions, de leurs langues et de leurs institutions » (p. 7). A cet égard, l’article 2 établit que la Constitution « reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui la composent et la solidarité entre elles » (p. 8). Cet article est plus important qu’il n’y paraît dans l’ordre juridique espagnol car il a ouvert la possibilité aux différents peuples et régions d’Espagne de se constituer en autonomies et donc, d’obtenir différentes compétences législatives, notamment posséder une langue propre.19 Cette possibilité est rappelée aussi dans l’article 137 sous le titre VIII (De l’organisation territoriale de l’État) : « L’État, dans son organisation territoriale, se compose de communes, de provinces et des Communautés autonomes qui se constitueront. Toutes ces entités jouissent d’autonomie pour la gestion de leurs intérêts respectifs ». (Constitution espagnole, 1978, p. 39)
Ou encore dans l’article 143.1 (Des Communautés autonomes) :
En application du droit à l’autonomie reconnu à l’article 2 de la Constitution, les provinces limitrophes ayant des caractéristiques historiques, culturelles et économiques communes, les territoires insulaires et les provinces ayant une entité régionale historique pourront se gouverner eux-mêmes et se constituer en Communautés autonomes, conformément aux dispositions du présent titre et des statuts respectifs. (Constitution espagnole, 1978, p. 40)
Tous ces articles débouchent sur l’article 148 de la Constitution espagnole qui établit les compétences assumées par les différentes Communautés, notamment « le développement de la culture, de la recherche et, s’il y a lieu, de l’enseignement de la langue de la Communauté autonome » (Constitution espagnole, 1978, p. 42). Bien que dans les cas qui nous intéressent, il n’est pas mentionné de façon explicite la compétence des Communautés autonomes à légiférer en matière de langue ni d’éducation, l’article 149.3 ouvre la porte à que ce soient ces Communautés qui le fassent en déclarant que « les matières qui ne sont pas expressément attribuées à l’État par la Constitution pourront incomber aux Communautés autonomes, conformément à leurs statuts respectifs » (p. 44). Ainsi et étant donné que l’État ne s’attribue pas, dans l’article 149, une compétence exclusive en matière linguistique, par vertu de l’article 149.3, se sont les différentes Communautés qui peuvent le faire si elles le souhaitent et, surtout, si elles l’établissent dans leurs statuts propres.
Cependant, en ce qui concerne les langues officielles, la Constitution espagnole est claire dans l’article 3 où elle déclare que :
Le castillan est la langue espagnole officielle de l’État. Tous les Espagnols ont le devoir de la savoir et le droit de l’utiliser.
Les autres langues espagnoles seront également officielles dans les Communautés autonomes respectives, conformément à leurs statuts.20
La richesse des différentes modalités linguistiques de l’Espagne est un patrimoine culturel qui doit être l’objet d’une protection et d’un respect particuliers. (Constitution espagnole, 1978, p. 9)
En résumé donc, la Constitution espagnole permet aux différents peuples et régions d’Espagne de se constituer en Communautés autonomes et de se gouverner eux-mêmes. Parmi les différentes compétences dont peuvent jouir ces Communautés se trouvent la compétence législative exclusive de réglementer le développement de la culture ainsi que l’enseignement de la langue propre si elle existe,21 tout en respectant et en incluant la langue espagnole officielle, le castillan.
Le Statut d’Autonomie de Catalogne
En vertu de l’article 143.1 de la Constitution espagnole, la Catalogne s’est constituée en Communauté autonome et a créé le Statut d’autonomie de Catalogne en 1979. Il énonce les droits et les devoirs des citoyens de Catalogne, les institutions politiques de la nationalité catalane ainsi que ses compétences et ses relations avec l’État espagnol. Approuvé par référendum en 1979, puis réformé en 2006, le Statut d’autonomie de Catalogne a été le premier statut d’autonomie à avoir été mis en place en Espagne. De plus, le Statut d’autonomie de Catalogne a désigné la Generalitat de Catalunya (dorénavant Generalitat) comme l’institution chargée du gouvernement de la région de la Catalogne. Elle est composée d’un Parlement et d’un Conseil exécutif présidé par un Président.
Le Statut d’autonomie a permis à la Catalogne d’accéder à sa reconnaissance comme peuple avec une culture, une histoire et une langue propres, trois piliers fondamentaux dans le développement des différentes compétences qui organisent aujourd’hui sa faculté à s’autogouverner. Parmi les compétences exclusives de la Generalitat certaines concernent la culture, l’éducation et la langue ainsi que les médias et l’organisation du territoire.
Notons que les articles 6, 35, 50, 131 et 143 de l’actuel Statut d’autonomie de Catalogne établissent la capacité légale de la Generalitat à légiférer dans le domaine de l’enseignement du catalan. Concrètement, ces articles portent sur la langue propre et les langues officielles, sur les droits linguistiques auprès des administrations publiques et des institutions de l’État, sur les droits linguistiques dans le domaine de l’enseignement, sur l’encouragement et la diffusion du catalan et sur l’éducation et la langue propre.
Comme dans la Constitution Espagnole, le Statut d’autonomie de Catalogne place dans ces premiers articles la législation concernant la langue. L’article 6 établit, en premier lieu, que « la langue propre de la Catalogne est le catalan (…), normalement utilisé comme langue véhiculaire et d’apprentissage dans l’enseignement ».22 Deuxièmement, il établit que le catalan est la langue officielle de la Catalogne, de même que le castillan, qui est la langue officielle de l’État espagnol ». (Parlament de Catalunya, 2006, p. 9)
Grâce à cet article concernant les langues officielles en Catalogne, les Catalans jouissent de plusieurs droits linguistiques qui sont régulés tout au long du Statut d’autonomie de Catalogne. Parmi tous ces droits, notons celui des droits linguistiques dans le domaine de l’enseignement (article 35). L’article est fondamental car il préconise d’organiser l’un des principaux axes du processus de construction nationale de la Catalogne, la normalisation linguistique de la langue catalane. Dans ce sens, l’article 35 établit que toutes les personnes ont le droit de recevoir un enseignement en catalan, [langue qui] doit habituellement être utilisée comme langue véhiculaire et d’apprentissage dans le cursus universitaire et non universitaire ».
Toutefois, afin de pouvoir mettre en place ce droit et ce devoir linguistique, la Generalitat devrait avoir la compétence exclusive en éducation et en langue propre, ce que lui permet la Constitution espagnole par son article 149.3, rappelons-le, quand elle offre la possibilité à que ce soient ces Communautés qui légifèrent « les matières qui ne sont pas expressément attribuées à l’État par la Constitution ». Cette attribution de la compétence exclusive en éducation — qui à des effets pratiques n’affecte qu’aux contenus — et en langue propre par la Generalitat se reflètera dans les articles 131.1, 131.2 et 143 du Statut d’autonomie de la Catalogne (Parlament de Catalunya, 2006, pp. 47, 53).
De plus, la Generalitat s’oblige formellement à l’encouragement et à la diffusion du catalan par l’article 50 de son Statut, car :
Les pouvoirs publics doivent protéger le catalan dans tous les domaines et secteurs, ils doivent favoriser et encourager son emploi, sa diffusion et son enseignement. Ces principes sont également applicables à l’aranais.
Le Gouvernement, les universités et les institutions d’enseignement supérieur, dans le domaine de leurs compétences respectives, doivent adopter les mesures pertinentes afin de garantir et d’encourager l’emploi du catalan dans toutes les activités enseignantes et non enseignantes, ainsi que dans la recherche.
Les politiques d’encouragement du catalan doivent être étendues à l’ensemble de l’État, à l’Union européenne et au reste du monde. (Parlament de Catalunya, 2006, p. 20)
Cette volonté de légiférer l’enseignement, la langue propre ainsi que les droits linguistiques des Catalans a toujours été un axe fondamental du gouvernement catalan. Or, pour ce faire, bien entendu, il fallait créer une législation sur mesure concernant la langue catalane avec l’objectif d’en récupérer ses usages officiels et son enseignement, entre autres. Cela a été fait, en 1983, par la Direcció General de Política Lingüística de la Generalitat (1980) (dorénavant DGPL), organisme public en charge de l’analyse, la direction, la planification, la coordination et l’exécution de la politique linguistique de la Generalitat avec la création de la Loi sur la normalisation linguistique en Catalogne et, ultérieurement en 1998 avec la Loi sur la politique linguistique. Ces lois ont pour objectif principal de favoriser la connaissance complète et l’emploi habituel de la langue catalane tout en légiférant, de manière claire et précise, sur l’usage de la langue catalane dans tous les domaines et secteurs publics où la Generalitat bénéficie des compétences attribuées.
Les outils actuels d’enseignement du Catalan comme Langue Seconde aux adultes
Dès l’année 2000, en même temps que l’accroissement progressif du nombre d’étudiants étrangers de catalan et l’intégration des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans la didactique des langues, l’offre et la création des outils pour l’apprentissage du catalan augmente de façon significative, autant au niveau des manuels que des ressources numériques. Cette augmentation s’est développée principalement en Catalogne et dans une moindre mesure dans les autres territoires de langue catalane ainsi qu’à l’étranger.
La plupart de ces nouveaux matériels affirment suivre les préconisations postulées par le CECRL, c’est-à-dire, une approche communicative et actionnelle qui vise la compétence interculturelle en essayant de transformer l’apprenant en un véritable acteur social en le convoquant à réaliser des tâches grâce à différents documents authentiques. Parmi tous ces nouveaux outils, dans un premier temps, nous aimerions souligner les collections de manuels sur support papier qui s’adressent à un public adulte et non-catalanophone et qui ont été créées en Catalogne ; 38 ce sont les collections des maisons d’édition de Barcanova, Castellnou, Octaedro, Teide et de Publicacions de l’Abadia de Montserrat (dorénavant PAMSA). Nous tenons à préciser que l’une des collections de la maison d’éditions PAMSA, la série de manuels Veus, constituera le point de départ du corpus d’images sur lequel reposent les expérimentations de notre étude.
Tous les ouvrages produits concernent les niveaux A1, A2 et B1, certaines s’adressent aussi aux niveaux supérieurs. Le Tableau 2 ci-dessous établit la liste détaillée de ces collections ainsi que des manuels qu’elles ont édités.
Profil et motivations de l’étudiant universitaire du catalan dans le monde
Malgré la longue tradition de l’enseignement du catalan en contexte hétéroglotte, et le grand nombre actuel d’apprenants de catalan à l’étranger, peu d’études ont été réalisées sur le profil et les motivations de ces apprenants. En effet, elles sont au nombre de trois : Manuel (2014), Ferran (2015) et Tudela, Vidal, Repiso et Manuel (2020). Nous développerons ici la recherche effectuée par Tudela et al. car elle intègre les deux travaux précédents.
L’objectif principal de cette étude est de déterminer les caractéristiques communes des apprenants de catalan des universités en dehors de l’aire linguistique catalane. Pour ce faire, les auteurs ont recueilli des données des apprenants de quatre universités étrangères (la Beijing Foreign Studies University, l’University of California, l’University of Manchester et l’Université Toulouse 2 Jean Jaurès), divisées en quatre groupes de variables : sociodémographiques, académiques, linguistiques et, enfin, celles qui font référence au degré de contact avec la réalité catalane et ses locuteurs.
Cette l’étude révèle que les apprenants universitaires de catalan à l’étranger sont, principalement, des femmes d’entre 21 et 22 ans qui suivent des études de licence (90,7 %), en grande partie en lien avec les langues (82,1 %) et, notamment, avec l’espagnol (73,5 %). Généralement, elles suivent les cours de catalan en tant que matière optionnelle (77,8 %), et la plupart se trouvent dans les niveaux A1 (58,8 %) et A2 (24,7 %). Cette étude montre aussi que la principale motivation pour s’inscrire aux cours de catalan est l’intérêt pour l’apprentissage d’une autre langue étrangère (16,9 %), pour la culture et pour la politique catalanes (15,1 %) ou encore pour l’intérêt porté à la langue catalane en soi (13,8 %). En outre, un tiers des apprenants (34 %) déclare avoir effectué des séjours académiques à l’étranger dont 31,8 % dans des territoires de langue catalane. Concernant leur profil linguistique, soulignons que ces apprenants ont étudié plus de deux langues étrangères, autres que le catalan, et qu’ils ont comme langue maternelle la langue majoritaire du territoire où ils suivent leurs études, bien qu’ils soient 10,8 % à se déclarer bilingues. Enfin, en ce qui concerne le degré de contact de ces apprenants étrangers de catalan avec la réalité catalane dans toute sa diversité, il faut souligner que 68,1 % témoigne avoir été dans les territoires catalanophones avant de commencer leur étude de cette langue, notamment en Catalogne (40,9 %). Par rapport au contact avec la langue, il semblerait que les apprenants aient plus de contact avec des locuteurs du catalan avant de commencer leurs cours de catalan (52,6 %) qu’au moment de réalisation de l’étude (45,4 %).
La combinaison de toutes ces données offre une grande diversité. Retenons que l’apprenant de catalan en contexte hétéroglotte est une jeune adulte d’une vingtaine d’années qui commence à étudier le catalan motivée par l’apprentissage d’une langue étrangère et curieuse de la culture et la politique catalanes.
Cette demande d’apprentissage présente dans tous les continents a pu être en grande partie soutenue dans les universités grâce à la mise en place de lecteurs et de lectrices catalans.
L’évolution sémantique du terme culture
Selon le Dictionnaire de l’Académie française (9e édition, 1992), le mot culture apparaît vers le XIIème siècle sous le terme colture. Il désigne alors une « terre cultivée ». Cette signification restera figée jusqu’au XVIIème siècle, où une nouvelle acception apparaît : « formation de l’esprit par l’éducation ».
Ainsi, au niveau sémantique, nous constatons la création d’un nouveau sens. Désormais, le signifié « culture » renvoie à deux référents distincts : un (colture) désignant une activité concrète agricole, l’autre le résultat (formation de l’esprit) d’une activité aux contours flous qu’est l’éducation (Saussure, 1972).
Comme la plupart des néologismes issus d’un terme latin on observe la création d’un nouveau sens par glissement du concret vers l’abstrait. Ce glissement résulte d’un emploi métaphorique. En l’occurrence, l’individu est assimilé à la terre qui est retournée, creusée, ensemencée, soignée. Il est intéressant de noter que s’il est aisé de désigner implicitement la ou les personnes qui assurent la culture de la terre, il est beaucoup plus délicat de mettre au compte d’un ou plusieurs individus spécifiques l’œuvre de l’éducation. De même, la métaphore qui fait correspondre à un résultat concret de culture de la terre, la formation de l’esprit renvoie à la discrétion d’interprétation aussi bien de ceux qui utilisent le terme que de ceux qui le réceptionnent.
Dans cette nouvelle acception, on voit poindre des forces antagonistes qui resteront toujours présentes au cours de l’évolution du concept. En effet, d’un côté, le terme sera tiraillé entre la référence à l’individu et la relation à la communauté. D’un autre côté, on se demandera si la culture est d’origine naturelle, inhérente et intrinsèque à l’être humain ou bien si elle est un produit artificiel, fruit d’un travail et donc délibérée et consciemment mis en avant.
Un exemple de cette dualité que l’on vient de souligner s’exprime à travers les mots de la linguiste Claire Kramsch :
une façon de penser la culture est de la contraster avec la nature. La nature fait référence à ce qui nait de façon organique (nascere) ; la culture fait référence à ce qui a été cultivé et soigné (du latin « colere » : cultiver). 63 (Kramsch, 1998, p. 4)
Le débat entre les forces antagonistes qui configurent le concept de culture est-il présent dès l’origine du néologisme. À l’époque des Lumières (seconde moitié du XVIIème – début du XVIIIème siècle), le mot culture renvoyait à la condition nécessaire pour l’autoréalisation de l’individu, plus tard, pendant la période du romantisme (fin XVIIIème et début du XIXème siècle), la culture sera l’expression de l’esprit du peuple. En effet, pour les Lumières, l’opposition conceptuelle entre « nature » et « culture » est fondamentale. Pour eux, la culture est un trait instinctif de l’homme, « la somme des savoirs accumulés et transmis par l’humanité, considérée comme une totalité, au cours de son histoire » (Cuche, 2010, p. 11). En revanche, pour le romantisme, la culture n’est qu’une conséquence directe du génie créatif et irrationnel du peuple, un génie qui n’est pas dicté par la raison.
Au XIXème siècle l’acception du mot s’oriente à nouveau dans deux voies. L’une renvoie au perfectionnement de la personne et l’autre à l’ensemble des conduites et des comportements survenus à l’intérieur d’une communauté particulière et transmis dans la communauté par le biais de l’enseignement.
Ces significations, reflètent les préoccupations de la société européenne de l’époque. Elles seront confirmées dès l’entrée dans le XXème siècle par des auteurs comme l’anthropologue britannique Edwar B. Tylor. Toutefois, il semblerait que l’anthropologue français Lévi-Strauss soit le premier à avoir systématisé la notion scientifique de culture en France (Meyran & Rasplus, 2014, p. 47).
Mais, pourquoi nous intéresserons-nous à la culture en cours de langues étrangères ?
Quel rapport établissons-nous entre le concept de langue et celui de culture ?
Depuis son origine (XIIème siècle) mais de manière plus explicite à la fin du XIXème siècle, le concept de culture est convoqué dans le domaine de l’enseignement. Il est explicitement interpelé dans l’enseignement des langues étrangères par les didacticiens du XXème siècle comme nous le verrons plus loin.
L’évolution de l’association des termes langue, culture et identité
Dans la ligne théorique que nous venons de rappeler et selon le philosophe allemand Johann Gottfried von Herder (1744-1803), l’un des fondateurs du romantisme allemand, la culture pourrait se définir comme un héritage des générations passées, centré sur la langue et produit de l’esprit de la nation. En effet, pour Herder, très influencé par le nationalisme de l’époque, ce qui rassemblait les peuples, les groupes, les sociétés et donc l’identité collective, était le génie du peuple, le Volksgeist, l’âme du peuple. Cette manière d’être unique et irremplaçable aurait certains traits inhérents, certaines « caractéristiques propres au groupe concerné » comme nous disait Garcia (1998), parmi lesquelles se trouve la langue. Néanmoins, Denys Cuche constate que le sens romantique du terme culture apparaît associé
« un ensemble de conquêtes artistiques, intellectuelles et morales qui constituent le patrimoine d’une nation, considéré comme acquis une fois pour toutes, et qui fondent son unité. […] » (Cuche, 2010, p. 15-16).
Toutefois, l’idée postulée par Herder évoluera dans le même siècle sous la plume du linguiste et philosophe prussien Friedrich Wilhelm von Humboldt (1767-1835). Grâce à ses études, la notion scientifique du mot culture commencera à prendre forme dans un sens plus relativiste et donc, lié au contexte, même s’il nous semble que ce n’est qu’un prolongement de la notion romantique herderiènne sur le caractère dissociable du langage et de la culture. D’après Humboldt, la culture n’est rien d’autre qu’une vision déterminée du monde, une sorte de Weltansicht qui dépend exclusivement du langage, notre unique moyen et médiateur permettant une interprétation particulière d’organiser le monde (Meyran & Rasplus, 2014). Cette idée est résumée dans l’expression de Humboldt : « l’homme pense, sent et vit uniquement dans la langue » (Humboldt, 1828, p. 157).
Ainsi, autant pour Herder que pour Humboldt, des gens parleraient de manières différentes car ils pensent de façons différentes. En fait, si ces gens pensent différemment c’est parce que leur langue leur offre des manières différentes d’exprimer le monde qui les entoure. En outre, « la langue n’est pas un libre produit de l’homme individuel, elle appartient toujours à toute une nation ; en elle également, les générations plus récentes la reçoivent des générations qui les ont précédées » (Humboldt, 1828, p. 97). Cette pensée a permis la mise en place d’une réflexion sur le lien entre individu, société, langue et culture ; une réflexion qui aboutira à la Théorie de la relativité linguistique, dont les représentants sont les célèbres Edwar Sapir (1884-1939) et Benjamin Lee Whorf (1897-1941).
En linguistique et en anthropologie, les travaux effectués par ce binôme — l’hypothèse Sapir-Whorf — « fait valoir que la structure du langage que l’on utilise habituellement influence la manière dont on pense et se comporte » (Kramsch, 1998, p. 11).66 Pour Sapir même (Swiggers, 2008, p. 222) : « nous pouvons penser à la langue en tant que guide symbolique de la culture. Dans un autre sens, la linguistique est également d’une grande aide pour l’étude des phénomènes culturels ».67 L’association des termes identité, langue et culture sera à nouveau pensée, au cours du XIXème et du XXème siècles, par les anthropologues britannique et américain d’Edward B. Tylor (1832-1917) et Franz Boas (1858-1942). En 1871, Tylor a été le premier ethnologue présenter une définition de la culture. « Soucieux de s’en tenir aux faits observables en évitant d’être normatif, cet auteur insiste sur le caractère collectif de la culture, qui serait acquise et présente dans toutes les sociétés humaines, y compris les sociétés dites “primitives” » (Vinsonneau, 2002, p. 21).
De cette manière apparaissait la conception nettement relativiste du terme culture :
Culture ou civilisation, pris dans son sens ethnographique le plus étendu, désigne ce tout complexe comprenant à la fois les sciences, les croyances, l’art, la morale, les lois, les coutumes, et les autres facultés et habitudes acquises par l’homme dans l’état social. (Tylor, 1871, p. 1)
En effet, pour Tylor :
la culture est l’expression de la totalité de la vie sociale de l’homme. Elle se caractérise par sa dimension collective. Enfin, la culture est acquise et ne relève donc pas de l’hérédité biologique. Cependant, si la culture est acquise, son origine et son caractère sont en grande partie inconscients. (Cuche, 2010, p. 18)
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Table des matières
1 PRÉSENTATION DE L’ÉTUDE
1.1. CONTEXTE ET PROBLÉMATIQUE
1.1.1. Contexte général
1.1.2. Contexte particulier
1.1.3. Cadre et objectifs de la thèse
1.1.4. Hypothèses générales
1.1.5. Intérêt de la thèse
1.2. ÉTAT DES LIEUX DE L’ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE CATALANE
1.2.1. La langue catalane
1.2.1.1. Aperçu historique
1.2.1.2. Situation sociolinguistique actuelle
1.2.2. L’enseignement de la langue catalane aux adultes en Espagne
1.2.2.1. Son enseignement avant l’avènement de la démocratie
1.2.2.2. Les changements politiques en Espagne : une ouverture pour les langues
1.2.2.2.1. L’avènement de la démocratie espagnole : la Constitution espagnole
1.2.2.2.2. Le Statut d’Autonomie de Catalogne
1.2.2.3. Son enseignement dans la période démocratique
1.2.2.3.1. Les premiers outils d’enseignement du Catalan comme Langue Seconde
1.2.2.3.2. Les outils actuels d’enseignement du Catalan comme Langue Seconde aux adultes
1.2.3. L’enseignement universitaire du catalan à l’étranger
1.2.3.1. Profil et motivations de l’étudiant universitaire du catalan dans le monde
1.2.3.2. Les lectorats de catalan dans le monde
1.2.4. Le catalan en France
1.2.4.1. L’enseignement à la maternelle, au primaire et dans le secondaire français
1.2.4.2. L’enseignement supérieur
1.3. SYNTHÈSE INTERMÉDIAIRE
2 CADRE THÉORIQUE
2.1. LA CULTURE : DÉFINITION, ENJEUX ET REPRÉSENTATIONS
2.1.1. Définition et enjeux
2.1.1.1. L’évolution sémantique du terme culture
2.1.1.2. Rapport entre la langue et la culture
2.1.1.3. L’évolution de l’association des termes langue, culture et identité
2.1.2. Les représentations sociales
2.1.2.1. Les représentations sociales
2.1.2.2. Différentes approches
2.2. CONTRIBUTION DE LA PSYCHOLOGIE COGNITIVE
2.2.1. La catégorisation
2.2.2. Études pratiques sur la catégorisation
2.3. LA CULTURE DANS LA DIDACTIQUE DES LANGUES
2.3.1. Culture ou civilisation
2.3.2. Aperçu historique
2.3.2.1. Les premiers enseignements de langues étrangères
2.3.2.2. La méthode dite de « grammaire-traduction »
2.3.2.3. La méthode dite « directe »
2.3.2.4. Les méthodologies audiovisuelles
2.3.2.5. Les approches communicatives
2.3.2.5.1. Les documents authentiques et l’implicite culturel
2.3.2.5.2. La compétence de communication et son évolution
2.3.3. Le concept de culture dans la didactique des langues aujourd’hui
2.3.3.1. Le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL)
2.3.3.1.1. Approche retenue
2.3.3.1.2. Les compétences générales et les compétences langagières communicatives
2.3.3.1.3. La culture et l’authenticité
2.3.4. Analyse des contenus culturels dans les manuels et les curricula
2.3.4.1. Les manuels
2.3.4.2. Études précédentes
2.3.4.3. Orientations pratiques de l’enseignement de la culture
2.3.4.3.1. Classification des contenus culturels à partir des manuels
2.3.4.3.2. Classification des contenus culturels des institutions gouvernementales
2.4. SYNTHÈSE INTERMÉDIAIRE ET HYPOTHÈSES OPÉRATIONNELLES
3 MÉTHODOLOGIE
3.1. ÉTUDE 1 – ÉTUDE SUR LES OUTILS D’ENSEIGNEMENT/APPRENTISSAGE DES LANGUES ÉTRANGÈRES
3.1.1. Les manuels et leurs documents authentiques
3.1.1.1. Choix des manuels
3.1.1.2. Description des manuels choisis
3.1.1.3. Description des documents authentiques présents dans les manuels choisis
3.1.1.3.1. Données concernant le nombre
3.1.1.3.2. Données concernant la forme
3.1.1.3.3. Données concernant le contenu
3.1.1.3.4. Données concernant la fonction pédagogique
3.1.1.3.5. Synthèse des données
3.1.2. Sélection du corpus
3.1.2.1. Choix du corpus
3.1.2.1.1. Analyse des contenus culturels
3.1.2.1.2. Analyse de la représentativité de la culture catalane
3.1.2.2. Description du corpus choisi
3.2. ÉTUDE 2 – ÉTUDE DES REPRÉSENTATIONS DE LA CULTURE
3.2.1. Participants de l’étude
3.2.1.1. Les apprenants
3.2.1.1.1. Choix de l’échantillon d’apprenants
3.2.1.1.2. Appel à l’étude
3.2.1.1.3. Profil des apprenants
3.2.1.2. Les enseignants
3.2.1.2.1. Choix de l’échantillon des enseignants
3.2.1.2.2. Appel à l’étude
3.2.1.2.3. Profil des enseignants
3.2.2. Procédure de recueil des données
3.2.2.1. Test de catégorisation
3.2.2.1.1. Organisation générale du test
3.2.2.1.2. Déroulement du Test de Catégorisation Libre (TCL)
3.2.2.1.3. Déroulement du Test de Catégorisation Guidé (TCG)
3.2.2.1.4. Déroulement du questionnaire sociologique
3.2.3. Traitement des données des tâches de catégorisation
3.2.3.1. Codification des données
3.2.3.1.1. Codification quantitative
3.2.3.1.2. Codification qualitative
3.2.3.2. Analyse des données
3.2.3.2.1. Analyse qualitative des données
3.2.3.2.2. Analyse quantitative des données
3.3. SYNTHÈSE INTERMÉDIAIRE
4 RÉSULTATS
4.1. RÉSULTATS DE L’ÉTUDE DES MANUELS ET DE LEURS DOCUMENTS AUTHENTIQUES
4.1.1. Résultats concernant les manuels choisis
4.1.2. Résultats concernant les documents authentiques des manuels choisis
4.2. RÉSULTATS DE L’ÉTUDE DES REPRÉSENTATIONS
4.2.1. Résultats des Tests de Catégorisation Libre
4.2.2. Résultats des Tests de Catégorisation Guidé
4.2.3. Présentation comparative des résultats des TCL et des TCG
5 DISCUSSION DES RÉSULTATS
5.1. DISCUSSION SUR LES HYPOTHÈSES GÉNÉRALES ET LES HYPOTHÈSES OPÉRATIONNELLES
5.1.1. Discussion sur les hypothèses générales
5.1.2. Discussion sur les hypothèses opérationnelles
5.2. DISCUSSION SUR LES REPRÉSENTATIONS DES INFORMATEURS QUANT AUX CONCEPTS DE CULTURE ET DE CULTURE CATALANE
5.2.1. Représentations sur le concept de culture
5.2.2. Représentations sur le concept de culture catalane
5.3. DISCUSSIONS SUR LES QUESTIONS DE RECHERCHE
6 CONCLUSION ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE
7 BIBLIOGRAPHIE
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