L’ENREGISTREMENT ISOTOPIQUE DES GLACES ANTARCTIQUES: LE FORAGE PROFOND DE VOSTOK
En janvier 1998, le forage glaciaire le plus long au monde, à Vostok (78°S, 106°E), atteignait la profondeur de 3623 mètres. Il constitue le résultat de presque trente ans de labeur, mené d’abord par les Soviétiques, puis issu d’une coopération américano franco-russe, dans cette région qui compte parmi les plus hostiles de la planète avec une température moyenne annuelle de -55°C. A cause de la très faible quantité de neige tombant chaque année (moins de 6 cm), ces 3600 mètres de glace s’accumulent depuis plus de 400 000 ans, ce qui représente environ quatre cycles climatiques. Ils constituent une archive unique des variations climatiques. Unique par son caractère global, mais aussi par sa richesse: sont étudiés non seulement la glace, d’un point de vue chimique, isotopique, cristallographique, mais aussi les gaz emprisonnés dans cette matrice. Toutes ces informations sont présentées et interprétées dans un article paru dans le magazine Nature (Petit et al., 1999) reproduit en Annexe A.
Les mesures en deutérium du ‘fond’ de Vostok
La glace
La glace analysée provient du puits 5G de Vostok, le plus récent et plus profond, entre 2756 et 3348 m. Une découpe est effectuée longitudinalement sur chaque carotte, tous les mètres, elle est réservée aux mesures isotopiques. Elle est dédoublée de la façon suivante: chaque portion d’un mètre est découpée en 10 morceaux qui sont pilés individuellement et partagés entre deux séries, A et B. Le but de cette méthode est d’obtenir deux moyennes représentatives de chaque portion de un mètre. La série A (série ‘principale’) est celle analysée, l’autre série est archivée.
Les analyses isotopiques
L’analyse isotopique des glaces antarctiques est réalisée au LSCE pour les deux isotopes, oxygène et deutérium, mais celle du deutérium est plus rapide et permet de traiter un plus grand nombre d’échantillons. Elle est donc favorisée lorsqu’il s’agit d’obtenir rapidement un profil isotopique. Depuis l’obtention du profil sur les six cents derniers mètres du forage, les échantillons ont été partiellement remesurés pour le deutérium et complètement pour l’oxygène par Françoise Vimeux, afin d’étudier l’excès en deutérium (Vimeux, 1999).
Principes de mesure
L’analyse isotopique du deutérium se réalise sur la glace fondue, à l’aide d’un spectromètre de masse : l’eau liquide (3 ml) est injectée dans un circuit sous vide dans lequel elle est vaporisée, puis réduite sur des copeaux d’uranium à 600°C. Les molécules H2 et HD formées sont ionisées, accélérées par une différence de potentiel, puis déviées dans un champ magnétique. Cette déviation dépend de la masse m des ions (dépendance en 1/÷m), ce qui permet de séparer les ions de masse 2 (H2+ ) de ceux de masse 3 (HD+ ), et de mesurer le rapport isotopique D/H de l’eau injectée, en proportion (ppm).
Précision et justesse des mesures
Différentes calibrations et corrections sont effectuées par rapport à ce fonctionnement idéal.* La précision des mesures dépend d’un réglage fin des tension et champ magnétique appliqués, afin d’obtenir le meilleur rapport signal/bruit. Un asservissement électronique de ces réglages assure leur stabilité * La justesse des mesures est assurée par trois corrections et l’utilisation d’un standard:
D’une part l’ionisation conduit à la formation d’une masse 3 parasite, H3+ , comptabilisée avec HD+ . La correction de cet excès de masse 3 utilise la proportionnalité entre le nombre d’ions H3+ et le carré du nombre de H2+ . D’autre part les coefficients d’ionisation de H2 et HD diffèrent, et les rapports isotopiques avant ionisation (HD/H2 ) et après (HD+ /H2+ ) ne sont donc pas égaux. La correctionse base ici sur l’utilisation de 2 échantillons de compositions connues (‘références’) et très différentes, pour lesquels ce biais d’ionisation peut être calculé. Enfin, le dernier effet corrigé est celui du temps de résidence de l’eau adsorbée sur la surface réactive de l’uranium, le catalyseur de la réduction de l’eau (‘effet mémoire’) : une variation de la composition isotopique de l’eau injectée (nouvel échantillon) n’affecte pas instantanément celle des ions. Pour un gain de temps, l’équilibre des mesures n’est pas atteint, et la composition mesurée est alors intermédiaire entre la nouvelle et la précédente. La correction utilise le fait quel’équilibration vers la nouvelle composition a une tendance exponentielle. Le rapport isotopique mesuré est comparé à celui d’une eau de référence de composition absolue connue, analysée dans les mêmes conditions. Il est donc exprimé comme une déviation relative à cette référence .
* Des vérifications systématiques sont réalisées lors des mesures. Chaque échantillon est mesuré deux fois. Une référence de composition connue (proche de celles des échantillons) est intercalée tous les 5 échantillons, afin d’effectuer les corrections précédentes. Une autre référence, cette fois de composition très différente, est aussi mesurée et corrigée comme les échantillons. L’erreur combinée de mesure et de correction sur cette référence (dénommée ‘piège’) permet d’apprécier l’état de marche du spectromètre ainsi que la validité des calibrations.
Les mesures du fond de Vostok: la série principale
580 échantillons environ ont été analysés, soit la série principale (‘A’) complète de 2756 à 3348 m tous les mètres, plus quelques échantillons intermédiaires. En moyenne, à cause de l’état de fonctionnement moyen du spectromètre (‘LODO’) à cette époque, chaque échantillon a été analysé 2.9 fois, ce qui représente plus de 2000 mesures. En mode normal, un plateau de 45 échantillons est analysé par jour. La référence utilisée était ‘Glacial’ , de composition -432.9 (±.2) ‰, le ‘piège’ constitué par la référence ‘D57’ de composition -257.9 (±.5) ‰. Typiquement l’erreur acceptée sur le piège était de 1‰. Compte-tenu de la variation de composition de la glace (-420 à -480‰ environ), ‘Glacial’ se trouve à moins de 50‰ des échantillons, alors que ‘D57’ s’en trouve à plus de 160‰ et le plus souvent à 220‰. 1‰ d’erreur sur ce piège représente donc environ (1*50/160=) 0.3 ‰ à (1*50/220=) 0.2 ‰ d’erreur sur la composition absolue (justesse) des échantillons, due aux corrections. La comparaison de plusieurs analyses de chaque échantillon permet d’estimer la précision (relative) de la mesure à un peu moins de 1‰. Globalement, la précision moyenne sur chaque composition est estimée à 1‰ (précision et justesse). Elle est deux fois meilleure lorsque le spectromètre fonctionne bien.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I : L’ENREGISTREMENT ISOTOPIQUE DES GLACES ANTARCTIQUES : LE FORAGE PROFOND DE VOSTOK
I.1. Les mesures en deutérium du ‘fond’ de Vostok
I.1.1 La glace
I.1.2 Les analyses isotopiques
I.2. Le profil isotopique de Vostok : des variations climatiques sur 4 cycles
I.2.1 Le signal enregistré à Vostok est global
I.2.2 Le signal isotopique de Vostok : un enregistrement des variations locales de température ?
I.2.3. La modélisation simple isotopique
I.2.4 Les conclusions de la modélisation simple
I.3. La modélisation isotopique prise en défaut au Groenland
I.4. Le thermomètre isotopique s’applique-t-il en Antarctique ?
PARTIE II : VARIATIONS DE L’ORIGINE DES PRECIPITATIONS ANTARCTIQUES ET INFLUENCE SUR LE THERMOMETRE ISOTOPIQUE
II.1. Comment estimer l’origine des précipitations ?
II.1.1. Lien entre origine et recyclage
II.1.2. Les observations météorologiques et l’origine des précipitations antarctiques
II.1.3. Les ‘rétro-trajectoires’ pour remonter aux sources de la vapeur
II.1.4. L’origine des poussières déposées à Vostok
II.1.5. L’estimation latitudinale de l’origine par les isotopes de l’eau : le modèle simple
II.1.6. L’estimation de l’origine par les modèles de circulation générale
II.2. L’origine des précipitations antarctiques simulées avec le modèle du GISS
II.2.1. La version ‘traceurs’ du modèle du GISS au LSCE
II.2.2 L’origine des précipitations antarctiques simulée par le modèle du GISS
II.2.3. L’estimation de Werner et al. avec le modèle ECHAM
II.2.4. Le recyclage des précipitations : une validation des modèles ?
II.3. Les précipitations polaires comme mélange de plusieurs origines : impact sur leur composition isotopique
II.3.1. Validity of the isotopic thermometer in central Antarctica : limited impact of glacial precipitation seasonality and moisture origin
II.4. Conclusion: prendre en compte la diversité de sources est nécessaire pour comprendre les variations climatiques
PARTIE III : MODELISATION DE LA COMPOSITION ISOTOPIQUE OCEANIQUE DE L’OXYGENE : LE ROLE DU BILAN HYDROLOGIQUE
III.1. La composition isotopique de l’océan et sa relation avec la salinité
III.2. Simuler la composition isotopique de l’océan
III.2.1. La modélisation à une boite
III.2.2. La modélisation avec un modèle de circulation générale : prendre en compte le transport océanique
III.3. Les résultats de notre simulation globale
III.3.1. Introduction
III.3.2. The atmospheric fluxes and the oceanic tracers
III.3.3. Isotopic field and relation to salinity
III.3.4. Atmospheric vs oceanic control of the surface
III.3.5. Conclusion
III.4. La relation salinité-isotope dans l’océan indien
III.4.1. Introduction
III.4.2. Atmospheric forcings of the Northern Indian Ocean hydrology
III.4.3. d18O measurements and relation to salinity
III.4.4. Modelling the d18O – salinity relationship
III.4.5. Discussion
III.4.6 Conclusion
III.5. Tentative de modélisation pour le dernier maximum glaciaire.
III.6. Conclusion
PARTIE IV : INFLUENCE DES CONDITIONS OCEANIQUES SUR L’EXCES EN DEUTERIUM EN ANTARCTIQUE
IV.1. L’excès en deutérium et l’information climatique de la source.
IV.1.1. L’excès en deutérium à l’évaporation
IV.1.2. L’excès en deutérium dans les précipitations. Le cas de l’Antarctique
IV.1.3. L’excès des précipitations antarctiques : sensibilité aux conditions à la source
IV.1.4. L’excès des précipitations antarctiques : variations spatiales et climatiques
IV.2. L’excès en deutérium et l’information isotopique de la source
CONCLUSION
REFERENCES
ANNEXES