L’ENJEU DU DEVELOPPEMENT TERRITORIAL
LE DEVELOPPEMENT TERRITORIAL, UNE NOUVELLE MANIERE DE PENSER LE DEVELOPPEMENT
La gouvernance ou la m ise en avant de la participation de la société civile
Après l’ échec des modèles d’État centralisateur et protecteur, puis le retrait progressif de l’État par la suite, dans les années 1990 un nouveau modèle est apparu, symbolisé par le concept de gouvernance. La gouvernance peut être comprise comme un processus de coordination des acteurs, groupes sociaux et institutions en vue de réaliser des objectifs définis et discutés collectivement (Le Galès, 1998). Ce principe, appliqué à la gestion publique, est associé à la pratique de la subsidiarité selon laquelle la décision doit être prise par le groupe d’ acteurs qui connaît le mieux le problème, la manière de le résoudre et qui a le plus d’ intérêts à la résolution des conflits (Philippe Bonnal & Maluf, 2009).
La gouvernance suppose ainsi une participation des personnes confrontées directement aux problèmes et difficultés à résoudre. Cette participation peut revêtir une multitude de formes et implique la mise en place d’autant d’innovations procédurales pour donner une place à la société civile. Les modalités plus précises de la participation de la société civile dans les affaires publiques ont été développées par les chercheurs du Centre de sociologie de l’ innovation (Callon et al. 2001). Ces auteurs lancent les fondements d’ une « démocratie technique » confrontant les politiques, les techniciens et les profanes qui n’ont pas de connaissances particulières sur les sujets traités, mais y sont confrontés dans leur vie quotidienne. Ce type de démocratie remet en cause la toute puissance des experts qui ont souvent tendance à fonctionner en vase clos et à ignorer certaines objections de profanes sans suffisamment remettre en cause la pertinence de leur position. Ainsi un gradient de participation existe entre un modèle d’instruction publique dont la tâche est l’ éducation d’ un public non rompu à la réalité scientifique, un modèle de débat public dans lequel les savoirs et les compétences des profanes viennent enrichir et compléter celles des experts, et un modèle de co-construction des savoirs qui associe activement les profanes à l’ élaboration des connaissances les concernant.
Cependant, un équilibre semble devoir être trouvé entre la démocratie participative ou directe et la démocratie représentative qui doivent être coordonnées pour maintenir des institutions publiques fortes (Theys, 2003). En effet, l’État doit pouvoir jouer un rôle régulateur important dans certains domaines notamment ceux touchants aux grands équilibres comme le commerce extérieur ou d’ environnement. La gouvernance peut être localisée lorsqu’ elle à un rôle de gestion d’ un territoire. La gouvernance territoriale s’ affirme comme un processus nécessaire à la bonne conduite des affaires collectives en particulier dans les espaces ruraux ou périurbain. Ces principes peuvent être appliqués, de manières structurelles, dans la gestion des affaires publiques. Ils peuvent s’inscrire alors dans les processus de décentralisation des missions et prérogatives de l’Etat. Le rôle et le niveau d’intervention qu’ il doit avoir semblent alors devoir être redéfinis. Certains considèrent que ce rôle doit se limiter à gérer et à coordonner les réseaux. L’État-réseau doit assurer le partage de l’ autorité entre des réseaux d’institutions. Il doit prendre la forme politique la plus adaptée à la gestion quotidienne de la tension entre le local et le global.
Cependant, l’avènement de cette gouvernance suppose que la société civile soit capable d’ être source de propositions. Il suppose aussi que la prise de décision soit déléguée à des agents locaux (représentants politiques et représentants de la société civile) dans une démarche participative qui soit en mesure de dynamiser le capital social territorial disponible (Azevedo et al. 2009).
La proximité comparatif
géogra phique comme nouvel avantage Un certain nombre de travaux retracent la trajectoire du courant de pensée de l’économie de la proximité et ont inspiré la présente partie (Fournier & Muchnik,2010; Pecqueur, 2005 ; Courlet, 2002 ; Requier-Desjardins, 2009).
Un courant issu de l’économie industrielle
Ce courant est issu de la théorie des Districts Industriels développée par A.Marshall (Marshall, 1890) qui met en avant un modèle de développement industriel alternatif à celui du modèle fordiste basé sur la division technique du travail au sein de grandes firmes intégrées. L’ auteur définit les Districts Industriels comme le regroupement dans un même espace géographique de firmes indépendantes, en relation les unes aux autres, de petite taille et spécialisées dans un même segment du processus productif. Il insiste sur les économies externes issues du regroupement de ressources humaines spécifiques. Ces économies sont d’ ordre ordinaire (ou pécuniaire), par la diminution des prix (contrat, sous-traitance ou accords de coopération facilités) et exacerbée par la confiance, ou d’ ordre technologique, par le processus collectif d’innovation issu de 1′ « atmosphère industrielle» (Krugman, 1991 ). Cette théorie, oubliée pendant un temps, a été mobilisée par des économistes italiens, autour de G.Becattini pour expliquer le développement de la « troisième Italie ». Ceux-ci insistent sur l’importance de la proximité socioculturelle (identité locale, coopération, normes communes et valeurs partagées) dans la création des externalités marshalliennes (Becattini, 1992). Le district industriel est ainsi redéfini comme une « entité socio-territoriale caractérisée par la présence active d’ une communauté de personnes et d’une population d’ entreprises dans un espace géographique et historique donné ». Putman, à partir de cette expérience, développe le concept de capital social (Helliwell & Putnam, 1995).
Parallèlement, à travers les approches de la géographie économique, l’école californienne, montre la faible adaptation des économies fordiennes (recherche d’économies d’échelle) à la demande actuelle et l’avènement d’un nouveau modèle dit de « spécialisation flexible » (Piore & Sabel, 1984) illustré par les cas d’école de la Silicon Valley et de la route 128 (Saxenian, 1996). Ce modèle est caractérisé par une division du travail entre firmes et un tissu industriel favorisant la circulation de 1′ information, la coordination interne des territoires et leur ouverture sur l’extérieur. La désintégration verticale permet de réaliser des économies de spécialisation, limite les excès de capacité productive et l’enfermement technologique. Les coûts de transaction accrus dus à 1′ augmentation des relations interfirmes, éventuellement incertaines et complexes, sont alors limités par le regroupement des acteurs économiques et par leurs relations privilégiées (Storper & Harrison, 1991). Les chercheurs du Gremi (Groupe de Recherche Européen sur les Milieux Innovateurs) (Aydalot, 1986) insistent, dans une vision néo-schumpetérienne, sur 1 ‘existence de milieux propices à l’entreprenariat qu’ils dénomment milieux innovateurs. Cette innovation est considérée comme endogène et issue d’un construit social. Elle se traduit par des jeux de coopération/concurrence. Le concept du milieu innovateur s’intègre à celui des districts industriels.
Puis Porter a élargi la notion de District par la notion de cluster qu’il définit comme une « concentration géographique d’entreprises inter connectées et d’institutions dans un espace particulier » (Porter, 1990). Les clusters peuvent comprendre des entreprises de tailles variables et complémentaires dans différentes activités d’un même secteur. Cette notion peut s’appliquer à des situations où tous les attributs du district industriel ne sont pas tous vérifiés, comme la présence d’un capital social ou la coopération inter-entreprise. De leur côté, certains auteurs français tels que Torre ou Pecqueur s’intéressent à la construction d’un territoire spécifique avec le développement d’activités productives par une communauté d’acteurs et d’entreprises. A la notion de proximité géographique dont ils relativisent l’importance, s’ajoute celle de la proximité organisée, d’essence relationnelle, fondée sur les logiques d’appartenance (même organisation) et sur les logiques de similitude (même système de représentation) pour former des systèmes productifs locaux (SPL). Celle-ci Cette dernière proximité peut se construire. Elle n’est pas forcement issue d’une proximité géographique permanente mais peut se limiter à une proximité géographique temporaire (les acteurs sont distants, mais se rencontrent de temps en temps) qui peut être associé à l’utilisation des Technologies de l’Information et de la Communication (TICs)(Rallet & Torre 2004). L’instauration d’une confiance entre les acteurs est ici fondamentale. Les Arrangement Productifs locaux (APL) sont, de leur côté, un concept issu du travail d’un réseau de recherche sur les systèmes et arrangements productifs locaux (Redesist), créé en 1997, et coordonné par l’Institut d’économie de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro. Les coordinateurs et initiateurs du réseau ont mené leurs recherches avec l’Institut of Dévelopment Studies (IDS) de l’université de Sussex et avec H.Schmitz en particulier (Schmitz & Cassiolato 1992 ; (Schmitz et al. 2003). Ainsi le concept d’APL est proche de celui qui a été développé par les chercheurs de 1 ‘IDS. Ces derniers articulent la notion de cluster de Porter qui prend en compte l’industrie locale et son fonctionnement interne, avec celle de « filières globales » qui considère en outre les réseaux externes (exportations par exemple). Cette dernière notion permet d’expliquer certaines trajectoires du système industriel local.
Ces chercheurs proposent des modèles adaptés aux pays en voie de développement. Ces pays peuvent parfois comporter des clusters mais, la plupart, dans des formes incomplètes (peu d’interactions ou peu d’engagement des institutions d’appui par exemple). Cependant ces clusters incomplets peuvent permettre de bénéficier, dans un premier temps, des « formes passives » de l’ « efficacité collective »\ les fameuses économies externes (Crocco et al., 2003).Aussi ces systèmes sont considérés dans leur processus et doivent être abordés de manière différenciée selon leur stade d’évolution. Selon Schmitz, les institutions étatiques ne peuvent pas créer de toutes pièces une organisation industrielle qui soit compétitive sur la base d’ une efficacité collective. Cependant une fois que l’initiative privée a construit un minimum de concentration d’ activité et de savoirs faire industriels, ces institutions peuvent jouer un rôle important en aidant cette organisation à se développer et à innover (Schmitz 1995). Aussi les APL sont tout d’ abord définis en termes très larges, comme des agrégations territoriales d’ agents économiques, politiques et sociaux, concentrées sur un ensemble spécifique d’activités économiques qui présentent des liens entre elles, même naissants. Tandis que les systèmes localisés de production et d’innovation, quant à eux, sont considérés comme des systèmes plus aboutis dans lesquels interdépendance, articulation et liens consistants entraînent interactions, coopérations, et apprentissages, susceptibles de générer des capacités endogènes, une compétitivité et un développement local (Cassiolato et Lastres 2003).
Les APL s’inscrivent également dans une vision évolutionniste par rapport aux changements technologiques en considérant l’APL comme un système d’innovation au sein duquel un ensemble d’institutions en interaction contribuent au développement et à la diffusion de technologies (Cassiolato & Lastres, 2003). Ainsi tous les efforts doivent être entrepris pour mettre en place un environnement propice à l’ innovation (semblable aux conceptions des milieux innovants du GREMI) considérée comme le facteur clef de la compétitivité. Celui-ci doit ainsi valoriser en premier lieu l’éducation, l’ apprentissage et la connaissance.
Une adaptation aux activités spécifiques de l’agriculture
Le courant de pensée de l’économie de proximité, ainsi que les concepts et outils qui en sont issus, proviennent essentiellement, on l’a vu précédemment, d’analyses de tissus industriels: districts industriels, troisième Italie, Silicon Valley et route 128, clusters, SPL. Une adaptation de ces concepts et outils au secteur agro-alimentaire ainsi que de leur mise en œuvre, est absolument indispensable. Ce secteur a des spécificités propres qui ne permettent pas de l’assimiler mécaniquement au secteur industriel. Une grande partie de ces particularités tient à la nature même de la production agricole. Cette production est notamment soumise à une multitude de contraintes et aléas, conjoncturels aussi bien que structurels: conditions pédo-bio-climatiques (sol, faune, climat, saisonnalité … ), nécessités agronomiques (équilibre de la fertilité par rotation ou apport d’intrants, gestion de la surface disponible … ), périssabilité et hétérogénéité des produits qui induisent de fortes incertitudes sur les quantités et qualités fournies. Aussi, les ressources financières sont souvent particulièrement faibles dans les pays du sud. Ces caractéristiques entraînent des risques importants et induisent des logiques paysannes très variées. Par ailleurs, l’ agriculture entretient une relation particulière avec le territoire puisqu’ elle a un impact déterminant sur la gestion de l’ espace et de ses ressources naturelle. L’agriculture et les produits agricoles sont ainsi naturellement porteurs de l’identité de ce territoire. Cette gestion peut fournir par ailleurs des biens et services d’intérêt général tels que la préservation L’efficacité collective est définie par Schmitz comme l’avantage compétitif engendré par les économies externes (forme passive) et l’action conjointe (forme active)(Schmitz et Nadvi 1999)
de la biodiversité, protection des ressources naturelles, prévention des risques naturels, santé et sécurité alimentaire qui j ustifient un appui particul ièrement fort des gouvernements Il faut souligner en outre que la stratégie de spécial isation prônée dans le cas des entreprenariats des autres secteurs est, dans le contexte agricole, très risquée. L’appl ication des APL à agro-al imentaire ne doit pas être conçue comme un processus de spécial isation qui privilégierait seulement la fi l ière d’un produit. Les APL doivent ici constituer un moyen de structurer et de permettre la diversification des systèmes d’activité des agriculteurs à travers la valorisation de différents produits et la rencontre de nouveaux débouchés {Tonneau et al., 2009).
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Table des matières
Introduction
l L’enjeu du développement territorial
1.1 Le développement territorial, une nouvelle manière de penser le développement
1.1.1 La gouvernance ou la mise en avant de la participation de la société civile
1.1.2 La proximité géographique comme nouvel avantage comparatif
1.1.3 Le développement territorial, un nouveau paradigme
1.2 Un contexte politique fédéral en recherche de légitimité
1.2.1 Une administration brési l ienne remise en cause
1.2.2 Une colonisation agraire en réforme
1.2.3 Le développement agricole comme moyen de réduire la pauvreté
1.2.4 La m ise en place des APL au Brésil
1.2.5 Une adaptation des mesures aux territoires
1.3 Un territoire d’Amazonie
1.3.1 Un territoire vaste et divers, marqué par deux saisons climatiques
1.3.2 Une évolution rapide du territoire
1.3.3 Un développement territorial particul ier en Amazonie et dans le territoire Baixo
Amazonas
1.4 Conclusion partiel le
2 Méthodologie
2.1 un partage de la vie quotidienne des acteurs locaux
2.2 Une analyse multidimensionnelle des dispositifs
2.3 Une analyse multi scalaire du développement local et des APL
2.3.1 Une identification des dynamiques locales présentes sur le territoire
2.3.2 Une méthodologie basée sur la notion de territoire et de fi lière
2.3.3 La méthodologie d’analyse des APL
2.4 Des l imites dues à la complexité des objets étudiés
3 Resultats et analyses
3.1 Le Codeter, un dispositif territorial
3 .1.1 La trajectoire du Codeter-BAM
3.1.2 Une organisation interne à redéfinir
3.1.3 Une participation cyc lique
3.1.4 Une participation inégale des acteurs du territoire
3.1.5 Une collecte et une diffusion des informations difficiles
3 .1.6 Une construction fragile des demandes
3.1.7 Des actions encore limitées
3.2 Les Arrangements productifs locaux, une stratégie pour le territoire .
3.2.1 L’APL fruiticulture/ananas de Santarém, un outil de développement efficace
3.2.2 L’APL fruiticulture de Oriximina, un renforcement du dispositif nécessaire
3.2.3 L’APL lait de A lenquer, un accord entre les acteurs indispensable
4 Discussion et perspectives
4.1 Un plan territorial de développement pour le Baixo Amazonas
4.2 Une évolution institutionnelle à prévoir
4.3 Une proximité organisée pour les territoires d’Amazonie
Conclusion
Bibliographie
Table des figures
Table des matières
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