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Innover dans tous les territoires
En 2015, le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) publie un document dans lequel est mis en avant dix leviers d’innovation pour les territoires de faible densité1. D’après leurs critères d’étude, du point de vue de l’innovation2, les territoires de faible densité sont définis comme des espaces qui ont, en théorie, une faible capacité à innover car peu dotés de « facteurs classiques de l’innovation3 » tels que définis par l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) (CGET, 2015). A l’’aide d’une vingtaine d’indicateurs, les intercommunalités françaises ont été classées par déciles afin de calculer leur capacité d’innovation théorique ; en découle la carte ci-dessous identifiant les intercommunalités dont la capacité d’innovation théorique est la plus faible (en clair) à celles dont elle est la plus forte (en marron foncé) (Figure 1).
Parallèlement, en politique de la ville, les projets innovants concernent les quartiers prioritaires. Pendant deux ans, le CGET a réalisé une étude sur les ressorts de l’innovation dans les quartiers prioritaires dans le but de repérer les facteurs de développement économique. Cette étude au niveau national s’est intéressée au processus d’innovation dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville à travers une centaine d’initiatives entre 2015 et 2016. Le constat est que malgré le déficit de « facteurs classiques d’innovation », les quartiers prioritaires regorgent d’innovations qui répondent aux besoins sociaux. Malgré tout, des inégalités sont présentes et constituent des obstacles fréquents : difficultés de financement, d’accès aux réseaux d’affaires… En réaction à cette étude a été créé en ligne un lab « innovation et territoires » permettant de valoriser les bonnes pratiques et de rapprocher une communauté d’acteurs (CGET, 2017a). La mise en parallèle des deux cartes ci-dessus révèle que les quartiers prioritaires, politique de la ville (Figure 3) correspondent aux terrains d’innovations avec de réels potentiels de développement (Figure 2). En effet, les résultats de l’étude menée par le CGET « L’innovation, moteur de développement économique et d’emploi dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville » montrent que les innovations sont de natures variées (sociale, technologique, marketing) et sont porteuses de formes d’innovations territoriales structurant durablement des partenariats locaux entre acteurs publics et privés (CCGET, 2017a). La pluralité se retrouve également dans la typologie des innovateurs. Ceux-ci peuvent aussi bien être des entrepreneurs individuels (classiques ou sociaux), de grandes entreprises, fondations, des acteurs publics ou des associations relevant de la politique de la ville (Avise, 2015).
De la mise en évidence des leviers caractérisant les territoires et des résultats de l’étude d’une quinzaine de cas, découle une typologie des territoires innovants. Le CGET détermine trois profils de territoires peu denses innovants (CGGET, 2015).
Le « territoire laboratoire » Ce territoire constitue un espace d’expérimentation qui s’appuie sur une demande ou un enjeu local pour catalyser le développement de solutions innovantes. La capacité à innover de ce type de territoires est donc intimement liée à la faible densité elle-même. Celle-ci appelle au développement de modèles alternatifs en matière de services de santé, de mobilité, de formes de distribution, de travail, d’habitat, de participation citoyenne et de gestion des ressources. La visée du « territoire laboratoire » est alors d’inventer des solutions dans l’optique de les dupliquer ailleurs contrairement au « territoire pépite » qui vise précisément à développer des services ou produits spécifiques non reproductibles.
Le « territoire pépite » Il repose sur un modèle de développement territorial qui lui est propre, fondé sur la valorisation des ressources locales. Il peut s’agir de ressources rares comme le patrimoine mais aussi de compétences spécifiques qui permettent de le différencier ; on pense par exemple au savoir-faire artisanal ou industriel.
Le « territoire coopératif » Ce modèle repose sur une stratégie de développement qui s’appuie sur des coopérations avec d’autres territoires ou avec des acteurs extérieurs au territoire. Ces coopérations peuvent être diverses : coopération avec un espace de forte densité (proche d’une ville) en développant un projet fondé sur la complémentarité des densités ; coopération entre territoires de faible densité, qui permet un rôle facilitateur au travers des retours d’expérience, de méthodologie… et enfin la coopération transfrontalière qui permet d’importer de nouvelles solutions au sein du territoire ou de profiter du rayonnement des territoires alentours.
La conclusion de l’étude est qu’il est possible de faire émerger et de développer des projets innovants dans des territoires de faible densité ; le facteur décisif est qu’il faut que ces territoires prennent conscience de leur pouvoir innovateur, qu’ils s’approprient leur créativité localement pour systématiser les initiatives innovantes. Dans cette optique, le CGET s’engage auprès des territoires ruraux à travers les contrats de plan Etat-régions qui visent à amplifier les capacités de développement et d’innovation. Au-delà de ces mesures, le CGET soutient l’innovation dans les territoires par le biais d’une démarche pilote « territoires catalyseurs d’innovation ». Ces derniers sont perçus comme des lieux d’expérimentation et de déploiement de solutions nouvelles dans les champs du développement économique, de l’aménagement, de l’énergie et de la mobilité. Malheureusement la région Centre-Val de Loire n’est pas l’une des six régions sélectionnées pour les projets pilotes. La mise en place d’outils innovants par les politiques publiques permettra de rendre plus lisible et compréhensible l’action publique ; de replacer l’intérêt de l’action collective et de l’engagement et de retisser un lien fort entre l’action publique et les citoyens.
Changement d’échelle
Le changement d’échelle est une étape clé pour la pérennité des initiatives. Deux transitions sont exposées dans les articles de De Sousa Cardoso et Lambert construits en réponse l’un de l’autre (De Sousa Cardoso, 2017; Lambert, 2018). Alors que pour De Sousa Cardoso, il faut « coopérer localement pour innover globalement » ; Lambert énonce qu’il faut « innover localement, coopérer globalement ».
Selon Cyril de Sousa Cardoso, l’innovation sociale reste avant tout locale car elle a besoin de la relation humaine pour se développer ; de ce fait, elle se développera d’autant plus si l’interaction est directe sur le territoire (De Sousa Cardoso, 2017). Ce sont avant tout les interactions humaines, les idées quelles suscitent qui vont entraîner les coopérations nécessaires à l’enclenchement du processus d’innovation sociale. Pour l’auteur, l’innovation est avant tout une affaire humaine ; sur ce fondement, il détermine un triptyque sur lequel peuvent s’appuyer les acteurs et territoires désireux d’innover (Figure 4).
Démocratie Permanente
« Faisons vivre une démocratie permanente en région Centre-Val de Loire » La démarche innovante de Démocratie Permanente a été engagée en 2017 par le Conseil régional Centre-Val de Loire et confiée au vice-président délégué à la démocratie, aux initiatives citoyennes, au développement rural, à la coopération et à l’égalité, Charles Fournier. Selon lui, « Voter ne semble plus suffisant pour le citoyen». La perte de confiance des citoyens dans les institutions et leurs représentants est révélatrice du sentiment que les orientations prises sont souvent déconnectées des réelles aspirations citoyennes. Pour construire un « nouveau monde », il faut désormais le construire collectivement. Un levier du changement serait que les acteurs institutionnels changent de posture et aillent à l’écoute des citoyens. Un des challenges de cette démarche participative est d’aller au-delà des « convaincus », des citoyens familiers de l’exercice de la participation. L’équipe de Démocratie Permanente a alors décidé d’aller en immersion, sur le terrain, à la rencontre des citoyens dans les vingt-trois bassins de vie de la région et faire l’expérience d’échanges directs. L’intention de ce projet est de répondre à la problématique de comment les institutions peuvent-elles être plus proche des citoyens.
Du point de vue des citoyens, la question de la proximité de la région et de son incarnation locale est une préoccupation tout comme, du point de vue des élus, les territoires ne se résument pas à des dossiers de subvention. Ainsi, pour changer cette image, l’objectif est de déterminer comment la région peut-elle être plus en appui et en dialogue avec les initiatives locales.
Le projet a consisté en une année de concertation à la rencontre des citoyens dans le but de bâtir une région plus démocratique. Pour cela, un réseau s’est peu à peu organisé autour de l’idée (Figure 7). Tout d’abord, le Conseil Economique Social et Environnemental (CESER), le Conseil Régional de la Jeunesse (CRJ). L’association Villes au Carré a été missionné pour composer et animer des panels territoriaux ayant pour objectifs d’élaborer une contribution à destination du conseil régional. Par la suite, est intervenu l’ONG (d’envergure nationale) Démocratie Ouverte, qui a perçu dans le projet de Démocratie Permanente l’opportunité d’expérimenter différentes manières d’activer un territoire pour y créer une synergie. Démocratie Ouverte tente d’ores et déjà un nouveau mode de gouvernance entre les élus et les citoyens dans le cadre du programme « Territoires hautement citoyens » à Mulhouse. Dans ce contexte, le collectif a pris part au projet de Démocratie Permanente pour essayer non plus à l’échelle d’une ville mais à celle de la région leurs méthodes en proposant le concept audacieux d’une grande tournée régionale. Ainsi, la tournée en bus customisé s’est organisée entre des temps préparés : des rencontres organisées avec des acteurs locaux et des temps ouverts : des ateliers de co-construction appelés les « Fabriks ». Les actions menées se sont donc échelonnées sur l’année 2017 : saisines des instances participatives, tournée citoyenne des initiatives locales, Fabriks et des Panels. Les Fabriks sont des ateliers de co-construction ouverts à tous dans chacun des 23 bassins de vie de la région ; ils ont été co-animés par nombre d’acteurs locaux, accompagnés par le cabinet Mission publiques. Villes au Carré était en charge de la constitution et de l’animation des six Panels (un par département). Les groupes, composés d’habitants, d’acteurs locaux et d’élus, avaient pour mission de formuler des propositions en lien avec la problématique du projet. Leur contribution s’est recentrée sur l’expression des besoins essentiels auxquels devra répondre une Démocratie Permanente et sur la spécification de premières actions pour enclencher une Démocratie Permanente en région.
A l’issue des différents travaux en groupe, des axes de réflexion ont émergé des débats ; on peut citer comme exemple la valorisation et l’encouragement des initiatives citoyennes ou l’amplification du débat public en y associant le plus de personnes, y compris celles que l’on n’entend jamais. Ces deux axes de réflexion se rapprochent de notions caractéristiques du processus bottom-up de l’innovation sociale : donner une chance aux expérimentations citoyennes nouvelles et tisser un réseau d’acteurs pluridisciplinaires.
Etudes de cas
Un projet d’innovation sociale est un projet qui d’abord étonne puis très vite convainc et suscite de l’enthousiasme puisqu’il répond à un réel besoin. En France, le secteur de l’économie sociale et solidaire regroupe de nombreuses pratiques d’innovation sociale, portées notamment par le secteur associatif mais pas que. Aujourd’hui les nouvelles générations d’entrepreneurs, les acteurs publics et les citoyens développent eux aussi des projets socialement innovants. Au-delà d’un projet dont le sujet est en lui-même innovant, l’innovation sociale réside dans des « rencontres improbables » qui génèrent de la création. C’est ce que nous allons décortiquer à travers des études de cas en région Centre-Val de Loire.
Les études de cas recensées dans la région ne sont pas des projets expérimentaux impulsés par un acteur spécifique mais plutôt des projets « spontanés » répondant à un besoin social mal satisfait et dont le(s) service(s) mis en place ont une forte plus-value sociale et environnementale.
Projets socialement innovants en région Centre-Val de Loire
Certains projets innovants ont vocation à se déployer à une échelle locale uniquement ; d’autres au contraire, ont un fort potentiel de rayonnement à l’échelle nationale. Deux cas de figure peuvent être distingués ; celui pour lequel les innovations n’ont pas vocation à être diffusées. Cette « réduction » à l’échelle locale peut être due à une sur-spécificité du territoire (territoire « pépite ») ou à un enfermement local involontaire dû à un manque d’acteurs « connecteurs » liant les innovateurs avec le reste de l’écosystème. Le deuxième cas de figure est que l’innovation mise en place localement peut favorablement se développer et se transposer au-delà du territoire initial. Six démarches socialement innovantes ont fait l’objet d’une étude ; cette sélection ne prétend pas être représentative de l’ensemble des projets innovants en région Centre-Val de Loire, mais simplement illustrative de la diversité des cas sur ce territoire.
Le but de cette partie n’est pas de chercher à identifier une recette pour mener à bien une démarche nouvelle mais de percevoir à travers cet échantillon la reconnaissance des spécificités d’un projet socialement innovant.
Néolink, moteur de solidarités
Néolink est une plateforme numérique communautaire qui favorise le lien social. Cette entreprise a été récompensée en 2017 par le prix de l’innovation notamment car elle se démarque par sa volonté d’être en cohérence entre son implantation sur le territoire et le service qu’elle propose. En effet, elle a opté pour son installation, pour un quartier en zone urbaine défavorisée dans un but de mixité et d’amélioration sociale.
L’idée innovante vient d’un seul individu, le directeur de Néolink, Mr Akli Brahimi qui a eu l’envie de construire un projet à forte valeur sociétale qui simplifie le quotidien des citoyens avec une attention particulière pour les personnes en difficulté. Ainsi, l’entreprise créée en 2012 est un éditeur en web social avec pour objectif de développer l’internet qui réunit. L’équipe a développé une plateforme collaborative d’entraide entre les citoyens et des allocataires du RSA pour un retour à l’emploi. L’innovateur a tout d’abord apporté les compétences et connaissances dans le domaine numérique puisqu’il est éditeur de logiciel depuis plus de 30 ans. L’équipe, constituée de huit personnes aux prémices de l’idée, puis de onze au bout de la troisième année a nécessité quatre années pour développer toutes les fonctions de la plateforme collaborative sans recette jusque là. Ainsi, pour tenir la distance, ce projet a exigé essentiellement un soutien financier de plusieurs acteurs tels que la BPIFrance, le Crédit agricole, le Crédit mutuel et la région Centre-Val de Loire. Le projet a vu le jour en partie parce que l’apport financier a été important dès le départ. L’outil numérique proposé est très innovant et a été très naturellement accepté par les utilisateurs et usagers car il répond aux attentes du marché. Cette acceptation est fortement liée au contexte actuel favorable, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années. Ainsi, l’écosystème dans lequel naît une initiative socialement innovante est déterminant pour sa mise en œuvre et sa durabilité. D’après l’innovateur, le plus compliqué a été de convaincre le premier client. Une fois ce cap passé, le reste est plus facile. Ce premier client a été MGEN, la plus grosse mutuelle de la fonction publique, les autres clients ont été plus faciles à trouver par la suite. Pour pérenniser la démarche, la seule solution est de continuer d’innover en développant des fonctions inédites et en gardant une avance historique et technique. Ainsi, pour satisfaire ses clients, l’entreprise réinvesti chaque année 10% de son chiffre d’affaires en Recherche et Développement (R&D). L’acteur Néolink est désormais rentable avec de belles perspectives. D’après Brahimi, ce qui est le plus intéressant dans une entreprise ce n’est pas la rentabilité, c’est le nombre de salariés embauchés tout en maintenant une rentabilité qui permet d’assumer les dépenses R&D.
Tout comme l’innovation sociale ne fait pas nécessairement nouveau, l’équipe de Néolink n’a rien inventé mais a su justement imaginer des besoins futurs avant que d’autres n’y pensent.
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Table des matières
Introduction
Problématique de recherche
I. Une volonté nouvelle
i. L’enjeu de l’innovation sociale
ii. Innover dans tous les territoires
iii. Changement d’échelle
II. Emergence de « facilitateurs » sur les territoires
i. Les porteurs d’innovation
ii. Démocratie Permanente
iii. Villes au Carré
III. Etudes de cas
i. Méthodologie
Projets socialement innovants en région Centre-Val de Loire
ii. Néolink, moteur de solidarités
iii. Les Compagnons Bâtisseurs en région Centre-Val de Loire : solidarité itinérante en chantiers
iv. L’Hirondelle, épicerie bio itinérante
v. La Ressourcerie la Charpentière
vi. Wimoov, la mobilité inclusive
vii. Nékoé, l’innovation par les services
viii. L’ESS, source d’innovation sociale
Conclusion
Bibliographie/Sitographie
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