L’engagement actionnarial

L’engagement des actionnaires : un standard en construction

   L’engagement des actionnaires désigne ainsi un comportement d’actionnaire à vocation aussi bien descriptive que normative. Les managers, déjà, ont connu un mouvement de responsabilisation avec le développement de standards et de pratiques de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) (Acquier et Aggeri, 2008). Les investisseurs ont également connu un mouvement de responsabilisation avec le développement de standards et de pratiques d’Investissement Socialement Responsable (Arjaliès, 2010). C’est dorénavant au tour de la gouvernance d’entreprise de penser le comportement responsable des actionnaires et les liens qu’ils entretiennent avec les entreprises. En 2010, au Royaume-Uni, le Financial Reporting Council publiait sous l’impulsion du gouvernement britannique un code de gouvernance à destination des investisseurs, le UK Stewardship Code. Ce code définit des responsabilités pour les investisseurs institutionnels en matière d’engagement dans la gouvernance d’entreprise. Depuis, le UK Stewardship Code a fait des émules (Hill, 2017) et nourri les espoirs d’une culture de contrôle « éclairé » des entreprises parmi les investisseurs (Fenwick et Vermeulen, 2018). À l’échelle de l’Union Européenne, ces espoirs se sont traduits par la promulgation en 2017 de la Directive 2017/828, qui porte sur « l’engagement à long-terme des actionnaires » (Johnston et Morrow, 2015). Plus qu’un phénomène spontané de responsabilisation des actionnaires, l’ « engagement » est appuyé par une doctrine qui attribue ainsi un rôle aux actionnaires dans la bonne marche des entreprises et de l’économie dans son ensemble. Les actionnaires sont d’ailleurs désormais tenus responsables de leurs pratiques d’engagement. Début 2018, à la surprise générale, Carillion, le géant britannique du BTP, se déclare en faillite alors qu’il avait continué au cours des dernières années de distribuer d’importants dividendes à ses actionnaires (Hatchuel et Querrien, 2018). Lorsque les Commissions « Business, Energy and Industrial Strategy » et «Work and Pensions » de la Chambre des Communs mènent l’enquête, elles intègrent le témoignage des principaux actionnaires de Carillion. Pour les députés, il s’agissait notamment ce comprendre quelles avaient été les pratiques d’engagement de ces actionnaires, d’évaluer s’ils s’étaient suffisamment « engagés » auprès de Carillion, et ainsi de déterminer s’ils auraient pu prévenir la crise. Pourtant, la doctrine de l’ « engagement actionnarial » n’a pas encore atteint le statut de standard et les pratiques d’engagement sont toujours en cours de construction. En particulier, l’engagement suscite des interrogations parmi les actionnaires eux-mêmes.

L’engagement des actionnaires : une discussion théorique naissante

   Dans la littérature en gouvernance d’entreprise, l’engagement actionnarial se rattache au champ d’étude de l’activisme actionnarial. L’activisme actionnarial recouvre l’ensemble des stratégies que les actionnaires peuvent mettre en place pour influencer les entreprises (Goranova et Ryan, 2014). Ce n’est pas un phénomène récent. Dès le début du XXème siècle, des actionnaires ont utilisé les mécanismes de la gouvernance d’entreprise, et en particulier le droit de vote en assemblée générale, pour générer des changements dans la direction des entreprises (Marens, 2002). Dans la littérature, l’engagement des actionnaires, un anglicisme, constitue alors une forme d’activisme actionnarial qui, à l’instar du sens anglais du terme engagement, désigne les actions qui visent à entrer en relation avec une partie ou à se saisir d’un sujet en particulier. Au sens strict, l’engagement des investisseurs qualifie ainsi le dialogue que les investisseurs établissent avec la direction des entreprises, managers et administrateurs (Sparkes et Cowton, 2004). Il est plus largement utilisé pour décrire la manière dont les investisseurs portent des sujets spécifiques auprès des entreprises, et notamment des sujets ESG (voir par exemple Van Cranenburgh et al., 2014 ; Dhir, 2012 ; Gifford, 2010 ; Goodman et al., 2014). L’activisme des actionnaires à des fin sociales voire même éthiques est perçu comme un moyen de lier Investissement Socialement Responsable (ISR) et Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) (Haigh et Hazelton, 2004 ; Sparkes et Cowton, 2004). Aussi, de nombreux auteurs en RSE ont investi ce sujet (Sjöström, 2008). Pour certains, les actionnaires activistes « sociaux » se comportent même parfois en « entrepreneurs de la norme » (Sjöström, 2010). Ils développent et participent à la diffusion et à l’acception de normes de RSE ou de normes éthiques pour les entreprises. Dans cette perspective, l’actionnaire joue le rôle de leader du changement au sein des entreprises. Ce rôle peut cependant interroger. L’activisme actionnarial à des fins sociales est une manifestation spontanée des préférences extra-financières des activistes. Ces préférences ne constituent pas des « standards » de l’engagement des actionnaires. Les sujets portés par les activistes sociaux évoluent en fonction des tendances et de l’actualité économique et politique (Graves, Waddock et Rehbein, 2001). Les normes que véhicule l’engagement actionnarial auprès des entreprises, ainsi que leur possible hétérogénéité, manquent encore d’une discussion théorique dans la littérature. Nous y reviendrons, mais la littérature sur l’engagement social des actionnaire s’est plutôt intéressée à décrire l’engagement d’acteurs spécifiques (Clark et Hebb, 2004 ; Van Cranenburgh et al., 2014 ; Doh et Guay, 2006 ; Goodman et al., 2014 ; Louche, Arenas et Van Cranenburgh, 2012 ; Marens, 2004 ; Waygood et Wehrmeyer, 2003), leurs outils (Logsdon et Van Buren, 2009 ; Tkac, 2006) et à modéliser leur processus d’engagement (Goodman et al., 2014 ; Vandekerckhove, Leys et Van Braeckel, 2008). Elle s’est également attachée à en évaluer les résultats (Lee et Lounsbury, 2011 ; Mackenzie, Rees et Rodionova, 2013 ; Marens, 2004 ; Rojas et al., 2009), et notamment les réactions et réponses des managers (David, Bloom et Hillman, 2007 ; Vandekerckhove, Leys et Van Braeckel, 2007) dont elle s’efforce d’expliquer les raisons (Gifford, 2010). D’autres auteurs interrogent l’opportunité que l’engagement actionnarial peut représenter pour la RSE (Haigh et Hazelton, 2004 ; O’Rourke, 2003), et plus spécifiquement pour les parties prenantes des entreprises (McLaren, 2004) et les droits de l’Homme (Dhir, 2006, 2012). Les travaux sur l’engagement social des actionnaires se sont cependant peu inscrits à un niveau théorique. De plus récentes propositions ont développé un cadre éthique pour penser les conditions et légitimer le processus d’engagement des activistes sociaux (Goodman et Arenas, 2015). Néanmoins, le cahier des charges de l’engagement actionnarial pour la gouvernance d’entreprise est une discussion encore absente de la littérature en sciences de gestion.

Les transformations contemporaines de l’actionnariat

   Nous avons introduit nos travaux sur l’engagement actionnarial par une réflexion sur les pratiques actionnariales pré-engagement des actionnaires. Si l’engagement actionnarial est aujourd’hui plébiscité, cela suppose que l’engagement se substitue à de précédentes pratiques à la fois d’actionnaires et de gouvernement d’entreprise. Nous nous sommes en particulier intéressés à la figure de l’actionnaire et aux modèles d’action qui lui sont associés. Pour cela, nous avons effectué une revue de littérature sur les fondements juridiques et théoriques de cette catégorie d’acteurs. Cette revue de littérature met en évidence une représentation classique de l’actionnaire comme un acteur sans capacité d’action sur l’entreprise. Cependant, au regard des différentes manifestations du pouvoir actionnarial et en particulier de l’influence grandissante d’investisseurs institutionnels tels que BlackRock, cette représentation nous a semblé étonnante. Nous avons alors entrepris de caractériser ces figures contemporaines de l’actionnaire. À ces fins, nous avons croisé diverses sources, des éléments tirés de la littérature, des données secondaires telles que des rapports d’entreprises et autres documents de littérature grise, ainsi que des données primaires composées d’entretiens auprès de praticiens de la gouvernance d’entreprise. Ce travail nous a permis de décrire le déploiement des capacités d’action des actionnaires et de révéler un phénomène d’industrialisation de l’actionnariat des grandes sociétés cotées. L’industrialisation de l’actionnariat bouleverse la figure classique de l’actionnaire. Les figures contemporaines de l’actionnaire disposent de nouveaux moyens d’action et ces moyens d’action les dotent d’une influence nouvelle sur l’entreprise. Cette dernière s’expose dès lors aux risques que peuvent entraîner les attentes souvent hétérogènes d’actionnaires industrialisés. Ainsi, les transformations contemporaines de l’actionnariat constituent de nouveaux défis pour la gouvernance des entreprises. En particulier, elles déplacent les discussions en matière de gouvernance au niveau, non plus des administrateurs et des managers, mais des actionnaires des entreprises.

La Business Judgement Rule et la limitation du contrôle actionnarial

   L’explication du succès de la société anonyme par le régime de la responsabilité limitée des actionnaires est une hypothèse aujourd’hui très contestée (Blair, 2003 ; Blumberg, 1985 ; Forbes, 1986). La société anonyme présente en effet d’autres caractéristiques pour le droit commercial qui méritent d’être relevées. En particulier, la responsabilité limitée des actionnaires a pour corollaire l’ « entity shielding » de la société (Hansmann, Kraakman et Squire, 2005). L’entity shielding, soit la création de la personnalité morale, protège la société et ses actifs des contingences de ses actionnaires (Blair, 2003). Avoir des droits sur les actions d’une société n’ouvre pas des droits sur les actifs de son entreprise. C’est la personnalité morale qui est propriétaire des actifs de l’entreprise et qui en concentre les droits d’usus (Blair, 2003). La forme juridique de la société anonyme entérine ainsi une forme de renonciation au contrôle opérationnel des actionnaires. L’entity shielding aurait en effet favorisé l’émergence d’un pouvoir managérial au sein des sociétés aux dépens du pouvoir des propriétaires du capital. Par là-même, elle assurait la pérennité de la mise en commun du capital. La société anonyme sécurise et scelle en son sein le capital pour permettre la bonne conduite des activités de l’entreprise par les managers, et la prise de risque et la conception de stratégies de long-terme (Blair, 2003). Cette séparation entre la fonction actionnariale et la fonction gestionnaire est entérinée dans le droit américain par la « Business Judgment Rule » (Hovenkamp, 1987). Les prémisses de cette règle jurisprudentielle dès 1829, au cours d’une décision de justice de la Cour Suprême de Louisiane en faveur du « business judgment » des administrateurs dans le cas Percy v. Millaudon dans lequel les administrateurs étaient poursuivis suite aux pertes subies par leur société (Arsht, 1979). D’autres arbitrages similaires se multiplient.

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Table des matières

Introduction générale
I. L’engagement actionnarial : un nouveau rôle pour l’actionnaire ?
II. Les fondements, les enjeux et les implications de l’engagement actionnarial : une question de recherche
III. Synopsis de thèse
PARTIE I – LES FIGURES CONTEMPORAINES DE L’ACTIONNAIRE : LES DEFIS DE L’INDUSTRIALISATION DE L’ACTIONNARIAT
Chapitre 1 La construction juridique et théorique de l’actionnaire
I. Les fondements juridiques de la catégorie d’actionnaire
II. Capacités d’action restreintes des actionnaires et les théories de la gouvernance d’entreprise
III. Une figure classique de l’actionnaire au modèle d’action limité
Chapitre 2 L’industrialisation de l’actionnariat : Une extension des capacités d’action sur l’entreprise des actionnaires
I. La transformation de l’actionnariat et la remise en question des théories de la gouvernance
II. Le déploiement de nouvelles capacités d’action de l’actionnaire : une industrialisation de l’actionnariat
III. Les implications d’un actionnariat industrialisé pour la gouvernance d’entreprise : le défi d’une gouvernance de l’actionnariat
Conclusion de la Partie I
Des figures contemporaines de l’actionnaire à une « gouvernance de l’actionnariat »
PARTIE II – L’EMERGENCE D’UNE « GOUVERNANCE DE L’ACTIONNARIAT » : DE LA DEFINITION DE L’ENGAGEMENT ACTIONNARIAL A UN MODELE UNIFIE DE LA RESPONSABILITE DE L’ACTIONNAIRE
Chapitre 3 L’engagement actionnarial : étudier une forme novatrice de responsabilisation de l’actionnaire
I. L’Investissement Socialement Responsable et l’activisme social des actionnaires, des formes de responsabilisation spontanées de l’actionnaire qui ne répondent pas aux défis de l’industrialisation de l’actionnariat
II. L’étude de la régulation de l’engagement actionnarial : méthode et matériel de recherche
Chapitre 4 La construction du concept d’ « engagement actionnarial » dans la doctrine : un effort de définition des responsabilités de l’actionnaire industrialisé
I. La régulation du rôle des investisseurs professionnels en gouvernance d’entreprise : une gouvernance de la chaîne d’intermédiation actionnariale
II. Les responsabilités des actionnaires industrialisés: les germes d’une théorie de l’« engagement » des actionnaires
Chapitre 5 Modélisation des régimes de responsabilités de l’actionnaire industrialisé, la figure manquante d’un actionnaire responsable envers l’entreprise
I. La modélisation des responsabilités de l’actionnaire industrialisé : le recours à un langage de « gestion des entreprises »
II. Les figures de responsabilités de l’actionnaire industrialisé dans la doctrine de l’engagement actionnarial
III. Un modèle de responsabilité de l’actionnaire industrialisé et la figure manquante de l’actionnaire responsable envers l’entreprise
Conclusion de la Partie II
Un modèle unifié des responsabilités de l’actionnaire industrialisé et des pratiques d’engagement actionnarial à construire
PARTIE III – PRINCIPES D’ENGAGEMENT RESPONSABLE DE L’ACTIONNAIRE: LE CAS D’UN ACTIONNAIRE « CUSTODIAN » DE L’ENTREPRISE
Chapitre 6 Méthodes et matériel de recherche : le cas de la politique de vote de Mirova
I. Le cas Mirova, un gérant d’actifs en quête de pratiques d’engagement orientées vers l’entreprise
II. Le cas Mirova et l’étude des politiques de vote d’actionnaires : une approche mixte
Chapitre 7 L’étude des responsabilités actionnariales au travers des politiques de vote d’actionnaires
I. Les politiques de vote d’actionnaires, une rationalisation du vote de l’actionnaire industrialisé
II. Modélisation des politiques de vote : entre opportunités et rationalités de vote
III. Les rationalités des actionnaires dans les politiques de vote : l’expression d’un régime de responsabilité
Chapitre 8 Les rationalités de l’actionnaire responsable, une tension entre engagement et légitimité de l’actionnaire industrialisé : Le cas d’un actionnaire « custodian »
I. L’engagement de l’actionnaire « custodian » : des moyens d’action prescriptifs pour la gestion de l’entreprise
II. Les moyens d’action de l’actionnaire industrialisé et les dilemmes de l’engagement responsable
Chapitre 9 Comment être un actionnaire engagé et responsable ? L’exemple du vote « équilibré » et « nondéterminant » sur la rémunération des dirigeants
I. Le vote sur la rémunération des dirigeants : une énigme pour l’actionnaire « custodian »
II. Le vote custodian sur la rémunération des dirigeants : les solutions de l’équipe gouvernance de Mirova
III. Des principes d’action pour l’engagement responsable des actionnaires industrialisés : la non-détermination de la gestion et l’équilibre des prescriptions
Conclusion de la Partie III
Vers un modèle d’engagement « responsable » de l’actionnaire industrialisé
Conclusion générale
L’ENGAGEMENT RESPONSABLE DE L’ACTIONNAIRE : DE PREMIERS JALONS POUR UNE GOUVERNANCE DE L’ACTIONNARIAT
I. Synthèse des principaux résultats de la thèse
II. Limites de la recherche
III. Perspectives de recherche
REFERENCES

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