L’enfant et la séparation
Le sentiment de sécurité interne : de l’individuel à l’interindividuel
Le bébé se développe physiquement, psycho affectivement et cognitivement à l’aide de son environnement. Nous verrons alors comment l’enfant a besoin d’avoir un environnement sécurisant pour grandir. Ainsi, il pourra s’ouvrir au monde. A la naissance du nourrisson quatre systèmes de motivation primaire se mettent en place (Golse, 2014) : l’autoconservation, le système d’attachement, le développement de l’intersubjectivité et les expériences pulsionnelles de plaisir/déplaisir. La symbolisation en présence (comportement d’attachement) et en l’absence de l’objet (espace transitionnel et objet transitionnel) sont deux étapes différentes, qui s’articulent tout au long de la vie. En effet, la représentation d’autrui assure la régulation de l’intersubjectivité et des comportements d’interactions. La psychanalyse pense les liens à la lumière de la théorie de l’étayage. Ces liens de l’individu à autrui se développeraient dans un second temps, à l’occasion de la satisfaction des besoins primaires que sont la nourriture, le liquide et le sexuel. En revanche, la théorie de l’attachement, exploitée en psychologie du développement et cognitive, avance l’idée que les liens de l’enfant à sa figure d’attachement font partie des besoins primaires au même titre que les fonctions vitales de l’organisme.
Ces deux conceptions ce sont opposées pendant de longues années. Golse (ibid.) affirme que la théorie de l’attachement n’exclue pas la notion de représentations mentales ni la question de la sexualité infantile par le développement de l’étayage. Le lien du sujet à l’objet dépendrait des caractéristiques de « ligabilité » de l’objet (op.cit., 2014). Il est nécessaire que l’objet ait des capacités de narrativité et soit en capacité de se lier à l’enfant. C’est ce que nous montre la théorie de l’attachement développée par Bowlby (1969) que nous verrons dans un premier temps. Dans un second temps, nous aborderons les apports de la théorie winnicotienne concernant l’environnement du sujet.
Le comportement d’attachement
Il nous faut tout d’abord différencier l’attachement de la notion de dépendance. Si, à la naissance, le bébé est dépendant des soins de la mère pour sa survie, il n’est pas encore attaché à elle. La dépendance s’amenuise en grandissant alors que l’attachement est une forme de comportement qui se crée aux alentours de six mois et qui perdure tout au long de la vie. En 1957, Bowlby (1969) fait sa première présentation de la nature du lien de l’enfant à sa mère et ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard, en 1969, que le terme « attachement » apparaît. La théorie de la pulsion secondaire qui soutenait que le comportement d’attachement découlerait d’une tendance secondaire à la satisfaction des besoins primaires, fut tout d’abord critiquée par Lorenz en 1935. Il explique le phénomène « d’empreinte » chez certains animaux comme les canetons, où le premier objet perçu est suivi sans aucune satisfaction des besoins primaires. La théorie de la pulsion secondaire ne peut donc pas être soutenue dans toutes les espèces et manque de données plus convaincantes. Chez l’homme, la tendance à répondre à certains types de stimuli plutôt qu’à d’autres est justifiée par la présence d’une figure d’attachement qui s’établirait dans les premières années de la vie. A partir de six mois, le comportement d’attachement à une nouvelle figure deviendrait plus difficile, les réponses de l’enfant seraient plus craintives.
A partir de l’observation des interactions manifestes de l’enfant à sa figure d’attachement (pleurs, succions, agrippement, sourire, regards etc.), Bowlby (ibid) démontre que le comportement d’attachement forme des systèmes relationnels conditionnés par l’apparition d’un sentiment d’insécurité chez l’enfant. Ce dernier cherche le maintien de la proximité par des comportements de plus en plus sophistiqués. Les schémas de comportement se développent à partir de la manière de communiquer du parent et du comportement de l’enfant. Ils constituent petit à petit un modèle d’interaction de la vie quotidienne. Les Modèles Internes Opérants (MIO) sont ces représentations codées en mémoires, pas forcément conscientes, qui constituent un modèle interactif interne de l’enfant.
Ainsworth et ses collègues (Pierrehumbert, 2014) ont repris le point central de la théorie bowlbienne qui articule la notion de base sécurisante et celle d’autonomie à travers la Strange Situation (situation étrange). Du protocole de séparation et de réunion de mères et de leurs bébés, trois catégories d’attachement ont été décrites: « sécure », « insécure/évitant », « insécure résistant/ambivalent ». Plus tard, une nouvelle catégorie appelée « insécure/désorganisé » est introduite. Si l’enfant se sent en insécurité, soit le système d’attachement est maintenu, activé au détriment des autres, provoquant une hyper vigilance émotionnelle ; soit il y a non activation du système d’attachement, alors les émotions sont exclues voir clivées. Ainsi, est développée la notion de base de sécurité qui proviendrait d’un lien stable, prévisible, sécurisant à la figure d’attachement qui se voit être en capacité de comprendre les besoins du bébé. Par conséquent, le comportement d’attachement a une fonction de protection. Le parent aide l’enfant à réguler ses états émotionnels et lui permet de prendre appui sur lui pour explorer le monde extérieur. Pour que le comportement d’attachement et le sentiment de sécurité adviennent, il faut que « la mère donne une réponse rapide et de façon appropriée [et] que soit engagé des échanges sociaux au grand plaisir de chacun des deux » (id.ibid., p.420).
Point de vu de Winnicott sur l’environnement « Un bébé ça n’existe pas » (Winnicott, 1956, p.20). Il s’oppose à la théorie kleinienne et l’existence fantasmatique du bon et du mauvais sein dans l’inconscient du bébé, en réaffirmant la mère réelle et donc l’importance de l’environnement. Il considère la prépondérance de l’environnement porteur, soutenant, sans lequel le bébé ne peut exister. De là, il définit la préoccupation maternelle primaire comme un état spécifique de la femme enceinte. C’est état normal de « folie maternelle », est nécessaire au bon développement de l’enfant. C’est parce que la mère s’adapte aux besoins de son enfant, qu’il peut ressentir sa propre omnipotence sur laquelle sa vie psychique se constitue. Par la suite, la mère doit devenir, frustrante, humaine. Ces expériences d’omnipotence et de désillusion permettent à l’enfant de se sentir exister indépendamment de sa mère. La préoccupation maternelle primaire pourvoit un cadre suffisamment bon dans lequel l’enfant pourra se constituer. La mère assure trois fonctions : holding (maintien), handling (maniement) et object presenting (présentation de l’objet). Le maintien offre au bébé un support psychique par l’attention soutenue de la mère. Le maniement est la manipulation du bébé de façon affective et permet l’installation de la psyché dans le corps du bébé. L’objet (le sein maternel) doit être présenté au bon moment, ni trop tôt ni trop tard afin que l’enfant ait le sentiment d’avoir trouvé l’objet.
Ces trois fonctions permettent l’aménagement d’un espace différencié entre le Self (soi) et l’autre et favorise la capacité d’utilisation des objets. L’environnement est testé encore et encore et doit être capable de supporter de façon continue les motions agressives de l’enfant. Pour cela l’enfant expérimente la présence de l’absence (op.cit., 1958). Il apprend à être seul mais en présence de sa mère. Ce début d’indépendance relative transforme le vide en un plein imaginaire et les objets du besoin en objets du désir. Cette capacité est un signe indispensable de la maturité du développement affectif. Le sujet intériorise cette mère-support du Moi et devient ainsi capable d’être seul pour une durée limitée, en toute sécurité. Si l’enfant ne peut être seul en présence de l’autre, soit il se recroqueville, soit il existe en « faux Self » (op.cit., 1960). Cet état défensif a pour fonction la protection du « vrai Self » d’un environnement non protecteur auquel il se soumet.
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Table des matières
Introduction
Réflexion théorique
Le sentiment de sécurité interne : de l’individuel à l’interindividuel
Le comportement d’attachement
Point de vu de Winnicott sur l’environnement
Le groupe : lieu de reconnaissance et d’identité
Le sujet et le lien social
Le processus groupal
L’institution : la reconnaissance du sujet dans son rôle et ses fonctions
L’institution, une structure sécurisante
Les limites de l’institution
Le placement familial : objectifs et enjeux
L’enfant et la séparation
Le cadre thérapeutique et ses objectifs
Placement familial et continuité
Etre éducateur en placement familial
Etre assistant familial
Statut
Rôle
Des missions complexes : lieu de vie ou lieu de travail ?
Problématisation
Méthodologie
Protocole et outils
Population
Résultats et données cliniques
Partie théorico-clinique
L’AF son sentiment d’insécurité et ses défenses… questionnent les limites de l’équipe éducative
Soutenir les objectifs du placement familial ?
Synthèse et limites de la recherche
Conclusion
Bibliographie
Table des matières
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