L’enfance et l’adolescence en institution

L’enfance et l’adolescence en institution

La séparation

« Le psychisme humain est ainsi fait qu’il lui est plus facile d’inventer des fusées qui vont sur la lune que d’accepter une séparation » – Maurice Berger (2003) La séparation d’un enfant de ses parents est un événement douloureux et traumatisant. Quelle que soit la cause du placement, cette décision vient troubler les habitudes et le développement de l’enfant. Perte de repères, perte de sécurité, l’enfant se sent démuni, car il se retrouve dans un milieu qui n’est pas (encore) le sien : le milieu institutionnel. Sophie Elliot, psychologue clinicienne évoque cela : « La séparation est donc l’équivalent d’une rupture d’ancrage dans un monde connu qu’il soit satisfaisant ou non. Le jeune part pour un ailleurs sans repère, certains départs font rêver, celui-là le propulse au bord d’un gouffre. » (Elliot, 2006, p.69). Arlette Pelé, psychanalyste, fait une différence entre la notion de « rupture » et de « séparation ». Elle explique que lors d’un placement, il s’agit bien d’une séparation, car il s’agit d’une séparation de corps et non d’une rupture de lien.

Elle cite : « L’enfant est bien séparé de ses parents, pour vivre dans un lieu familial différent. La séparation concerne un acte, celui où l’enfant est séparé de sa famille. Cette séparation est la conséquence d’un autre acte, différent et préalable : celui de la rupture des liens symboliques avec les parents. » (Pelé, 2001, p.24). Je me rends compte que la limite entre ces deux mots est vague, car, pour Arlette Pelé, la rupture « signifie une séparation non symbolisée, une séparation en urgence, brutale, non préparée. » (Pelé, 2001, p.24). Il faudrait donc que la séparation avec les parents se fasse de manière conscientisée et préparée afin que l’enfant ne vive pas cette séparation comme une rupture. Les parents ont eux-mêmes rompu un contrat non explicite en transgressant la loi : celui de prendre soin de leur enfant. L’enfant avait-il conscience de sa mise en danger ? Comment l’enfant comprend-il son placement ? Mon expérience professionnelle au sein d’un foyer d’enfants et d’adolescents m’a montré que l’enfant, malgré son parcours de vie, aime ses parents et qu’il est souvent demandeur de les voir.

D’après Maurice Berger (2003) lorsque l’on explique à un enfant qu’il n’est plus possible qu’il vive chez ses parents en lui donnant des explications précises sur leur incapacité éducative, l’enfant est tout de même désireux de retourner vivre auprès d’eux, car il les idéalise bien qu’ils aient été maltraitants. L’enfant est extrêmement loyal envers ses parents et malgré les actes non tolérables, il continuera à vouloir être proche de l’un ou des deux. L’enfant va alors utiliser le mécanisme du « clivage » qui « consiste à maintenir en soi la coexistence de deux modes de pensées antinomiques » (Berger, 2003, p.9). Dans son ouvrage L’enfant et la souffrance de la séparation, M. Berger donne des exemples précis d’expériences cliniques auprès d’enfants confrontés à la séparation. Afin d’illustrer la notion de clivage, il donne l’exemple suivant : « Oui, ma mère ne s’occupait pas de moi lorsque j’étais tout petit, elle me laissait souffrir de faim dans la solitude. Et en même temps, elle était une bonne mère que j’adore toujours et chez qui je veux retourner vivre. […] ». (Berger, 2003, p.9). Ce mécanisme de défense permet de toujours rester en lien avec son parent. Les parents sont alors idéalisés dans le psychisme de l’enfant et cela ne lui permet pas de prendre pleinement conscience de la raison de son placement. Ce qui complique, selon Maurice Berger, considérablement la tâche des thérapeutes, car ces enfants refusent de travailler sur leur vécu.

Conséquences :

Avant la séparation, les enfants ont vécu de forts traumatismes (maltraitances, abus sexuels, abandon, etc.) : ces traumatismes ont des conséquences sur leur psychisme. La séparation n’est qu’une manière de protéger l’enfant. Lors de son placement, l’enfant bénéficiera de suivis thérapeutiques pour traiter ses difficultés psychiques (Berger, 2003). Lors de pathologies psychiques limites, la maltraitance ou la négligence vécue par les enfants peut provoquer une souffrance du lien qui se manifeste par des angoisses de séparation et d’abandon (Chimisanas, 2014). Ces enfants vont demander énormément d’attention aux éducateurs, car leur besoin de sécurité est bafoué et ils seront sans cesse à la recherche d’un sentiment d’appartenance. Lorsque l’enfant n’a pas été assez considéré et valorisé dans son environnement, d’importantes conséquences négatives peuvent affecter son estime de lui-même. Il aura peur de la solitude et tendance à être sans cesse collé à des adultes ou à d’autres enfants (Berger, 2003). Les enfants présentant ce type de pathologie sont nombreux. J’ai le sentiment que les enfants en bas âge retirés brutalement à leur.s parent.s semblent développer ce genre de comportement. Dans ma pratique, j’ai parfois observé des enfants (7–8 ans) ayant de la peine à se mêler aux autres enfants, mais restant toutefois attachés à l’éducateur de référence.

D’autres enfants présentent des souffrances narcissiques et des angoisses qui gênent leur capacité à vivre des situations d’apprentissage. Face au regard de son entourage scolaire, l’enfant provoque des attitudes d’évitement face aux tâches demandées par l’enseignant et revendique une attention particulière. Comme il manque d’efficience dans son travail, l’enfant défie l’adulte et transgresse les règles, ce qui lui permet d’obtenir la reconnaissance de ses pairs, ainsi qu’un sentiment d’appartenance (Chimisanas, 2014). Gérard Chimisanas ajoute que de ces attitudes « découlent fréquemment des suspensions temporaires ou des réductions de scolarité […]. » (Chimisanas, 2014, p.124). « Un critère simple pour évaluer la capacité de l’enfant à s’adapter au monde extérieur est représenté par la manière dont il se comporte et peut apprendre à l’école. » (Maurice Berger, 2003, p.90) Berger et Chimisanas relèvent tous deux que la séparation provoque des comportements qui peuvent engendrer un échec scolaire ou une expulsion de l’école. La société d’aujourd’hui à parfois tendance à catégoriser « élèves à problème » les enfants en échec ou ayant vécu des mises à pied répétitives. J’ai le sentiment que les professionnels gravitant autour de l’enfant ne sont pas toujours conscients des véritables conséquences psychiques sur l’enfant d’une séparation de son milieu familial.

« Ces sujets sont prêts à tout pour éprouver un sentiment d’appartenance. » (Berger, 2003, p.99). Ayant souffert de blessures narcissiques, l’enfant va tenter d’augmenter son sentiment d’appartenance en développant sa valeur personnelle. Il ne va plus supporter la critique et va se montrer sûr de lui, quitte à avoir un comportement vantard (Berger, 2003, p.100). Ce type de comportement, contrairement au précédent cité ci-dessus, me fait penser à l’adolescence. L’adolescent a besoin d’être valorisé, ce qui parfois donne l’impression qu’il se montre vaniteux et puissant, particulièrement quand il est en groupe. Cependant, Berger et Chimisanas, démontrent que cette force, présente chez les adolescents, relève d’un sentiment d’estime de soi plutôt faible et de grandes carences affectives. Il me semblait nécessaire de préciser ces notions sur la séparation, bien qu’il y ait bien plus de conséquences et de répercussions négatives suite à un placement et à une séparation que celles énoncées ci-dessus. Il est important de se rendre compte que les besoins fondamentaux de l’enfant sont mis à mal lors d’une séparation. L’estime de soi et le sentiment d’appartenance sont deux principes indispensables au développement psychique et social d’un individu.

L’éducateur social en institution

Mon travail s’inscrit dans une recherche sur la déscolarisation des enfants institutionnalisés, principalement sur le rôle et le mandat des éducateurs sociaux. Il est à présent nécessaire de faire un arrêt sur la description de la fonction d’éducateur social au sein d’un établissement d’accueil pour enfants et adolescents. Comme d’autres travailleurs sociaux, l’éducateur exerce son activité professionnelle selon un mandat que la société lui confie. Il accompagne et éduque des populations au sein d’établissements ou de foyers. Le travail d’éducateur est un métier au « cas par cas », car il ne se réfère pas à des techniques déterminées, mais à un accompagnement professionnel et singulier, où l’humain est placé au centre (Wacquez, 2012).

L’éducation sociale est « l’action menée par un professionnel qui, après une formation spécifique, favorise, par la mise en oeuvre de méthodes et de techniques pédagogiques et sociales, le développement personnel, la maturation sociale et l’autonomie des personnes (…) en difficulté́, handicapées, inadaptées ou en voie de l’être. » (Statuts de l’Association européenne des centres de formation au travail socio-éducatif, Art.2, 1995, cité dans le Plan d’étude cadre 2006, p.6). « L’un des buts fondamentaux du travail socioéducatif consiste à faciliter l’intégration et à prévenir la marginalisation et l’exclusion sociale en soutenant et aidant les individus et les groupes en situation de risque de façon à ce qu’ils puissent utiliser leurs propres ressources dans une communauté en changement constant. » (PEC, 2006, p.6). L’éducateur est le professionnel « principal » qui gravite autour de l’enfant. Un éducateur de référence est attribué à chaque référé, présent dans sa vie durant tout son parcours institutionnel. Il est comme un « substitut » parental, sans pour autant remplacer les parents. L’éducateur référent veille au bien-être de l’enfant, à son comportement et à son éducation.

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Table des matières

1 Introduction
1.1 Question de départ et objectifs
1.1.1 Motivations
1.1.2 Lien avec le travail social
1.1.3 Question de départ
1.1.4 Hypothèses de départ
1.1.5 Objectifs
2 Cadre théorique
2.1 L’enfance et l’adolescence en institution
2.1.1 Le placement
2.1.2 La séparation
2.1.3 La vie en institution
2.2 Troubles du comportement ou comportements difficiles ?
2.3 L’éducateur social en institution
2.3.1 Soutien scolaire et rôle de l’éducateur social
2.3.2 Collaboration avec le milieu scolaire et les enseignants
2.4 Le système scolaire neuchâtelois
2.4.1 Réforme de la scolarité obligatoire neuchâteloise
2.4.2 Le Plan d’étude romand
2.4.3 Les compétences des autorités scolaires
2.5 La déscolarisation
2.5.1 Définitions
2.5.2 Causes du décrochage scolaire
2.5.3 Enjeux et conséquences
2.6 Dispositifs de soutien dans le canton de Neuchâtel
2.6.1 Mesures éducatives et sanctions
2.6.2 Besoins éducatifs particuliers (BEP)
2.6.3 Demande de mesures renforcées
2.6.4 Placement en institution avec école interne
3 Questions et hypothèses de recherche
4 Démarche méthodologique
4.1 Population et terrains d’enquête
4.1.1 Prise de contact et difficultés
4.2 Technique de récolte de données
4.3 Enjeux éthiques
5 Analyse et interprétation des données
5.1 Méthode d’analyse
5.2 Interprétations des données
5.2.1 Les ressources de l’éducateur social dans l’accompagnement à la scolarité dans les situations de ruptures et d’exclusions scolaires.
5.2.2 La construction de l’identité professionnelle et personnelle des éducateurs sociaux
HES-SO//Valais Bachelor of Arts in Travail Social
5.2.3 L’accompagnement à la scolarité au sein du foyer d’accueil par les éducateurs sociaux
5.2.4 L’intégration des éducateurs sociaux dans le parcours scolaires des enfants lors de difficultés scolaires et comportementales
6 Bilan de la recherche
6.1 Atteinte des objectifs
6.2 Vérification des hypothèses
6.3 Réponse à la question de recherche
6.4 Limites de la recherche
6.5 Perspectives professionnelles et pistes d’actions
7 Conclusion
7.1 Difficultés rencontrées
7.2 Bilan personnel et professionnel
7.3 Conclusion
8 Bibliographie
9 Annexes
9.1 Demande d’entretien
9.2 Grille d’entretien

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