L’énergie nucléaire et le Parc nucléaire d’EDF

L’exploitation nucléaire

L’énergie nucléaire et le Parc nucléaire d’EDF

Le Parc nucléaire d’EDF est composé de 58 unités de production nucléaires (ou tranches) réparties sur 19 sites. Une tranche nucléaire est une unité de production d’électricité, composée notamment d’un réacteur, d’une turbine et d’un alternateur, et produisant une puissance électrique de 900, 1300 ou 1450 MégaWatts, selon les générations de centrales (on parle de paliers). Un site de production peut comprendre 2, 4 ou 6 tranches nucléaires. Les sites, ou Centres Nucléaires de Production d’Electricité (CNPE), présentent différentes configurations spatiales, en fonction des caractéristiques de leur terrain d’implantation. Il faut tout d’abord distinguer la source de refroidissement, rivière ou mer, et la présence ou l’absence d’aéro réfrigérants, grandes tours de refroidissement qui rejettent de la vapeur d’eau. Au-delà de ces spécificités locales, chacun des sites comporte deux grandes délimitations. La première est d’ordre radiologique : la Zone Non Contrôlée est libre d’accès et ne comporte pas d’émission de radiation, alors que la Zone Contrôlée exige des habilitations et des équipements spécifiques comme des dosimètres. La seconde délimitation est d’ordre socio professionnel. Elle délimite l’espace entre les zones industrielles et les bâtiments administratifs. Au sein des centrales, la première relève du « terrain » alors que l’autre renvoie aux « bureaux ».

Une centrale occupe une grande superficie au sol (les temps de déplacement d’un endroit à l’autre sont considérables et doivent être intégrés dans la temporisation de l’activité) et le nombre de locaux est impressionnant. Les agents de terrain expliquent à l’observateur qu’un débutant a besoin d’environ un mois pour pouvoir se repérer sur l’installation et être en mesure d’évoluer seul sur le terrain. Il lui faudra environ six mois pour pouvoir commencer à manipuler les matériels. Pour qui se rend pour la première fois dans une centrale nucléaire, c’est souvent à plusieurs kilomètres de distance que la présence de cette technologie se fait ressentir : en découvrant les panaches de vapeur qui sortent des aéro-réfrigérants, le visiteur est immédiatement interpellé. La forme bien particulière de ces tours possède une force d’évocation et une puissance symbolique tout à fait claire. Pour le visiteur, c’est ici que commence la centrale nucléaire. Il n’en va pas de même pour les centrales dépourvues d’aéroréfrigérants, qui de l’extérieur ne présentent pas de signes distinctifs, et qui pourraient être prises de loin pour des bâtiments industriels standards. La suite de l’exposé montrera que la présence ou l’absence de ces tours n’est pas neutre, car les populations locales se basent sur la présence et les formes des panaches pour diagnostiquer l’état de fonctionnement de la centrale. Sur le CNPE no 4, un Chef d’Exploitation résume le raisonnement des habitants de la petite ville voisine « deux grands panaches [de vapeur d’eau], tout va bien » .

Les agents de l’exploitation nucléaire

Les salariés d’une centrale nucléaire se répartissent en différentes catégories. On peut d’abord distinguer les personnels d’exploitation et les personnels travaillant dans des fonctions support comme le service Documentation par exemple. La thèse s’intéressera en premier lieu aux exploitants dans la mesure où ce sont eux qui sont en prise directe avec les aléas techniques. Habituellement, le terme « exploitants » désigne les agents des équipes de conduite. Dans un sens plus large, ce terme désigne également les agents des services de maintenance comme les chimistes, les mécaniciens, les électriciens, etc. Les personnels de conduite travaillant « hors-quart », ou en « horaires de bureau », pourront également faire partie de cette catégorie, tout comme certains services de maintenance. À un niveau plus macroscopique, au sein de l’entreprise EDF, « l’exploitant » désigne les agents de la Division de la Production Nucléaire, qui sont ici distingués des personnels des centres d’ingénierie ou de Recherche et Développement par exemple. Enfin, au niveau plus global des relations entre les organisations, lorsque l’on parle des relations entre EDF et l’Autorité de Sûreté du Nucléaire, c’est toute l’entreprise EDF qui est nommée « l’exploitant ». De manière générale, ce terme possède une définition fluctuante et relative. Est exploitant celui qui, par rapport à un autre groupe, est au plus près de la machine et du terrain. Cette recherche s’intéresse à toutes les personnes amenées à travailler à la résolution des aléas techniques. Ces acteurs seront désignés, de manière générique, par le terme « exploitants », conservant volontairement la souplesse sémantique de ce terme. Dans le cadre de ce chapitre introductif, la présentation se limite aux équipes de conduite car celles-ci ont été au cœur de notre recherche. Les autres acteurs amenés à travailler sur la résolution des aléas techniques, notamment les services de maintenance, les Ingénieurs Sûreté et les astreintes Direction, seront présentés au cours de la thèse, au fur et à mesure de l’exposé de cas lors desquels ils sont intervenus.

Une population de salariés n’apparaît quasiment pas dans la présente étude. Il s’agit des employés d’entreprises sous-traitantes, qui sont pourtant au cœur de l’actualité sur les conditions de travail et la protection radiologique. Si ces acteurs n’ont pas été directement rencontrés c’est parce que les périodes d’observation ont été centrées sur les périodes de Tranche en Fonctionnement, alors que ces salariés sont surtout présents lors des Arrêts de Tranche. Néanmoins, lors de nos périodes d’observation, des prestataires entraient en salle de commande – notamment pour faire signer des documents par les opérateurs – mais nous n’avons pas eu de contact privilégié avec eux dans la mesure où ils n’intervenaient pas directement lors des cas observés. Pour des études portant directement sur cette population de travailleurs, nous renvoyons aux ouvrages d’Annie Thebaud-Mony (2000), de Doniol-Shaw et al. (1995) et aux travaux de Pierre Fournier (1996, 2000, 2001) .

Organisation et division du travail

Les équipes de conduite ont pour mission d’assurer la production d’électricité, celle-ci étant soumise à un grand nombre d’exigences de sûreté. La conduite de la tranche implique de surveiller les paramètres décrivant l’état du process, de configurer l’installation pour permettre les opérations de maintenance et de gérer le « fortuit » (Uhalde et Osty, 1993). Ce travail de thèse porte principalement sur la gestion de ces imprévus, de ces « événements » selon le concept de Philippe Zarifian (1995), présenté en détails plus loin dans ce chapitre .

Une équipe de conduite travaille en horaires postés, selon un roulement de différents « quarts ». Elle est composée d’agents de terrain qui interviennent physiquement sur les organes et les matériels de l’installation (cinq agents environ), de deux opérateurs postés en permanence en salle de commande (contrôle et pilotage de l’installation via des enregistreurs et des actionneurs permettant la manœuvre à distance de pompes, de vannes, etc.). Une équipe est affectée à une unité de production et supervisée par un Cadre Technique (CT). Le Chef d’Exploitation (CE) supervise deux équipes, et a donc la responsabilité de deux tranches de production. Les équipes comportent également un Chargé de Consignation qui est responsable de la consignation des circuits, soit leur mise dans une configuration permettant les opérations de maintenance . Une équipe d’une dizaine de personnes ne comporte donc pas moins de quatre niveaux fonctionnels. On parlera de niveaux fonctionnels pour désigner le fait que les opérateurs et le Cadre Technique dirigent le travail des agents de terrain mais que le véritable hiérarchique de ces derniers (qui décide des évolutions de carrière, etc.) reste le Chef d’Exploitation (voir la distinction proposée par Didier Lanson (1979, p. 606, note 1)).

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Table des matières

Introduction
0.1 Problématiques industrielles
0.2 Les lectures essentielles
0.2.1 Les travaux théoriques
0.2.2 Les travaux sur le nucléaire
0.3 Le terrain d’enquête
0.3.1 Les centrales nucléaires de l’étude
0.3.2 Comparer les différents terrains
0.4 Méthodologie
0.4.1 L’approche du terrain d’enquête
0.4.2 Les rapports du doctorant avec l’entreprise commanditaire
0.4.3 Rendre compte et restituer les données
0.4.4 L’analyse et les idéaux-types
0.4.5 L’accès au terrain
0.5 Les principaux résultats
0.6 Le plan
I Autonomie
1 Complexité et autonomie
1.1 L’exploitation nucléaire
1.1.1 L’énergie nucléaire et le Parc nucléaire d’EDF
1.1.2 Les agents de l’exploitation nucléaire
1.1.3 Exécutants et encadrement
1.1.4 Les différentes équipes de conduite
1.1.5 La question du genre
1.1.6 Le process
1.1.7 Les différentes phases dans l’exploitation d’une centrale nucléaire
1.1.8 Règles, procédures, et gammes
1.2 Les aléas
1.2.1 Le modèle de l’événement
1.2.2 L’imprévisible
1.2.3 Aléas et autonomie au travail
1.3 La création de règles par les acteurs
1.3.1 La création sur papier libre
1.3.2 L’enrichissement par la mise à jour de règles existantes
1.3.3 La modification par les Préparateurs du CNPE
1.3.4 La modification par des acteurs extérieurs au CNPE
2 Autonomie et initiative
2.1 Autonomie collective, initiative individuelle
2.1.1 Le cas du réservoir
2.1.2 Analyse du cas
2.1.3 Aléa, autonomie, initiative : définition des concepts
2.1.4 Initiative observée et initiative racontée
2.1.5 Initiative racontée, initiative observée et processus de décision
2.2 L’autonomie au travail
2.2.1 Définitions
2.2.2 Autonomie et sociologie du travail
2.2.3 L’autonomie reconquise : la sociologie des organisations
2.2.4 L’autonomie prônée par l’entreprise et ses conséquences
2.3 Autonomie et aliénation
2.3.1 Les sens de l’aliénation
2.3.2 Aliénation et confiance dans le progrès technique
2.3.3 Aliénation ontologique, aliénation sociologique
2.3.4 Rationalisation et aliénation
2.3.5 Communauté et société
2.3.6 Tocqueville et le travail moderne
2.3.7 L’aliénation chez Durkheim et Simmel
2.4 Prise d’initiative, prise de décision
2.4.1 Présentation des acteurs
2.4.2 Le cas des entrées dans le Bâtiment Réacteur
2.4.3 L’initiative comme innovation
2.4.4 L’initiative comme imprévisibilité
2.4.5 La Théorie de la Régulation Sociale
2.4.6 Une organisation bureaucratique
II Décision
3 Décision et rationalités
3.1 La littérature sur la décision
3.2 Cas empiriques et analyses des acteurs
3.2.1 Le cas du clapet
3.2.2 Le cas des capteurs
3.2.3 Alternatives et exigences
3.2.4 La complémentarité des compétences
3.3 Le processus de décision
3.3.1 Modélisation du processus de décision
3.3.2 L’idéal-type et ses limites
3.3.3 Rationalité cognitive et processus de décision
4 Décision et risque
4.1 Le cas de l’accumulateur
4.1.1 Le service Sûreté et les Ingénieurs Sûreté
4.1.2 Présentation du cas
4.1.3 Analyse : un même événement perçu différemment
4.2 Initiative, action et sanction
4.2.1 Coopération et conflit
4.2.2 Les pressions de production
4.3 Remontée cognitive et remontée hiérarchique
4.3.1 Le critère cognitif : compréhension et maîtrise technique
4.3.2 Le critère hiérarchique : autorité, pouvoir et capacité d’initiative
4.4 Décisions risquées et industrie à risque
4.4.1 Le décideur face au risque et à l’incertitude
4.4.2 Décision et industrie à risque
III Reconnaissance et don
5 Reconnaissance
5.1 La théorie de la reconnaissance
5.1.1 Axel Honneth
5.1.2 Redistribution et reconnaissance
5.1.3 Reconnaissance et travail
5.1.4 Autonomie et reconnaissance
5.2 Le cas de la procédure H3
5.3 Luttes et quête de reconnaissance
5.3.1 Paul Ricoeur et l’approche pacifiée de la reconnaissance
5.3.2 Cas de « luttes » pour la reconnaissance
5.3.3 Cas d’expériences pacifiées
6 Don
6.1 L’Essai sur le don
6.2 Exégèses et prolongements modernes
6.2.1 Les travaux d’Alain Caillé et de la revue du MAUSS
6.2.2 Intérêt, liberté et ambivalence
6.2.3 Théorie du don et sociologie du monde du travail
6.3 Le don dans l’exploitation nucléaire
6.3.1 L’initiative au prisme du don
6.3.2 La coopération au prisme du don
6.3.3 La relation salariale au prisme du don
6.3.4 Évolution historique et théorie du don
6.4 Les mobiles de l’implication au travail
6.4.1 Théorie du don et Analyse Stratégique
6.4.2 Théorie du don et Théorie Générale de la Rationalité
Conclusion générale
Bibliographie

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