L’enclave comme objet géographique : ses discontinuités et au-delà

Deux phénomènes géographiques, pourtant contradictoires, parcourent le traitement contemporain de l’actualité internationale : d’une part l’érection de murs et les tentations communautaires, d’autre part la mondialisation des flux économiques, migratoires ou touristiques. La dynamique, la dialectique ouverture-fermeture est un constat. Que l’on songe par exemple à L’éloge des frontières, ouvrage dans lequel Régis Debray [2010] raille le discours apologétique du sans frontiérisme et d’un monde sans frontières alors même que l’on constate leur renaissance.

Si des frontières continuent de se tracer, elles se déploient également sur des modes et en des lieux différents. Elles ne sont plus seulement ces lignes –ou ces zones, comme la DMZ entre les deux Corée– qui font les cartes politiques du monde : « Les frontières sont des structures spatiales élémentaires, de forme linéaire, à fonction de discontinuité géopolitique et de marquage, de repère, sur les trois registres du réel, du symbolique et de l’imaginaire » [FOUCHER, 1991]. Réel, imaginaire, symbolique et géopolitique, les enclaves touristiques relèvent conjointement de ces registres et sont également une manifestation du déplacement et de la projection de frontières vers de nouveaux lieux.

Au cours des chapitres liminaires, il sera en effet question de murs, de frontières, de séparations : l’enclave touristique apparaît comme un lieu clôt de toutes parts, ceint par sa frontière. Un des objectifs de cette thèse est d’étudier ce qui se joue à la frontière de l’enclave et en ses abords. Afin d’asseoir notre démonstration, les chapitres liminaires tendront à prouver le bien-fondé de l’emploi des termes «enclave » et « enclavement » au sujet des structures hôtelières fermées. Parallèlement, ce sera l’occasion de corriger l’approche traditionnelle de l’enclavement généralement marquée du sceau de la géopolitique ou de la géographie des transports : les structures que nous étudions ici se fondent sur une série de discontinuités, la plupart du temps prévues et organisées puisqu’elles concourent à la mise en scène de ces lieux touristiques spécifiques mais la dimension anthropique ainsi que les pratiques spatiales peuvent venir moduler la fermeture structurelle de l’enclave.

En effet, l’enclave touristique remet en question l’enclavement. Ce sera l’occasion de détailler les discontinuités à l’œuvre et d’établir les prémices d’une approche de l’enclavement adaptée à une nouvelle donne : l’appétence potentielle de touristes pour le repli. L’expression fréquente de « ghetto doré » que l’on emploie à propos du tourisme d’enclave s’avère toutefois inexacte. Elle a également l’inconvénient de donner une image uniforme à des lieux, certes standardisés, mais où se jouent de multiples interactions variables selon le contexte politique, économique, culturel… Par ailleurs, l’appellation de « ghetto doré » a une connotation péjorative, qu’on l’applique au tourisme [MIT, 2001] ou aux quartiers chics et généralement sécurisés comme la villa Montmorency dans le XVIe arrondissement de Paris [PINCON et PINCON-CHARLOT, 2007]. Les gated communities passent également pour des lieux clos, réservés à une élite. Il serait toutefois inexact d’assimiler strictement l’enclave touristique à la délocalisation ou au pendant ludique de la gated community bien que de nombreuses dynamiques soient communes aux structures hôtelières et aux communautés fermées : s’il est vrai que l’une des raisons de l’enclavement est une exigence de sécurité, sa fonction première est la séparation de populations aux profils économique, social et culturel différents . S’il s’avère que l’enclave touristique est un « lieu-produit » bien conçu et répondant à une demande précise de détente, de recréation [MIT, 2002] selon une mise en scène exotique, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une structure conçue ex nihilo similaire au comptoir [ibid.].

Les discontinuités à l’œuvre

Etudier l’enclavement dans de petits territoires insulaires –et même dans des milieux où l’île et l’enclave se confondent du fait de la micro-insularité– voilà une proposition qui peut surprendre. Alors que l’on parle habituellement de situation d’enclavement pour des Etats continentaux enchâssés, sans littoraux, ou comme d’une contrainte à l’homme et ses déplacements, l’approche présentée ci-après en sera un contrepoint. L’objectif de ce chapitre, et même de l’ensemble de ce travail de recherche, est d’asseoir une définition ouverte et « affirmative » de l’enclavement, s’affranchissant des considérations usuelles (mais bien entendu justes) et restrictives autour de ce concept .

Les lieux proposés à l’étude ici relèvent de la micro-géographie : il s’agit de domaines hôteliers répondant à l’éventail des besoins (ou désirs) premiers du touriste en mal d’exotisme. L’activité touristique suppose l’accessibilité, d’autant plus dans les cas que nous présenterons : l’émergence des destinations tropicales dans le tourisme international se fonde sur la réduction de la distance-temps et de la distance-coût du transport aérien. N’est-ce donc pas dévoyer le terme d’enclavement que de l’employer pour traiter des pratiques spatiales dans des destinations desservies par les vols quotidiens ? Est-il légitime de convoquer ce terme plutôt connoté pour évoquer des pratiques relevant d’un choix (d’un luxe ?) et non pas d’une contrainte ? Le terme « enclavement » comme on le verra n’est pas porteur en lui-même des aspects péjoratifs de sa définition : c’est l’usage qui les a fixés. Il est alors acceptable et cohérent de tenter d’appréhender tant le processus que l’état d’enclavement sous un angle différent.

Enclavement : exclusion et inclusion

Nommer un objet spatial est une tâche complexe : à chaque dénomination correspond une série de connotations ainsi qu’un héritage géographique spécifique. Il en va de même pour les structures hôtelières et touristiques s’appuyant sur des discontinuités. Pour courtcircuiter cette longue et lourde périphrase, on pourrait employer le terme –plus englobant– de comptoir [MIT, 2002] défini comme un « type de lieu touristique maîtrisé par un acteur, promoteur en général. Lieu fermé où s’applique une réglementation spécifique et au sein duquel la fonction d’hébergement est essentielle. Aucune population permanente n’y réside » [ibid, p.299]. Là, on ne trouve aucune mention à la différentiation spatiale. L’accent est mis sur l’usage du lieu pourtant, les hôtels-clubs comme les parcs d’attraction sont éligibles à cette définition et s’appuient tous deux sur une mise en scène forte de l’espace. Nous y reviendrons d’ailleurs plus longuement en deuxième partie. Toutefois, la « fermeture » inhérente au comptoir ainsi que la résonnance, coloniale notamment, de ce terme en fait un substantif intéressant pour traiter de ce que nous appelons enclave(ment) touristique. Un comptoir colonial peut être défini comme la projection distincte d’un Etat, d’une firme ou d’une compagnie dans un territoire lointain et différent. Que l’on songe par exemple aux comptoirs français aux Indes. Par ailleurs, les historiens rappellent que le fonctionnement des colonies (françaises) n’était pas fondé sur le métissage [RIVET, in RIOUX, 2007]. Cette séparation des populations au sein d’un même territoire entre la ville coloniale et les zones d’habitat indigène rappelle également les pratiques spatiales dans et autour de la structure hôtelière fermée comme nous le verrons dans les chapitres suivants. Le parallèle entre tourisme et colonisation peut être poussé plus avant et est par ailleurs bien connu, notamment depuis les Nouvelles colonies de vacances ? de Georges Cazes. Toutefois, nous nous limiterons ici à pointer les éléments intéressants d’un rapprochement entre la figure du comptoir et les lieux à l’étude que sont les structures hôtelières fermées. Etant donné que le terme « comptoir » recouvre des réalités et concernes des lieux bien différents, il apparaît plus efficace d’opter pour « l’enclave », plus spécifique en ce qu’il désigne un type de comptoir touristique (les parcs d’attraction par exemple, en sont un autre).

Légitimer l’usage du terme « enclavement »

La difficulté à employer le mot « enclave » vient principalement de la manière dont il est employé habituellement, dans le langage courant comme en géographie. Dans les Mots de la géographie [BRUNET, FERRAS, THERY, 1995, p.184] les auteurs en citent les principales figures : « Territoire ou fraction de territoire entièrement situé à l’intérieur d’un autre […] Situation d’une unité qui opère de façon autonome par rapport à son environnement immédiat, mais en relation suivie avec un partenaire extérieur […] situation de territoires mal desservis […]. On appelle aussi Etat enclavé (angl. landlocked) un Etat dépourvu de rivage maritime […] ». En langue française, on peut donc employer le même terme pour traiter de l’enclave angolaise de Cabinda, l’enclave des Papes dans la Drôme (Valréas), la situation du Lesotho enserré dans l’Afrique du Sud, la Mongolie sans rivages ou de villes en situation de déprise , prétendument enclavées.

Jacques Lévy [in LEVY & LUSSAULT, 2003, p.309sq] définit l’enclavement de manière plus globale, « comme un contraire de l’ubiquité », une « configuration dans laquelle une réalité géographique est séparée d’autres réalités par une distance infinie ». S’affranchissant d’une définition par le milieu naturel (présence/absence de littoraux) ou d’une approche géopolitique (inclusions étatiques propices à des conflits), là est l’intérêt de l’usage – peut-être moins classique – du terme enclavement : il s’agit d’un processus et d’un résultat où se combinent distance et côtoiement. D’autre part, une enclave désigne en géologie l’inclusion d’une roche dans une autre. Nous serons par la suite amenée à retravailler et réemployer ce rapprochement entre enclavement et inclusion.

Un détour par la base FRANCIS montre d’ailleurs bien que la géopolitique et la géographie des transports tiennent le haut du pavé pour ce qui est de l’emploi des termes enclave ou enclavement. Les incongruités géographiques comme Melilla, Ceuta, Macao mais surtout Kaliningrad – étude de cas la plus récurrente – figurent parmi les sujets les plus fréquents et correspondent à ce que les anglophones nomment land-locking. Puisqu’enclavement sous-entend distance et éloignement, un autre type de résultats apparaît très nettement : nombre d’articles scientifiques traitent du désenclavement. Il s’agit plutôt d’une chasse gardée de géographes du développement, africanistes notamment : la plupart des études de cas portent sur des régions, villes, ports d’Afrique (de l’ouest). Par comparaison, l’apparition de notices bibliographiques telles que « Les Préalpes méridionales sont-elles enclavées ? » ou « La ville de Digne est-elle enclavée ? » est assez surprenante et l’on peut d’ailleurs se demander si le terme d’enclave ou d’enclavement n’est pas galvaudé s’il est employé pour traiter de villes africaines, de confins d’Asie centrale, de régions françaises en repli, ou de structures touristiques comme c’est le cas durant cette thèse. Quoi qu’il en soit, il est intéressant de voir que dans le champ de la géographie, l’enclavement apparaît en pratique généralement comme une entrave aux déplacements et activités anthropiques mais également comme l’état temporaire d’un territoire que l’on destine semble-t-il nécessairement à l’ouverture (au désenclavement) par le biais de l’amélioration des infrastructures de transport ou la promotion des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). L’association de l’enclavement à un phénomène gênant, difficile, devant être résolu rapidement se retrouve également en médecine. En obstétrique, on parle ainsi d’enclavement pour désigner la situation dans laquelle la tête du fœtus reste bloquée durant l’accouchement.

Quel que soit le champ lexical, le domaine d’application, l’usage voudrait donc que l’enclavement soit un processus (ou un état) nuisible, dangereux, pour le moins insatisfaisant. Un détour, ou plutôt un retour, par l’étymologie fait apparaître une réalité plus simple. Il s’agit à chaque fois d’objets servant à fermer mais aussi, logiquement, à ouvrir : l’enclave et l’enclavement portent donc en eux-mêmes le principe d’ouverture, de porosité, de variabilité de la fermeture. La possibilité d’ouverture comme de fermeture est sous-jacente. L’enclave pourrait donc se concevoir théoriquement comme un lieu tout autant fermé et contrôlé qu’ouvert et accessible.

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Table des matières

I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION  
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME

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