L’emprise impériale sur les dominions après la guerre

ROMANCIERS ET JOURNALISTES SE FONT MORDANTS

La proximité entre la presse et les partis, jugée pernicieuse, ainsi que l’impuissance de la députation canadienne-française au Parlement fédéral ont été mises en scène dans quelques romans et même dénoncées dans certains journaux. Les romanciers Joseph-M.Alfred Mousseau et Arsène Bessette, ainsi que les journalistes Jules Fournier et, plus tard, Léopold Richer, ont porté un regard critique sur l’ univers dans lequel ils ont évolué. Tous ont été journalistes et la plupart ont été correspondants parlementaires. Tous aussi sont de fervents nationalistes. Voyons comment ces quatre intellectuels ont observé le système politique canadien au début du XXe siècle et de quelle façon leurs écrits témoignent de cet univers.

Des relations malsaines entre la presse et les partis

L’envers du journalisme de Joseph-M.-Alfred Mousseau paraît en 191233 . Né en 1874 et mort en 1913, ce romancier ne doit pas être confondu avec son père, Joseph-Alfred Mousseau, premier ministre du Québec entre 1882 et 188434 • Cela témoigne en revanche du contact étroit qu’il put avoir avec l’univers politique. Avant de publier cette oeuvre, l’auteur fut avocat et journaliste pour Le Nationaliste, La Presse et Le Passe-Temps35, et il traita le monde politique dans des romans tels que Les Vermoulures .

Le roman Le Débutant, d’Arsène Bessette, est publié en 1914. Journaliste libéral ayant écrit pour La Patrie, Le Canada français et La Presse, Bessette fut chroniqueur parlementaire au Parlement de Québec, puis chroniqueur littéraire et théâtral.
Affiché sur la liste des francs-maçons de Montréal, il vit son roman interdit par le clergé dès sa publication, car l’oeuvre dénonçait non seulement« le fanatisme politique », mais aussi le « préjugé religieux ».
Dans leurs écrits, Arsène Bessette et Joseph-M.-Alfred Mousseau dressent un portrait critique de l’univers dans lequel les journalistes travaillent au début du siècle.

Les reporters, affirment-ils, sont soumis à plusieurs influences qui les empêchent d’écrire librement et ils évoluent dans un univers où « la méchanceté et l’égoïsme sont les mobiles les plus fréquents des actes humains.
• Aux yeux de Mousseau, l’électorat demande à être renseigné sur ses représentants politiques, mais « le public aime à être trompé et volé », ce que les politiciens tournent à leur avantage.
• Deux ans après Mousseau, Arsène Bessette souligne l’importance de la politique pour accéder à des postes haut placés et il fait voir comment, par corruption et complaisance, les journalistes appuient la « tyrannie» des politiciens.
• Les deux romanciers accusent les journalistes de servir des journaux propagandistes qui briment la liberté d’expression, la recherche du progrès et menacent la société canadienne-française, en plus d’être au service du pouvoir politique. Or, les historiens ont pu montrer qu’en effet certains journaux du tournant du siècle se souciaient très peu de leur indépendance face au pouvoir politique.
• Aussi, Mousseau et Bessette dénoncent le manque de volonté intellectuelle et soutiennent que les Canadiens français devraient prendre une part plus active dans le développement économique du Canada. Ils constatent que ces derniers n’ont pas le même niveau d’aisance que les autres groupes ethniques dans la société canadienne.

En plus de faire une critique de la société, ces deux journalistes-romanciers dénoncent l’esprit de parti chez les parlementaires et chez les journalistes :

Nos grands journaux ne sont pas faits pour instruire le peuple par la libre discussion des questions politiques, scientifiques, sociales ou autres, en un mot de tout ce qui peut éclairer les masses ignorantes et crédules. [ … ] Le journal ne critique que ce qui peut être nuisible au parti qu’il défend ou aux recettes qu’il encaisse. Quant à la louange, elle se vend à tant la ligne pour les obscurs, pour les annonceurs; tandis que les puissants du jour paient en faveurs et protections, les pouvoirs tyranniques, en intimidations et menaces.

Et du directeur jusqu’au dernier des reporters, le rouage fonctionne sous la même impulsion.

Ainsi, avant même la Première Guerre mondiale, les romanciers canadiens-français expriment des idées qui marqueront les journalistes après celle-ci. Toutefois, peut-on réellement soutenir que tous les journalistes étaient inféodés aux partis politiques et corrompus par l’esprit de parti? Ce n’est pas le cas ni de Jules Fournier, ni de Léopold Richer.

L’impuissance de la députation canadienne-française

En effet, Jules Fournier et Léopold Richer ont le plus souvent souscrit à une vision très négative de la politique au Québec. Dans leurs écrits, ces journalistes nationalistes considèrent les formations politiques comme des machines qui n’obéissent qu’à leurs propres règles et à leurs affections, sans tenir compte des intérêts de la nation. Le politologue Jean Charron a jugé que cette attitude négative était une stratégie de la part des journalistes: celle-ci aurait consisté à user de « la méfiance [et de] la suspicion [ .. . afin] de percer la face publique de la politiqué • » Nous faisons nôtre cette hypothèse, puisque nous croyons que Fournier et Richer cherchaient avant tout à discerner les motifs réels derrière les décisions gouvernementales prises au Parlement et que cette attitude était partagée par Desrosiers et ses contemporains.

Jules Fournier, journaliste acerbe et reconnu pour ses critiques pointues, est également directeur du Nationaliste, collaborateur à de nombreux autres journaux et correspondant parlementaire
• Il peut donc observer le monde politique d’assez près et sous tous les angles. En 1910, dans une série d’articles portant sur la députation canadienne-française au Parlement d’Ottawa, il souligne la grossièreté des parlementaires, leur ignorance, leur paresse et leur absurdité, il parle de leur « vie de légume ayant élevé le fumage de pipes à la hauteur d’un art» et de leur état « d’abrutissement définitif».

Cette série d’ articles dénonce vigoureusement l’esprit de parti. Elle dénonce aussi le  Nmépris que subissent les députés canadiens-français, confinés à la tabagie qui devient en quelque sorte « leur petit Canada».

Quant au journaliste Léopold Richer, ami intime de Léo-Paul Desrosiers, il reprend, en 1935 et 1940, le portrait peu flatteur qu’avait dressé Fournier en 1910. Il accuse le système parlementaire britannique de ne former que des députés médiocres et ignorants voués à l’obéissance absolue, et il déplore la situation des députés canadiens-français qui sont trop minoritaires pour, d’après lui, avoir le droit d’être médiocres. Il conclut que l’incompétence, la paresse, l’ignorance, la lâcheté observées par Fournier sont encore présentes au Parlement fédéral trente ans plus tard.

Heureusement si l’on peut dire, les députés canadiens-français ne sont pas les seuls à avoir des torts, selon les journalistes. Leurs collègues canadiens-anglais sont également soumis à l’esprit de parti; mais cela n’a pas la même portée. Libéraux comme conservateurs canadiens-anglais défendent sans doute des projets de société différents, cependant tous sont en train de construire le Canada comme pays d’une seule nation, la canadienne-anglaise, et tous définissent encore massivement le Canada en lien avec la Grande-Bretagne. Comme Ernest Bilodeau, prédécesseur de Desrosiers sur la colline fédérale, le souligne en parlant des députés ontariens : « L’Anglo Saxon d’ici respire Empire, parle Empire, mange Empire et dort Empire; et lorsqu’il ouvre la bouche pour exprimer des idées, ça … Empire encore51 ». Les conséquences de l’esprit de parti sont donc plus grandes sur le Canada français que sur le reste du pays, car la division de la députation nuit à la défense des minorités françaises. C’est cela que Mousseau et Bessette ainsi que Fournier et plus tard Richer veulent corriger lorsqu ‘ ils manifestent tant d’ironie dans leurs écrits.

Le discours promu par les romanciers et journalistes nationalistes influence beaucoup Léo-Paul Desrosiers. Voyons de quelle façon ce discours se répercute dans les écrits de ce journaliste et comment, dans ses chroniques, celui-ci traite le Parlement, la presse et les parlementaires.

LÉO-PAUL DESROSIERS À OTTAWA

Entre 1920 et 1927, Léo-Paul Desrosiers travaille au journal d’Henri Bourassa; il est correspondant parlementaire à Ottawa pour Le Devoir. Dans tous ses écrits, il partage l’analyse de Mousseau, Bessette et Fournier, ainsi que celle que reprendra Richer plus tard, lorsqu’il succèdera à Desrosiers. Depuis 1919, il publie dans L ‘Action française et dans Le Nationaliste des articles à saveur nationaliste, ce qui lui permet de fréquenter, au moins indirectement, le cercle de la Ligue d’action française, dans laquelle évoluent Lionel Groulx et Omer Héroux, premier directeur de L’Action française en 1917 et rédacteur au Devoi »y . Dans sa correspondance avec Groulx, dans ses articles publiés dans L’Action française et dans ses chroniques au Devoir, Desrosiers se révèle critique et tout compte fait plutôt malheureux de sa situation. Les journalistes, son métier, la ville où il travaille et les parlementaires qu’il côtoie ne lui inspirent décidément pas grand-chose de bon. Il est important d’en prendre conscience, puisque cela détermine le regard qu’il portera sur les enjeux qui secouent le Parlement fédéral dans les années 1920 : la dualité nationale, les relations impériales et le développement économique régional.

La presse partisane et le métier de journaliste

En général, Desrosiers n’a pas une très haute opinion du métier de journaliste. En 1919, alors qu’il est encore rédacteur pour L ‘Action française et Le Canada, il écrit à Lionel Groulx :

Vous me parlez de journalisme dans votre dernière lettre. J’ai toujours cru que cette profession vidait un homme de ses idées à mesure qu’elles naissent [ … J. Je ne serai jamais journaliste que par nécessité. D’ailleurs, une tension intellectuelle très grande fatigue l’esprit pendant les heures de travail et il est d’autant plus difficile de composer au sortir de la salle de rédaction.

Les nécessités de la vie, dont éventuellement la fondation d’une famille, obligent néanmoins Desrosiers à se résigner. Mais le métier lui est pénible54. Dans ses Mémoires, Groulx parle même d’un « déchirement intérieur» chez le jeune homme.

Pour lui, l’indépendance des journaux n’est pas aussi réelle que les journalistes le laissent entendre, et ceux-ci, même les modérés, manipulent les faits en faveur du parti qu’ils soutiennent56. Au lieu de servir la nation et d’enrayer l’ignorance, les journalistes propagent le mensonge: « ils vous mettent dans la bouche les théories les plus abracadabrantes afin de pouvoir ensuite les critiquer à leur aise, ils vous font dire des sottises afin de pouvoir mieux vous les reprocher57 ». L’historiographie lui donne raison et souligne que le mensonge fait partie du monde politique58. Par ailleurs, Desrosiers fustige lui aussi l’esprit de parti de la presse, la « religion de parti» écrit-il en 1924.

Son opinion est plus favorable envers la presse nationaliste. Moins asservie, celleci doit réagir aux injustices infligées à la nation canadienne-française, les faire connaître et fustiger les députés canadiens-français au Parlement60. C’est une manière de faire contrepoids aux journaux partisans. Dans le conflit ontarien autour du Règlement XVII, Desrosiers observe certains « journaux publiés dans notre province et en notre langue tenter de diminuer l’importance du conflit ontarien, l’attribuer à des motifs mesquins pour faire un jeu politique ».

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Table des matières

INTRODUCTION 
1. Historiographie
1.1 Le nationalisme canadien-français au début du XXe siècle
1.2 Le journalisme parlementaire: entre information et opinion
1.3 Léo-Paul Desrosiers: correspondant parlementaire méconnu
2. Problématique
3. Sources et méthodologie
Conclusion
CHAPITRE 1 
NATIONALISME ET POLITIQUE: DISSENSION SUR PAPIER 
1.1 L’influence de « l’esprit de parti» au début du xxe siècle
1.2 Romanciers et journalistes se font mordants
1.2.1 Des relations malsaines entre la presse et les partis
1.2.2 L’impuissance de la députation canadienne-française
1.3 Léo-Paul Desrosiers à Ottawa
1.3.1 La presse partisane et le métier de journaliste
1.3.2 La politique fédérale au Parlement
1.3.3 La députation canadienne-française
Conclusion
CHAPITRE 2
LA DUALITÉ NATIONALE AU COEUR DU DISCOURS AUTONOMISTE
2.1 Le« duel des races» au Canada
2.2 La dualité nationale dans la politique canadienne
2.3 La menace des infiltrations étrangères
Conclusion
CHAPITRE 3 
LES RELATIONS IMPÉRIALES ET L’INDÉPENDANCE DU DOMINION
3.1. Évolution du statut des dominions: portrait contextuel
3.1.1 L’emprise impériale sur les dominions après la guerre
3.1.2 La conscience nationale du Canada anglais
3.1.3 L’émancipation complète au Canada français
3.2 Léo-Paul Desrosiers: regard sur le Canada
3.2.1 La politique étrangère du Canada: nationale ou impériale?
3.2.2 Le statut du Canada au sein des conférences impériales
3.2.3 L’importance d’une représentation purement canadienne
3.2.4 Armement et marine de guerre
3.3 Les élections fédérales de 1925 et de 1926 : l’affaire King-Byng
Conclusion
CHAPITRE 4 
LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE FÉDÉRALE DANS LE DISCOURS NATIONALISTE CANADIEN-FRANÇAIS
4.1 Pour une politique économique modérée et conciliatrice
4.1.1 S’inspirer de la solution américaine
4.1.2 Une politique économique libérale mal équilibrée
4.1.3 L’unité du pays doit l’emporter sur la politique partisane
4.2 Pour une politique économique nationaliste
4.2.1 Se défendre contre la convoitise des capitalistes américains
4.2.2 A parte: naissance du nationalisme économique au Canada français.
4.2.3 Promouvoir le développement économique du Québec et du Canada français
Conclusion
CONCLUSION 
BIBLIOGRAPIDE 
1. Sources primaires
1.1 Sources principales
1.2 Autres
2. Sources secondaires
2.1 Monographies, ouvrages collectifs, thèses
2.2 Articles de périodiques
2.3 Sites internet

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