Vieillissement de la population et enjeux
Dans la plupart des pays développés, la part des personnes de plus de 60 ans dans la population croît rapidement depuis le début des années 2000, avec l’arrivée dans ces tranches d’âge des premières générations nombreuses du « baby-boom ». Cette croissance est appelée à se poursuivre et, du fait de l’allongement concomitant de la durée de vie, à aboutir à une stabilisation de la part des plus âgés dans la population à un niveau élevé. En France, le scénario central des projections de population de l’Insee (Robert-Bobée, 2006) prévoit ainsi que la part des plus de 60 ans dans la population, égale à 20,8 % en 2005, devrait croître jusqu’à un peu plus de 30 % à l’horizon 2030, et rester à ce niveau élevé jusqu’à 2050 au moins. Le vieillissement de la population pose un problème général de financement des transferts sociaux, et notamment des systèmes de retraite. De 2,2 en 2005, le nombre d’actifs par inactif de 60 ans et plus en France devrait décroître à environ 1,3 à 1,4 après 2030 selon les divers scénarios des dernières projections de population active de l’Insee (Coudin, 2006). Le phénomène démographique de vieillissement est aggravé par la tendance historique de diminution des taux d’activité dans toutes les classes d’âge de « seniors » (cf. figure I.1). Chez les plus de 65 ans, la tendance à la baisse du taux d’activité a été amorcée depuis de nombreuses décennies. Elle est liée en partie à la disparition de certains métiers d’agriculture ou d’artisanat, pour lesquels on finissait traditionnellement tard son activité. L’activité est dorénavant un phénomène marginal dans ces classes d’âge : le taux d’activité des hommes de 65-69 ans est, à titre d’exemple, de 3,7 % en 2005 contre 31 % en 1970 (1). Chez les 60-64 ans, les taux d’activité connaissaient également une tendance séculaire à la baisse, et cette dernière s’est nettement accélérée à la suite des premiers plans de préretraite dans la seconde partie des années 1970, puis de l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans au début des années 1980. De 68 % pour les hommes et 32 % pour les femmes en 1970, les taux d’activité des 60-64 ans sont passés à 18 et 17 % respectivement en 2005. Chez les quinquagénaires, enfin, la baisse du taux d’activité concerne principalement les hommes de 55-59 ans. Du fait de l’extension à ces classes d’âge des régimes de préretraite, leur taux d’activité a diminué de près de 15 points dans la première moitié des années 1980, pour se stabiliser à 65-70 % depuis (2).
Les facteurs du faible taux d’emploi des seniors
Le fonctionnement du marché du travail pour les seniors constitue une problématique complexe. Afin de comprendre les déterminants du faible taux d’emploi de ces derniers, il est naturel de s’intéresser aux deux aspects d’offre et de demande de travail. L’aspect « offre » a été largement étudié dans la littérature économique ; l’aspect « demande » l’a été beaucoup moins : c’est ce dernier aspect qui sera l’objet de cette thèse. L’aspect d’offre de travail a longtemps été avancé comme explication principale au faible taux d’activité des seniors. Il a fait l’objet de très nombreuses analyses, tant dans la littérature française qu’internationale. L’ouvrage collectif de Gruber et Wise (2004) fait référence dans ce domaine. Dans le cas français, une synthèse de la plupart des travaux réalisés jusqu’à la fin des années 1990 a été effectuée par Bommier, Magnac et Roger (2001a) (3). Il s’agit, dans ce type d’approche, d’étudier comment les dispositifs de retraites déterminent les âges de sortie définitive d’activité des seniors. Le rôle primordial des comportements d’offre de travail sur les sorties d’activité est fréquemment invoqué du fait de la capacité des modèles correspondants à bien expliquer certaines observations, notamment les « pics » de sortie d’activité aux âges « charnières » du système de retraite (par exemple, 60 ans en France). On pourra se reporter à cette référence, ainsi qu’à Bommier, Magnac et Roger (2001b) et Behaghel (2004), pour des revues de littérature très riches des nombreux travaux sur l’emploi et l’activité des seniors déjà publiés dans la littérature française et internationale. On pourra également se reporter aux rapports publiés récemment par divers organismes publics. A titre d’exemple, on peut mentionner les rapports Taddei (2000) et d’Autume, Betbèze et Hairault (2005) du conseil d’analyse économique, plusieurs rapports du conseil d’orientation des retraites (COR, 2001, 2004 et 2007), le rapport Quintreau (2001) du conseil économique et social, le rapport de l’OCDE (2005). Les comportements d’offre de travail ne suffisent pas cependant à expliquer, à eux seuls, toutes les observations sur le fonctionnement du marché du travail des seniors. Ainsi, on voit mal comment les incitations produites par les systèmes de retrait d’activité pourraient expliquer certains faits stylisés, comme la longue durée des périodes de chômage qui s’observe chez les seniors (Bommier et al., 2001a) ou bien la rareté des transitions du non-emploi vers l’emploi après 55 ans (Aubert, Blanchet et Blau, 2005). Les observations précédentes soulignent l’importance que peuvent revêtir les comportements de demande de travail pour expliquer le faible emploi des seniors, même si, historiquement, cet aspect a été bien moins étudié que l’offre de travail dans la littérature économique. Au-delà des faits stylisés cités précédemment, l’idée et le souci d’une « moindre » demande de travailleurs âgés de la part des entreprises correspond à une certaine évidence sociologique. De nombreux chefs d’entreprise se déclarent ainsi réticents à embaucher des salariés âgés, alors même qu’ils font face à des difficultés de recrutement (Richet-Mastain, 2003). De nombreux dirigeants ont également une image assez négative des performances économiques des salariés les plus âgés (Monso et Tomasini, 2003). Récemment, une étude de l’observatoire des discriminations (2006), présentant les résultats d’une étude par testing (4), citait l’âge comme premier critère de discrimination à l’embauche,devant le sexe ou l’origine.
Les quinquagénaires dans l’emploi salarié privé
Les quinquagénaires ne se répartissent pas dans l’emploi de la même manière que leurs cadets. Ils sont moins souvent salariés et travaillent plus souvent dans le secteur public. En 2000, la tranche d’âge de 50 à 59 ans représente ainsi, en moyenne, 20,1 % de l’ensemble des actifs occupés, mais 29,8 % des non-salariés, 22,4 % des salariés de l’État et des collectivités territoriales, 21,5 % des entreprises publiques et 17,3 % des salariés du privé (6). L’étude de l’emploi selon l’âge dans le public relève d’une problématique particulière. Les fonctionnaires réalisent généralement des carrières longues dans la fonction publique. Le poids des classes d’âge dans l’emploi y dépend principalement de l’historique des campagnes de recrutements, plutôt que de facteurs contemporains de demande de travail. De même, la structure par âge des indépendants relève plutôt d’effets d’offre de travail, et nécessite une analyse à part. Dans tout ce qui suit, on se restreint de ce fait aux salariés du secteur privé, afin de s’intéresser aux caractéristiques de la demande de travail des entreprises pour les salariés âgés. Les DADS, décrites en annexe, sont notre source principale de données pour cette analyse.
Des emplois souvent plus qualifiés
La structure par qualification constitue la principale particularité des salariés âgés : ils occupent en effet beaucoup plus souvent que leurs cadets des emplois très qualifiés (10). Ainsi, les quinquagénaires représentent 12,9 % des emplois non qualifiés, 16 % des emplois qualifiés et 20,4 % des emplois très qualifiés (11). Ces différences entre classes d’âge tiennent à plusieurs raisons : les plus diplômés entrent plus tardivement sur le marché du travail, l’accès à des postes plus qualifiés se fait en partie par des promotions en cours de carrière, et les plus qualifiés cessent définitivement leur activité professionnelle plus tardivement que les moins qualifiés. Certains secteurs se caractérisent, par ailleurs, par une part très élevée des plus de 50 ans dans leurs postes non qualifiés, notamment la finance et l’immobilier, ainsi que les services aux entreprises (avec les secteurs du conseil et des postes et télécommunications) et les activités associatives (cf. figure 1.8).
Les grands établissements recourent davantage aux préretraites
En ce qui concerne la taille des établissements, l’arrivée des générations des baby-boomers à la cinquantaine a augmenté les différences préexistantes. Le poids des quinquagénaires était déjà d’autant plus élevé que l’établissement était grand en 1995, et cette différence a été accrue par l’effet de la pyramide des âges, lui aussi d’autant plus fort que la taille est grande. Contrairement au secteur, la taille d’établissement ne joue pas de la même manière sur l’emploi des salariés selon que ceux-ci ont plus ou moins de 55 ans. Si l’on excepte les très petits établissements (moins de 5 salariés), l’effet de mouvement de main-d’œuvre parmi les 50-54 ans est le même pour tous les établissements, quelle que soit leur taille, alors qu’il est d’autant plus négatif que la taille est grande parmi les 55-59 ans. On peut y voir les effets d’un recours plus important des grands établissements aux plans de préretraite, qui concernent essentiellement les plus de 55 ans.
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Table des matières
Introduction
1 Vieillissement de la population et enjeux
2 Les facteurs du faible taux d’emploi des seniors
3 Questions de méthode
4 La démarche de la thèse
La situation des salariés âgés du secteur privé
1 Introduction
2 Les quinquagénaires dans l’emploi salarié privé
2.1 Une répartition plus hétérogène par secteur que par taille d’établissement
2.2 Des résultats restant vérifiés « toutes choses égales par ailleurs »
2.3 Des seniors plus nombreux dans les entreprises les plus productives
2.4 … mais moins nombreux dans les firmes en croissance
3 Les quinquagénaires occupent des postes spécifiques
3.1 Des emplois souvent plus qualifiés
3.2 Le recours au temps partiel augmente après 55 ans
3.3 … et est plus fréquent dans les établissements où l’emploi des quinquagénaires a été protégé
4 L’évolution de l’emploi des quinquagénaires de 1995 à 2000
4.1 Le poids de l’histoire
4.2 Décomposition comptable de la variation du poids des quinquagénaires entre 1995 et 2000
4.3 L’emploi des quinquagénaires diminue surtout dans l’industrie
4.4 Les grands établissements recourent davantage aux préretraites
5 Que peut-on dire de la demande de travailleurs âgés selon les secteurs ?
5.1 Analyse des mouvements de main-d’oeuvre
5.2 Une approche par les flux
5.3 Moins d’embauches dans les postes non-qualifiés
5.4 … sauf dans certains secteurs de services
6 Conclusion
7 Annexe 1 : Les données utilisées
8 Annexe 2 : Résultats de l’analyse « toutes choses égales par ailleurs »
Les salaires des seniors
1 Introduction
2 Salaire et âge : que dit la théorie ?
2.1 Coût salarial et productivité
2.2 Aspects dynamiques dans le mécanisme de fixation des salaires
2.3 Incitations et assurance
3 Comment interpréter le profil d’évolution des salaires avec l’âge ?
3.1 Les comparaisons internationales ne fournissent pas de conclusion robuste
3.2 Les écarts de salaires entre classes d’âge
3.3 Quid d’une éviction des seniors à bas salaires ?
3.4 Effets de cohorte et effets d’âge
3.5 Peut-on mettre en évidence un rôle des rigidités salariales dans la croissance des salaires selon l’âge ?
3.6 La nature des rémunérations des seniors : « primes de départ » en fin de carrière ?
4 Le lien salaire-emploi : aspects empiriques
4.1 Pas de corrélation significative à un niveau macroéconomique
4.2 Effet « coût » chez les non qualifiés, effet « qualité » chez les qualifiés
4.3 Des rémunérations plus fortes n’impliquent pas des sorties plus nombreuses
4.4 L’écart des salaires peut jouer sur les embauches
5 Conclusion
6 Annexe : Corrélations entre salaire relatif et part des seniors dans l’emploi des établissements : une analyse par régressions
La productivité des salariés âgés
1 Introduction
2 Comment estimer la productivité des salariés ?
2.1 Les approches anciennes : mesurer la productivité individuelle des salariés
2.2 Une approche plus récente : estimer la productivité moyenne de groupes homogènes de salariés
2.3 Des estimations fortement biaisées
3 Le modèle économétrique
3.1 La fonction de production
3.2 Estimation dans les dimensions « inter » et « intra » entreprise
3.3 Le problème de simultanéité
3.4 Traiter le biais de simultanéité : la méthode des moments généralisée (MMG)
3.5 Estimation des équations de coût salarial
4 Estimation des profils de productivité par âge
4.1 Estimateurs dans les dimensions inter- et intra-entreprises
4.2 Estimation par la méthode des moments généralisés
4.3 Des résultats proches d’un secteur à l’autre
4.4 Coût salarial et productivité suivent des profils similaires
5 Les limites de la méthode
5.1 Des profils de productivité estimés « moyens » et non individuels
5.2 Biais d’attrition et biais de sélection
5.3 Quid des effets d’âge et de génération ?
6 Conclusion
7 Annexe : Deux sources statistiques : Les DADS et les BRN
Nouvelles technologies, changement organisationnel et gestion des âges par les entreprises
1 Introduction
1.1 Nouvelles technologies, changements organisationnels et marché du travail
1.2 Innovations et obsolescence des qualifications
2 Modèles économétriques
2.1 Modèle statique : parts salariales des classes d’âge
2.2 Les flux d’emplois : part des entrants et des sortants parmi les classes d’âge
3 Innovation et biais en défaveur de l’âge : le cas de l’industrie
3.1 Les données
3.2 Résultats du modèle statique
3.2.1 Parts salariales des classes d’âge
3.2.2 L’impact sur l’âge reste observé au sein des catégories de qualification
3.3 Résultats du modèle en flux : entrées et sorties dans les entreprises
4 Le problème de l’hétérogénéité inobservée : modèle en différence
4.1 Les données
4.2 Résultats
5 L’analyse par établissement et le cas du tertiaire : un réexamen à partir de l’enquête « REPONSE »
5.1 Les données
5.2 Les résultats : parts salariales
5.2.1 Analyse par classe d’âge
5.2.2 Analyse par âge et catégories de qualification
5.2.3 Les différentes pratiques organisationnelles ne sont pas toutes associées à la même structure par âge
5.2.4 Ouverture à l’international et biais en défaveur de l’âge
5.3 Les résultats : modèle en flux
6 Conclusion
Conclusion
Bibliographie
Index des tableaux
Index des illustrations
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