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Des dispositions contraignantes
Cette disposition, tout comme le reste de la convention, est juridiquement contraignante. Cela signifie qu’il ne s’agit pas simplement de belles paroles, mais bien d’un outil qui emporte des effets concrets.
Cependant, comme pour tous les textes internationaux, la question de la distinction entre les dispositions directement invocables par le justiciable et celles qui ne le sont pas se pose. Le juge administratif fait ici un travail classique, conforme aux règles du droit international public, une sorte « d’inventaire à la Prévert »14, entre les règles qui ont un caractère auto-exécutoire, et celles qui ne sont pas susceptibles d’être immédiatement appliquées à des situations ou qui régissent les rapports d’Etat à Etat. En d’autres termes, le juge administratif, en tant que juge de la légalité des actes administratifs doit décider si la norme internationale à un effet vertical.
Les applications jurisprudentielles
Le Conseil d’Etat a admis l’applicabilité de ce paragraphe, donc son caractère auto-exécutoire, dans la situation où un arrêté d’expulsion avait été pris à l’encontre d’un jeune enfant, alors que sa mère résidait en France de façon régulière. Dans cet arrêt du 22 septembre 199715, le juge administratif opère un contrôle de la situation au regard du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il annule donc l’arrêté préfectoral, car « séparer, même provisoirement de sa mère [le jeune Tolga], porte atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant et doit être regardée comme contraire à l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant ».
Jean HAUSER relève dans son article que le Conseil d’Etat adopte enfin un attendu de principe dont découlent plusieurs points intéressants. Premièrement, la notion d’intérêt supérieur de l’enfant doit servir de guide à toutes les décisions administratives ou judiciaires concernant l’enfant pour lequel une décision a été prise. D’autre part, elle peut être invoquée à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir. Enfin, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, l’autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l’intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
Il faut ici souligner le caractère quelque peu opportun de cette décision. En effet, le préfet a agi conformément aux prescriptions légales de l’article 29 de l’ordonnance du 02 novembre 194516, dans sa nouvelle rédaction issue de la loi du 24 août 199317, qui avait rendu plus sévères les règles relatives au regroupement familial18. Cela même si l’examen de la situation laisse à penser que ce préfet a fait un peu de zèle en ordonnant le renvoi dans son pays d’origine un enfant de quatre ans, qui n’y avait plus aucune famille, car sa mère et ses grands-parents résidaient en France légalement. Le juge administratif a utilisé cet outil parce que la situation s’y prêtait. Ainsi, apparaît dès les premières consécrations jurisprudentielles le caractère aléatoire de la mise en oeuvre de la notion.
De façon plus générale, il semble que la jurisprudence soit unanime sur le caractère heureux de cette interprétation faite par le Conseil d’Etat et que celui-ci a réitéré dans une décision du 31 octobre 200819, dit « Section française de l’Observation international des prisons ».
A la lecture de cet arrêt, nous constatons le fait que la Haute juridiction dépasse un doute sérieux émis par Jean HAUSER en 1998 : « Une chose est d’apprécier l’exercice d’un pouvoir d’appréciation de l’administration à l’aune de principes très généraux posés par une convention internationale, autre chose est d’apprécier la conformité de textes de droit interne sur les mêmes bases ».
Il s’agit en effet très clairement d’un « encadrement du pouvoir normatif du garde des Sceaux en matière d’isolement »20 par le biais de principes supérieurs issus du droit international. Nous observons ici, que le Conseil d’Etat adopte donc une vision très large de l’applicabilité de l’article 3.1 de la CIDE, même dans des domaines sensibles comme le droit pénitentiaire. Dans cette décision, l’article semble devenir un véritable outil pour combler les manques de la législation. Il s’agit donc d’une application conforme à l’esprit de cette règle, comme le souhaite Jacqueline RUBELLIN-DEVICHI.
La Cour de cassation va mettre plus de temps à rallier cette position. En effet, pendant longtemps la jurisprudence qui prévaut en matière judiciaire a consisté à dénier à la CIDE toute force contraignante en droit interne. Seuls les états partis se seraient liés entre eux par l’effet de ce texte signé. C’est en tout cas, ce qu’on l’on peut déduire de l’arrêt du 10 mars 1993 rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation21.
Un privilège de juridiction protecteur
François TOURET DE COUCY qualifie le contenu de l’article 1 de l’ordonnance du 02 février 1945 de « privilège de juridiction »61.
Selon le Vocabulaire juridique, un privilège de juridiction est un « droit pour certaines personnes d’être jugées pour les infractions prétendument commises par une juridiction à laquelle la loi attribue exceptionnellement une compétence »62. En matière pénale, on pense principalement au privilège de juridiction instauré par l’article 68 de la Constitution de 1958. L’interprétation faite par la Cour de cassation des alinéas 1 et 2 combinés, interdit au ministère public ou aux particuliers de mettre en mouvement l’action publique à l’encontre d’un membre du gouvernement pour des actes commis dans l’exercice de leurs fonction, devant les juridictions répressives de droit commun63. Le privilège de juridiction des mineurs instauré pour assurer leur protection, sous-tend la spécialisation des juridictions dans ce contentieux (A), mais a connu ces dernières années de nombreuses évolutions au travers de celle du rôle du parquet (B).
Le principe de spécialisation des juridictions répressives pour mineurs
Comme le relève Philippe BONFILS et Adeline GOUTTENOIRE, « le soucis d’assurer une prise en compte effective du particularisme du droit pénal des mineurs se traduit par une spécialisation des juridictions répressives chargées de juger les mineurs délinquants »64. Cette position semble partagée par le Conseil constitutionnel65 et par la Cour européenne des droits de l’homme66. Pourtant, ce sont ces mêmes instances qui ont provoqué des évolutions très marquantes dans la pratique des juges des enfants.
Une vision originelle du juge des enfants omnipotent
La pratique judiciaire en matière de mineurs conduit souvent à ce que ces mineurs aient « leur » juge. S’ils considèrent ce juge comme un intervenant familier, c’est parce que le juge des enfants a une double compétence depuis l’ordonnance du 23 décembre 195867. Ce n’est certes pas une volonté de l’ordonnance du 02 février 1945, mais cette spécialisation est un véritable atout pour l’action des juges des enfants, qui peuvent ainsi obtenir la confiance voire une plus grande coopération des mineurs.
Nous observons en effet que le juge des enfants intervient tant en matière pénale, lorsqu’un mineur est soupçonné d’avoir commis une infraction (article L. 252-5 du code de l’organisation judiciaire), qu’en matière civile pour des mesures d’assistances éducatives (article L. 252-2 du COJ). La compétence pénale que l’ordonnance du 02 février 1945 lui confie dès l’origine, mais cette évolution permet aux juges d’avoir un regard d’ensemble sur la vie de certains mineurs, dont la vie est marquée par une prise en charge au titre de l’assistance éducative puis, par des comportements de délinquants juvéniles. S’il est impossible d’évaluer cette proportion, les professionnels de l’enfance délinquante font souvent remarquer que les mineurs les plus « abîmés » sont souvent ceux qui ont eu un long parcours au sein de l’aide sociale à l’enfance.
L’autre élément qui fait du juge des enfants un juge spécialisé, c’est qu’il intervient tout au long de la chaîne pénale. Il remplit en effet les fonctions de juge d’instruction, ce qui lui permet d’enquêter68, mais également de président du tribunal pour enfant, et enfin de juge d’application des peines.
Cette spécialisation permet d’assurer un suivi large du mineur délinquant tout au long de la procédure69, c’est notamment la raison pour laquelle la loi du 09 mars 2004 confie pleinement aux magistrats occupant la fonction de juge des enfants, la possibilité de mettre en oeuvre les dispositifs de milieu ouvert ou de milieu fermé70.
Récemment, ce qui a le plus évolué, c’est la possibilité pour le juge des enfants qui a mené l’instruction de présider également la juridiction de jugement.
La spécialisation du parquet par l’application spécifique de dispositions générales
Conformément à l’article 31 du code de procédure pénale78, le parquet désigne l’ensemble des magistrats du ministère public chargé à ce titre d’exercer l’action publique et de requérir l’application de la loi pénale. La spécialisation des membres du parquet des mineurs est moins forte que celle des juges des enfants, en vertu du principe d’indivisibilité du ministère public. Néanmoins, l’article R. 212-13 du COJ79 prévoit que dans tous les TGI dans le ressort desquels il y a un tribunal pour enfant, le procureur général doit désigner spécialement un ou plusieurs membres du parquet qui seront chargés des affaires concernant les mineurs80. Cette organisation permet à ces magistrats d’assurer une mission de continuité de l’action pénale (1) en corrélation avec les spécificités de la procédure pénale relative aux mineurs et une application réfléchie des procédures accélérées (2).
Une mission de continuité de l’action pénale
La spécialisation des acteurs de la procédure pénale des mineurs implique une politique pénale particulière, faute de quoi cette même spécialisation n’aurait pas vraiment de sens. Afin de garantir la mise en oeuvre d’une politique pénale cohérente, la circulaire du 13 décembre 200281 prévoit expressément que chaque parquet doit mettre en place un document spécifique aux problématiques soulevées localement par les mineurs délinquants. Cela permet de formaliser la politique pénale décidée afin d’assurer la continuité de l’action pénale82. Pour tous les membres du parquet, il s’agit de mettre en oeuvre les mêmes priorités et modalités d’exercice des poursuites. Jean VOLFF, avocat général honoraire à la Cour de cassation, indiquait à cet égard dans un article83 que plusieurs étapes doivent être respectées afin d’établir une bonne politique générale. C’est dans la construction de cette réflexion pratique que les membres des juridictions spécialisées intègrent les particularités de la procédure s’agissant des délinquants mineurs.
Désormais une telle politique, pour qu’elle soit efficace, particulièrement dans le domaine des mineurs, ne peut se contenter d’envisager le volet répressif seul. Même spécialisée, elle doit être envisagée d’un point de vue plus global. C’est ce qui fait des représentants du ministère public, tout particulièrement les membres des parquets mineurs, des personnages incontournables de la politique pénale locale de lutte contre la délinquance.
L’importance du droit à l’assistance d’un avocat
La place de l’avocat dans le procès pénal est particulière à plusieurs égards, notamment parce qu’il est le seul acteur non étatique de ce type de procès. Sa place et son intervention sont sujets à beaucoup de débats parmi les professionnels, et ont connu un certain nombre d’évolutions légales. François TOURET DE COUCY indique à cet effet que « le schéma de l’ordonnance du 2 février 1945, qui reposait sur la figure inquisitoriale du juge des enfants, se méfiait de l’avocat »94.
Cette époque est révolue, puisque depuis la loi du 04 janvier 199395 complétée par celle du 24 août 199396, le mineur poursuivi doit être assisté par un avocat97. Le législateur a ainsi décidé de mettre en conformité le droit français avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il s’agit donc d’une obligation légale sur laquelle la Cour de cassation veille beaucoup, tout comme la Cour européenne des droits de l’homme.
Les questions que pose l’intervention de l’avocat dans la procédure demeurent cependant, et se retrouvent ainsi principalement dans l’intervention de l’avocat pendant la garde à vue (1), ce qui contraste avec le régime de l’audition libre (2).
L’intervention désormais obligatoire de l’avocat pendant la garde à vue du mineur
En procédure pénale, la problématique n’est définitivement pas celle de la participation de l’avocat lors de l’audience devant le juge, que tous les instruments internationaux98 affirment avec force, aussi bien pour les majeurs que pour les mineurs. Le débat qui demeure est celui du moment de l’intervention de l’avocat dans le processus.
Il est possible d’envisager le moment de l’intervention de l’avocat de deux façons. La première, où l’avocat intervient au début de la garde à vue, et prend dès lors une position de soutien moral et juridique. La deuxième, où l’avocat intervient à la fin de la garde à vue, et endosse le rôle de contrôleur des travaux finis, c’est-à-dire qu’il vérifie simplement que les droits de la personne ont bien été respectés par les forces de l’ordre ayant procédé à l’exécution de la mesure de contrainte.
Désormais, la reconnaissance du droit d’être assisté par un avocat tout au long de la procédure ne fait plus aucun doute. Il aura tout de même fallu que plusieurs institutions rendent des décisions défavorables99 pour que le législateur français réagisse avec la loi du 14 avril 2011100. Cette loi n’a cependant pas comme priorité la protection des mineurs. En effet, elle vient simplement aligner les modalités d’intervention de l’avocat pendant la garde à vue d’un mineur, à celles relatives à la garde à vue d’un majeur.
Ainsi, le mineur « peut » demander l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure de garde à vue. Cette mesure n’est pas assez protectrice pour des mineurs, notamment lorsqu’on sait qu’en droit pénal français il n’existe pas d’âge minimal à partir duquel ceux-ci peuvent faire l’objet de poursuites pénales. Il parait donc indispensable que les mineurs voient leurs intérêts mieux protégés par l’intervention obligatoire d’un avocat.
C’est la loi du 18 novembre 2016 qui vient apporter cette modification. Dorénavant, l’assistance d’un avocat est obligatoire dès le début de la mesure de contrainte, qu’il s’agisse de la garde à vue d’un mineur âgé de 13 à 18 ans ou de la retenue d’un mineur âgé de 10 à 13 ans. Cela signifie que le mineur ne peut pas renoncer à ce droit, ce qui l’empêche de le faire simplement afin d’éviter de se faire réprimander par ses parents. C’est d’autant plus heureux car cela conforte le caractère spécial de la matière, tout en manifestant le fait que les mineurs ne sont pas des justiciables comme les autres.
Au nom de la protection des mineurs, la jurisprudence veille à donner de la force à cette obligation. La Cour de cassation rappelle ainsi dans un arrêt du 20 décembre 2017101 que les forces de l’ordre ne peuvent pas procéder à l’audition du mineur sans en avoir informé son avocat. La Haute juridiction constate en effet que le renvoi opéré par l’article 4 de l’ordonnance du 02 février 1945 à l’article 63- 4- 2, alinéa 1 du code de procédure pénale102 ne permet pas aux enquêteurs de procéder à une nouvelle audition, sans en avoir au minimum informé l’avocat du mineur. Si celui-ci décline sa disponibilité, un autre avocat devra être désigné. Par conséquent, cette seconde audition, ainsi que tous les actes subséquents sont annulés.
Il est frappant de noter à quel point les mesures de contraintes relatives à l’enquête imposent un va-et-vient incessant entre le droit spécial et le droit commun.
Un « effet traumatisant » violant le droit à un procès équitable
Nous remarquons qu’en matière de procès pénal des mineurs, la publicité de l’audience, c’est-à-dire l’ouverture des portes au public114 est perçue d’une façon très intense par la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci indique en effet dans l’arrêt T. et V. contre Royaume-Uni du 16 décembre 1999115 que la publicité constitue un tel traumatisme, que cela empêcherait le mineur de participer réellement à son procès, et violerait par la même le droit au procès équitable. Cette décision est intéressante en ce qu’elle montre que la Cour EDH veille de façon très attentive à « la prise en considération de la fragilité particulière des mineurs délinquants »116 grâce à une analyse concrète de la situation du mineur, et du contexte législatif local.
Il faut cependant souligner que cette analyse in concreto ne permet pas de tirer de conclusions hâtives d’une situation particulièrement dramatique. Deux mineurs âgés de 10 ans avaient en effet enlevé dans un centre commercial de Liverpool un petit garçon de 2 ans, avant de le battre à mort et d’abandonner son corps dénudé sur une voie ferrée. Les mineurs avaient été jugés devant une juridiction non spécialisée, ce qui impliquait une très grande publicité.
Ainsi, on peut se rassurer un peu, étant donné que les mineurs délinquants en France sont nécessairement jugés par des juridictions spécialisées, et de façon séparée d’éventuels complices, comme l’énonce l’article 1 de l’ordonnance du 02 février 1945117. La spécialisation des juridictions désignées pour juger les mineurs en France, prend donc déjà en compte ces éléments de psychologies des mineurs, afin de rendre une justice plus juste et adaptée à leur compréhension. L’actualité et les pouvoirs politiques réservent cependant toujours des surprises, qui concernent en l’occurrence des mineurs qui inévitablement deviendront un jour majeurs. Le constat s’impose alors que si des adaptations peuvent se faire dans le sens d’une meilleure prise en compte des difficultés, les rétropédalages tirent alors la procédure pénale relative aux délinquants mineurs, vers une unification avec celle des majeurs.
Le principe de publicité face à des mineurs devenant majeurs
Un jour ou l’autre les mineurs deviennent majeurs, c’est inévitable. Des questions se posent dès lors que l’infraction a été commise en tant que mineur, mais qu’au jour de l’audience le mis en cause est devenu majeur. C’est l’affaire de l’enlèvement d’Ilan HALIMI, par ceux que l’on surnomme le « Gang des barbares », qui a provoqué une évolution législative. Pourtant, la rigueur n’apparaît pas nécessairement au premier abord.
En effet, certains des mis en causes dans cette affaire sont encore mineurs au moment des faits, ce qui provoque l’émergence d’une volonté de traiter ces mineurs comme des adultes. La loi du 11 août 2011 (article 306 du code de procédure pénale) permet que des mineurs de 16 à 18 ans soient jugés par des cours d’assises dans les mêmes conditions de publicité que connaissent les majeurs, sauf si d’autres accusés sont encore mineurs au moment du jugement.
Il est possible de s’interroger sur les intentions du législateur, face au risque que la pression médiatique défavorise la sérénité des débats. Il s’agit sans aucun doute d’une disposition visant à rassurer l’opinion publique, mais qui pose véritablement la question de sa conformité avec le droit européen. En cas de recours devant la Cour EDH, il est probable que la disposition française soit critiquée. Il en serait de même devant le Conseil constitutionnel, notamment sur le fondement de la rupture d’égalité entre les mineurs. En la matière, il est plus probable qu’un changement vienne de l’influence de la Cour de Strasbourg, plutôt que de notre Conseil constitutionnel peu révolutionnaire comme Laurent FABIUS l’a dit lui-même. En effet, les réserves à l’exception permettent de maintenir assez facilement une publicité restreinte. Cette remarque renforce la conviction selon laquelle cette disposition est purement électoraliste, mais inopérante comme beaucoup en droit pénal français.
Nous observons que les mineurs délinquants bénéficient d’adaptations, pas sur le fondement du principe d’intérêt supérieur de l’enfant, mais sur celui du droit à un procès équitable. L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme impose au législateur français de permettre aux personnes qui font l’objet d’une accusation pénale de pouvoir se défendre dans de bonnes conditions, leur permettant de faire valoir leur argumentation.
Même si le principe d’une adaptation renforcée pour les mineurs délinquants n’est pas prévu par le texte lui-même, la Cour EDH examine in concreto la situation des mineurs ayant fait l’objet d’un procès pénal afin de s’assurer que la législation en vigueur prend en compte la « particulière vulnérabilité des mineurs »118.
Cette caractéristique des mineurs délinquants explique aussi le renforcement du droit à l’avocat qui dépasse le simple « droit à l’assistance » pour tendre vers une « obligation » pure et simple. Ainsi, c’est non seulement le droit processuel qui fait l’objet d’une adaptation à travers la spécialisation des juridictions et des droits relatifs au déroulement du procès, mais ce sont également les réponses pénales qui sont variées et adaptées aux mineurs délinquants.
Une réalisation bénéfique à la personnalité du mineur délinquant
La façon dont les différentes mesures sont créées par le législateur puis mises en oeuvre est très éclairante sur les idées fondatrices sur lesquelles le droit pénal des mineurs est construit, mais surtout sur leur évolution. Ainsi, progressivement, le catalogue des mesures a été développé et comprend désormais aussi bien des dispositifs d’accompagnement (1), que des mesures d’encadrement (2).
Les mesures d’accompagnement
Les plus anciennes mesures, qui prennent une forme d’accompagnement, sont celles créées dans le cadre des mesures éducatives. Ainsi, la liberté surveillée, mesure d’inspiration positiviste, comme cela a déjà été évoqué, tend pour le juge à laisser le mineur en liberté tout en lui assignant un délégué, dont la mission est de contrôler que les conditions d’existence du mineur permettent sa rééducation. Celui-ci doit ainsi faire régulièrement des rapports relatifs à l’évolution de la situation. Cette mesure est destinée à être combinée avec une autre, puisqu’en soit elle ne comporte pas d’obligation (articles 8, alinéa 9, ou encore article 19 et enfin article 20, dernier alinéa de l’ordonnance)134. Celle-ci, tout comme l’admonestation et la remise aux parents, est conçue pour permettre au mineur de retourner dans sa famille, avec une belle frayeur. Dans un monde idéal, le cadre familial prend alors le relais.
Les modalités des sanctions éducatives comportent des dispositions similaires, telles que l’avertissement solennel, des mesures d’aide ou de réparation, ou enfin l’exécution de travaux scolaires qui se rapprochent de la médiation-réparation. En réalité, toutes ces mesures peuvent s’appliquer aussi bien dans le cadre des mesures éducatives que dans le cadre des sanctions éducatives.
Il est possible d’approuver Philippe BONFILS et Adeline GOUTTENOIRE, qui relèvent une multiplication de ces mesures particulièrement depuis la loi du 05 mars 2007135. Cela donne d’un côté une latitude plus grande au juge pour adapter ces mesures aux différentes situations. De l’autre côté, cela gomme les limites entre les mesures éducatives et les sanctions éducatives. D’autre part, il est totalement utopique, voir même dangereux de prétendre que le fait de laisser le mineur dans son environnement familial et social habituel lui permet de s’amender et de se resocialiser. C’est sans doute une des raisons qui ont poussé le législateur à prévoir des mesures qui, sans être coercitives, sont ouvertement orientées vers des méthodes de resocialisation immédiates par l’encadrement.
Les mesures d’encadrement
Le dernier-né des modalités applicables dans le cadre des mesures éducatives est le service citoyen pour mineurs délinquants. L’exposé des motifs de la proposition de loi ayant abouti à la loi du 26 décembre 2011136 affirme ainsi que « l’objectif est également de transmettre à ces jeunes en rupture, des notions quelque peu oubliées telles que la citoyenneté, le respect de la règle collective et de l’autorité, le sens de l’effort et la récompense du mérite. »137. Il s’agit ainsi de services citoyens, comme peuvent l’être les services civiques, mais qui s’effectuent dans un cadre militaire, pour une durée comprise entre six et douze mois. Afin de mettre en oeuvre cette mesure, le mineur délinquant devra donner son accord tout comme ses parents, en présence d’un avocat. Il s’agit là seulement d’un exemple, mais qui illustre parfaitement la volonté du législateur de réintégrer les mineurs délinquants dans la société. Ceci étant, les magistrats ne semblent pas forcément s’en saisir. Ainsi, on ne compte que 1 807 sanctions éducatives prononcées en 2016 (dont 524 mesures d’activités d’aide ou de réparation et 1 283 autres types de sanctions éducatives), pour 46 456 peines et 21 672 mesures éducatives138.
Enfin, il existe un équivalent très proche mais pas identique en matière de sanctions éducatives. Il s’agit du stage de formation civique, qui consiste en cessions collectives où sont évoqués des thèmes s’articulant autour de la responsabilité pénale, des devoirs en société et de la réinsertion sociale139.
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Table des matières
Introduction
Section 1 : L’introduction de l’intérêt supérieur de l’enfant comme fruit d’une longue évolution
A) L’infans du droit romain et son évolution sous l’influence du catholicisme
B) L’émergence moderne de l’enfant
Section 2 : Une prise en compte croissante de la notion en droit interne
A) Des dispositions contraignantes
C) Les applications jurisprudentielles
Partie 1 : Les pouvoirs d’adaptation des procédures pénales relatives aux mineurs
Chapitre 1 : La chaîne pénale applicable aux mineurs délinquants exclusive de la notion d’intérêt supérieur de l’enfant
Section 1 : L’organisation du procès du mineur délinquant
I. Un privilège de juridiction protecteur
A) Le principe de spécialisation des juridictions répressives pour mineurs
1- Une vision originelle du juge des enfants omnipotent
2- La modernisation de la fonction grâce à la notion d’impartialité
B) La spécialisation du parquet par l’application spécifique de dispositions générales
1- Une mission de continuité de l’action pénale
2- Une application réfléchie des procédures accélérées
II. La mise en oeuvre du droit à un procès équitable
A) L’importance du droit à l’assistance d’un avocat
1- L’intervention désormais obligatoire de l’avocat pendant la garde à vue du mineur
2- Une audition libre très libre
B) L’aménagement de la publicité
1- Un « effet traumatisant » violant le droit à un procès équitable
2- Le principe de publicité face à des mineurs devenant majeurs
Section 2 : Une palette de réponses pénales exceptionnellement adaptée
I. Des réponses pénales sans peine
A) La progressivité des dispositifs
1- Une nature souple
2- Des dispositifs variés et articulés
B) Une réalisation bénéfique à la personnalité du mineur délinquant
1- Les mesures d’accompagnement
2- Les mesures d’encadrement
II. L’adaptation des modalités de décision et d’exécutions des peines répressives applicables aux mineurs
A) Une conception de la peine en entonnoir imposée aux magistrats
1- L’interdiction d’un certain nombre de peines
2- L’obligation de motivation renforcée
B) Une réalité carcérale adoucie
1- Le choix d’établissements pénitentiaires séparés
2- La mise en oeuvre d’un accompagnement renforcé pendant l’incarcération
Chapitre 2 : Les adaptations du droit pénal aux mineurs victimes sans références à l’intérêt supérieur de l’enfant
Section 1 : Les adaptations substantielles aux mineurs victimes
I. La place de la minorité dans la constitution de l’infraction
A) Les infractions ne pouvant être commises qu’à l’encontre des mineurs
1- La protection de la famille autour du mineur
2- La protection de la personne du mineur
B) La naissance et la majorité comme bornes strictes de protection
1- Le refus de reconnaissance de l’homicide du foetus
2- La question de l’inceste dans le code pénal
II. La minorité comme circonstance aggravante des délits non spécifiques
A) Les circonstances tenant à l’âge de la victime
1- Les différents mineurs
2- Le complément apporté par la vulnérabilité
B) Les circonstances aggravantes circonstanciées
1- Le lien de parenté ou d’autorité
2- L’aide d’un mineur apportée à un majeur pour commettre une infraction
I. Aménagements des obstacles à la mise en mouvement de l’action publique
A) Une amélioration parcellaire des canaux de signalement
1- Un régime de signalement différencié
2- Le développement de la communication relative aux infractions commises contre des mineurs
B) La prescription dissociée du temps de la minorité
1- Le report du point de départ de la prescription
2- Les divers allongements du délai de prescription
II. Recueil et prise en compte de la parole du mineur
A) Une adaptation nécessaire et méconnue de la représentation des mineurs
1- L’intervention des parents du mineur victime dans la procédure
2- L’administrateur ad hoc pour garantir les intérêts du mineur
B) Le recueil de la parole de l’enfant par des techniques améliorées
1- Les modalités d’enregistrement audiovisuel dans l’optique de préserver le mineur
2- Les aménagements bénéfiques des techniques d’interrogatoire
Partie 2 : Des principes protecteurs du droit pénal des mineurs en particulier et en général
Chapitre 1 : L’émergence progressive du principe autonome de la justice pénale des mineurs
Section 1 : Le droit pénal des majeurs tenu en retrait
I. L’atténuation de la responsabilité pénale comme cadre de la pénologie des mineurs
A) Une limite à la pénalisation pour le législateur
1- Diminution légale de peine
2- La rigidification du droit des mineurs du fait des peines planchers
A) L’éternelle question du seuil de responsabilité pénale des mineurs délinquants
1- Abaissement du seuil de responsabilité pénale
2- Aptitude à la sanction
II. Le contrôle de proportionnalité orienté vers la recherche du relèvement éducatif du mineur
A) La connaissance de la personnalité et de l’environnement du mineur comme garantie apportée
1- Le caractère essentiel de la connaissance du mineur délinquant
2- La question de la connaissance du mineur en l’absence d’instruction
B) Les dispositions sévères mieux contrôlées par le Conseil constitutionnel
1- Des mesures coercitives bénéficiant d’une bienveillance certaine
2- Exigence de souplesse en matière d’exécution provisoire des peines fermes
Section 2 : Une articulation nécessaire avec les autres exigences de valeur constitutionnelle
I. Une conciliation avec les exigences protection de l’ordre public
A) La prise en compte de la nécessité de préserver l’ordre public face aux principes protecteurs du droit des mineurs
1- Une conciliation nécessaire mais modérée
2- Le recours ignoré à l’ordre public
B) La mise à l’écart de l’ordre public en matière de criminalité organisée
1- Une garde à vue protectrice à elle seule
2- Un fondement bien flou mais quelques garde-fous pratiques
II. Une conciliation paradoxale avec la recherche des auteurs d’infractions
A) Les adaptations « spéciales jeunes »
1- Le report de l’information des parents
2- Une information bien fragile en cas de contrôle d’identité d’un mineur
B) Une certaine « culture du fichage »
1- La mise en place du casier des mineurs
2- Des mineurs dans les fichiers spéciaux
Chapitre 2 : L’apporteur protecteur du droit commun
Section 1 : Des principes généraux mais protecteurs
I. Une protection procédurale très concrète
A) Des garanties fortes
1- La nécessité
2- L’individualisation des peines
B) Le rempart de l’autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles
1- Le caractère insuffisant du recours à l’autorité judiciaire
2- Une certaine reconnaissance malgré tout accordée aux juges
II. Les insuffisances de cette protection
A) Une formulation aléatoire
1- Les « droits de l’enfant »
2- Le contrôle superficiel par les « considérants-balai »
B) L’objectif de recherche de sécurité juridique
1- L’évolution de l’étendue du contrôle
2- Des choix à faire parmi les techniques d’abrogation
Section 2 : La responsabilité comme notion intéressante mais discutable
I. Les hésitations conceptuelles et légales
A) La dichotomie éducabilité-responsabilité
1- Une différence de point de vue révélatrice
2- Une opposition inutile
B) Vers une société de responsabilisation des individus
1- Le mineur sujet de droit
1- Un objectif de comportement adulte et citoyen grâce aux choix du mineur pendant la procédure
II. Des améliorations souhaitables au concept de responsabilité pénale des mineurs
A) L’apport de la détermination d’un seuil
1- L’importance de la détermination du seuil
2- La mise à l’écart concomitante de la notion de discernement
B) Les difficultés demeurantes autour de la notion de responsabilité pénale des mineurs
1- Un élément constitutif de l’infraction manipulable pour de la politique criminelle
2 Une différenciation nécessaire entre seuil de responsabilité et seuil de réponse pénale
Conclusion
I. Un droit remarquablement bien adapté
A) Une conception du mineur très moderne
B) Une articulation optimum des principes fondamentaux
II. Un droit évolutif et ancré dans la pratique
A) L’incorporation d’une pluralité d’acteurs
B) Des évolutions nécessaires
Bibliographie
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