L’EMERGENCE D’UN PREJUDICE MORAL

L’EMERGENCE D’UN PREJUDICE MORAL

MATERIEL ET METHODES

Nous avons mené une étude qualitative et rétrospective de décisions de justice s’étendant sur une période de janvier 2010 à décembre 2015. La période d’inclusion intéresse l’année du rendu des décisions et non l’année de dépôt des litiges. La date de janvier 2010 n’a pas été fixée arbitrairement, en effet, antérieurement à cette date, les moyens de preuve présentés n’étaient pas systématiquement versés aux décisions de justice.
Il s’agit d’une consultation des décisions de justice au travers de l’étude du site LexisNexis®, un site ayant pour vocation de référencer de manière exhaustive les jurisprudences des Cours administratives et civiles. LexisNexis® présente par ailleurs la caractéristique de contenir un abstract rédigé par un juriste pour chaque décision de justice permettant une double lecture de la décision.
Nous avons effectué une recherche simple avec les mots-clés « information », « médicale » et « patient ».
917 documents ont été répertoriés au terme des deux recherches. Nous avons écarté toutes les décisions de justice qui n’avaient pas trait à la recherche de la responsabilité médicale pour défaut d’information (au nombre de 691). Nous avons par ailleurs écarté toutes les décisions pénales (au nombre de 25), le défaut d’information ne constituant pas une infraction pénale.
201 décisions de justice restaient à étudier : 179 décisions de la Cour d’appel, 14 arrêts de la Cour de cassation auquel on ajoute 5 décisions de la Cour administrative d’appel et 3 décisions du Conseil d’Etat. L’ensemble de ces données est compilé dans le diagramme de flux (figure 1).Pour chacun des dossiers sélectionnés, nous avons compilé:
• Le contenu de l’information dont il est fait grief au praticien,
• Les modes de preuve qui sont présentés par les praticiens pour leur défense,
• La condamnation ou non du praticien,
• La spécialité des praticiens mis en cause,
• La date de la décision rendue par la juridiction.
Pour toutes les variables qualitatives, les comparaisons des groupes ont été effectuées avec le test du X2. Le seuil de significativité a été fixé à 0,05.
Pour le calcul des écarts types des différents pourcentages (erreur standard), nous avons utilisé la formule : erreur standard s = √(pq/N-1).
Nous avons comparé la démographie médicale des patriciens mis en cause à celle de l’atlas de démographie médicale de 2016 proposé par le conseil de l’ordre des médecins et qui a été considéré comme l’effectif théorique.

RESULTATS

A propos du nombre de dossiers défendus par année civile.

La répartition des dossiers en fonction des années civiles est compilée dans la Figure 2.
A propos du contenu de l’information litigieuse.
Dans 190 dossiers (94 ± 1,7%) le patient fait grief au praticien de ne pas l’avoir informé sur les risques inhérents à un acte de soin. Dans 8 dossiers (4 ± 1,3%), le patient fait grief au praticien de ne pas l’avoir informé des autres solutions possibles.
Les 3 autres dossiers sont en lien avec l’information relatives à un refus de soin et au pronostic.

A propos du mode d’exercice des praticiens mis en cause

Parmi les 201 décisions, 193 décisions étaient relatives à du contentieux relevant de l’ordre judiciaire et donc de l’exercice libéral (96 ± 1,3%), tandis que 8 relevaient de l’ordre administratif et donc de l’exercice public (4 ± 1,3%). Selon l’atlas de démographie médicale de 2016 proposé par le conseil de l’ordre des médecins, il y aurait 198144 praticiens en activité régulière parmi lesquels 43,9 % exercent en libéral.
Il existe une différence significative entre le groupe des libéraux de notre cohorte et les libéraux de la population générale, les libéraux de notre cohorte représentant plus du double attendu.

A propos de la spécialité des praticiens mis en cause

201 praticiens ont été mis en cause au terme de notre recherche.
Sur ces 201 praticiens, 45 exerçaient dans des spécialités dites médicales (22 ± 3%).
Le reste de la cohorte, soit 156 praticiens, étaient représentés par des chirurgiens (78 ± 3%). Nous avons assimilé les dentistes aux stomatologues par soucis de clarté.
Les chirurgiens orthopédistes mis en cause pour défaut d’information étaient au nombre de 45, soit 29 ± 3,6 % des praticiens exerçant une spécialité chirurgicale.
Selon l’atlas de démographie médicale de 2016 proposé par le conseil de l’ordre des médecins, il y aurait 24194 praticiens exerçant une spécialité chirurgicale (12,2 %) dont 3063 chirurgiens orthopédistes (soit 12 % de l’ensemble des chirurgiens en exercice et 1,5% de l’ensemble des praticiens en exercice).
Il existe une différence significative entre le groupe des chirurgiens de notre cohorte et les chirurgiens de la population générale.

A propos des condamnations

101 (65 ± 3,8 %) chirurgiens sont condamnés, contre 26 (58 ± 7,4 %) praticiens exerçant une spécialité médicale. Il n’est pas mis en évidence de différence statistiquement significative entre ces deux groupes avec un odds ratio de 1.339916 IC 95% [0.6393982; 2.7753764] (Test du X2 : p = 0,49).
Les orthopédistes condamnés, au nombre de 25, représentaient 25 ± 4,3 % de l’ensemble des chirurgiens condamnés.
55 ± 7,5 % des orthopédistes mis en cause étaient condamnés pour défaut d’information.
L’ensemble de ces données sont compilées dans la figure 3.
A propos des moyens de preuves apportés devant les juridictions.
Dans 17 dossiers, il n’y avait pas de précision dans le jugement sur le moyen de preuve employé. Seule 1 affaire sur ces 17 n’aboutit pas à une condamnation.
Dans 20 dossiers, aucun moyen de preuve n’a été présenté devant les juridictions.
L’intégralité de ces cas aboutit à une condamnation pour défaut d’information.
Dans 1 dossier, le défaut d’information n’a pas été discuté puisque la responsabilité a été retenue sur le défaut de prise en charge médicale.
Dans 3 cas, une faute technique du praticien autre que le défaut d’information a été mis en évidence et en conséquence, le patient a reçu la réparation de l’entier dommage en lien avec la faute technique, le défaut d’information ne pouvant se surajouter à cette condamnation.
Dans 5 cas, il n’est pas retenu de défaut d’information car les risques qui se sont réalisés et ont été à l’origine d’un dommage corporel étaient rares et non prévisibles.
Dans 1 cas, le praticien ayant fait un mauvais diagnostic, un défaut d’information ne peut lui être reproché en conséquence.
Dans 2 cas, le lien entre le dommage et le défaut d’information n’est pas établi, le défaut d’information ne peut être retenu.
Dans 20 cas, le défaut d’information est avéré mais n’est pas condamné au motif que le préjudice dit de perte de chance n’est pas invocable.
Dans le reste des dossiers présentés, 92 praticiens basaient leur preuve d’une bonne délivrance de l’information sur un moyen unique, les autres, 40 praticiens, basaient leur défense sur plusieurs faisceaux de preuve.
Parmi les 92 praticiens usant d’un mode de preuve unique, 74 ont été condamnés (soit 80 ± 4,2 %) parmi lesquels :
– 50 praticiens ayant présenté un moyen de preuve unique se basent sur l’écrit.
40 ont été condamnés (80 ± 5,7 %). 14
– 24 praticiens basent leur défense sur des allégations orales uniques. 19 ont été condamnés (79 ± 8,5 %).
– 16 praticiens se basent sur des présomptions pour former leur défense. 14 parmi les 16 ont été condamnés (87,5 ± 8,5 %).
– 2 praticiens ne présentent comme moyen que des preuves testimoniales.
1 dossier sur les 2 a abouti à une condamnation (50 %).
Sur les 40 praticiens basant leur défense sur un faisceau de preuves, 16 praticiens ont été condamnés (soit 40 ± 7,8 %).
Ces observations sont présentées dans la Figure 4.
Nous avons mis en évidence une différence statistiquement significative entre les praticiens usant d’un mode de preuve unique et ceux utilisant plusieurs moyens de preuve avec un odds ratio de 0,165 IC 95% [0,07 ; 0,4] (Test du X2 : p = 1,1 x 10-5).

DISCUSSION

Interprétation des résultats

Au travers de cette étude, nous pouvons observer que les dossiers pour lesquels le praticien propose plusieurs moyens de preuve à sa défense aboutissent moins souvent à une condamnation que les dossiers pour lesquels un seul et unique moyen de preuve, peu importe sa nature, a été apporté. Ce résultat est statistiquement significatif (p = 1,1 x 10-5).
Nous constatons également que les praticiens exerçant une activité chirurgicale représentent la majorité des praticiens mis en cause pour manquement à leur devoir d’information et sont significativement plus représentés que dans la population des chirurgiens recensés dans l’atlas de démographie médicale proposé par le conseil de l’ordre des médecins.
Pour autant, s’il semble exister une tendance montrant que les chirurgiens sont plus condamnés que les médecins, cette différence n’est pas statistiquement significative au terme de notre étude (p = 0,49).
L’activité chirurgicale peut être donc perçue comme à risque de mise en cause pour défaut d’information mais pas comme à risque de condamnation pour ce motif.
Les chirurgiens orthopédistes sont moins condamnés pour défaut d’information que l’ensemble de l’effectif des praticiens exerçant une spécialité chirurgicale. Pour autant, leur représentativité importante dans la cohorte des chirurgiens mis en cause pour défaut d’information (29 ± 3,6 % des chirurgiens mis en cause), est bien supérieure à leur représentativité dans la démographie générale des chirurgiens (12 % des chirurgiens en exercice). Ceci montre à quel point ils sont à risque de plainte pour défaut d’information. Cette représentativité importante des orthopédistes mis en cause peut être expliquée par le nombre d’actes qu’ils réalisent, bien supérieur aux autres spécialités chirurgicales et au fait que les indications de chirurgie orthopédique sont de plus en plus large comme le montre par exemple le rapport annuel de la MACSF® de 2016 (11). La chirurgie orthopédique étant par ailleurs une spécialité essentiellement à visée fonctionnelle, nous pouvons supposer que le patient soit plus enclin à témoigner son « mécontentement » au travers d’une action en justice que pour la réalisation d’actes à caractères vitaux.
L’exercice libéral apparait également comme un facteur de risque de condamnation pour défaut d’information, eu égard à la surreprésentation des décisions de justice civiles sur les décisions administratives.
A l’exception de l’année 2011 qui comporte moins de dossiers de contentieux relatifs au défaut d’information, il existe une répartition assez équilibrée des dossiers défendus par année civile. Cette observation irait à l’encontre d’un « fantasme » de judiciarisation de la relation médecin patient provoqué par l’inversion de la charge de la preuve.
Confirmant les jurisprudences antérieures, la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a fixé l’étendue du contenu de l’information devant être délivré par le médecin à son patient. Il en résulte que l’information doit porter sur le diagnostic et le pronostic, les investigations et les traitements proposés, leur utilité, leur urgence, les conséquences prévisibles en cas de refus et les autres solutions possibles ainsi que sur les risques fréquents et graves normalement prévisibles.
Nous pouvons pourtant remarquer que les dossiers relatifs au défaut d’information concernent principalement l’information sur les risques inhérents à un acte de soin.
Cette information, est donc le point le plus controversé et le plus à risque d’amener à une procédure contentieuse.

Limites et biais de l’étude

L’équation booléenne employée pour parvenir à la sélection des dossiers, bien que faite pour être la plus précise possible, a pu entrainer un biais de sélection en écartant certains dossiers qui auraient pu être inclus dans l’étude. Néanmoins, sur les 917 dossiers obtenus à partir de la recherche, seulement 201 sont retenus, montrant que l’équation utilisée permettait un quadrillage laissant peu de place à l’omission de certains dossiers.
La surreprésentation des décisions de justice civiles sur les décisions administratives peut laisser supposer que les bases de données de LexisNexis® ne soit pas en définitive exhaustives et donc qu’elles aient pu également entrainer un biais de sélection des dossiers, en excluant des décisions administratives.
Il peut nous être également opposé un biais d’interprétation des décisions de justice, néanmoins le site LexisNexis® en proposant un abstract rédigé par un juriste ne prenant pas part à l’étude permet de rejeter cette éventualité.
Par ailleurs, si on objective une répartition homogène du nombre de dossiers défendus par année civile, l’année d’étude d’une affaire devant une juridiction ne permet pas de juger véritablement d’une dynamique de judiciarisation ou non de la relation médecinpatient car de fait, le parcours judicaire peut conduire ces conflits devant la justice des années après leur initiation.
En outre, nous n’avons pas fait de comparaison avec les décisions de justice antérieure à la jurisprudence de 1997, afin d’évaluer si l’inversion de la charge de la preuve n’a pas augmenté le nombre de litiges relatifs au défaut d’information.
Un autre biais vient du fait que l’atlas de démographie médicale de 2016 proposé par le conseil de l’ordre fait état et de 10,3 % ayant une activité mixte. Nous n’avons pas intégré l’exercice mixte dans notre comparaison, nous avons donc probablement minoré la part de l’activité libérale dans la population générale et donc majoré le facteur de risque que représente ce mode d’exercice.
Enfin, si nous avons montré la supériorité de la multiplicité des moyens de preuve face à l’emploi d’un unique moyen, nous n’avons pas réalisé d’étude dans le bloc des moyens de preuves multiples permettant d’identifier une association supérieure aux autres ou en comparant chaque association relativement aux moyens de preuve unique.

Réflexion sur l’information du patient

L’inversion de la charge de preuve qui a été considérée comme un revirement jurisprudentiel majeur, et a été appréhendé avec émoi par la communauté médicale, n’a pas en réalité bouleversé les décisions de justice.
Ainsi, une étude portant sur les décisions de justice antérieure à la jurisprudence de la Cour de cassation du 25 février 1997 montrait que, dans seulement 1 cas sur 20, le patient, (période où il lui incombait la charge de la preuve) se trouvait dans la difficulté d’exposer une preuve de défaut d’information (12). Il apparait également illusoire de penser que le praticien mis en cause pour défaut d’information avant 1997 allait rester passif durant la procédure contentieuse, laissant au seul patient la charge d’apporter les éléments en faveur de sa non information, ce d’autant que pour ce type de litiges, l’avis d’un expert est bien souvent demandé.
C’est ainsi que les Professeurs Ghestin et Goubeaux explicitent en une phrase la portée mineure de cette inversion de la charge de la preuve : « Dès lors que les juges ont pu se forger une conviction à l’égard des allégations des parties, il est sans intérêt de rechercher sur qui pesait la charge de la preuve » (13).
Les législateurs ont légitimement pensé qu’il était plus aisé d’apporter la preuve d’un fait positif que celle d’un fait négatif (14), cette position s’inscrivant dans l’évolution actuelle du droit, marquée par une plus grande exigence à l’égard des professionnels, en faveur d’une protection accrue des « consommateurs ». Nous comprenons à la lecture de notre exposé, que ce changement reste en réalité d’ordre symbolique.
La complexité de la délivrance de l’information du patient concernant les risques inhérents à un acte médical transparait à la lecture de cette étude.
L’article R.4127-35 du code de la santé publique stipule que cette information se doit d’être circonstanciée et adaptée au patient qui la reçoit. Elle ne peut en conséquence s’envisager que dans le cadre d’un échange oral pendant lequel le praticien pourra adapter son discours à son interlocuteur.
Le support écrit tient une place secondaire dans le processus d’information du patient.
Les juges veulent ainsi éviter l’écueil qui consisterait, pour le praticien, à ne faire reposer la preuve de l’information que sur un écrit signé par le patient.
L’information doit rester une information orale, délivrée au cours d’une consultation. C’est le seul moyen de délivrer une information adaptée au patient qui lui permettra de consentir de « manière éclairée » comme le préconise la loi (15).
Au travers d’un formalisme trop important, le praticien pourrait faire perdre la dimension humaine de la relation médecin-patient.
En effet, ces documents écrits, rédigés pour la plupart par des colloques de praticiens ou par les sociétés savantes, peuvent avoir l’effet « pervers » d’entrainer une désinformation du patient au regard de leur nature par essence impersonnelle, « opaque » et « rigide » (14).
Il est indéniable que l’information écrite présente un intérêt important, mais elle ne peut se concevoir que dans la globalité d’une consultation, au moment opportun, et ayant pour but final d’offrir un moment de réflexion au patient et de parachever l’effort d’information initié lors de l’entretien oral individuel adapté à l’interlocuteur (15).
La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé avait précisé que des recommandations de bonnes pratiques sur la délivrance de l’information sont établies par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation (L’ANAES a été, avec d’autres commission, regroupée au sein de la Haute autorité de Santé en 2014).

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Table des matières

PLAN
LISTE DES ABREVIATIONS
RESUME I
RESUME II
I. LA PREUVE DE L’INFORMATION DU PATIENT
A. INTRODUCTION
B. MATERIEL ET METHODES
C. RESULTATS
D. DISCUSSION
E. CONCLUSION
II. LE PREJUDICE D’IMPREPARATION
A. INTRODUCTION 
B. L’EMERGENCE D’UN PREJUDICE MORAL
C. CLARIFICATION DE LA NATURE DE CE PREJUDICE MORAL
D. DE NOUVELLES AVANCEES SUR LES MODALITES DE REPARATION DE CE NOUVEAU PREJUDICE
E. CONCLUSION 
BIBLIOGRAPHIE 
A. LA PREUVE DE L’INFORMATION DU PATIENT
B. LE PREJUDICE D’IMPREPARATION
LISTE DES TABLEAUX
TABLE DES MATIERES 

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