Détermination d’une méthodologie
Dans un premier temps, nous avons, lors de notre recherche exploratoire, échangé avec la personne chargée de mission de « développement et promotion du travail pair sur l’agglomération grenobloise » dans un projet financé par la DIHAL : « Innovation sociale dans le champ de l’hébergement et de l’accès au logement ». Nous avons par la suite rencontrécelle chargée de l’évaluation de ce même projet. Ces entretiens nous ont permis de cerner les enjeux majeurs du travail pair en France, mais surtout sur le territoire de l’agglomération grenobloise.
La question du travail pair était à ce moment encore assez vague pour nous. Ces entretiens réalisés nous ont donné un axe de recherche orienté sur la collaboration entre les travailleurs pairs et les travailleurs médico-sociaux. Nous nous sommes interrogé sur la méthode de travail la plus pertinente pour mener à bien cette recherche.
Aborder la rencontre à travers le prisme de la sociologie compréhensive
Dans le premier temps de notre recherche, nous nous étions attaché à développer une approche hypothético-déductive. En ce sens, nous avions élaboré une première problématique fondée sur des concepts qui nous paraissaient pertinents au regard de notre sujet. Il ne nous restait dès lors plus qu’à définir une procédure afin de vérifier ou non la validité de nos hypothèses. Pour autant, dès notre recherche exploratoire, il est apparu que notre démarche d’objectivation n’était pas adaptée : ayant une expérience professionnelle avec des travailleurs pairs, mais aussi en association d’auto-support, et en tant qu’assistant social, nous avions une tendance à projeter notre regard et nos interrogations sous l’influence de notre expérience personnelle et professionnelle.
C’est auprès de la sociologie compréhensive que nous avons trouvé une première piste de réflexion sur la démarche à entreprendre. Introduite par Max Weber, elle propose de comprendre par interprétation l’activité sociale : « La compréhension permet de recomposer le sens d’une activité. Dans la mesure où l’activité se définit comme la conduite que le sujet investit d’une signification, comprendre veut dire retourner au processus de production du sens, qui s’exprime dans les différents motifs par lesquels les sujets rendent compte de leurs comportements.(…) Comprendre une activité sociale, c’est comprendre le sens qui est subjectivement visé par l’individu.» (Gonthier, 2004 : 1). A partir de cette première définition, nous envisagerons notre recherche à partir du sens que donnent les acteurs à leur activité, et qu’ils portent sur leur environnement professionnel. De la sociologie compréhensive découle une posture spécifique dans l’entretien, se basant sur la compréhensiondes sujets rencontrés. J.C. Kaufmann propose une approche compréhensive: « L’entretien compréhensif, s’inscrivant dans la tradition de l’induction analytique (…), inverse les phases de la construction de l’objet: le terrain n’est plus une instance de vérification d’une problématique préétablie mais le point de départ de cette problématisation ». Nous pourrons problématiser notre travail à partir de notre démarche d’entretiens compréhensifs. C’est en ce sensque nous avons fait le choix de réaliser nos entretiens selon une posture de rechercheinductive.
La posture dans l’entretien inductif
Nicolas Perrin nous présente sa réflexion autour de la démarche inductive . Elle nous a semblé en adéquation avec notre projet de recherche pour plusieurs raisons.
Cette approche nous a permis de prendre une distance et de sortir de notre subjectivité : « Potentiellement, une démarche inductive permet une décentration progressive, une relecture d’une situation dans laquelle l’étudiant est impliqué. L’approche inductive a pour avantage de permettre de « ne pas tomber dans ce piège où l’on installe la théorie d’entrée de jeu et où les faits, trop aisément manipulables, se cantonnent dans un rôle d’illustration-confirmation ».
L’entretien inductif propose d’effectuer des allers-retours entre le discours de terrain et l’approche théorique. Cette posture nous a permis d’établir une problématisation progressivement : « La méthode inductive le [l’étudiant] pousse à identifier ce qui peut constituer un problème central dans la situation étudiée, à élaborer une clé de lecture pertinente, et non à sélectionner a priori quelques relations étudiantes ou à s’accrocher à une thématique prétexte.» On retrouve bien le cadrage apporté par la sociologie compréhensive développée par J.C. Kaufmann et Max Weber.
Grille d’entretien
C’est donc à partir des représentations des acteurs que nous avons élaboré notre grille d’entretiens. « Ces représentations structurent les discours des individus sur leurs pratiques sociales, leurs recettes, l’incorporation d’un programme… Bref à l’acquisition d’un savoir légitime qui permet l’élaboration de stratégies pratiques et l’acquisition d’un savoir légitime.
Les dimensions principales sont : le rapport aux systèmes, institutions et aux détenteurs des pouvoirs, le rapport à l’avenir, le rapport au langage pour décrire une situation vécue. » (Dubar, 2015 :100).
Souhaitant questionner le développement de ce nouveau métier dans l’institution Travail Social, et ses interactions avec celle-ci, nos entretiens avec les travailleurs pairs avaient donc les objectifs principaux suivants:
définir la relation qu’entretiennent les travailleurs pairs à l’institution employeur,
déterminer leurs rapports aux travailleurs sociaux,
comprendre les pratiques liées au vécu expérientiel.
Dans une posture inductive, nous avons introduit une démarche d’entretiens semi-directifs thématiques.
Un terrain difficilement accessible
Pour déterminer notre échantillon d’entretiens, nous avons porté un regard sur l’ensemble des acteurs qui interagissent avec les travailleurs pairs au quotidien. Nous avons ainsi identifié les professionnels suivants : les travailleurs sociaux travaillant en équipe avec les travailleurs pairs, les cadres d’action sociale supervisant les équipes, les chargés de mission œuvrant dans le développement et la coordination du travail pair. Nous avons donc interrogé au total sept de ces professionnels.
De plus, notre travail interrogeant la fonction de travailleur pair, il nous est apparu essentiel de rencontrer des travailleurs pairs issus de milieux et communautés différents. Ainsi, la rencontre de huit travailleurs pairs exerçant dans différents champs du médico-social nous a permis d’appréhender un large éventail de formes d’interventions issues de structures employeurs variées (collectivités publiques et structures privées, notamment associatives).
Notre échantillon d’analyse se situait à l’origine au niveau de l’agglomération grenobloise.
L’échantillon semblait assez large pour développer une analyse globale de notre réflexion. En effet, on retrouve des travailleurs pairs agissant avec des professionnels, avec des statuts et des missions différents. Cependant, nous avons été confronté à des difficultés pour constituer notre base d’entretiens. Sur les cinq structures contactées, nous n’avons eu de réponse favorable que pour troisd’entre elles. C’est ainsi que nous avons décidé d’élargir notre champ de recherche au niveau national, en envisageant des déplacements ou des entretiens téléphoniques. Des quinze associations contactées, nous avons eu deux réponses positives.
Un cadre d’intervention sociale a pu nous donner un des motifs qui pourrait expliquer ces refus : les travailleurs pairs connaissent une surexposition médiatique et sont régulièrement sollicités, à tel point que « bientôt, ils parleront de ce qu’ils ne font plus» . Les cadres hiérarchiques feraient alors barrage afin de protéger leurs équipes.
Toutefois, nous sommes parvenu à établir un panel assez significatif pour mener notre travail de recherche. Il paraissait important de rencontrer des acteurs issus de structures aux statuts différents (fonction publique et secteur associatif), œuvrant dans des champs d’intervention variés (logement, santé mentale, réduction des risques, accès aux droits de santé), afin de pouvoir observer si cette variable était influente dans les emplois créés. De plus, nous avons rencontré différents statuts contractuels (CDI, CDD long, Intérim) et de finalités : du projet d’innovation au dispositif, en passant par la contractualisation pérennisée.
La grande partie des travailleurs pairs interrogés exerçaient leur fonction en moyenne depuis un an et demi. Concernant les professionnels, leur expérience allait de quelques mois à plusieurs années, certains ayant connu les évolutions du travail social depuis plus de vingt ans.
Ce sont ainsi quatorze entretiens d’une durée de 45 minutes à 1h30 qui constituent le matériau empirique de ce travail, que nous avons intégralement retranscrits. Nous nous sommes appuyé sur l’ouvrage de Pierre Brechon afin de développer notre travail d’analyse méthodologique.
Afin d’analyser les retranscriptions, nous avons réalisé un découpage composé des thématiques abordées à l’aide d’un tableur.Par la suite, une analyse horizontale nous a permis d’observer les items abordés.Dans un second temps, une analyse par colonnenous a permis d’établir une comparaison des discours, nécessaire à notre cheminement sur la question des représentations. Nous avons ainsi observé trois sujets dominants dans les discours : la présence d’un métier profane dans l’institution du travail social, les pratiques professionnelles et enfin les représentations sociales.
Au cours de ces rencontres, nous avons été confronté à deux éléments à considérer. D’une part, l’habitude des acteurs à raconter leur sujet pouvait amener à un discours parfois convenu et rôdé. Nous avons fait ce constat dès les premiers entretiens où les propos se montraient identiques à ceux tenus lors de rencontres collectives (colloques ou formations). Nous avons donc été mené à sortir de notre grille d’entretiens à plusieurs reprises afin de dépasser ce discours.
D’autre part, plusieurs personnes ont évoqué le fait que « le monde du travail pair est un petit monde », et que l’on reconnaît facilement une personne qui s’exprime dans les citations. Au cours des entretiens, nous avons été confronté à plusieurs reprises à des auto-censures des propos, dans un souci de devoir de réserve ou d’anonymat. Il semble ainsi que certains éléments n’ont pu être saisis. Dans cette logique, nous avons fait un travail d’anonymisation le plus complet possible afin de ne positionner aucun acteur en difficulté dans son service.
C’est en ce sens que toutes les citations ont été transposées au genre masculin.
Enfin, nous avons assisté à trois rencontres officielles:
– Une journée d’étude sur le travail pair organisée le 26 septembre 2016 à l’Institut de Formation des Travailleurs Sociaux,
– Un forum sur l’accès aux droits organisé par la ville de Grenoble le 16 février 2017. Un temps a été dédié sur le thème du travail pair, – Une table ronde sur le thème du travail pair le 22 mars 2017 au Centre hospitalier Alpes Isère.
Cette documentation théorique sera complétée d’une littérature grise recueillie auprès des acteurs rencontrés pour notre travail. Les offres d’emplois de travailleurs pairs, les référentiels professionnels du travail social et les rapports d’évaluations nous accompagneront dans une analyse comparative des compétences de chacun des acteurs.
Annonce du plan
Les premières lectures préalables à notre travail sont composées d’ouvrages généraux afin de comprendre les enjeux du travail social. De manière générale, trois axes sont privilégiés afin de circonscrire le rôle et la place du travail social (Ion, 2005 : 6): le contexte politique (façonnant des modalités d’action), la constitution et le rôle des acteurs du social (liés à la thématique de la formation, des compétences et des fonctions), et la relation d’aide (liée aux pratiques des travailleurs sociaux). La première partie de cet exercice propose une lecture croisée du travail pair dans un contexte d’incertitude et de recomposition du travail social.
Nous tenterons d’observer, à travers les évolutions en œuvre, dans quelle mesure le travail pair s’inscrit et participe à la redéfinition d’un champ professionnel.
Dans une seconde partie, nous nous plongerons dans le quotidien des travailleurs pairs. Leurs pratiques professionnelles seront interrogées et mises en parallèle avec les évolutions de l’intervention sociale. Dans une approche interactionniste, nous tenterons d’analyser dans quelle mesure ils s’inscrivent et repensent la relation d’aide.
Un troisième chapitre s’intéressera aux représentations sociales. La présence d’usagers rémunérés pour leurs savoirs d’expérience dans les équipes suppose des interactions avec les professionnels et, in fine, des influences sur les manières de percevoir et d’envisager le travail social. Nous porterons un regard sur l’évolution de ces représentations en analysant les aspects éthique et philosophique du travail social.
L’EMERGENCE DU TRAVAIL PAIR DANS UN CHAMP PROFESSIONNEL EN RECOMPOSITION
Le travail social connaît depuis les années 1970 différentes évolutions qui ont mené à une recomposition de l’espace des professions traditionnellement installées. Face à la massification des besoins et l’avènement d’une précarité installée, les politiques publiques ont démultiplié les dispositifs et les emplois sociaux afin de tenter de répondre à une demande sociale en pleine explosion. Peu ou pas diplômés, ces nouveaux acteurs sont venus bouleverser le paysage professionnel historiquement basé sur desmétiers de niveau III: les assistantes sociales, les animateurs socio-culturels et les éducateurs spécialisés, autour desquels gravitaient une nébuleuse d’autres métiers (comme les Conseillères en économie sociale et familiale). On assiste depuis à une dévalorisation des diplômes induite par la reconnaissance progressive des compétences, entendues comme savoir-faire et savoir-être.
Dans cet espace en recomposition, le travail pair s’est déployé avec la spécificité de porter des savoirs liés à l’expérience du vécu en tant qu’aptitude professionnelle. A ce titre, nous avons émis l’hypothèse que les travailleurs pairs ne peuvent pas s’inscrire dans le travail social du fait qu’ils ne détiennent pas de diplôme inscrit dans les référentiels pour exercer. Il n’en reste pas moins que les professionnels issus de formations théoriques se retrouvent à collaborer avec des salariés dont les aptitudes professionnelles se définissent par leur expérience de vie.
Dans le premier temps de cette partie, nous nous proposons d’observer le travail pair dans un contexte d’évolution du travail social. Cela nous permettra d’interroger dans un second temps ce que recouvre la notion de savoir expérientiel et de voir en quoi elle peut acquérir ou non une légitimitédans le travail social. La dernière partie de ce chapitre se propose rad’analyser les processus à l’œuvre lorsque les pairs deviennent travailleurs pairs. Nous pourrons ainsi observer la trajectoire de ces nouveaux salariés dans les structures et dans l’institution du travail social.
Contextualiser le travail pair dans l’espace des professions du travail social
Le travail pair comme nouvel atome dans espace en pleine évolution
Mise en contexte: les mutations du travail social
A partir des années1980, afin de tenter de faire face à la massification des besoins sociaux, les gouvernements successif sont découpélespolitiquessocialesen de nombreux dispositifs s’adressant à des catégories de populationsou à un problème social. C’est l’époque de la mise en place de la politique de la ville, de lutte contre la délinquance etde l’insertion ; mais aussi des dispositifs et des réorganisations des services sociaux qui ont conduit à développer un social en actes. Les notions d’accompagnement social, de contrat et de développement social local ont émergé dans les circulaires d’État.
En parallèle, de nouveaux métiers sont apparus, pensés pour mener une action auprès de publics spécifiques. C’est notamment le cas dans le champ de l’insertion (les chargés d’insertion RMI par exemple) et de la médiation (‘Grands frères’, médiateurs de nuits,…).
Ces emplois, développés majoritairement par les collectivités publiques par le biais de dispositifs et/ou soumis à des financements expérimentaux et non pérennes,ne demandaient alors pas de diplôme spécifique pour leur exercice.
Par la démultiplication des acteurs du social, on assiste, depuis cette période, à une disqualification des métiers classiques du travail social (assistantes sociales, éducateurs spécialisés, animateurs socio-culturels). dont l’exercice est régi par l’obtention de diplômes à l’issue d’une formation académique. Selon J.Ion, on assisterait un « un processus général de déqualification se manifestant par un nombre de plus en plus grand d’emplois de faible niveau […] remettant en question son monopole légal d’exercice de l’activité» (Ion, 2005 : 8).
La diversification des emplois sociaux s’est accompagnée d’un développement considérable du champ social. Les sociologues peinent aujourd’hui à dénombrer le nombre d’acteurs dans le travail social. Il est estimé à 700 000 personnes aujourd’hui. L’unité du travail social, qui s’est structurée sur la base de diplômes de niveau III jusque dans les années 1970, se retrouve prise dans un processus de déqualification, en ce sens que les emplois sociaux comptent parmi leurs effectifs de plus en plus d’emplois à faible niveauet de « petits boulots du social ». (Ion, 2005).
Marqueur fort de ces changements,l’émergence dela notion d’ « intervenant social » qui tend à remplacer celle de « travailleur social ». Évoquant les évolutions à l’œuvre dans le champ du travail social, J.Ion développe l’idée que, « […] comme pour résumer symboliquement ces mutations, le mot « intervention » (sociale) vient çà et là, et jusque dans les instances professionnelles et les appellations de formations, remplacer parfois celui de travail (social).
Expression qui en quelque sorte pourrait bien sceller sémantiquement le déclin du processus de professionnalisation (qu’exprime explicitement la notion de « travail » social).» ».
Dans cet espace enrecomposition, nous avons interrogé les travailleurs pairs dans le but de déterminer leur place mais aussi les interactions qu’ils développent avec les professionnels.
Les relations professionnelles des travailleurs pairs dans un marché de l’emploi recomposé
Si le travail pair est un métier récemment déployé en France et qu’il s’est construit au sein des équipes médico-sociales, nous nous sommes interrogé sur la place qu’il pouvait occuper dans son environnement professionnel. Notre point de départ se positionne à partir du discours des acteurs sur les interactions qu’ils entretiennent.
Il est rapidement apparu que celles-ci dépassent rarement le cadre des relations en équipe du même service. Concernant, les relations partenariales, nous pouvons observer que les travailleurs pairs ont peu de relations avec les professionnels de niveau III. Ils évoquent peu de travail externalisé avec les professionnels du médico-social pour différentes raisons : un refus de partage d’informations à cause du secret professionnel (comme nous avons pu le voir dans l’exemple précédent), des services peu en phase avec les demandes des personnes accompagnées, ou une dissociation des missions qui ne les mène pas à travailler ensemble.
Évoquant le réseau qu’il sollicite lorsqu’il n’est pas dans son cadre de missions, un travailleur
pair fait état des ressources avec lesquelles il travaille.
Fermeture sociale et enjeux de territoires
C. Dubar définit la notion de fermeture sociale comme « le processus par lequel une catégorie sociale donnée tend à réguler en sa faveur les conditions du marché face à la compétition actuelle ou potentielle des prétendants (outsiders) en restreignant l’accès aux opportunités spécifiques à un groupe restreint d’éligibles » (Dubar, 2015 : 149).
Il apparaît en ce sens une dualisation entre l’emploi d’un travailleur social, pour lequel l’exercice du métier est protégé, et celui d’un travailleur pair, où la détention d’undiplôme n’est pas opposable. Ainsi, selon Maurel et al. , « tout nouveau groupe ne pourra revendiquer la qualité d’intervenant social qu’en s’agrégeant à ce noyau par les voies de la qualification » (Maurel et al., 1998: 33). De plus, cet immobilisme des positions a pour conséquence d’introduire une logique concurrentielleentre les professions installéesdu social et d’autres formes d’interventions (Ion, 2005). Lors de nos entretiens, le terme de « concurrence » est apparu à plusieurs reprises. La notion de « territoire d’intervention » a aussi été nommée, définissant en ce sens des espaces réservés.
Un cadre d’intervention témoigne, évoquant le déploiement de travailleurs pairs dans son service.
Du rejet des travailleurs pairs à une complémentarité des tâches
La difficile articulation entre travailleurs pairs et professionnels
Si les travailleurs pairs doivent faire la preuve de leur utilité auprès des professionnels pour être reconnus, leur intégration dans les services s’avère être un processus complexe qui rend difficile cette reconnaissance. Reprenons un articlede Tischler qui, en 1971 étudia la réaction des employés d’un service en santé mentale lors de l’instauration d’un comité d’usagers. Il établit dans son travail quatre types de réactions : « la crainte de perte de contrôle du centre, d’ « anarchie », la peur du changement de pratiques professionnelles, qui révélerait la peur de perte de pouvoir; l’idéalisation de l’impact de l’arrivée des usagers comme experts; l’attitude collaborative, percevant l’implication des usagers dans la gouvernance comme une pratique susceptible d’établir un dialogue avec la communauté, de faciliter l’innovation. »
Cette étude date d’une cinquantaine d’années, mais elle nous permet de comprendre les résistances auxquelles font face les travailleurs pairs. Les réactions suscitées engendrent ainsi,dans certains cas, une mise à l’écart des travailleurs pairs. Les professionnels et les travailleurs pairs évoquent le fait qu’une période de mise à l’épreuve, amenant conflits et rivalités, est récurrente. Un chargé d’évaluation du programme sur le développement du travail pair fait état de ces difficultés.
|
Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I : L’EMERGENCE DU TRAVAIL PAIR DANS UN CHAMP PROFESSIONNEL EN RECOMPOSITION
A- Contextualiser le travail pair dans l’espace des professions du travail social
1. Le travail pair comme nouvel atome dans espace en pleine évolution
a. Mise en contexte: les mutations du travail social
b. Les relations professionnelles des travailleurs pairs dans un marché de l’emploi recomposé
c. Fermeture sociale et enjeux de territoires
2. Du rejet des travailleurs pairs à une complémentarité des tâches
a. La difficile articulation entre travailleurs pairs et professionnels
b. Des oscillations entre complémentarité et substitution
B- Légitimer l’expérience du vécu par une relation dialogique aux compétences professionnelles
1. Du pair à l’expert : Qualifier l’expérience du vécu
a. Les compétences : un concept inopérant pour les travailleurs pairs
b. Les aptitudes liées au savoir expérientiel
c. La notion d’expertise
2. Quelle légitimité pour la fonction de travailleur pair?
3. L’improbable professionnalisation des travailleurs pairs
C- Les processus de salarisation des travailleurs pairs
1. L’investissement des travailleurs pairs dans la communauté comme préalable à leur candidature
2. Processus d’embauche des travailleurs pairs : une spécificité menant à la déstabilisation des professionnels
a. Le recrutement :à la recherche d’un profil entre identité personnelle et aptitudes professionnelles
b. Une prise de fonction difficile à mettre en place
c. Un statut contractuel variable mais déterminant
3. Travailleur pair et après? La formalisation des savoirs en question
a. La formalisation des savoirs expérientiels rejetée par les professionnels
b. Du point de vue des travailleurs pairs
PARTIE II : REPENSER LA RELATION, TRANSFORMER LA PRAXIS
A- Le travail pair: reflet d’une nouvelle forme de la relation d’aide ?
1. De nouvelles logiques d’action pour l’accompagnement social
a. Mise en contexte : l’accompagnement social repensé
b. le travail pair à la reconquête des liens perdus
c. La fonction de médiation : une compétence nouvelle du social, un coeur d’intervention pour les travailleurs pairs
2. Les travailleurs pairs pour repenser l’accompagnement
a. La co-construction de l’intervention avec le bénéficiaire
b. réinterroger les seuils d’exigence de l’accompagnement social
B- Le travail pair vers un renouveau des pratiques ?
1. Le travail pair dans un contexte d’émergence du développement social local
2. L’outreach : une redéfinition de la rencontre
3. La prévention : un étayage pour l’offre de services ?
4. La metis du travail social : un rapprochement avec le travail pair
5. Apprendre « sur le tas » : les savoirs d’action développés
Conclusion Partie II
PARTIE III : CO-CONSTRUCTION DES VALEURS ET REPRÉSENTATIONS ?
A- Les échanges entre professionnels et travailleurs pairs: un apprentissage réciproque
1. Une évolution des regards entre les travailleurs sociaux et les travailleurs pairs
2. Le langage comme signe d’une acculturation progressive
B. La posture face aux bénéficiaires : de la ‘bonne distance’ à la ‘bonne proximité’
1. La notion de proximité relationnelle : confrontations et instrumentalisations
a. De la distance à la proximité : des représentations opposées pour une posture professionnelle
b. La proximité relationnelle: une posture utile
2. Le travail pair et la recomposition des fondements de l’action sociale
a. De l’éthique à la déontologie : Les travailleurs pairs dans un entre-deux
b. Les travailleurs pairs dans un processus de redéfinition du secret professionnel
C- Le travail pair envisagé par des approches philosophiques récentes
1. L’empowerment : une nouvelle philosophie d’intervention ?
2.L’éthique du care pour de nouvelles perspectives
Conclusion partie III
CONCLUSION
Bibliographie
Annexes
Télécharger le rapport complet