L’émergence du NPM comme paradigme politico-économique

Le New Public Management 

L’émergence du NPM comme paradigme politico-économique

Le New Public Management (NPM) puise ses fondements dans les laboratoires d’idées néolibérales des années 1970, son ascension a coïncidé, en fait avec la crise économique qui a sévit durant ces années. C’est à cette époque que l’ensemble des croyances qui cimentent le paradigme pro-Etat providence ont commencé à être sérieusement ébranlées par l’assaut néolibéral (Merrien, 1999). Mais, c’est finalement vers le début des années 1990 que le NPM a commencé véritablement à s’affirmer et à s’imposer comme un paradigme économique et politique à part entière (Hood, 1991, Osborne et Gaebler, 1993, Merrien, 1999). Il s’est dans un premier temps largement imposé dans les pays anglo-saxons en Grande Bretagne et aux Etats Unis sous l’ère de Thatcher et de Reagan avant de s’élargir à d’autres pays, notamment sous l’impulsion de la Banque Mondiale. Ces deux pays ont été les pionniers en matière de réforme publique. Ils ont très tôt pris conscience de la nécessité du changement et ont appliqué vigoureusement les techniques prônées par le paradigme du NPM.

Les institutions supranationales (Banque mondiale, OCDE, FMI…) ont tenu un rôle primordial dans la diffusion des programmes et des modèles politiques de NPM. Ces institutions constituent les nouveaux lieux d’exercice d’un pouvoir global. Elles mobilisent à l’échelle transnationale un large réseau d’acteurs et jouent à la fois le rôle de producteurs et de diffuseurs des modèles d’action publique. Leurs propositions et leurs recommandations en matière de contenus, modèles et outils de politiques se trouvent légitimées par la génération d’une grande quantité de données chiffrées. C’est généralement à l’égard des pays en voie de développement, que le pouvoir de ces institutions se trouve le plus prononcé, au travers particulièrement de la conditionnalité d’emprunt (Ferge, 2001).

Le recul manifeste du modèle bureaucratique qui « suppose une permanence et une stabilité, qui, aujourd’hui, sont un fantasme théorique » (Bernier et Hafsi, 2002, p.2), a été saisi d’emblée par le NPM qui n’a pas manqué l’occasion pour s’imposer comme un paradigme économique et politique à part entière. Le NPM suggère une renaissance du secteur public « sur la base de grand mots d’ordre souvent empruntés à la littérature du management » (Bernier et Hafsi, 2002, p.17).

Le NPM, que nous appelons également, Nouvelle Gestion Publique (NGP) recouvre un ensemble de recommandations qui visent à mettre fin aux formes d’Etat-providence jugées illégitimes et créatrices d’effets antinomiques. Il propose, à cet égard comme alternative d’introduire des mécanismes de marché ou de quasi-marché au sein des institutions de l’Etatprovidence de manière à en renforcer l’efficience et la flexibilité et ainsi rétablir la légitimité de l’action publique (Merrien, 1999). La modernisation de l’organisation publique conformément à la NGP, fait appel aux mécanismes de type marché (MTM) et s’articule autour de cinq axes respectivement : la planification stratégique, le management participatif, le management de la qualité, l’introduction des TIC et le contrôle de gestion (Pesqueux, 2007, p.140). Les auteurs de la NGP dénoncent les institutions de l’Etat-providence les accusant d’être à l’origine des maux qui minent le secteur public et d’être responsables de la piètre performance des organisations publiques. Ils portent un regard négatif sur le fonctionnement des bureaucraties, jugeant pressant de leur imposer les valeurs et les modes de fonctionnement de l’entreprise privée. « Les pathologies dont souffre l’appareil de l’Etat ne trouveraient remède que dans le privé ». En effet, au cœur de l’idéologie de la NGP se trouve une critique radicale du modèle bureaucratique wébérien comme modèle typique de gouvernance des organisations publiques. Le renouveau de l’appareil public passe inévitablement par le privé.

Plusieurs arguments à la fois idéologiques et économiques ont été avancés pour justifier la montée en puissance de la Nouvelle Gestion Publique en tant que nouveau paradigme économique et politique incontournable. Merrien (1999) impute ce succès à la conjonction de quatre phénomènes respectivement : l’accumulation de la dette publique qui a poussé les Etats à chercher de nouvelles mannes et sources de financement, l’hégémonie progressive d’un corpus d’idées néolibérales et managériales, la formation de réseaux d’experts puissants proposant des solutions préconçues, « clés en main » (Saint Martin, 1998) et enfin des responsables politiques qui détectent dans le NPM de nouvelles opportunités à saisir (Merrien, 1999).

Le socle théorique du NPM 

Le NPM est une batterie de techniques orientées vers la performance, « …a range of techniques including performance review, staff appraisal systems, performance related pay, scrutinies, so called « quality audits », customers feedback mechanisms, comparative tables of performance indicators, charter marks, customer charters, quality standards and TQM” (Hoggett, 1996, p. 20). Il vise une optimisation du fonctionnement des organisations publiques via des pratiques de gestion inspirées directement du secteur privé. Hood (1991) propose huit principes généraux qui guident le NPM, « Hands on professional management, explicit standards and measures of performance, emphasis on output controls and entrepreneurial management, disaggregation of units, competition in the public service, stress on private sector styles of management practice and greater stress on discipline and parsimony ». Ces principes ont été repris par Haldemann (1995) qui caractérise le NPM comme :

– une orientation de l’administration portée vers l’output (la performance) et non plus vers l’input (les ressources)
– un contrôle « post bureaucratique »
– une nouvelle gestion du personnel
– une orientation client
– un remaniement par l’aplatissement des hiérarchies et l’orientation processus
– une rationalisation et une maîtrise des coûts
– une introduction des mécanismes de feed-back et de contrôle par l’établissement d’une batterie d’indicateurs
– une décentralisation (outsourcing) .

En voulant laisser entrer dans le secteur public des pratiques de management habituellement exclusives au secteur privé, le NPM laisse sous-entendre une certaine supériorité du privé sur le public. Pour démontrer cette supposée supériorité de la forme privée sur la forme publique, le NPM fait appel principalement à deux théories de base que nous allons brièvement développer ci-dessous.

– La théorie des choix publics (Buchanan 1968, Niskanen, 1971, Tullock, 1976) : 

Cette théorie postule que la présence de groupes d’intérêt et de jeux politiques compte parmi les principales raisons à l’inefficience des entreprises publiques. Selon l’école du « Public Choice », les gestionnaires des entreprises publiques, à qui incombe la prise de décision, ne le font pas dans l’optique de privilégier les intérêts de la société, comme l’aime à le faire croire le discours officiel, mais plutôt leurs intérêts propres (Hodge, 2000). Misant sur les dysfonctionnements de l’Etat, cette théorie propose de faire appel au secteur privé pour la production des biens et services à la collectivité (Yaya, 2005). Elle considère qu’en raison de l’inefficacité de l’Etat, les activités gouvernementales doivent être soumises à la sanction du marché (Yaya, 2005).

– La théorie d’agence (Jensen et Meckling, 1976) : 

Elle contribue à comprendre la raison qui motive les pouvoirs publics à utiliser les techniques de gestion du privé. Dans le contexte des organisations publiques, les gestionnaires publics ont été mandatés par l’Etat, à l’occasion propriétaire principal de celles-ci. Toutefois, puisque ce sont les gestionnaires qui jouissent du pouvoir décisionnel, l’Etat n’exerce pas de contrôle sur l’organisation. Dans cette relation, les intérêts du mandataire, à savoir les gestionnaires et ceux du mandant (l’Etat) ne sont pas concordants, menant inéluctablement à des coûts de surveillance visant à contrôler le comportement du mandataire tel que les coûts générés par les vérifications comptables et les coûts d’établissement des états financiers (Yaya, 2005).

Le modèle théorique de la NGP et ses légitimités sous-jacentes

La NGP se décline en trois modèles (Ferlie, Ashburner et al 1996, Monks, 1998, Bolgiani, 2002), auxquels Hufty (1998) associe trois formes de légitimités sous-jacentes.

– Le modèle de l’efficience ou de marché : 

Ce modèle promeut l’efficience des organisations publiques par rapport à celles privées. Au sein de ce modèle, la priorité est accordée aux notions économiques de concurrence et de performance. C’est ainsi que la légitimité s’en trouvera concrétisée via des logiques industrielles et des logiques de marché (Emery et Giauque, 2005).

– Le modèle de l’excellence et de la qualité : 

Ce modèle vise la modification de la culture organisationnelle pour qu’elle soit en mesure de susciter des attitudes favorables à l’apprentissage (Hood, 1991, Pollitt, 1993, Bendell, Boulter et al.1994). En vertu de ce modèle, les « usagers » du service public sont « rebaptisés » pour devenir des « clients » à part entière. La légitimité y est conquise par la satisfaction des besoins des « clients » de l’administration (Emery et Giauque, 2005).

– Le modèle de la flexibilité, de la décentralisation et du downsizing : 

Ce modèle comme son non l’indique tend à favoriser la décentralisation des processus de décision. Il vise en effet à séparer les niveaux opérationnel et stratégique en donnant une plus grande marge de manœuvre aux agents. La légitimité se trouve concrétisée via un renouveau du processus démocratique et l’approche des parties prenantes (appui politique, confiance, communication, implication, coopération, adhésion, marketing public), c’est ce que Hufty (1998) appelle « participation communautaire » (Emery et Giauque, 2005).

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Table des matières

INTRODUCTION
Chapitre 1 : Une profusion de courants théoriques : la réforme publique mise à l’épreuve
Section 1 : Le néo-institutionnalisme sociologique
Section 2 : Le New Public Management
1- L’émergence du NPM comme paradigme politico-économique
2- Le socle théorique du NPM
3- Le modèle théorique de la NGP et ses légitimités sousjacentes
Section 3 : Le New Public Management et le Néo-institutionnalisme sociologique : de quelques convergences et de quelques divergences
Section 4 : Les dérives du NPM comme paradigme politique et économique
Chapitre 2 : La frontière public-privé ou l’interpénétration des périmètres
Section 1 : Institution et Organisation
1-L’institution, une notion polysémique
1-1 Les caractéristiques des institutions
1-2 Les dimensions des institutions
1-3 Les fonctions des institutions
1-4 Le renouveau institutionnel
2-L’organisation, un éclairage conceptuel
3-Institution et Organisation : de quelques convergences et divergences ?
3-1 De la dichotomie institution-organisation
3-2 De la proximité entre institution et organisation
3-3 Institution et organisation, entre dichotomie et proximité
Section 2 : Changement institutionnel et changement organisationnel
1-Le changement institutionnel
1-1 Les théories du changement institutionnel
1-2 Les étapes du processus de changement institutionnel
1-3 Les mécanismes du changement institutionnel
1-4 Le changement institutionnel, un changement incrémental
1-5 Les dimensions du changement institutionnel
1-6 Le renouveau du changement institutionnel par les modèles de « path dependence path shifting »
1-7 Les stratégies de changement institutionnel de politique publique
1-8 Le changement institutionnel dans les 3 I
Section 3 : Le NPM ou comment penser la réforme institutionnelle comme un changement organisationnel
Section 4 : Le changement dans les organisations publiques, un processus complexe
Chapitre 3 : L’analyse sociologique, une autre perspective pour l’étude des politiques publiques
Section 1 : L’analyse stratégique des organisations, un retournement de tendance pour l’étude de la réforme publique
1- Les fondements théoriques de l’analyse stratégique
2- Les concepts clés de l’analyse stratégique des organisations
3- Rapprochement entre analyse stratégique des organisations et néo-institutionnalisme sociologique
4- Rapprochement entre analyse stratégique des organisations et New Public Management
5- L’apport de l’analyse sociologique pour l’étude des réformes publiques
6- Les acteurs au cœur de l’analyse des politiques publiques
Section 2 : Les hôpitaux publics à l’épreuve des logiques managériales
Section 3 : L’hôpital public, un cas propice à l’analyse stratégique des organisations
Section 4 : Le changement dans l’hôpital public, une analyse en différentiel de rythme
Chapitre 4 : L’étude de la réforme des hôpitaux publics, de l’analyse stratégique à la légitimité des acteurs
Section 1 : La légitimité, une définition du cadre conceptuel
1-La légitimité, une diversité des courants théoriques
2-La légitimité, une diversité des critères d’évaluation
3-La légitimité, une pluralité des dimensions
4-La légitimité, une construction sociale individuelle et collective
Section 2 : De l’intérêt d’une approche par la légitimité dans le contexte de la réforme des hôpitaux publics
1-La légitimité, une thématique centrale en management public
2-La théorie de légitimité, la théorie néo-institutionnelle et la théorie des parties prenantes, de quelques convergences et de quelques divergences ?
2-1 La théorie de la légitimité et la théorie institutionnelle
2-2 La théorie de la légitimité et la théorie des parties prenantes
2-3 La théorie néo-institutionnelle et la théorie des parties prenantes
Section 3 : L’hôpital, une organisation professionnelle hétéroclite
3-1 Les caractéristiques d’une organisation professionnelle
3-2 Les professionnels dans l’hôpital public, une tentative de délimitation
Section 4 : La légitimité de l’hôpital public, un pluralisme à questionner ?
Section 5 : La légitimité « intra-organisationnelle » de l’hôpital à la lumière de l’identité professionnelle
Section 6 : De l’éclairage conceptuel de l’identité professionnelle
6-1 La définition de l’identité professionnelle
6-2 Les composantes de l’identité professionnelle
6-3 De la relation entre identité professionnelle, identité individuelle et identité organisationnelle
6-4 Les caractéristiques de l’identité professionnelle
6-5 De la réciprocité de la relation entre légitimité et identité
Section 7 : La légitimité « extra-organisationnelle » de l’hôpital
7-1 L’évolution terminologique du statut des bénéficiaires de l’action publique, entre NPM et « Gouvernance démocratique », une facette du renforcement du pouvoir « communautaire »
7-2 Les parties prenantes externes, une participation active à la construction de la légitimité de l’hôpital public
CONCLUSION

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