L’émergence des instruments économiques dans les approches juridiques de protection de la biodiversité

« Développés en marge de la législation » , les instruments économiques constitueraient un moyen de « pallier les carences des dispositifs juridiques antérieurs et notamment leur inadéquation à l’appréhension des ressources naturelles par le monde marchand » . Loin d’être conceptuellement neutre, le déploiement de ces instruments s’accompagne d’un vocabulaire plus explicitement économique, voire marchand, ainsi que du développement de nouvelles méthodes permettant d’évaluer la valeur économique de la biodiversité et des écosystèmes. Comme le souligne Rémy Petitimbert, les instruments économiques illustreraient, dès lors, un glissement des politiques publiques environnementales « tant dans leurs intentions que dans leur opérationnalisation » . Des liens étroits et réciproques semblent ainsi unir mécanismes de compensation écologique, paiements pour services environnementaux et méthodes d’évaluation économique. Associés aux systèmes d’attribution de valeur exprimée en termes monétaires, ces instruments seraient en effet mobilisés « afin de favoriser l’opérationnalisation des services écosystémiques » . Ce point de vue se confirme à la lecture du rapport d’information de la mission d’information relative aux enjeux et aux outils d’une politique intégrée de conservation et de reconquête de la biodiversité. Celui-ci souligne, d’une part, que « l’intégration des services rendus par la nature dans l’économie pourrait fonder, légitimer un nouveau type de décisions, s’appuyant sur des données économiques, beaucoup plus favorables à la conservation de la biodiversité »  . Il énonce, d’autre part, que « la monétarisation des services rendus par les écosystèmes faciliterait la mise en œuvre d’actions de compensation, en cas d’atteinte impossible à éviter à la biodiversité » . Si les instruments économiques bénéficient d’une résonnance incontestable, ces derniers sont-ils, de même que le lexique économique qui leur est associé, pour autant nouveaux dans le champ du droit ? Nous verrons ainsi que les approches économiques de la biodiversité et des écosystèmes tendent à donner un caractère plus économique à des instruments juridiques préexistants , pour analyser ensuite les incidences générées par cette dynamique d’économicisation sur le cadre conceptuel du droit d’environnement .

L’ÉCONOMICISATION DES INSTRUMENTS JURIDIQUES DE PROTECTION DE LA BIODIVERSITÉ

En dépit du caractère novateur qui leur est fréquemment reconnu, les instruments économiques n’ont, dans une large mesure, rien de nouveau dans leur principe. Comme le relève Valérie Boisvert, « le côté novateur de certains dispositifs est surévalué en raison de nouvelles dénominations, leur conférant de la visibilité et les inscrivant résolument dans la modernisation écologique. De nouveaux noms, traduisant de nouveaux objectifs, sont assignés à des arrangements institutionnels existants, pour les parer, ne serait-ce que de façon symbolique, des attributs d’efficacité attachés au marché dans la théorie économique dominante » . Dans le même sens, Alexandra Langlais souligne, à propos des paiements pour services environnementaux, que leur définition s’appuie « sur une logique particulièrement simple pour payer des comportements vertueux en faveur de l’environnement » . Loin de contribuer à la création de nouveaux outils, l’analyse économique s’emploierait plutôt à étudier et à requalifier des instruments préexistants . L’intérêt politique et scientifique récent dont font l’objet les dispositifs de paiements pour services environnementaux et de compensation écologique ne doit ainsi pas occulter la réalité selon laquelle ceux-ci sont, sous différentes formes et dénominations, partie intégrante des politiques de protection de l’environnement initiées depuis la deuxième moitié du XXe siècle. Bien que ces mécanismes soient regroupés sous le qualificatif d’« instruments économiques », ils sont néanmoins le plus souvent traités de manière distincte dans la littérature économique et juridique qui leur est consacrée. Compte tenu de leurs spécificités, nous nous intéresserons dans un premier temps au déploiement des dispositifs de paiements pour services environnementaux en droit , pour étudier ensuite la mutation des mécanismes de compensation écologique .

LE DÉPLOIEMENT INACHEVÉ DES DISPOSITIFS DE PAIEMENTS POUR SERVICES ENVIRONNEMENTAUX

En dépit de l’engouement des décideurs politiques et de la doctrine pour cet outil, notamment depuis le Millenium Ecosystem Assessment , la réflexion juridique autour des paiements pour services environnementaux accuserait « un certain retard par rapport aux recherches menées en économie et en écologie » . Pourtant, si « cette terminologie ne figure pas encore en tant que telle dans le champ du droit » , le caractère « innovant » qui leur est reconnu doit cependant être relativisé. Ces dispositifs s’imposent en effet comme l’aboutissement d’un raisonnement économique relativement ancien, qui consiste à « intégrer, dans la prise de décision sur l’usage du sol, les externalités (effets qu’une personne crée par son activité sur d’autres personnes, effets qui peuvent être positifs ou négatifs). L’intégration de ces externalités se fait par un paiement direct, contractuel et conditionnel aux utilisateurs et propriétaires locaux des terres, en retour de l’adoption de pratiques permettant de conserver et de restaurer les écosystèmes »  . Compte tenu du fait que « le terme de PSE est parfois utilisé pour reformuler des dispositifs existants » , de nombreux instruments juridiques existants seraient, par conséquent, susceptibles de répondre à cette qualification sans correspondre pour autant à la définition type de Sven Wunder . Les mesures agro-environnementales de la Politique agricole commune (PAC), en particulier, seraient ainsi fréquemment reconnues comme un exemple privilégié de paiements pour services environnementaux . Bien que l’on assiste sous l’impulsion des lois « Grenelle »  et « Biodiversité », à une multiplication des références aux « services environnementaux », « services écologiques » et « services écosystémiques », les mécanismes de rémunération liés à la protection de la nature ne sont pas une nouveauté en droit  . Dès lors que l’on s’attache à l’idée selon laquelle un paiement pour service environnemental vise, par définition, à inciter un individu à protéger l’environnement en contrepartie d’un « paiement », l’analyse révèle qu’une pluralité de dispositifs juridiques  renvoient à cette idée de manière implicite, sans en utiliser le terme. Si l’on peut relever l’existence d’initiatives privées assez largement commentées par la doctrine (expérience menée par la société Vittel-Perrier , contrats de pollinisation , etc.), on observe que les politiques agricole et forestière françaises se sont imposées comme un terrain d’expression privilégié de dispositifs publics rémunérant des individus en contrepartie de la réalisation d’actions favorables à l’environnement (§1). De manière plus récente, la popularisation des réflexions à la fois sur les paiements pour services environnementaux et l’évaluation économique des services rendus par les écosystèmes tend à orienter plus explicitement les dispositifs juridiques existants vers la rémunération des services environnementaux et écosystémiques (§2).

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE LA CONSÉCRATION JURIDIQUE DES INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES POUR LA PROTECTION DE LA BIODIVERSITÉ
TITRE 1.- L’ÉMERGENCE DES INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES DANS LES APPROCHES JURIDIQUES DE PROTECTION DE LA BIODIVERSITÉ
CHAPITRE 1.- L’ÉCONOMICISATION DES INSTRUMENTS JURIDIQUES DE PROTECTION DE
LA BIODIVERSITÉ
CHAPITRE 2.- L’ÉVOLUTION DU CADRE CONCEPTUEL DU DROIT DE LA PROTECTION DE
LA BIODIVERSITÉ
TITRE 2.- LA PLURALITÉ DES ENJEUX DE QUALIFICATION JURIDIQUE SOULEVÈS PAR LES
INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES
CHAPITRE 1.- LA QUALIFICATION JURIDIQUE DES DISPOSITIFS DE PAIEMENTS POUR
SERVICES ENVIRONNEMENTAUX
CHAPITRE 2.- LE CONTRAT, SUPPORT JURIDIQUE PRIVILÉGIÉ DE MISE EN ŒUVRE DES
INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES
DEUXIÈME PARTIE LE NÉCESSAIRE RENFORCEMENT DU CADRE JURIDIQUE DES INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES
TITRE 1.- L’EFFICACITÉ DISCUTABLE DES INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES POUR LA PROTECTION DE LA BIODIVERSITÉ
CHAPITRE 1.- LE CADRE JURIDIQUE DES INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES À L’ÉPREUVE DE LA COMPLEXITÉ DU VIVANT
CHAPITRE 2.- LE CADRE JURIDIQUE DES INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES À L’ÉPREUVE DE LA GESTION DE LA BIODIVERSITÉ
TITRE 2.- L’ENCADREMENT JURIDIQUE INSATISFAISANT DES INSTRUMENTS
ÉCONOMIQUES
CHAPITRE 1.- LA FRAGMENTATION DU RÉGIME JURIDIQUE DES INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES
CHAPITRE 2.- LA RÉGULATION INADÉQUATE DES INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES
CONCLUSION GÉNÉRALE

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