L’émergence de l’autobiographie

Se raconter en racontant ses lectures : une pratique inhérente à la culture de l’écrit

L’émergence de l’autobiographie semble intimement liée à celle d’une lecture considérée comme plus qu’un simple instrument d’acquisition de connaissances. Lire signifie aussi s’éduquer, se perfectionner ou se pervertir, se convertir ou se divertir, et donc entrer dans un cheminement de vie qui peut faire l’objet d’un récit. Ainsi, Les Confessions d’Augustin, souvent tenues pour le prototype du genre autobiographique, sont-elles, en parallèle de l’aveu des fautes, un « itinéraire des lectures » (Jeanmart, 2006, p.12), en un temps où s’invente la pratique de la lecture silencieuse ; la parole qui déclenche la conversion est le « prends et lis! » d’un enfant d’âge scolaire entraînant Augustin dans une épochè de sa culture érudite acquise jusque là, pour s’initier à la lecture biblique. L’idée de noter des fragments de lectures répondait déjà, chez les stoïciens et les premiers pères de l’Eglise, au souci, hérité de Platon, de fixer l’attention pour éviter sa dispersion (Jeanmart, 2006, p.392) ; chez Augustin, c’est la lecture même qui rend possible le retour sur la vie et le récit qui en résulte. Le commentaire qui constitue les derniers livres de l’ouvrage oblige à relire la partie autobiographique à son tour comme vie exemplaire, exégèse du texte biblique. (Jeanmart, 2006, p.

400) Dans Les Essais, autre prototype du « récit de soi », Montaigne prolonge et amplifie ce va-etvient herméneutique entre lectures et vie, commentaire savant et assimilation à la substance du vécu, puisque l’ouvrage avait pour vocation d’être un recueil de citations, avant de devenir portrait d’un « moi », mais en dialogue incessant avec les livres. En revanche, en prétendant former « une entreprise qui n’eut jamais d’exemple, et dont l’exécution n’aura point d’imitateur » (cité dans Lejeune, 1998, p.113), Rousseau exprime ce que Lejeune (1998, p.13) appelle « l’idéologie de l’originalité et de l’individualité liée à l’autobiographie», en contradiction avec l’intertextualité présente déjà dans le titre. « Il y a conflit apparent entre l’idéologie autobiographique et la réalité de l’intertextualité. …» « L’autobiographie ne serait-elle pas toujours autobiocopie ? » (Lejeune, 1998, p.14)

Aujourd’hui (si l’on s’en tient à la population scolarisée des pays de l’OCDE), la dialectique entre l’apprentissage de modèles discursifs, du littéraire au fonctionnel, et leur imitation dans le cadre de la vie courante, ne relève plus, comme on pourrait le croire encore, des habitus d’une élite, mais elle s’apprend en théorie au moins dès le deuxième cycle – on le montrera plus loin à propos du PER. En effet, la lecture n’a plus, comme au 19ème siècle et une grande partie du siècle passé, le statut d’un simple prérequis, une technique préparatoire à l’acquisition de connaissances, mais elle est considérée comme une pratique savante aux facettes multiples, du littéraire au fonctionnel. Aux alentours de 10 ans, l’enfant lecteur est censé être à la fois « compreneur », « polyvalent », « flexible », « usager de lieux de lecture » et « amateur » car, dans un contexte de démocratisation des études, il est considéré comme un futur étudiant (Chauveau, 2004, p.48-49). Loin de n’être qu’un processus mécanique, l’apprentissage de la lecture s’intègre, de pair avec celui de l’écriture, dans des pratiques complexes d’entrée dans la vie écrite tenant de l’acculturation (Chauveau, 2004, p.156). C’est tout à la fois en lisant, en produisant des textes et en parlant de livres que l’enfant s’initie à la culture écrite.

Peu à peu, il devient capable d’élaborer un « projet personnel de lecteur » (Chauveau, 2004, p.159), et pourrait expliciter les raisons qu’il a d’apprendre à lire, qu’elles soient liées à des visées professionnelles, épistémiques ou, plus largement, identitaires. On peut déjà voir dans ce type de projet l’ébauche d’une démarche biographique, même si elle est plutôt « projective » (Chauveau, 2005, p.159) ; il présuppose du moins un lien entre les lectures et l’identité personnelle. La culture scolaire encourage l’étayage réciproque entre lecture et appropriation de modèles par l’écriture. Lejeune (1998, p.14) ajoute que « l’autobiocopie » a été institutionnalisée par l’école comme par le monde de l’édition. On pourrait dire que l’autobiographie de lecteur met en évidence, plus ou moins réflexivement, la démarche mimétique qui se joue finalement dans toute rédaction, même quand elle n’est pas toujours consciente. Mais elle ajoute à ce mimétisme discursif un élément de plus : l’élaboration d’une identité de lecteur et son lien avec la création de textes « originaux », débarrassés de l’illusion dénoncée par Lejeune d’une originalité absolue.

La dimension didactique : alignement curriculaire et pertinence pour l’enseignement de la littérature et le travail de rédaction Annie Rouxel (2012) relève le changement de paradigme que connaissent les études littéraires depuis 2000. S’affranchissant de la conception autoréférentielle prédominante dans les années 70, elles s’intéressent toujours plus à la littérature comme acte de communication et comme expérience de lecture fondée sur l’identification. Trois notions ont été théorisées dans ce sens : le « texte de lecteur » ; l’interlecture, la mise en rapport avec d’autres textes ; et la « bibliothèque intérieure », ensemble de textes plus ou moins imaginaires (car recréés subjectivement), qui contribuent à constituer un sujet lecteur. Ces constructions théoriques rendent possible une approche plus sensible, qui mette l’accent sur l’acte de lecture – avec ce qu’il comporte de tâtonnements et de malentendus –, et qui privilégie l’espace interprétatif intersubjectif à « l’archilecture » (Rouxel, 2012). Dans cette perspective, l’autobiographie de lecteur permet à l’enseignant de connaître les « bibliothèques intérieures » de ses élèves, pour mieux en tenir compte ; elle donne par ailleurs à ceux-ci l’occasion de s’interroger réflexivement sur leur propre relation aux livres et à la lecture.

Ce recentrage sur le sujet lisant contribue aussi à dépasser « le clivage lecture ordinaire/lecture littéraire », qui est en porte-à-faux avec la refondation de l’enseignement du français autour de la notion de discours (Langlade, 2004). En même temps, l’implication du sujet permet de corriger les excès de formalisme vers lesquels la centration sur l’analyse discursive conduit trop souvent. Le passage par le sujet permet de redonner au texte littéraire une spécificité due non plus à une littérarité normative et élusive (le « canon »), mais au ressenti des élèves (Langlade, 2004). L’école obligatoire en Suisse romande s’est inspirée dans son plan d’études de cette double centration sur le discours d’une part et sur le sujet lecteur et scripteur d’autre part. Elle s’efforce de préparer l’élève à reconnaître les objectifs et les règles formelles des textes les plus divers, et à en produire. Par ailleurs, le PER inclut « le récit de vie », dans L1 22, 5e -6e année, auprès du « fait divers » et de « l’esquisse biographique » (PER, Langues) ; de plus, dans le cadre des domaines de « formation générale », il insiste sur les « choix et projets personnels » de l’élève (qui requiert entre autres « l’identification de ses centres d’intérêt personnels ») (PER, Formation générale).

En ce qui concerne l’école post-obligatoire romande, les plans d’études de la Maturité professionnelle et de l’Ecole de Maturité font écho à ces lignes de force du PER : par exemple, ils envisagent ensemble « analyse et production de textes » (PEC MP, 19), et insistent sur des « attitudes », « Lire, dire, écrire. Pour son plaisir, pour se connaître, pour partager, pour mieux vivre… » (Plan d’études Ecole de Maturité – Canton de Vaud, p.21). « Pour se connaître » est à souligner, car cette expression vise précisément l’un des objectifs principaux de l’autobiographie de lecteur et de tout « récit de soi ». Le plan d’études du Gymnase du Soir, conçu en alignement avec les directives de la CSM, le PEC-MAT et le plan d’études vaudois de l’Ecole de Maturité, précise : « l’enseignement du français ne se limite pas à l’exercice des fonctions communicatives et cognitives ; il lui appartient aussi de favoriser les potentialités affectives et créatives de l’étudiant.

Etre à l’écoute de soi pour se dire, s’écrire, se lire s’effectue non seulement dans la conformité au code et par la reproduction de modèles littéraires et poétiques, mais aussi par leur mise en question (…) L’étude du français (…) est ainsi un moment privilégié de la recherche et de l’expression de soi, par l’échange et la confrontation avec autrui dans le respect de son identité culturelle et sociale » (Gymnase du Soir, p.32). Ces objectifs impliquent de dépasser l’analyse discursive et la reproduction de modèles discursifs – sur lesquelles se concentre le PER – afin d’encourager l’affirmation d’une identité et d’une originalité personnelles. La démarche autobiographique portant sur les lectures est d’une utilité non négligeable à cette fin. Non seulement elle peut accompagner et étayer l’étude d’oeuvres littéraires, mais elle pourrait aussi contribuer à l’exercice de la dissertation générale en amenant l’élève à explorer sa propre culture générale ; si l’on file la métaphore de la « bibliothèque intérieure », l’apprenant est amené à ranger celle-ci, à cataloguer ses livres, afin d’y puiser plus aisément des exemples à l’appui de son argumentation.

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Table des matières

I. INTRODUCTION
II. L’AUTOBIOGRAPHIE DE LECTEUR
1. Se raconter en racontant ses lectures : une pratique inhérente à la culture de l’écrit
2. La dimension didactique : alignement curriculaire et pertinence pour l’enseignement de la littérature et le travail de rédaction
3. La dimension pédagogique : autobiographie de lecteur et formation des adultes
III. L’ACTIVITÉ ET SON DÉROULEMENT
Constats sur les travaux rendus
Le rapport aux langues
Attitudes vis-à-vis de la lecture
Les genres de lectures
L’apprentissage de la lecture
Corrélation entre la représentation de la lecture et la maîtrise de l’expression
IV. CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE I
ANNEXE II

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