L’émergence de l’âge adulte

Les conduites à risque 

Le dictionnaire Le Robert illustré (2015) définit le risque comme étant « un danger éventuel plus ou moins prévisible », « un danger ou un inconvénient plus ou moins probable auquel on est exposé », ou encore « l’ éventualité d’un événement qui peut causer un dommage » (p. 1670). La prise de risque, quant à elle, se définit comme étant la propension à s’ engager dans une situation risquée (Michel, Purper-Ouakil, & MourenSimeoni, 2006). Cette tendance adaptative se retrouve chez plusieurs mammifères, dont l’humain (Spear, 2000). En effet, selon la théorie évolutionniste de Zuckerman (2007), la prise de risque permettrait d’ avoir accès à de nouvelles ressources, de développer des habiletés et, ainsi, d’ assurer la survie. La propension à avoir des comportements d’ exploration et, donc, de prise de risque augmenterait avec l’ âge puis atteindrait un sommet vers la fin de l’adolescence. Elle diminuerait une fois adulte en partie à cause des phénomènes d’apprentissage (Rolison, Hanoch, & Wood, 2012) .

Les conduites à risque, quant à elles, sont définies par LeBreton (2007) comme étant: [ … ] des sollicitations symboliques de la mort dans une quête de limites pour exister, ce sont des tentatives maladroites et douloureuses de se mettre au monde, de ritualiser le passage à l’ âge d ‘ homme. Les conduites à risque se distinguent absolument de la volonté de mourir, elles sont des détours symboliques pour s’ assurer de la valeur de son existence, rejeter au plus loin la peur de son insignifiance personnelle. Ce sont des rites intimes de fabrication du sens qui ne trouvent souvent leur signification que dans l’ après-coup de l’ événement (p. 22-23) .

Courtois (2011) soutien que la nature risquée d’une action peut être difficile à cerner pour l’acteur puisque cela nécessite que l’individu effectue un exercice de réflexivité par rapport à ses conduites. Ainsi, il nuance quelque peu la définition de LeBreton en précisant l’existence de deux types de conduites à risque, conduites qui diffèrent selon le risque associé et leur sens. En premier lieu, il y a les conduites à risque qui peuvent traduire des comportements de prises de risque volontaires (risk-taking behaviors). Seules les conduites qui peuvent entrainer des conséquences vitales et immédiates sont incluses dans cette première catégorie (p. ex., sauter en parachute ou conduire une voiture en état d’intoxication) (Adès & Lejoyeux, 2004). Pour Adès et Lejoyeux (2004), l’individu qui prend des risques recherche activement le danger et les sensations fortes. Dans le même sens, Zuckerman (2007), un auteur s’étant intéressé de près à la tendance des individus à rechercher des sensations, définit quatre domaines majeurs de risque relativement aux conduites volontaires: a) le risque criminel (se mettre à risque de vivre une arrestation ou des condamnations judiciaires); b) le risque de commettre des infractions mineures (p. ex., bruler un feu rouge en voiture); c) le risque fmancier (p. ex., gambling ou investissements à la bourse); et d) le risque associé aux sports (p. ex., blessures). Ce type de prise de risque, soit la prise de risques active, serait tributaire d’une tendance personnelle, interne, de recherche de sensations (Adès & Lejoyeux, 2004; Zuckerman, 2007).

En deuxième lieu, il y a les conduites à risque qui se traduisent en comportements de risques indirects (risk behavior) (Courtois, 2011). Dans ce deuxième type de conduites, la prise de risque est associée au comportement mis en œuvre. L’ individu adoptera alors des comportements potentiellement dangereux, c’est-à-dire des comportements qui n’ entrainent pas de risques directs (p. ex., les conduites sexuelles sans engagement), mais qui sont liés à d’ autres conduites qui, elles, sont synonymes de danger (p. ex., les rapports sexuels sans protection). Dans le cas des conduites de risque indirect, l’ étape développementale de l’ individu expliquerait davantage, en théorie, la prise de risque (Courtois, 2011; LeBreton, 2007), notamment par les besoins d’ exploration de soi, du monde et des relations sociales. La prise de risque, dans ce contexte, serait davantage l’ expression d’une recherche de sens à sa vie ou d’une découverte de soi-même qu’ une manifestation d’un trait de personnalité. La prise de risque, toujours dans ce contexte, traduirait des comportements adaptatifs, normatifs, vis-à-vis d’un contexte psychosocial vécu comme étant intense ou contraignant (Courtois, 2011; Figner & Weber, 2011; LeBreton, 2007).

Les adultes émergents 

L’adolescence est une période de transition entre l’ enfance et l’âge adulte qui est difficile à baliser (Spear, 2000) et qui se caractérise par une panoplie de changements au niveau physique, moral, cognitif et social (Bee & Boyd, 2011). Bien que certains de ces changements soient immuables dans le temps (p. ex., la puberté et les changements neurologiques) (Casey, Getz, & Galvan, 2008), certains peuvent être influencés par des facteurs sociaux, telle l’ éducation postsecondaire : cette dernière est reconnue comme retardant la prise de responsabilités traditionnellement associée au passage à la vie adulte (p. ex., la parentalité, devenir propriétaire d’ un immeuble, etc.). Arnett (2007) postule que l’adolescence ne fait pas seulement s’ étirer dans le temps (passant de 12 – 18 ans à 12 – 25 ans), mais se scinde plutôt en deux de manière à former une nouvelle période de transition ayant ses caractéristiques propres. On parle alors de l’émergence de l’ âge adulte (18-25 ans). Cette prolongation de l’ adolescence, en quelque sorte, se distingue par la saillance que prend la quête identitaire, l’ instabilité avec laquelle doivent jongler les adultes émergents, la centration sur soi (égocentrisme), le sentiment d’être entre deux âges (in between) et les possibilités qui abondent entre 18 et 25 ans au niveau professionnel et social, entre autres (Arnett, 2007). Ces caractéristiques, qui orchestrent un mode de vie unique sur le plan développemental, seraient des moteurs importants pour le développement du sentiment d’auto efficacité. Ce sentiment est d’ ailleurs ce qui permettrait de discriminer l’ adulte émergent de l’adulte, surtout aux yeux de la personne elle-même (Arnett, 2000, 2001 , 2006, 2007; Molgat, 2007) .

Bien que la plupart des travaux sur cette période de transition, dont ceux d’Arnett, aient été effectués auprès de participants en contexte d’ études postsecondaires, Tanner (2006) précise que la « transition à la vie adulte » n’est pas circonscrite qu’aux étudiants. En effet, une étude menée auprès de 5579 jeunes hommes âgés de 14 à 22 ans qui ont participé à l’étude américaine « National Longitudinal Study of Youth » révèle qu’ autant les jeunes qui ont poursuivi leur carrière scolaire à la sortie du secondaire que ceux qui sont entrés sur le marché du travail ont vécu une période d’ instabilité où les individus ont butiné d’ emploi en emploi avant de s’engager plus sérieusement sur le marché du travail (Klerman & Karoly, 1994, cité dans Tanner, 2006). Tanner poursuit son argumentaire en expliquant que l’engagement à long terme dans un emploi est lié à un meilleur sentiment de contrôle chez les jeunes adultes et, cela, peu importe la continuité scolaire ou non.

Quoi qu’ il en soit, il demeure que le contexte d’ études postsecondaires a une influence particulière sur cette transition développementale. En effet, des études détaillent comment ce contexte psychosocial est favorable à l’exploration de soi et de ses limites de par les opportunités qu ‘il offre. À titre d’exemple, l’étude qualitative de Dworkin (2005) qui a questionné 32 adultes émergents (50 % hommes et 50 % femmes) qui évoluent dans un établissement d’études postsecondaires américain, cherchait à a) documenter l’ avis des participants sur l’ influence que peut avoir l’ environnement postsecondaire sur leur propension à prendre des risques dans différents domaines (consommation d’ alcool et de drogues, conduites sexuelles, etc.); b) recueillir leurs perceptions par rapport à la valeur adaptative que peuvent prendre de telles conduites dans ce contexte; et, enfm c) mieux comprendre comment la prise de risques est révélatrice du vécu affectif des adultes émergents. L’auteur rapporte que les participants décrivent la prise de risques comme une forme d’ expérimentation active (intentionnée et délibérée) de soi, de qui ils sont et de ce quoi ils sont capables, qui implique un processus d’essais-erreurs. Pour les jeunes de l’ étude de Dworkin, la prise de risques constitue en quelque sorte un test vis-à vis de soi-même, par l’ expérimentation directe des conséquences de leurs choix et décisions. Ils utilisent des expressions comme « tenter quelque chose pour voir ce qui se produira » ou comme « prendre une chance » lorsqu ‘ils expliquent leur prise de risques. Ces expérimentations, utilisant une méthode heuristique (Fortin, 2012), sont appliquées auprès d’une variété de situations et de domaines comme requestionner ses croyances religieuses, rencontrer une personne d’ une autre origine ethnique, consommer de l’ alcool ou de la drogue ou encore, vivre des expériences sexuelles (Dworkin, 2005). Toujours aux yeux des participants, l’environnement postsecondaire participe à cette méthode d’exploration de soi par le temps libre et la plus grande indépendance qui est allouée aux adultes émergents (habiter hors du logis familial ou passer moins de temps avec la famille qu’ avec les pairs, avoir des heures de cours flexibles, etc.), ainsi que par l’ entremise d’une hausse des opportunités à leur portée. À ce titre, la majorité des répondants de cette étude qualitative mentionnent que de rencontrer de nouvelles personnes et d’être exposé à de nouvelles idées ou opinions participent à faire des choix parfois plus risqués (Dworkin, 2005).

Comme les participants de l’étude mentionnent observer massivement ce phénomène chez leurs pairs et que la prise de risque semble si étroitement liée à l’exploration de soi pour ces derniers, Dworkin (2005) pose l’hypothèse que la prise de risque des adultes émergents pourrait manifester ce qu’Erickson nommait le stade « identité versus confusion des rôles ». Ainsi, pour Dworkin, la prise de risques pourrait être un des processus qui balisent une résolution saine de l’émergence de l’ âge adulte (Arnett, 2007; Kroger, 2007; LeBreton, 2007; Schwartz et al., 2010).

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Table des matières

Introduction
Contexte théorique
L’ émergence de l’âge adulte, les conduites à risque et les contacts sexuels sans
engagement: démêler les concepts pour mieux les comprendre
Les conduites à risque
Les adultes émergents
Les contacts sexuels sans engagement
Prévalences
La prise de risques des adultes émergents
La prise de risques des jeunes femmes
Les étudiants postsecondaires
Les conduites sexuelles sans engagement des étudiantes postsecondaires
Portrait.
Modus operandi des contacts sexuels sans engagement.
Conséquences associées
Les corrélats des conduites sexuelles à risque
Limites des connaissances actuelles
Objectif de l’ étude
Méthode
Cadre méthodologique
Les participantes
Collecte de données et éthique
Déroulement
Traitement des données
Procédures d’ analyse
Résultats
Les raisons pour adopter des contacts sexuels sans engagement
Un contexte festif
La consommation de substances psycho actives
L’attirance physique
Le manque de rapports sexuels
Le fait de se faire charmer
Se prouver que l’on peut charmer l’ autre
L’influence des amis
Le fait de se sentir en sécurité
La curiosité
L’ impulsivité
Le sentiment de ne plus pouvoir reculer
Le fait d’être amoureuse de son partenaire
Le sens des contacts sexuels sans engagement.
Une phase unique de sa vie
Faire des apprentissages, vivre ses expériences
En attendant l’ amour
Pour éviter l’ amour
Panser ses plaies
Pour faire tomber l’autre en amour
Discussion  
Les contacts sexuels sans engagement et les besoins d’exploration
Une prise de risques facilitée par l’ intoxication
Une action raisonnée
Les contacts sexuels sans engagement et le besoin d’affection
L’entre-deux
L’espoir de trouver l’amour
Éviter de souffrir dans une relation d’ engagement
Les contacts sexuels sans engagement et le besoin d’estime personnel
Les contacts sexuels sans engagement et les besoins sexuels
Implications cliniques
Limites de l’étude
Conclusion

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