L’émergence de la simulation chez les Anglo-Saxons, de 1969 à 2003
Méthode de recherche
Cette première revue de littérature est réalisée par Issenberg en 2005, à partir de cinq bases de données choisies pour leur complémentarité, tant disciplinaire qu’en périmètre d’investigation : Medline comme banque universelle de données médicales, PsycInfo pour les sciences contributives aux domaines du psychisme et de la santé mentale , Web of Science qui combine en ligne sept bases de données particulièrement en sciences humaines et sociales, Eric dans le domaine général des sciences de l’éducation, enfin, Timelit, plus spécialisée en éducation médicale. Quatre-vingt-onze mots clés emblématiques issus de très larges champs disciplinaires médicaux, éducatifs, relatifs aux institutions de santé ou de formation sont utilisés isolément ou en combinaison booléenne, sur une période de 35 ans.
109 études sont consultées et 109 articles sont retenus par neuf lecteurs indépendants, selon un protocole standardisé. Les critères d’inclusion étaient l’utilisation de simulateurs pour l’évaluation objective des apprenants, aves des résultats quantitatifs ; des dispositifs comparatifs, expérimentaux ou quasiexpérimentaux ; les travaux impliquant la simulation comme unique méthode de formation. L’élimination concernait les articles présentant une méthode empirique.
Principaux résultats
Les résultats obtenus concernent essentiellement la pratique de la simulation selon les principes de l’Evidence Based Medicine (exercice de la médecine fondé sur des preuves scientifiques) ; ils sont exprimés par leurs quotités respectives :
– le débriefing est une étape essentielle de la simulation (47% des articles retenus) ;
– de même que la pratique répétée des séances de simulation (39% des articles) ;
– l’intégration de la simulation dans le curriculum global de la formation initiale ou continue (25%) ;
– la formation doit être réalisée avec des niveaux de difficulté croissants (14%) ;
– en utilisant plusieurs stratégies d’apprentissage (10%) ;
– et en reproduisant des situations cliniques variées (10%) ;
– dans un environnement contrôlé au sein duquel les apprenants peuvent faire, détecter ou corriger des erreurs sans risque (9%) ;
– les expériences pédagogiques en simulation doivent être reproduites, standardisées et impliquer activement les participants (9%) ;
– les objectifs pédagogiques doivent être précis et explicites, permettant des comparaisons et des résultats mesurables (6%) ;
– le simulateur est un outil validé d’apprentissage (3%).
L’actualisation des connaissances de 2003 à 2012 par l’apport de revues de littérature majeures
Méthode
Le premier travail est la revue systématique conduite aux Etats-Unis en 2007 par l’Agency for Healthcare Research and Quality (AHRQ). Les banques de données consultées sont : Medline, Embase, Cochrane Database, Cochrane Central Register of Controlled Trials and Educational Resource Information Centre et Eric. Parmi 68000 références identifiées, seulement 139 articles et neuf revues ont été retenus compte tenu de la pauvreté de la qualité scientifique empêchant d’en tirer des conclusions robustes. Une seconde revue de la littérature, conduite par les auteurs de la première revue (période précédente 1969-2003), selon le même protocole, est publiée en 2010. Ainsi, soixante-huit articles ont été sélectionnés.
Synthèse des principaux résultats
Les auteurs constatent que, si certains résultats, déjà anciens, sont corroborés par ceux d’autres études lors de la même période, d’autres, au contraire, sont controversés et méritent des recherches complémentaires.
Formation à la communication, compétences techniques, et acquisition de connaissances
Certains résultats portent l’intérêt de la simulation pour :
– la formation à la communication : une revue de la littérature concernant la cancérologie met en évidence les avantages de la formation par simulation chez les étudiants pour l’annonce d‘une maladie ou d’une mauvaise nouvelle (ibid, Goldwater, 2001).
– les compétences techniques : il est mis en évidence dans la méta-analyse conduite par Haques et Srinivasan en 2006. Les résultats sont cependant controversés et le niveau de preuve souvent jugé insuffisant.
– l’acquisition des connaissances : démonstration de l’efficacité en ce sens dans la revue de littérature conduite par P. Pastré en 2005 qui rassemble 33 études. Néanmoins, une autre revue concernant l’enseignement de la traumatologie ne met pas en évidence d’avantage par rapport à l’enseignement conventionnel (Gafan, 2006).
Les douze points caractéristiques de la simulation et ses bonnes pratiques dans le domaine de la santé
D’autres résultats sont davantage spécifiquescomme les douze points caractéristiques de la simulation et ses bonnes pratiques dans le domaine de la santé. Notons que les cinq premiers points avaient déjà été repérés, mais peu développés, lors de la première étude.
Le débriefing :
Il est considéré comme la partie la plus importante de la séance de simulation. Les auteurs indiquent qu’il doit être structuré.
En 2008, Salas et al. ont synthétisé les douze meilleures pratiques du débriefing fondées sur les preuves :
– les débriefings doivent avoir un intérêt diagnostique afin d’objectiver les forces et les faiblesses des participants ;
– les conditions environnementales doivent être facilitantes de l’apprentissage ;
– les formateurs et participants doivent privilégier les échanges autour du travail d’équipe ;
– les formateurs doivent recevoir une formation spécifique adaptée ;
– les participants doivent se sentir en confiance et respectés pendant qu’ils témoignent ;
– le débriefing est focalisé sur les quelques points jugés critiques, fondamentaux, choisis par le formateur parmi l’ensemble des sujets de réflexion possibles ;
– les comportements et les interactions d’équipes doivent faire l’objet de descriptions ciblées ;
– des indicateurs objectifs de performance doivent être choisis en amont ;
– les résultats du débriefing doivent être fournis secondairement ;
– le choix du moment du débriefing doit être réfléchi comme le plus propice au débriefing tant dans sa dimension individuelle que collective ;
– le débriefing se déroule dès que possible après la simulation ;
– les objectifs et les conclusions du débriefing doivent être enregistrés pour faciliter des débriefings ultérieurs.
Approfondissant le thème du débriefing, Fanning et Gaba (2007) ont développé la combinaison des diverses composantes favorables à l’apprentissage: le formateur dans sa posture de facilitateur, les enregistrements vidéo et les données fournies par le mannequin simulateur patient.
La posture du formateur influence la qualité du processus réflexif des apprenants :
Dieckmann (2009) et ses collaborateurs, inspirés du modèle de Harden et Crosby (2000), ont démontré la variation des rôles selon les objectifs. Six rôles différents sont mis en évidence : facilitateur, modèle, informateur, expert, planificateur et développeur de ressources. En s’intéressant au niveau de facilitation du processus réflexif, les auteurs ont considéré :
– qu’elle était minimale si la participation des apprenants était faible par rapport à l’investissement du formateur lors du débriefing ;
– qu’elle était regardée comme intermédiaire si les apprenants participaient davantage et que l’on atteignait un niveau de facilitation élevé si le formateur se comportait en « catalyseur » de la participation maximale des apprenants. Cette posture de « débriefeur- catalyseur », enseignant actif, est adaptée des travaux de Dismukes et Smith (2000) concernant la facilitation lors des débriefings en aéronautique.
Le débriefing favorise la pratique réflexive et la confrontation d’idées entre apprenants et permet l’émergence de conflits sociocognitifs, source d’apprentissage dès lors qu’une régulation épistémique de ces conflits est réalisée par le formateur (Darnon et al., 2008). Les travaux de Dubrous et Gynest-Ranchin, (2013) vont dans le sens de l’adaptation de la posture du formateur selon le niveau de compétences des apprenants : posture de guide pour un novice, facilitateur pour un professionnel en exercice et accompagnateur-catalyseur pour un apprenant démontrant la maitrise de son domaine d’activité.
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Table des matières
INTRODUCTION
1 ..Introduction de la problématique théorique
2 …Le contexte dans lequel la question est posée : l’état de l’art de la simulation en santé
2.1 Introduction
2.2 L’émergence de la simulation chez les Anglo-Saxons, de 1969 à 2003
2.2.1 Méthode de recherche
2.2.2 Principaux résultats
2.3 L’actualisation des connaissances de 2003 à 2012 par l’apport de revues de littérature majeures
2.3.1 Méthode
2.3.2 Synthèse des principaux résultats
2.3.3 Matériel et méthode
2.3.4 L’état de l’art national et international sur les pratiques de simulation dans le domaine de la santé dans le cadre du DPC et de la prévention des risques associés aux soins, édité par la Haute Autorité de santé (HAS, 2012)
2.4 La problématisation théorique : introduction du cadre théorique
2.4.1 Matériel et méthode
2.4.2 Principaux résultats
2.5 Conclusion de cet état de l’art
2.6 La problématisation théorique : introduction du cadre théorique
3 ..Les erreurs humaines dans le champ des professions de la santé
3.1 Introduction
3.2 La notion d’erreur
3.3 Association traditionnelle faute – erreur
3.3.1 La notion de faute est souvent associée, à celle d’erreur
3.3.2 La composante de l’erreur issue de la culture judéo-chrétienne : la faute, confondue à l’erreur
3.3.3 Les conséquences sur la problématique de cette recherche
3.4 Le point de vue du droit
3.4.1 Du droit pénal, le caractère intentionnel
3.4.2 Imprudence, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité
3.4.3 La jurisprudence
3.4.4 Statut de l’erreur, en droit
3.4.5 L’aléas thérapeutique et sa réparation
3.5 Epidémiologie et point de vue économique
3.5.1 Une question vive !
3.5.2 Une autre entrée de notre recherche : existe-t-il un lien entre évitabilité des erreurs de soins et formation des professionnels de santé ?
3.6 Brève approche philosophique de l’erreur
3.6.1 Du caractère invisible de l’erreur, les erreurs qui nous dépassent
3.6.2 Les quatre familles d’interprétation de l’erreur cognitive : concernant le caractère cognitif des erreurs, l’approche philosophique rejoint souvent celle des psychologues
3.6.3 L’erreur source d’apprentissage du point de vue des philosophes ?
3.7 Le point de vue des sciences de l’ingénieur, l’approche de l’ergonomie
3.7.1 L’approche fiabiliste
3.7.2 Le courant ergonomique
3.7.3 Les courants psychologique et combinatoire
3.7.4 Vers la performance globale de système
3.7.5 Vers la performance globale de système
3.8 La contribution de l’approche cognitive dans le déterminisme de survenue de l’erreur humaine en simulation, la composante cognitive de l’erreur
3.8.1 Les déterminismes de la commission d’erreurs
3.8.2 La posture de l’apprenant
3.8.3 Les biais cognitifs altérant la vision de la réalité
3.9 Une taxonomie des biais cognitifs
3.9.1 Les erreurs cognitives en lien avec la concentration
3.9.2 Les erreurs liées au niveau de confiance en soi et au dimensionnement de l’ego
3.9.3 Les erreurs liées au collectif
3.9.4 Complément de cette taxonomie par deux autres erreurs ou biais cognitifs reconnus (Lévy, ibid)
3.10 Contribution de la littérature scientifique en matière d’erreurs humaines et ses liens avec notre recherche
3.10.1 Un statut pour l’erreur, du terrain à la formation
3.10.2 Les liens avec le cadre de l’étude
3.11 La question de l’institutionnalisation de l’erreur, de son statut, cette fois-ci, dans le cadre de la formation
3.11.1 Le droit à l’erreur
3.11.2 Discussion autour du repérage des erreurs en formation
3.11.3 Erreur et développement des compétences
3.11.4 L’erreur autorisée
3.11.5 Différentes opportunités temporelles
3.11.6 L’erreur reconnue est partagée
4 ..La réflexivité dans le domaine des sciences de la santé
4.1 Les fondements de la réflexivité dans le champ professionnel
4.2 Une sémantique polysémique
4.3 L’apport de la littérature
4.3.1 Une pluralité d’approche de la reflexivité
4.3.2 Différents niveaux de processus réflexifs
4.4 Des postures réflexives
4.5 Pour un changement de paradigme des formations de santé
4.6 Les institutions assurent la promotion de ces orientations
4.7 De nouvelles exigences
4.8 Comment rendre la démarche réflexive opérationnelle ? Les principaux modèles
4.9 La démarche réflexive-interactive : Louise Lafortune et son équipe
4.9.1 Les composantes de la démarche réflexive – interactive
4.9.2 Modélisation de la pratique
4.9.3 Passer de l’individu au collectif
4.9.4 La démarche réflexive – interactive au service de développement des compétences
4.10 Analyse des traces de la réflexivité
4.11 Critique de la démarche réflexive
4.11.1 Introduction
4.11.2 Quand le modèle lui-même limite la posture de praticien réflexif !
4.11.3 Vers d’autres approches plus critiques de la réflexivité
4.11.4 Quelques recommandations
4.11.5 L’approche traditionnelle, tournée vers l’individu, remise en question au bénéfice du collectif
4.11.6 La réflexivité et ses limites. Le principe de réalité : quand la réflexivité révèle des injonctions institutionnelles
5 ..Le débriefing, intérêt et modèles
5.1 Principes généraux et définitions
5.2 Les bonnes pratiques du débriefing
5.3 La question de la posture du formateur et son lien avec notre recherche
5.4 Des conditions nécessaires en vue de conduire des débriefings
5.5 Les diverses modalités de mise en œuvre possibles : différents modèles de structuration du débriefing
5.5.1 Le modèle de débriefing de Schön (1994)
5.5.2 Celui, plus complexe, de Vermersch (1994)
5.5.3 Le modèle de Fanning et Gaba (2007) repris par Gardner en 2013
5.5.4 L’approche psychologique de Zigmont, Kappus et Sudikoff (2011)
5.5.5 Le modèle d’analyse de la réflexivité de Lafortune (2012)
5.5.6 L’introduction de la forme écrite
5.5.7 Le débriefing par bon jugement, « Good – Judgment Debriefing »
5.5.8 Le débriefing par jugement et celui par non-jugement
5.6 L’évaluation de l’efficacité du débriefing : une question vive !
5.7 De nouvelles considérations à prendre en compte lors du débriefing
5.7.1 Les différences culturelles des apprenants
5.7.2 Le développement de la quête de sens et de l’éthique
5.7.3 La technique ne doit pas se substituer à la réflexivité !
5.7.4 La question de l’inhibition des apprentissages, l’impact du stress des apprenants
5.7.5 Le contexte certificatif
5.8 La question de la plus-value de l’enregistrement audio vidéo lors de la conduite du débriefing
5.8.1 Un sujet controversé
5.8.2 La capacité limitée à repérer ses propres erreurs
5.9 Une nécessaire théorisation du concept de débriefing instrumenté par l’enregistrement audio vidéo
6 ..Elaboration de la trame de la recherche
6.1 L’hypothèse générale
6.2 Les quatre hypothèses opérationnelles
CONCLUSION