L’élision de signes graphiques
De nos jours, presque tout le monde connait ou a entendu parler des réseaux sociaux comme facebook, twitter, linkedln. Ces derniers permettent aux personnes ayant les mêmes affinités de se regrouper, de partager des informations et des idées. Des voix s’élèvent pour mettre en garde sur la menace qu’exerceraient ces réseaux sur la communication écrite. Cependant, des analystes comme Véronis, Guimier De Neef soulignent que « les prédictions alarmistes des années 1970-80, qui voyaient la disparition de l’écrit avec l’invasion de la télévision et du téléphone, se sont révélées totalement erronées : la planète n’a jamais autant écrit ». En ce qui nous concerne, nous appréhenderons la problématique de l’écrit dans sa dimension électronique et comme activité universitaire. Notre objectif consiste à mettre en évidence les ressemblances entre les deux types d’écrits.
Le bon usage consiste à respecter les normes et les règles de la langue qui reste la forme idéale. Avec l’avènement des réseaux sociaux (facebook) utilisés spécialement par les jeunes, la langue change : ils ont engendré des phénomènes d’évolution linguistique. Ces jeunes écrivent comme ils parlent ou entendent, ce qu’on appelle « écrit oralisé ». À ce sujet Alain Bentolila (cité par Christine Legrand), affirme que « L’écrit que pratiquent ces jeunes aujourd’hui a changé de perspective et de nature, dit-il, c’est un écrit de l’immédiateté, de la rapidité et de la connivence : réduit au minimum, il n’est destiné à être compris que par celui à qui on s’adresse. Or, la spécificité de l’écrit par rapport à l’oral est qu’il permet de communiquer en différé et sur la durée : il est arrivé dans la civilisation pour laisser des traces ».
Les raisons qui auraient poussé ces jeunes à créer leur propre langage est le cadre spatio-temporel. En d’autres termes, nous avons à faire à une population scolarisée et qui bénéficie des nouveaux moyens de communication, notamment l’internet. Ces individus sont généralement d’un âge jeune. Cette situation offre aux enquêtés au moins deux possibilités pour communiquer à savoir la classe et les réseaux. Cela donne lieu à deux formes d’écrit. Tantôt les étudiants dans la peau de « facebookiens » utilisent un vocabulaire particulier différent de celui qu’ils emploieraient en cours ou en travaux
dirigés. C’est justement sur des pratiques des activités langagières en classe et les pratiques langagières sur facebook qui est notre objet d’étude.
Jusqu’à un passé récent, les étudiants n’utilisent la langue française que dans le cadre scolaire ou dans discussions quotidiennes. Avec l’avènement de l’Internet et des réseaux sociaux comme Facebook, ces étudiants passent beaucoup de temps sur ces sites et communiquent en permanence avec d’autres Internautes. Cette double utilisation de la langue dans des contextes différents s’influencent-elles mutuellement ? Ou bien l’une exerce plus d’impact sur l’autre ? Enfin, fonctionnent-elles indépendamment l’une de l’autre ? En d’autres, termes, nous voulons savoir si le langage des réseaux sociaux s’invite dans les expressions écrite des étudiants et à quel degré. Pour ce faire, nous avons recueilli un corpus composé d’échanges langagier sur Facebook chez certains étudiants auxquels nous avons également soumis un sujet de rédaction. Notre objectif consiste à dégager l’interdépendance entre l’usage des langues, particulièrement le français, dans une situation formelle (classe) et informelle (facebook).
Les langues en Algérie
L’Algérie présente une situation sociolinguistique plurilingue. C’est un pays où se côtoient plusieurs langues. D’une part, l’arabe dialectale et le berbère avec ses variétés régionales, d’autre part l’arabe classique jouissant du statut de langue nationale officielle et enfin le français considéré première langue étrangère. Cette complexité est relevée par Taleb-Ibrahimi qui affirme que «Ce qui frappe l’observateur lorsqu’il est confronté à une situation semblable à celle de l’Algérie, c’est la complexité de cette situation ; situation complexe par l’existence de plusieurs langues ou plutôt de plusieurs variétés linguistiques» (Taleb Ibrahimi, 1997 :22).C’est pour cela que le mélange de langues dans les pratiques langagières des Algériens est très courant. Nous allons présenter les trois langues en présence ainsi que leurs statuts.
La langue arabe
En Algérie elle est la langue la plus étendue ; elle occupe un grand espace mais aussi un grand nombre de locuteurs. Deux variétés d’arabe sont émergées, l’arabe classique ou littéraire et l’arabe dialectal.
L’arabe classique
La langue officielle du pays, utilisée dans l’enseignement. Elle est la langue écrite utilisée dans des situations de communications formelles. Grand-Guillaume (cité par Habri, 2011:20) souligne que :«(…) sans référence culturelle propre, cette langue est aussi sans communauté. Elle n’est la langue parlée de personne dans la réalité de la vie quotidienne (…) derrière cette langue « nationale », il n’y a pas de « communauté nationale » dont elle serait la langue tout court, dont elle serait bien sur la langue maternelle ». D’après cet extrait, nous comprenons que la politique linguistique algérienne opte pour l’officialité de l’arabe classique, alors qu’elle n’est la langue maternelle d’aucune communauté linguistique. Dans ce sens, Dabene (cité par Chachou, 2013 :73) nous explique qu’il n’y a aucun critère objectif à lequel on se réfère pour choisir une langue au désavantage d’une autre, il ajoute que l’appellation « nationale » est une problématique du fait qu’une langue nationale logiquement devrait se référer à l’oral c’est-à-dire à une langue ou des langues parlées par les citoyens.
L’arabe dialectal
La majorité des Algériens parlent l’arabe dialectal, dit « la darja » qui est la langue maternelle de la majorité « La darja est la langue maternelle de la plupart des locuteurs [algériens]. Cette langue n’existe pas uniquement en Algérie, mais dans tous les pays maghrébins. Cependant, la darja ou l’arabe dialectal varie non seulement d’un pays à un autre mais aussi d’une région à une autre dans un même pays. La darja est née du contact de l’arabe avec d’autres langues » (Seddiki, 2012 :142). Donc lorsqu’on parle d’arabe algérien, il faut comprendre qu’il s’agit de diverses variétés d’arabes algériens : l’arabe algérois, l’arabe oranais, l’arabe constantinois, l’arabe tlemcenien, etc. Et la différence entre ces dialectes demeure clairement dans le lexique et la prononciation.
Le classement des variétés d’arabe algérien est expliqué clairement par Taleb Ibrahimi dans la revue « L’année du Maghreb » :« Cette répartition permet de distinguer, en Algérie, les parlers ruraux des parlers citadins (en particulier ceux d’Alger, Constantine, Jijel, Nedroma et Tlemcen) et de voir se dessiner quatre grandes régions dialectales : l’Est autour de Constantine, l’Algérois et son arrière-pays, l’Orani puis le Sud qui, de l’Atlas Saharien aux confins du Hoggar, connaît lui-même une grande diversité dialectale d’Est en Ouest ».
En revanche, l’arabe algérien n’est pas estimé par le pouvoir étant donné qu’il est toujours considéré comme étant un dialecte incapable de véhiculer une « culture supérieure ».En 1993, le critique Egyptien Husain Taha (cité dans le site Algérie (1) Situation géographique et démolinguistique) avait écrit à propos de l’arabe algérien : « Le dialecte ne mérite pas le nom de langue et ne convient pas aux objectifs de la vie intellectuelle ».
C’est pour cela l’arabe algérien ne trouve pas sa place dans l’enseignement même si il est employé par les enseignants et les apprenants en classe .
La langue berbère
C’est la langue maternelle d’une partie de la population algérienne. La Kabylie est la principale région berbérophone c’est ce que développe Chaker dans son article « Langue et littérature berbère » : « En Algérie, la principale région berbérophone est la Kabylie(…) elle représente à elle seule plus des deux tiers des berbérophones algériens, soit au moins cinq millions de personnes. L’autre groupe berbérophone significatif est constitué par les Chaouias de l’Aurès : autour d’un million de personnes. Il existe de nombreux autres groupes berbérophones en Algérie mais il s’agit de petits îlots résiduels, de faible importance : OuarglaNgouça, Gourara (région de Timimoun), Sud-Oranais(…) Le plus important est sans conteste le Mzab-Ghardaïa et les autres villes ibadhites- qui doit compter de 150 000 à 200 000 personnes. Le troisième et dernier grand ensemble berbérophone est constitué par les populations touarègues (…) » (Chaker, para.5).
Le berbère (tamazight), est une langue orale des berbérophones. Après les tentatives de revendications de 2002 pour la valorisation linguistique de la langue berbère, le tamazight est reconnu comme langue nationale avec l’introduction de cette dernière dans l’enseignement mais qui reste marginal et facultatif, enseignée que dans les écoles des wilayas Kabylophones : Bejaïa, Tizi-Ouzou et Bouira, alors que les berbérophones demandent que la langue tamazight soit reconnue comme langue officielle de l’Algérie.
Depuis plus d’une décennie les berbérophones réclamaient la reconnaissance d’un véritable statut de la langue tamazight. L’année 2016, prochaine étape de tamazight ; l’Etat Algérien est appelé à promouvoir son statut officiel. La langue tamazight reconnue langue officielle dans l’avant-projet de révision de la constitution dans l’article 3 bis le 28 décembre 2015 «Tamazight est également langue nationale et officielle(…) » Le mardi 5 janvier 2016, le projet a été rendu public par le directeur de cabinet de la présidence de la république, Ahmed Ouyahia. Publié dans le journal en ligne « Le Monde.fr ».
Le français
La langue française est considérée en Algérie comme la première langue étrangère, une langue du savoir, de prestige et de la modernité. Certes, cette langue occupe une place fondamentale dans tous les secteurs : social, éducatif, économique. Du coup, l’Algérie est considérée comme deuxième pays francophone au monde, mais elle n’est pas une langue officielle du pays.
C’est ce qu’affirme Sebaa : « En effet, la réalité empirique indique que la langue française occupe en Algérie une situation sans conteste, unique au monde. Sans être la langue officielle, elle véhicule l’officialité, sans être la langue d’enseignement, elle reste une langue de transmission du savoir, sans être la langue d’identité, elle continue à façonner de différentes manières et par plusieurs canaux, l’imaginaire collectif. Il est de notoriété publique que l’essentiel du travail dans les structures d’administration et de gestion centrale ou locale, s’effectue en langue française. Il est tout aussi évident que les langues algériennes de l’usage, arabe ou berbère, sont plus réceptives et plus ouvertes à la langue française à cause de sa force de pénétration communicationnelle ». (Sebaa, 2002: 85).
Cela n’empêche pas que le français garde toujours son prestige dans la société algérienne, il occupe en une place importante dans les mass médias écrits (La dépêche de Kabylie, El Watan, Liberté, Le soir d’Algérie, El Moudjahid etc.), dans les médias audiovisuels ; télévision (Canal Algérie), radio (Alger Chaine 3).
Définitions de quelques concepts
Le bilinguisme / Plurilinguisme
Afin de mieux expliquer la complexité de la situation, Chachou (2013 :36) illustre l’exemple de Mammeri, un locuteur berbérophone utilise diverses langues : « Un Algérien moyen qui travaille à Alger, un berbérophone, par exemple. La matinée, quand il se lève, chez lui il parle berbère. Quand il sort se rendre à son travail, il est dans la rue et dans la rue, la langue la plus communément employée c’est l’arabe algérien. Il devra donc connaître ou posséder au moins en partie ce deuxième instrument d’expression. Quand il arrive à son travail la langue officielle étant l’arabe classique, il est tout à fait possible qu’il y ait des pièces qu’ils lui arrivent dans cette langue et qu’il va devoir lire. Il lui faudra donc posséder peu ou prou l’usage et l’utilisation de cette langue. Une fois passé ce stade officiel, le travail réel se fait, en général, encore actuellement en français » (Mammeri, 1985 : 153). L’utilisation de ces langues par un locuteur dépend du contexte où il se trouve confronter. On le trouve pratiqué également par le sujet parlant sous forme de bilinguisme.
Pour définir le bilinguisme nous ferons appel à la définition de Martinet : « …il est nécessaire de redéfinir le terme de bilinguisme (emploi concurrent de deux idiomes par un même individu ou à l’intérieur d’une même communauté) ne serait-ce que pour exclure l’implication très répandue qu’il n’y a bilinguisme que dans le cas d’une maîtrise parfaite et identique de deux langues en cause » (cité par Taleb Ibrahimi, 1997 : 50). Cette définition est très singulière, du fait qu’elle vise tout individu qui maîtrise parfaitement les langues qu’il parle en alternance.
Conclusion générale
La présente recherche a été motivée par la volonté de mettre en relief les deux écrits des étudiants, à savoir l’écrit formel sous forme de production écrite et l’écrit informel sur facebook pour ressortir les similitudes et dissimilitudes entre ces deux activités langagières. Plus précisément, nous cherchons à savoir s’il est question de ressemblance uniquement ou de véritable influence dans un sens ou réciproque. Notre objectif consistait à mesurer le degré de dépendance de nos enquêtés par rapport au réseau social (facebook) et ses répercussions sur l’usage de la langue française dans leur cursus universitaire.
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Table des matières
Introduction générale
1. Problématique
2. Hypothèses
3. Choix et motivations
4. Méthodologie et corpus
5. Plan et organisation du travail
Première partie : Cadre théorique
Chapitre I: La situation sociolinguistique en Algérie
Introduction
I.1. Les langues en Algérie
I.1.1. La langue arabe
I.1.1.1. L’arabe classique
I.1.1.2. L’arabe dialectal
I.1.2. La langue berbère
I.1.3. Le français
I.2. Définitions de quelques concepts
I.2.1. Le bilinguisme / Plurilinguisme
I.2.2. Contact de langues
I.2.3. L’alternance codique
I.2.4. Interférence
Conclusion
Chapitre II : Les procédés de la création lexicale
Introduction
II.1. Procédés de la création lexicale
II.1.1. L’emprunt / le calque
II.1.2. Abréviation graphique
II.1.3. Néologismes et néographies
II.1.3.1. Niveau phonétique
A. Les graphies phonétisantes
B. Les squelettes consonantiques
C. Les syllabogrammes et rébus à transfert
D. Les étirements graphiques
II.1.3.2.Les particularités morpho-lexicales
A. La troncation
B. Anglicismes
C. Verlan
D. Les onomatopées
Conclusion
Chapitre III : L’aspect didactique
Introduction
III.1. Le module d’écrit
III.2. Définition de quelques éléments
III.2.1. Écrit/un écrit
III.2.1.1.Écrit
III.2.1.2.Un écrit
III.2.2. Écriture/lecture
III.2.2.1.Écriture
III.2.2.2. Lecture
III.2.2.3. Interaction entre lecture et écriture
III.3. Les deux plans de la langue (oral/l’écrit)
III.4. L’orthographe
III.4.1. L’orthographe lexicale
III.4.2. L’orthographe grammaticale
III.4.3. Orthographe : étudiants/apprenants
III.5. Production écrite
Conclusion
Deuxième partie: Méthodologie d’enquête et analyse du corpus
Chapitre I: Protocole d’enquête
Introduction
I.1. Présentation des techniques d’enquête
I.1.1. L’échantillon d’étude
I.1.2. Justification du choix d’échantillon
I.2. Déroulement de l’enquête
I.2.1. Le recueil des 100 discussions de notre corpus
I.2.2. Le recueil des productions écrites
I.3. Interprétation du corpus
I.3.1. Corpus I : les discussions sur facebook
I.3.2. Corpus II : les productions écrites
Chapitre II: L’architecture des séquences discursives
Introduction
II.1. Modalités de création d’un groupe de discussion instantanée sur Facebook
II.2. Fréquence des interventions des membres
II.2.1. La composante humaine du groupe
II.2.1.1. Les catégories d’énonciateurs
II.2.2. Décryptage des discussions d’un point de vue individuel
II.2.2.1. Classement catégoriel des membres selon leur taux de connexion
II.3. Connexion hebdomadaire des membres
II.4. L’organisation de l’échange
II.5. L’identité numérique des membres
Conclusion
Chapitre III: Analyse linguistique des conversations sur Facebook
Introduction
III.1. Registres de langue
III.2. Niveau lexical
III.3. Niveau morphosyntaxique
III.3.1. Alternance codique dans les conversations sur facebook
III.3.1.1.Analyse typologique
III.3.1.2.Types d’alternance codique
A. L’alternance intraphrastique
B. L’alternance interphrastique
C. L’alternance extraphrastique
III.4. Niveau phonétique et morpholexical
III.4.1. Particularités phonétiques
III.4.1.1.Graphies phonétisantes
A. Réductions graphiques
B. Réduction avec variantes phonétiques
III.4.1.2.Les squelettes consonantiques
III.4.1.3. Les syllabogrammes et rébus à transfert
III.4.1.4.Les étirements graphiques
III.4.2. Les particularités morpho-lexicales
III.4.2.1. Troncation
III.4.2.2. Anglicisme
III.4.2.3. Les onomatopées
III.4.2.4. Verlan
Chapitre IV: Analyse des productions écrites
Introduction
IV.1. Conditions de production des expressions écrites
IV.2. La structure externe des productions écrites
IV.3. La structure interne
IV.3.1. Progression thématique (cohérence textuelle)
IV.3.1.1.L’organisation thématique
IV.3.1.2.Thème et rhème au niveau phrastique
IV.3.2.La cohésion textuelle
IV.3.2.1.Les connecteurs
IV.3.3. Mode d’énonciation
IV.3.4. Objets de discussion des deux productions
IV.3.5. Registres de langue
IV.3.6. Types d’informations
IV.4. Les éléments présents dans les copies des étudiants
IV.4.1. Interférence de la langue maternelle dans les écrits des étudiants
IV.4.2. L’impacte de l’oral
IV.4.2.2.La ponctuation
IV.4.2.3.La redondance
IV.4.3. Particularités morpho-lexicales
A. La troncation
B. Abréviation graphique
C. Anglicisme
IV.4.4. Les réductions graphiques
IV.4.5. L’élision de signes graphiques
Conclusion
Conclusion générale
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