La cohérence textuelle dans les programmes de l’école primaire
Tout d’abord, il faut noter que le terme cohérence textuelle n’apparaît pas en tant que tel dans les programmes actuels , mais il y est fait référence par le biais d’autres notions.
À la lecture des programmes du cycle trois, on peut voir que la construction de la cohérence des textes ne se travaille pas uniquement en écriture. En effet, les programmes rappellent que l’enseignement de la lecture est étroitement lié à celui de l’écriture. A partir de la lecture de courts textes ou d’œuvres longues, les élèves déterminent ce qui assure la cohérence du texte : son organisation (paragraphes avec une idée principale qui est explicitée), le rôle de la ponctuation et des mots de liaison, mais aussi l’usage de pronoms et des champs lexicaux (qui se rapportent à la règle de répétition). Cet entraînement à la lecture analytique permet de dégager les principales caractéristiques du texte que les élèves pourront utiliser en production d’écrits.
L’apprentissage de l’écriture de textes cohérents passe également par le biais de l’étude de la langue puisque la construction des phrases et du texte nécessitent d’étudier la grammaire, le vocabulaire et la conjugaison.
Ainsi, la cohérence textuelle se travaille de façon transversale. De plus, elle se construit durant les trois années du cycle. A tous les cycles, les élèves sont amenés à travailler la répétition et doivent donc connaître et utiliser tous les outils de la langue permettant de l’éviter. Ensuite, cet apprentissage passe par la précision sous plusieurs aspects : dénomination des personnages et emploi des adjectifs au CE2, usage des pronoms et mots de liaison au CM1 afin de maîtriser l’ensemble de ces règles à la fin du CM2.
La cohérence textuelle au sens des programmes se définit donc comme le fait de travailler avec précision, en utilisant tous les outils de la langue pour produire un écrit respectant les contraintes syntaxiques et orthographiques. La construction de la cohérence textuelle à l’école élémentaire passe donc par la compréhension des différentes unités linguistiques afin de les faire combiner entre elles. Mais cela passe également – avec l’aide de la lecture, par l’observation des schémas d’écriture.
Ces objectifs rentrent dans l’acquisition des compétences prévues dans le socle commun des connaissances et des compétences , qui rappelons-le regroupe les compétences et connaissances que doivent maîtriser chaque élève à la fin de la scolarité obligatoire. Le socle commun rappelle qu’en terme de capacités, chaque élève doit pouvoir « rédiger un texte bref, cohérent, construit en paragraphe, correctement ponctué [tout] en respectant des consignes imposées » qui dépendent du type de texte à produire. Ensuite, l’élève doit pouvoir adapter son écrit à son destinataire. Mais il est aussi essentiel qu’il réfléchisse à la logique interne de son discours puisqu’il doit réfléchir à l’effet recherché par cet écrit. Il est donc attendu des élèves qu’ils maîtrisent l’écriture tant sur le plan syntaxique que discursif et qu’ils connaissent lescodes des différents écrits (narratif, descriptif, etc.) qu’ils sont amenés à rencontrer.
Cadre théorique
Cette partie rassemble l’ensemble des avis de littérature concernant la construction de la cohérence textuelle dans les productions d’élèves. Et c’est à partir de la description et de l’explicitation de ces différents avis que j’expliquerai ensuite mon cadre conceptuel, qui comprend ma problématique ainsi que l’ensemble des questions et hypothèses que soulève mon sujet. Les hypothèses que j’ai formulées ont nécessité de ma part des recherches sur trois grands axes de réflexion. Tout d’abord, il m’a paru essentiel pour travailler l’écrit de prendre en compte le vécu ainsi que les représentations des élèves sur l’acte d’écriture couplées avec un genre littéraire spécifique, le roman policier. Réfléchir à la place de l’écriture pour les élèves a pour objectif de déterminer les moyens pouvant être mis en place par eux dans le processus de production. De plus, il convient de voir quelle place peut être donnée à l’oral lors des activités de production d’écrits. Enfin, nous verrons en quoi la construction d’une posture d’auteur chez l’élève peut lui permettre de mieux s’organiser dans son écrit.
Les élèves et l’univers policier
Relever le vécu ainsi que les représentations des élèves sur l’écriture et sur le genre policier est intéressant car on peut mettre en lumière les obstacles que les élèves peuvent rencontrer lors des activités de production d’écrit. Cela permet ainsi d’adapter les objectifs ainsi que les attentes face à cet enseignement et plus globalement prendre en compte la personne de l’élève et donc de l’auteur du texte (Reuter, 1996 ; Bosredon, 2014).
Certains élèves baignent dans l’écrit, que ce soit à l’école ou dans le cadre privé. Ils ont l’habitude de lire des livres, d’écrire et inventer des histoires. Ils en voient donc l’utilité, ils comprennent l’enjeu d’une bonne maîtrise de l’écriture car ils ont conscience que c’est un outil de socialisation et que la compréhension de l’écrit ouvre l’individu au monde qu’il peut comprendre et avec lequel il entre en interaction (Colin, 2011). Ici, les élèves ont moins de mal à comprendre que le texte doit avoir une logique et a un code particulier qui doit être respecté pour faciliter la communication.
Pour d’autres élèves, l’écrit est purement académique, certains d’entre eux n’écrivant que dans le cadre de l’école. Dans ce cas de figure, les représentations des élèves sur l’écrit et l’acte d’écrire vont influencer leur capacité à produire des textes cohérents.
Ce rapport à l’écriture – sans pourtant tomber dans les travers du déterminisme -, serait à mettre en relation avec le milieu socio-culturel de l’élève car ce dernier influence le rapport qu’ont lesélèves et leur famille avec l’apprentissage scolaire de l’écrit. Si le milieu dans lequel vit un élève n’influence pas sa perception quant à l’importance de l’écriture, il existerait en revanche une différence quant au rapport à l’écrit. « L’écriture scolaire devient le prototype de l’écriture » (Barré de Miniac, 2002), ce qui fait perdre à cette pratique ses autres finalités. L’écriture perd son sens et n’est plus perçue comme un mode de communication et d’expression mais simplement comme un des moyens d’accéder à la classe supérieure et de satisfaire les attentes des enseignants. On note donc que l’écriture, chez ces élèves, a une finalité purement académique et que son apprentissage ne vise que le respect de la norme scolaire. Ce rapport à l’écriture peut traduire un faible – voire un manque – d’usage de l’écrit dans des situations extrascolaires, le fait d’aimer écrire ou non, ou encore le degré d’utilité que l’on affecte à l’écrit.
Pour Barré de Miniac, C. (2002), il n’y a pas de cause prévalant sur les autres, le rapport de chaque individu face à l’écrit est la réunion de plusieurs facteurs, mais il ressort que l’écrit perd en sens pour certaines catégories d’élèves (notamment ceux issus de milieux défavorisés). En revanche, le plaisir d’écrire est présent chez les élèves. C’est en tout cas ce que nous montre Bosredon, C. (2014) dans une étude menée auprès d’élèves de cycle trois et de milieux sociaux différents qui associent, dans 52% des cas, écriture et plaisir. Il y a donc chez les élèves une volonté de produire des textes. On relève d’ailleurs dans cette même étude que l’écriture d’invention a une place privilégiée chez les élèves qui y voient un moyen de s’exprimer plus librement.
Que les élèves soient habitués à produire des textes ou non, qu’ils y voient un certain intérêt et en tirent un plaisir ou non, produire un texte, et tout ce que cela implique, est difficile. Plusieurs actions sont à considérer par les élèves lorsqu’ils sont en situation de production d’écrits : Il[s] doi[vent] conjuguer des dimensions graphiques et des dimensions scripturales, traiter l’articulation des différents niveaux linguistiques (phrase, texte, discours), coordonner des réponses à des contraintes contradictoires liées aux contextes de réception et de production et prendre en compte la difficulté de l’acculturation écrite (Le Brun, 2007).
Produire un écrit implique donc des élèves une certaine rigueur qu’il faut allier avec le plaisir d’écrire. Construire un texte cohérent est une tâche laborieuse car cela nécessite – outre la maîtrise de la langue orale et écrite-, de comprendre la fonction de l’écriture et l’acte d’écrire en lui-même. Il est donc primordial de donner aux élèves les outils facilitant l’accès à l’écriture mais surtout de les aider à changer leurs conceptions sur les fonctions de l’écriture.
En plus des représentations des élèves sur l’écriture et l’acte d’écrire, il faut prendre en compte leur vécu face à un genre littéraire particulier : le récit policier. Choisir de travailler à partir d’un genre spécifique peut avoir plusieurs intérêts.
Cela montre tout d’abord qu’on répertorie un contrôle du langage plus fort. En effet, produire un écrit en se basant sur les caractéristiques d’un genre (schéma narratif, mise en place d’une atmosphère, personnages récurrents) montre que l’on maîtrise déjà des formes plus ordinaires de langage telles que la conversation ou le récit d’événements vécus (Reuter, 1996). D’où l’intérêt de faire écrire les élèves à partir d’un genre spécifique. Selon Bronckart (1994 : 378), qui est repris par Reuter :
La prise en compte des genres est capitale pour notre compréhension des processus d’écriture et de lecture.
D’abord parce que les exemplaires d’un genre constituent les seules réalités empiriquement attestables de la production langagière : l’homme ne s’exprime qu’en produisant ‘du texte’ relevant d’un genre particulier.
Ensuite parce que ces entités empiriques relevant d’un genre constituent les seules véritables unités linguistiques de rang supérieur.
Produire un écrit se basant sur les caractéristiques d’un genre spécifique suppose donc que l’élève se soit imprégné du style et ait relevé les éléments permettant de construire un texte.Le texte cohérent basé sur un genre tel que le genre policier est donc un texte qui respecte les normes de texte générales mais également les normes du genre. Utiliser un genre de texte nécessite des élèves de comprendre la logique des auteurs qu’ils vont rencontrer au cours de leurs lectures mais surtout de comprendre qu’en fonction du genre, il faut adopter un style d’écriture bien particulier pour toucher le lecteur. Le travail d’écriture qui utilise les genres de texte permet aux élèves de comprendre qu’il est important d’adopter une logique interne propre au discours qu’il envisage de produire.
De plus, les écrits rencontrés par les élèves dans les cadres scolaire et extrascolaire appartiennent en général à un genre particulier. Même si les élèves seront plus souvent confrontés à des écrits de type fonctionnels ou informatifs dans leur quotidien, ils découvrent également les écrits littéraires qui leur apportent les références dont ils ont besoin pour se constituer une « culture littéraire commune », comme il est préconisé par les programmes de l’école primaire.
Les élèves ne maîtrisant pas les codes de la production d’écrits de façon innée, il est intéressant de leur présenter les différents cadres possibles afin qu’ils aient une base de travail pour qu’ils puissent ensuite prendre plus de liberté dans leurs textes, car comme le rappelle Reuter, « l’œuvre réussie, originale, est justement celle qui rompt avec les lois du genre » (1996 : 126). L’univers policier n’est pas inconnu pour les élèves. Ils ont généralement des connaissances sur ce genre grâce aux activités antérieures qu’ils ont pu mener sur ce thème au cours de leur scolarité, mais aussi une connaissance des séries policières ou de faits divers. Cela a un certain avantage. Tout d’abord, d’un point de vue langagier, le fait de connaître le genre policier donne un premier aperçu aux élèves des événements narratifs récurrents dans ce genre de textes. Ils ne partent pas de quelque chose qui est totalement inconnu, ce qui peut faciliter leur accès à la construction d’un texte cohérent dans la mesure où ils savent quand faire apparaître tel ou tel élément dans le texte. Gion (1998) rappelle d’ailleurs l’importance de travailler avec ce que les élèves connaissent ont vu, le « déjà-là » :
En partant de ce qu’il connaît, on peut mieux guider l’enfant sur le chemin de la découverte, l’aider à acquérir des connaissances sur le genre policier, à affiner son regard et son esprit critique dans l’exercice quotidien de la télévision […].
Mais il faut aussi retenir que le vécu ainsi que les représentations des élèves sur un genre policier peuvent être un frein à l’acquisition d’une norme d’écriture basée sur ce genre spécifique. En effet, les élèves peuvent avoir une vision réduite de l’ensemble de l’univers policier qui est pourtant très étendu. Cogis (2002) montre d’ailleurs qu’une trame policière est souvent ramenée à ce qui est fait à la télévision car pour cette auteure, « les représentations du genre sont d’emblée très stéréotypées et de surcroît essentiellement déterminées par les séries TV : le roman policier implique un policier, des pistolets, des armes, des crimes ». De plus, le schéma narratif du récit policier est parfois plus dense que ce qui est retenu par les élèves et nécessite donc une fréquentation de plusieurs textes policiers.
En amont de la production d’un récit policier, il y a toute une réflexion à mener par l’auteur sur les différents éléments du texte : les personnages, leur caractère, les traits distinctifs ou leur apport dans le récit ; ce qui doit être révélé au lecteur, à quel moment et pourquoi ; les indices pouvant aidés à la résolution de l’enquête dans le cas d’un roman à énigme par exemple, et bien d’autres éléments.
L’élève auteur : une posture pour la construction de la cohérence textuelle ?
Les façons d’aborder la production d’écrit à l’école sont multiples (Bucheton, 2014). Il y a le modèle ancien de la rédaction basée sur le respect de la norme orthographique, lexicale et syntaxique dans lequel l’écrit est l’occasion d’évaluer les capacités en matière de code. Il y a aussi la pratique selon laquelle on s’intéresse au type de textes ainsi que les processus rédactionnels et cognitifs engagés en production d’écrits. Cela se manifeste notamment par la création de grilles d’évaluation ou de relecture à partir desquelles on établit une liste de critères pour analyser les erreurs afin d’y remédier. Le tableau EVA (Groupe EVA, 1991 : 57) en est un des exemples les plus célèbres (Annexe I). Parmi ces deux modèles d’apprentissage peut être ajouté le modèle des ateliers d’écriture qui s’intéresse « à la singularité des individus dans l’expression de leurs affects ou de leur imaginaire, de leur passion pour la langue » (Bucheton, 2014 : 171). Dans ce modèle, l’accent est mis sur les jeux de langue, la production d’écrit est abordée sous un angle ludique.
Si aujourd’hui l’enseignement de la production d’écrits à l’école primaire est la réunion de ces différents courants, pour Le Brun (2007) et d’autres auteurs, « la tendance actuelle […] tend à passer d’une didactique de l’écriture centrée sur les écrits et les situations d’écriture à une didactique centrée sur le sujet écrivant et sur l’acte d’écrire ». L’auteur du texte est mis en avant, on prend en compte la personnalité et l’originalité de l’élève pour l’aider à mieux maîtriser l’écrit. En plus de cette considération pour le sujet écrivant et sa singularité, l’enseignement de l’écriture passe par la construction chez l’élève d’une posture d’auteur.
Pour parler de la posture d’auteur, il faut avant tout prendre en compte le fait que dans cette hypothèse, la littérature a une place importante dans l’écriture. La notion d’écrit littéraire en production d’écrits revient souvent dans les revues littéraires . L’écriture littéraire suppose que l’on utilise la production d’écrits comme un enseignement de l’écriture à la façon d’un auteur qui prend des libertés, montre son côté créatif, qui en dit parfois peu et qui laisse certaines
choses en suspens ou plus globalement qui connaît bien les schémas narratifs mais qui en use avec plus de libertés. L’écriture littéraire est le fait de valoriser chez l’élève la prise de décision sur son texte, de créer une réelle réflexion sur son écrit (Tauveron, 2002). Il ne faut pas laisser de côté la norme mais il faut partir du principe qu’à partir du moment où elle est connue et a été travaillée, il faut aller au-delà de la norme d’écriture pour laisser les élèves exprimer réellement leur propre logique. L’écriture littéraire est le fait que l’on prenne en compte le style de l’écrivain, sa façon de mettre en texte ses idées (Plane, 2006).
Associer littérature et production d’écrits est donc l’occasion pour l’élève de voir les différentes méthodes des auteurs (notamment par la pratique de la lecture en réseau), pour trouver les similitudes, les spécifiés afin de se forger sa propre idée sur ce qu’est un auteur de tel ou tel genre.
Pourquoi produire un écrit littéraire ? Car il est important que les élèves aient des référents solides qu’ils trouvent dans la littérature du genre travaillé. De plus, c’est inscrire les élèves dans un processus de création qui ait du sens afin d’éviter aux élèves de « produire […] des écrits incohérents ou guidés par la pure rédaction scolaire » (Crinon, 2006 : 17).
Le roman policier est un genre littéraire étudié à l’école primaire comme nous l’avons précisé précédemment. Il impose donc d’associer littérature et écriture afin d’aider les élèves à comprendre le fonctionnement du texte. Cette compréhension du fonctionnement du texte lu a pour finalité d’observer et de comprendre quels mécanismes sont adoptés par les écrivains du genre. Ainsi, les élèves peuvent à leur tour adopter ces mécanismes pour construire un texte cohérent. La fusion entre littérature et écriture a pour objectif de créer chez l’élève le besoin de « manifester une intention » (Crinon, 2006 : 20) mais surtout de faire comprendre aux élèves qu’un auteur a la volonté de transmettre quelque chose et que l’acte d’écrire doit être compris.
Cadre conceptuel
A travers ces recherches, il ressort que la construction de la cohérence textuelle par les élèves est un processus difficile. Je me suis donc demandé comment la cohérence textuelle est construite en production d’écrits au cycle 3. Je souhaite déterminer quels sont les moyens mis en œuvre par les élèves pour construire un texte cohérent. Quels outils utilisent-ils ? Font-ils plus attention aux relations logiques ou aux relations sémantiques dans les textes ? Quelle place ont les connaissances des élèves sur un type de récit dans leur aptitude à produire un texte cohérent ?
Ces questions m’ont amenée à formuler plusieurs hypothèses.
– Tout d’abord, je pars de l’hypothèse selon laquelle un élève produisant un texte sur le thème du récit policier va faire appel à ses connaissances du schéma narratif pour écrire et que plus ce schéma est connu plus il sera capable de l’exploiter afin que le texte soit cohérent.
– Ensuite, la formulation à l’oral des différentes étapes du récit les rend plus claires. Cela a pour conséquence de faciliter la transcription du récit pour l’élève, qui va y apporter une révision et donc le rendre plus cohérent.
– Enfin, la construction de la posture d’auteur chez l’élève, notamment à travers l’instauration d’un carnet d’écrivain, dans la responsabilité de restituer les événements du texte au lecteur,peut être bénéfique pour la construction d’un texte cohérent.
Ces hypothèses étant formulées, il convient de présenter la méthode adoptée pour traiter les données recueillies afin de présenter mes résultats.
Présentation et discussion des résultats
Les représentations et le vécu des élèves
Les références culturelles des élèves dans les textes
Les élèves ont fait usage de leurs références culturelles majoritairement issues de la télévision lors du travail écrit. Une enfant m’a confié avoir réécrit un épisode de la série Les Experts.
Le schéma narratif
Les éléments du schéma narratif ont été étudiés par les élèves au cours d’une séance et ils devaient les restituer en phase de rappel au cours des séances suivantes. Ils ont utilisé un support pour répondre à des questions à partir d’un support visuel (Annexe III).
L’intitulé est : « Dégager la structure d’un texte »
La consigne était la suivante : « La plupart des romans policiers respectent une structure en cinq parties. Aide-toi de ces extraits du livre John Chatteron Détective de Yvan Pommaux pour décrire ces cinq parties ». Voici le découpage proposé dans la fiche d’activité :
1) La situation initiale 2) Le problème 3) Les actions 4) La résolution du problème 5) La situation finale.
Quelques exemples de textes produits après cette séance (d’autres exemples en Annexe V). Récit de Judmaël.
Analyse des résultats
Pour certains auteurs (Gion, 1998 et Cogis 2002 : 86), « le genre policier est omniprésent dans la société, que ce soit sous forme de romans et nouvelles, ou de films, téléfilms, jeux vidéo ». Pour autant le genre serait faussement représenté. On distingue trois sous genres appartenant à l’univers policier :
– Le roman à énigme
– Le roman à suspense
– Le roman noir
Ces sous genres peuvent être présents dans un même récit et ils sont d’ailleurs souvent confondus (Cogis, 2002). C’est ce que l’on peut remarquer à travers les écrits des élèves.
On note que le roman à énigme est prépondérant et les mêmes éléments reviennent très souvent.
Les élèves ont une vision restreinte de l’univers policier : il y a le plus souvent survenance d’un meurtre ou d’un vol, une présence marquée de la police dans les histoires, des armes et des événements se référant aux films d’action, l’action se passe dans des lieux semblables et « américanisés »
On le voit à travers le lexique utilisé ainsi que les dialogues calqués sur les répliques de films et de séries. Ces derniers sont souvent en mission et sont appelés pour arrêter « le malfrat qu’ils finissent par coincer ».
De ce fait, les écrits suivent la trame d’un épisode-type de série policière : on découvre qu’il y a eu un méfait, il est décrit par les protagonistes. Les enquêteurs se mettent en quête de retrouver les coupables qui sont retrouvés « facilement ». Puis les coupables sont arrêtés et en général envoyés en prison. C’est le cas par exemple dans les récits de Judmaël (figure 3) et Océane (Annexe VI).
Cette trame de récit est conservée par environ 61% des élèves tout au long de la séquence. Les autres élèves continuent de suivre la trame du roman à énigme mais utilisent des lieux connus par eux (l’école, la salle de classe, le quartier) et font jouer le rôle des inspecteurs à leur camarade de classe, la police ne survenant qu’à la fin du récit.
L’usage des références culturelles semblent aider les élèves à créer une progression dans le texte puis qu’ils suivent le schéma de l’épisode. Sur le plan macrostructurel, il y a donc une progressivité de l’action et donc une cohérence du récit. Il y a peu de contradiction entre les divers segments du texte car il semble que les élèves, étant très attachés à la trame policière qu’ils connaissent, ne sortent pas du « cadre » qu’ils connaissent et donc du monde policier ainsi que ses codes. Sur le plan microstructurel les élèves arrivent à suivre. La relation entre les phrases n’est pas ambigüe sauf dans quelques cas où il faut prendre en compte le fait que c’est l’ensemble du texte qui est incohérent. En général, il y a peu de contradiction entre ces phrases. Sur le plan logique, les élèves parviennent à produire un écrit suivant une logique sauf dans certains cas où il y a un retour sur des événements ou lorsque le texte parle de tout autre chose, comme par exemple Jimmy ou Sadshlande (Annexe VII).
La notion de « suspense » est peu connue des élèves, il semble qu’il soit difficile pour eux de mettre en place les éléments nécessaires à la mise en place du suspense dans leur production.
Cela peut s’expliquer par le fait que les références des élèves sur l’univers policier étant les films et séries, le « suspense » est moins présent dans ce type d’œuvres qui sont surtout basés sur la recherche d’indices.
Mais même lorsque le modèle sur lequel les élèves travaillent se rapporte plus au roman à suspense, peu d’élèves semblent maîtriser
On peut cependant porter attention au récit de Roudley (figure 4) qui suit une trame permettant de créer un certain suspense : les enquêteurs interrogent au fur et à mesure les différents suspects qui apportent des éléments supplémentaires pour résoudre l’énigme. Puis lorsqu’il interroge le dernier suspect, celui-ci montre des signes de culpabilité. Il faut noter que le récit de Roudley et le caractère triptyque de l’action peut être mis en parallèle avec un genre littéraire spécifique, le conte, qui a été étudié par les élèves de cette classe et dans lequel on retrouve souvent un enchaînement de l’action en trois temps.
Les textes des élèves étant fortement attachés à la norme de la trame présente dans les séries policières, la construction d’un texte cohérent est fortement orientée par ce modèle. Ensuite, on peut noter une certaine fréquence à formuler le texte par les dialogues.
L’action est décrite à travers les interventions orales des personnages. Les écrits recopient les codes de l’oral. Dans sa logique interne, le texte rapporte le discours des protagonistes. Ce procédé se développe au fil des textes puisqu’il y a moins de dialogues dans les premiers écrits d’élèves (Annexe VIII). Chez quelques élèves, l’écrit sous forme de dialogues est même la forme majoritaire de mode de transmission du récit (figure 4).
D’où la présence lacunaire d’éléments sémantiques : la temporalité des événements est marquée par le passage à la ligne et la spatialité est peu présente. Cette dernière remarque peut être mise en parallèle avec la forme dialoguée de la plupart des récits. En effet, il y a peu de références à l’espace dans lequel se déroule l’action car on peut supposer que comme les personnages de l’histoire interagissent, ils savent où ils sont. Ce serait donc au lecteur d’analyser la situation -et dans notre cas ce que disent les personnages, qui par inférence peut comprendre où se déroule l’action.
Analyse des résultats
Le fait d’avoir précisé dans la consigne que je voulais qu’ils me racontent l’histoire est peutêtre la raison pour laquelle certains élèves ont modifié leur texte. Utiliser le terme « raconte » suppose que l’on fasse le récit des événements et que l’on utilise donc les codes de l’oral.
On peut remarquer en revanche que sur ces six élèves, ce sont les trois élèves ayant écrit les textes les moins longs dont la version orale est la plus approfondie. L’oral pourrait leur permettre de poursuivre avec plus de facilité leur texte car on peut supposer que c’est le passage à l’écrit qui leur pose problème.
Si les écrits ne sont pas forcément plus cohérents chez les élèves dont le texte est plus long, il semblerait qu’il y aurait un degré de satisfaction plus élevé chez eux. Le fait d’avoir écrit un texte de plusieurs phrases et d’avoir ajouté de nombreux éléments dans leur intrigue feraient du texte un texte est correct et suffisamment explicite pour ne pas être modifié ou amélioré.
Il faut noter cependant que le critère d’appréciation de l’écrit n’est pas forcément l’unique critère à prendre en compte pour analyser les similitudes entre le récit oral et le récit écrit. Cela peut être dû à leur interprétation de la consigne, leur aisance à l’oral, leur degré de motivation à cet instant.
Les élèves se rattraperaient donc à l’oral pour pallier les lacunes de leur texte qu’il jugerait trop courts.
Pour d’autres en revanche, l’histoire racontée à l’oral est plus approfondie. Pour les élèves plus à l’aise, l’oralité ne serait pas d’une grande aide pour améliorer l’écrit.On note tout de même que les élèves ayant mieux réussi à l’oral qu’à l’écrit ont dévié de l’intrigue de départ. Il y a eu des ajouts de personnages voire pour certains, la production d’un récit de tout autre nature.
Cela peut s’expliquer par le fait que les élèves se soient appropriés l’histoire – quitte à en modifier le fond. Cela peut être également dû au fait qu’il y avait de nombreux mots et expressions qu’ils n’ont pas l’habitude d’utiliser. Bien qu’un travail sur les mots et expressions inconnus du texte ait été effectué avant la rédaction et qu’ils pouvaient également d’aider du dictionnaire lors des travaux de production, cela a pu constituer un frein pour eux d’où la raison pour laquelle ils ont écrit sur tout autre chose. Enfin, on peut aussi admettre que les consignes n’ont pas été comprises ou suffisamment explicitées pour ces élèves.
Les appréciations et avis des élèves sur les écrits entendus sont majoritairement de nature quantitative. Les élèves jugent un texte en fonction du nombre d’éléments qu’il contient.
Selon les élèves, un bon texte est un texte avec beaucoup d’éléments. Cela est souvent ressorti lors des phases de révision et de commentaires des écrits des camarades. Même lorsque je leur demandais ce qu’il pensait de leur texte, cet aspect quantitatif en est ressorti. « Pour qu’un texte soit perçu comme tel (cohérent) par le lecteur, il doit donner le sentiment d’une complétude, d’une structure organisée » (Fabre-Cols, 2000 ; 180).
Nous avons vu qu’on pouvait attribuer une certaine structure aux textes produits par les élèves.
Ce sentiment de structure a dû être ressentie par les élèves mais n’a pas été formulé explicitement. On peut avancer l’idée que les élèves de cette classe considèrent l’écrit comme cohérent ou du moins bon lorsqu’il contient les éléments essentiels et qu’il est assez long.
Dans cette hypothèse, il semble que les élèves soient attachés aux attentes de la norme scolaire quand il s’agit de formuler des appréciations sur les récits entendus.
L’usage de l’oral comme aide à la production d’un texte cohérent est donc soumis à plusieurs aléas et, me semble-t-il, au degré de satisfaction du scripteur face à son écrit.
L’oralisation des textes écrits et son utilité pour faire progresser les productions n’engendrent pas les mêmes résultats chez tous les élèves.
Le fait de lire son texte à l’oral entraîne plusieurs comportements : des élèves font le travail de révision en simultané, ils voient donc ce qui ne va pas dans le texte et le modifie. D’autres élèves voient les irrégularités pendant la lecture, ce qui provoque des arrêts et hésitations, mais continuent tout de même de lire leur écrit dans la forme initiale. D’autres enfin racontent leur histoire telle quelle sans voir les irrégularités.
L’amélioration des productions à l’oral ne survient pas sous la même forme selon les élèves.
Il peut s’agir d’hésitations, de reprises d’une phrase ou d’un paragraphe, d’arrêts au cours desquels les élèves vont retourner à leur place ou modifier à l’écrit leur production (« Attends maîtresse, je peux recommencer tout à l’heure ? »).
Je note cependant que les types d’interventions ne touchent pas une catégorie d’élèves en particulier. Qu’ils soient en difficulté ou maîtrisent un peu mieux la langue, qu’ils aient plaisir ou non à écrire, les élèves modifient leurs textes selon plusieurs modalités. Ces modalités de révision sont donc propres à chaque élève ou parfois à l’écrit produit.
Il y a donc un travail d’adaptation opéré par les élèves en fonction du texte produit et probablement du jugement personnel qu’ils en ont lorsqu’ils le lisent. Ils reviennent ensuite sur le texte afin d’apporter des modifications. Là encore, il n’y a pas la prédominance d’un comportement sur un autre en fonction du niveau des élèves. Les écrits sont modifiés, améliorés ou non en fonction du texte.
La posture d’écrivain
Utilisations des cahiers d’écrivains
Les cahiers étaient nouveaux et ont été remis lors de la troisième séance. J’ai expliqué aux élèves quelle était leur fonction. Les élèves ont manifesté de l’intérêt pour ce support, certains étaient très contents, d’autres contents et quelques élèves ont reçu négativement ce nouveau cahier.
62 % d’élèves ont emmené ce cahier à la maison et parmi ceux-ci 70% environ ont choisi de produire des textes en dehors du cadre de l’école et quelques-uns ont souhaité les partager avec la reste de la classe à l’oral. Cependant, beaucoup n’ont pas laissé les textes dans le cahier d’écrivain. Ils ont utilisé le cahier pour écrire puis ont détaché les feuilles et les ont conservés dans leur casier ou leur sac.
A., l’élève qui est parti au cours de mon stage, a écrit de nombreux textes qui étaient également très longs. Il a très souvent manifesté l’envie de les partager avec le reste de la classe et a attaché beaucoup d’importance à ce cahier. L’ayant oublié le jour de son départ, il a demandé à sa mère de venir le récupérer et celle-ci m’a confié qu’il était très impatient de le récupérer pour continuer à écrire.
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Table des matières
Remerciements
Liste des abréviations
Sommaire
Introduction
I – Définition
Définition scientifique
La cohérence textuelle dans les programmes de l’école primaire
II – Cadre théorique
1. Les élèves et l’univers policier
2. L’oral comme outil de perfectionnement de la production écrite
3. L’élève auteur : une posture pour la construction de la cohérence textuelle ?
Cadre conceptuel
III – Méthodologie
Population
Outils utilisés et conditions d’utilisation
V – Présentation et discussion des résultats
1. Les représentations et le vécu des élèves
1.1 Les références culturelles des élèves dans les textes
1.2 Le schéma narratif
1.3 Analyse des résultats
2. L’oral au service de l’écrit
2.1. Oral de la première séance
2.2. Phases orales au cours des autres séances
2.2.1. Les modifications opérées par les élèves
2.2.2. Appréciations des camarades
2.3. Analyse des résultats
3. La posture d’écrivain
3.1. Utilisations des cahiers d’écrivains
3.2. Analyse des résultats
4. Discussion
V – Pistes d’exploitation
Le genre de texte travaillé : variable dans la réussite en production d’écrits ?
L’enjeu en écriture : la communication des productions
Le travail de compréhension
L’évaluation des productions écrites
Les prérogatives des nouveaux programmes
Conclusion
Bibliographie
Annexes
Tables des annexes
Tables des figures, tableaux et illustrations
Table des matières
Résumé
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