Les progrès technologiques réalisés dans l’élaboration de couches minces et les procédés de nanostructuration issus de la micro-électronique ont permis l’émergence de nouvelles disciplines physiques comme l’électronique de spin. A l’interface entre nanomagnétisme et transport électronique, cette discipline est en plein essor depuis la découverte du phénomène de magnétorésistance géante en 1988. Les avancées scientifiques de l’électronique de spin sont souvent accompagnées de débouchés dans le domaine technologique. Par exemple, les découvertes de la magnétorésistance géante puis tunnel ont donné lieu à deux générations de capteurs de champ magnétique intégrés aux têtes de lecture des disques durs qui permirent une forte augmentation des densités de stockage d’information. Plus récemment, la prédiction théorique en 1996 de l’effet de transfert de spin et la possibilité de contrôler l’aimantation d’un matériau par un courant polarisé en spin a suscité un grand intérêt du côté fondamental comme applicatif. En particulier, le retournement de l’aimantation sous courant polarisé a donné naissance au concept de mémoires magnétiques ne nécessitant pas de champ externe à l’écriture et fait actuellement l’objet de nombreuses études préindustrielles.
L’électronique de spin
Le terme électronique de spin est à comparer à celui d’électronique, sous entendu électronique classique. Dans les deux cas, il s’agit de l’étude des propriétés de l’électron et des phénomènes auxquels il est sensible. Les propriétés fondamentales de l’électron sont sa masse, sa charge et son spin. L’électronique classique se base uniquement sur la manipulation de la charge alors que l’électronique de spin cherche à contrôler le spin de l’électron pour s’en servir comme degré de liberté supplémentaire. Intéressons nous au cas du transistor pour illustrer ces propos. Dans un certain mode de fonctionnement, on peut représenter un transistor comme un interrupteur de courant contrôlé par une tension externe. Il se compose de deux électrodes (réservoirs à électrons appelés source et drain) séparées par un canal semi-conducteur.
Ajoutons la notion de spin à la précédente description. Comme nous le verrons par la suite, le spin de l’électron lui confère un moment magnétique qui peut être représenté par un vecteur de norme constante et de direction variable. Le premier dispositif ne permettant pas de contrôler le spin des électrons, leur direction se répartit aléatoirement et les spins ne transportent aucune information. Dans une approche électronique de spin, les électrodes du transistor sont remplacées par des matériaux ferromagnétiques dont l’aimantation permet d’imposer une direction préférentielle aux spins des électrons (pour l’illustration nous avons choisi la direction verticale, les spins pointent donc soit vers le haut soit vers le bas). En plus de la tension de grille qui permet de contrôler l’état passant ou bloqué du transistor, il est maintenant possible de choisir le type d’électrons traversant le canal voire même de manipuler leur état de spin, ce qui donne un paramètre d’action supplémentaire dans le traitement de l’information [1]. Pour utiliser l’information de spin, il faut être capable de faire porter au courant électrique une information magnétique. Considérons par exemple un métal usuel tel que le cuivre dans lequel circule un courant. Le courant est composé d’un ensemble d’électrons en mouvement, chacun portant une charge et un moment magnétique.
Transport dépendant du spin
Dans une approche classique, le transport électronique décrit le mouvement des électrons dans un matériau. Aux faibles dimensions, il est souvent nécessaire d’adopter une description quantique où l’électron est représenté par sa fonction d’onde qui décrit sa probabilité de présence en un endroit et un temps donnés. La pertinence d’un modèle classique, semi-classique ou quantique dépend des effets physiques à décrire et des dimensions du système étudié. Par exemple la magnétorésistance géante sera décrite dans une approche semi-classique alors que la magnétorésistance tunnel et le transfert de spin nécessiteront un modèle quantique.
Magnétorésistance géante
La magnétorésistance géante ou GMR (Giant MagnetoRésistance) traduit le fait que la résistance d’un empilement métallique composé de plusieurs couches magnétiques dépend de la configuration des aimantations. Cet effet est essentiel pour les oscillateurs à transfert de spin car il permet de convertir l’oscillation magnétique, en un signal électrique mesurable.
Rappels de transport électronique
Pour décrire les propriétés de transport électronique d’un matériau, il faut distinguer différents types d’électrons définis par la symétrie de leur fonction d’onde. Pour un atome isolé, on parle ainsi d’électrons s, p, d, f… Dans un matériau massif, il apparaît une hybridation des fonctions d’onde qui confère de nouvelles symétries aux fonctions d’ondes électroniques. On peut toutefois distinguer deux types d’électrons : les électrons de conduction et les électrons localisés. Les électrons de conduction, majoritairement de symétrie s et p, peuvent se propager dans le matériau et sont porteurs du courant électrique. A l’inverse, les électrons d’autres symétries restent plutôt localisés au voisinage des atomes et participent moins au transport du courant.
Les propriétés de transport électronique sont principalement déterminées par les électrons proches du niveau de Fermi qui disposent d’états vacants d’énergie voisine vers lesquels diffuser. La notion de diffusion représente le changement d’état d’un électron et est essentielle dans la description des effets magnétorésistifs. La diffusion d’un électron a lieu lors de collisions entre l’électron et une autre particule (électron, impureté…), quasi-particule (phonon, magnon…) ou encore avec des défauts cristallins (interface, joints de grain…). Suite à une collision, le vecteur d’onde de l’électron peut être modifié en direction et en norme et son spin peut être conservé ou non. Les collisions des électrons contribuent à la résistance électrique d’un matériau. Pour illustration, on peut considérer que lorsqu’un électron de conduction diffuse vers un état localisé de type d, il ne participe plus au transport de charges et la résistance électrique du matériau augmente.
Les mécanismes de collision sont des mécanismes aléatoires mais il est possible de définir une longueur caractéristique λ sur laquelle ils apparaissent. λ est appelé libre parcours moyen et représente la longueur moyenne parcourue par un électron de conduction entre deux collisions successives. En ce qui concerne le transport dépendant du spin, nous serons amenés à définir une longueur de diffusion de spin sf l comme la distance moyenne parcourue entre deux collisions altérant le spin de l’électron. Généralement sf l est supérieure à λ car toutes les collisions n’affectent pas le spin de l’électron.
Enfin, il est important de comparer les dimensions caractéristiques du système étudié avec les longueurs du transport électronique pour définir le modèle physique adapté, Si l’on s’intéresse au transport électronique sur une échelle e inférieure au libre parcours moyen λ , la diffusion des électrons peut être négligée. L’état de l’électron est conservé au cours du mouvement et une approche balistique doit être considérée. Par contre, si l’échelle e est très supérieure au libre parcours moyen, l’électron sera diffusé à de nombreuses reprises et il faudra adopter une approche diffusive.
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Table des matières
Introduction
Chapitre I – Contexte
I.1 L’électronique de spin
I.2 Transport dépendant du spin
I.2.1 Magnétorésistance géante
I.2.2 Magnétorésistance tunnel
I.2.3 Transfert de spin
I.3 Dynamique de l’aimantation
I.3.1 Rappels
I.3.2 Effets de transfert de spin
I.3.3 Vérifications expérimentales
I.3.4 Modèles élaborés
I.4 Oscillateurs à transfert de spin
I.4.1 Généralités sur les oscillateurs
I.4.2 Anatomie d’un oscillateur
I.4.3 Les oscillateurs à transfert de spin
I.4.4 Etat de l’art
I.4.5 Stratégie de thèse
Chapitre II – Techniques expérimentales
II.1 Problématique instrumentale
II.1.1 Contexte : oscillateur et instabilité
II.1.2 Concepts de base des mesures radiofréquences
II.2 Mesures fréquentielles
II.2.1 Description de la chaîne de mesure
II.2.2 Correction des mesures
II.2.3 Analyseur de spectre
II.3 Caractérisation RF des oscillateurs à transfert de spin
II.3.1 Correction de la chaîne de mesure
II.3.2 Analyseur de spectre et régime transitoire
II.3.3 Spécificités des jonctions tunnel
II.4 Mesures temporelles
II.4.1 Montage expérimental
II.4.2 Traitement du signal temporel
II.4.3 Analyse de stabilité
II.5 Bilan
Chapitre III – Oscillateur à transfert de spin à polariseur perpendiculaire
III.1 Description macrospin
III.1.1 Motivation
III.1.2 Approche macrospin
III.1.3 Raffinement du modèle macrospin
III.2 Etude expérimentale
III.2.1 Réalisation du dispositif
III.2.2 Caractérisation statique
III.2.3 Caractérisation dynamique
III.3 Simulations micromagnétiques
III.3.1 Configurations magnétiques inhomogènes
III.3.2 Comparaison aux expériences
III.4 Conclusion
Chapitre IV – Oscillateur à base de jonction tunnel magnétique
IV.1 Caractérisation statique
IV.1.1 Contexte
IV.1.2 Description des échantillons
IV.1.3 Stress électrique
IV.2 Caractérisation fréquentielle
IV.2.1 HTMR
IV.2.2 LTMR
IV.2.3 Conditionnement
IV.3 Etudes temporelles
IV.3.1 Régime d’auto-oscillation
IV.3.2 Oscillateurs multi-modes
IV.3.3 Stabilité des oscillateurs
IV.3.4 Bilan sur les mesures temporelles
IV.4 Conclusion
Conclusion