L’élaboration d’un discours technico‐politique sur la démocratie locale

Une sociologie historique de l’Adels : Permanence et transformation d’une action collective de promotion de la démocratie locale

Cette partie vise à situer notre analyse au cœur de la réalité matérielle de l’acteur en question. Il s’agit tout d’abord de comprendre l’évolution historique de l’association en tant que telle pour fixer le cadre dans lequel pour s’approfondir l’analyse du discours.
Le projet associatif se construit sur la base d’un intérêt commun ou d’une culture partagée orientée vers l’action collective. L’idée de s’associer vise la constitution d’un collectif opératoire autour d’un objectif commun. La fin est ainsi au cœur de la création d’une association. Mais passée cette création, ce sont les moyens qui viennent sur le devant de la scène. L’action d’une association comme l’Adels se développe ainsi entre le politiquement souhaitable et le matériellement possible.
Cet état de fait pose la tension entre le projet associatif et les contraintes de fonctionnement au cœur de la réalité associative. Et l’Adels ne fait pas exception à ce fait. Son discours sur la démocratie locale va donc se construire autour d’une action tiraillée par cette tension.
En décrivant chronologiquement l’évolution de l’association, de son action et de ses membres, le premier chapitre pose les bases nécessaires au raisonnement qui sera développé par la suite. Le second chapitre en constitue la première phase, par une étude plus précise de la tension qui anime la structure interne de l’Adels et qui met en lumière la mise au pas du projet associatif et l’émergence d’une technostructure.

La promotion de la démocratie locale à l’épreuve des contraintes de fonctionnement : Lecture historique de l’association et de son projet

Ce 1er chapitre vise à cerner l’évolution historique de l’association. Une périodisation construite en fonction de la configuration entre projet associatif et contraintes de fonctionnement nous permet de saisir l’évolution de la réalité de l’association dans une lecture dynamique pour comprendre les conditions matérielles de production de son discours sur la démocratie locale. On part pour cela de la double dimension fondamentale de toute association. Une association est un « regroupement d’individus autour de la mise en œuvre d’une action collective dans un certain cadre idéologique partagé ». On peut distinguer dans cette définition d’un côté le cadre idéologique partagé et de l’autre la mise en œuvre d’une action collective. Or ces deux dimensions ne sont pas soumises aux mêmes contraintes. Le cadre idéologique dépend d’une certaine culture politique commune, de «schèmes » d’interprétation du monde partagés qui évoluent avec les variations dans le champ des idées politiques et des valeurs selon les époques historiques. L’action collective subit elle les contraintes matérielles qui conditionnent sa mise en œuvre.
Suivant la démarche expliquée plus haut, nous nous pencherons ici d’abord sur la réalité matérielle de l’association avec l’objectif de cerner ses fluctuations dans le temps. En s’appuyant sur la sociologie de l’association de Renaud Sainsaulieu et de Jean Louis Laville, nous tenterons d’établir une compréhension de l’Adels selon une grille qui ne lui est pas spécifique puisqu’elle exprime la tension présente dans la plupart des associations loi 1901 entre le projet politique et militant de l’association et les contraintes de fonctionnement.
La lecture chronologique permet de cerner les différents moments de cette tension, les différentes phases du fonctionnement associatif de l’Adels afin d’étudier les corrélations avec l’évolution de son discours. Pour étudier la tension entre le projet politique de l’Adels et son activité même encadré par des contraintes de production, nous utiliserons de temps d’activité de l’association. Celui‐ci est composé de la somme des temps collectifs et individuels que les différents individus mettent effectivement au service de l’association. Cette notion vise principalement à faire émerger l’évolution de l’activité de l’Adels entre temps d’activité salarié et temps d’activité bénévole.
Ce critère nous a permis de distinguer cinq périodes :
‐ 1959‐1963 : Somme d’activité assez faible, temps exclusivement bénévole
‐ 1963‐1971 : Somme d’activité importante, temps exclusivement bénévole
‐ 1971‐1978 : Somme d’activité très importante, temps mixte –salariés‐bénévoles
‐ 1979‐1988 : Somme d’activité réduite, temps majoritairement salarié
‐ 1988‐ 2009 : Somme d’activité importante, temps très majoritairement salarié

1959­-1979 : Montée en puissance d’une association parapolitique

1959­-1963 : La création d’un outil d’aide technique aux nouveaux élus

L’Adels s’est constituée au lendemain des élections municipales de 1959. L’Association Démocratique des Elus Locaux et Sociaux voulait alors répondre aux préoccupations des conseillers municipaux élus sur les listes d’Union des Forces Démocratiques . Ces nouveaux élus affirmaient une volonté de renouvellement de la politique locale en opposition à certains comportements de notables de droite ou de gauche, qui caractérisaient le pouvoir local de l’époque. Cette nouvelle génération politique avait une solide expérience de la vie associative et de l’animation locale, mais elle manquait de connaissances dans le domaine de la gestion municipale. C’est donc pour répondre à ce besoin d’information et de formation que fut créée la revue Correspondance Municipale, premier outil d’intervention de L’Adels. Tirée à 400 exemplaires, Correspondance Municipale était une production largement artisanale. Elle se présentait sous la forme d’un dossier ronéoté, composé de feuilles de couleurs différentes. Roger Beaunez, un des trois fondateurs de l’association raconte ces premières années : «le comité de rédaction limité à trois ou quatre personnes qui constituaient le cœur de l’Adels se réunissait chaque mois dans un bistrot. Des idées d’articles surgissaient au fil de la discussion, vite griffonnées sur la nappe de papier du restaurant pour se terminer en sommaire. Ensuite nous écrivions les articles pour lesquels nous avions la compétence et confiions la responsabilité des autres à des personnes compétentes que nous connaissions par les réseaux militants » .Cette description montre le caractère restreint du projet de l’Adels et le temps d’activité relativement limité nécessaire à sa mise en œuvre. Dans ce cadre là, il n’y a pas de réelle tension entre le projet associatif et sa mise en œuvre. Le projet de démocratie locale de l’association se base sur cette nouvelle génération d’élus. Il s’agit de « leur apporter les outils techniques, juridiques et financiers pour mieux gérer la commune et permettre aux associations locales de s’impliquer » . Cette relative simplicité du projet amène une certaine facilité dans sa mise en œuvre. Il y a en fait amalgame entre le projet associatif et la logique opérationnelle. L’action collective de l’association se limite à la rédaction et la diffusion de la revue Correspondance Municipale. Trois ou quatre personnes se réunissant une fois par mois et des temps individuels et bénévoles pour l’écriture des articles permettent de la réaliser. Il y a ainsi (con‐)fusion entre conseil d’administration de l’association et comité de lecture de la revue. Les deux fonctions orientation et exécution sont rassemblées dans une réunion mensuelle. La seconde étant complétée par le travail individuels des membres ou amis de l’association. Dans ce mode de fonctionnement, le budget de l’association est très faible. Le prix des abonnements vise uniquement à couvrir les frais d’impression. Le nombre de gens impliqué est relativement faible. Le temps d’activité de l’association est limité.
Ce fonctionnement s’appuie sur une vision de la démocratie locale particulière. Construite à partir de la critique du gouvernement local des notables traditionnels , cette démocratie locale consiste approximativement en un gouvernement local par des élus éclairés et démocratiques . Cette lecture amène une définition claire du problème et une conception aussi précise de la réponse. L’action collective menée par l’association est donc la réponse immédiate au constat politique ayant présidé à la naissance de l’association.
Ce modèle « idéal » ne dure cependant que les quelques premières années de l’association.

1963­-1971 : Elargissement des activités de l’association : entre l’objectif d’éducation populaire et la tentation du politique

1963‐1964 constitue une rupture dans ces premiers temps de la vie de l’association. La reconnaissance croissante de la qualité de la revue, l’augmentation du nombre de bénévoles impliqués amène une redéfinition du projet associatif et un élargissement des objectifs que se donne l’association.
En 1963, l’association change de nom : d’Association Démocratique des Elus Locaux et Sociaux, elle s’appelle désormais Association pour la Démocratie et l’Education Locale et Sociale . « Puisque nous nous adressons essentiellement aux animateurs de la vie municipale locale, il nous a semblé nécessaire de faire disparaître l’occasion d’une modification de statut le terme élu» . Son nouveau président, Michel Rocard entend développer son activité dans le cadre d’un projet élargi. Elle obtient l’année suivante de la part du Secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports l’agrément lui permettant de recevoir ses premières subventions de l’Etat . D’organisme technique, l’Adels devient association d’éducation populaire. Le projet associatif s’exprime dans des termes nouveaux : Il s’agit désormais de promouvoir la démocratie locale par « la création de foyers de citoyenneté active au plan des collectivités et des institutions de base» . A l’assistance technique aux élus, qui demeure, s’ajoute l’objectif de « développer les capacités d’initiative des citoyens, de les aider à assumer une pratique démocratique réelle dans la gestion de la cité » . Il s’agit là d’un vrai projet d’éducation populaire : « réintéresser le citoyen aux affaires de la cité », « redonner un contenu vivant et concret à la démocratie locale », « constituer un tronc commun d’information susceptible de faire converger les efforts des militants engagés dans différents secteurs de vie locale et sociale » . Dans cette logique là, le public auquel s’adresse l’association s’élargit lui aussi.
Des élus locaux la cible de l’Adels devient les « animateurs de la vie municipale locale » :
associations, militants associatifs ou de partis politiques (principalement du Parti Socialiste Unifié), candidats aux élections municipales et toujours les élus qui portent les valeurs défendues par l’Adels dont la plupart seront sous étiquette des Groupes d’Action Municipale (GAM) à partir de 1965. Les organisations partenaires deviennent même membres de plein droit du conseil d’administration de l’Adels. Ainsi sur le compte rendu du CA du 3 décembre 1966, on découvre que sont représentées : la Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (CFTC), le club Citoyens 60, l’Union Féminine Civique et Sociale (UFCS), Peuple et Culture, le Centre d’Etudes, de Recherches et d’Education Socialistes (CERES), l’Association pour le Développement et l’Aménagement du 13 ème Arrondissement de Paris (ADA 13).
Cet élargissement du cercle de l’Adels coïncide avec une diversification de ses activités. La revue occupe toujours une place importante du fait de l’augmentation constante du nombre de ses abonnés (250 en 1960, 2100 en 1970 ). Mais l’activité de formation prend un essor important. Les stages se multiplient sur diverses questions : « Connaissance et participation à l’urbanisme », « Aménagement et démocratie », « Développement culturel dans la cité » « Information et participation à la vie communale » … Des voyages d’étude sont organisés en Allemagne, en Italie et en Yougoslavie . Une branche d’activité études‐conseils est créée sous le nom d’IPECER (Institut Parisien des Etudes Communales et Régionales) qui fournit des études principalement sur les questions des grands ensembles, des équipements sociaux et de la participation des habitants à ces réalisations.
La réalisation de tous ces projets amène une croissance exponentielle du temps d’activité de l’association. La solution à ce problème passe par l’activisme incessant de Roger Beaunez dans le recrutement de bénévoles. Roger Beaunez scrute, cherche et « recrute » des hauts fonctionnaires ou des ingénieurs pour qu’ils apportent leurs compétence à l’Adels. Paul Pavy,ingénieur récemment diplômé de l’ENTP et de l’IAURP se rappelle « s’être fait coincé par Beaunez et Mignot à la sortie d’une conférence sur les enjeux de l’aménagement de la région parisienne organisée par l’IPECER » . Il devient alors formateur lors de stage et prendra la présidence de l’association en 1982. Gabriel Mignot, énarque enrôlé dans les mêmes conditions et président de l’Adels 1967 à 1971 décrit le recrutement permanent organisé par Roger Beaunez : « c’était un génie de l’organisation. Il faisait constamment des fiches de militants, prenait des contacts, réseautait. Après un colloque ou un stage, il revenait avec 50 noms qu’on pouvait contacter » .Le contexte était particulièrement favorable à cet activisme. Le système politique était monopolisé par la droite depuis l’arrivée de De Gaulle au pouvoir en 1958. Face à cette hégémonie, les énarques de tendance progressiste s’impliquent, via les clubs, les associations et les colloques en tout genre, dans les multiples tentatives de reconstruction idéologique et politique de la gauche non‐communiste au début de la Ve République . Roger Beaunez est particulièrement doué pour capter cette dynamique et la mettre au service de l’Adels. La clé de la production des différentes activités réside alors dans ce recrutement de bénévoles. Cette quête permanente de nouveaux membres nourrit les réflexions, la rédaction de la revue, les stages ou les études. Cela augmente le « temps d’activité de l’association » nécessaire pour répondre à l’ambition du projet.
On peut noter aussi dans le fonctionnement de l’association l’importance de la subvention de 25 000F du Secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports sur un budget de 100 000F en 1969. Cette aide et l’absence de coûts salariaux permettent d’orienter les activités de l’association totalement vers l’objectif associatif de progrès de la démocratie locale sans se soucier de la rentabilité des activités organisées. L’association peut en outre pratiquer des couts très bas qui permettent d’orienter ses activités vers des militants et animateurs, qui constituent un public qui n’est pas toujours solvable, contrairement aux élus.
Cette marge de manœuvre financière permet d’articuler les activités de l’association avec son projet politique : la nouvelle vision de la démocratie locale développée passe en effet par une « citoyenneté active » généralisée au sein de la cité, qui doit enlever le monopole de l’action politique aux élus. Cette articulation fine du projet et de la mise en œuvre est permise avant tout par la nature bénévole du temps d’activité développé par l’Adels. Outre la dynamique de recrutement qui est systématisée, le travail des militants bénévoles est organisé, « managé » pourrait‐on presque dire. Il y a une organisation en équipe (finances locales, urbanisme…) avec des responsables et des missions particulières fixées lors des conseils d’administration mensuels.
Ce modèle de fonctionnement évite lui aussi les tensions propres aux organisations loi 1901 dont nous avons parlé en introduction du fait de la fusion qui perdure entre les personnes qui décident et celles qui mettent en œuvre les décisions. De plus, la faiblesse des coûts fixes issue de la quasi absence de salariés évite la pression de contraintes économiques et financières qui viennent concurrencer la logique politique dans l’orientation des activités.
Ce modèle semble cependant avoir une taille limite.

1971-­1978 : Montée en puissance et professionnalisation

Deux évènements clés viennent perturber le modèle de fonctionnement prévalant à l’Adels et amènent la mise en place d’un nouveau mode de fonctionnement.
En décembre 1969, la subvention Jeunesse et Sport est retirée du fait des activités jugées « trop politique » par le Ministère de Joseph Comiti . Elle perd dès lors la largesse budgétaire dont elle bénéficiait jusqu’alors. Pour Gabriel Mignot, le président de l’époque, il faut changer le mode de fonctionnement de l’Adels : « désormais, nous devrons mettre l’accent sur les formes les plus économiques de notre action, sur l’utilisation la plus productive du principal capital dont dispose l’Adels, c’est‐à‐dire la revue et une équipe de camarades bénévoles compétents dans des domaines variés. L’éducation permanente ne survivra que si elle devient moderne, c’est‐à‐dire massive et fondée sur les techniques actuelles. » . Il propose un programme de rationalisation donc, sous le coup d’une augmentation soudaine de la pression des contraintes économiques et financières. Autrement dit : l’orientation des activités de l’association ne peut plus être déterminée par le seul projet politique.
Deuxième évènement important pour l’association : les élections municipales de 1971. Du fait de la notoriété croissante de l’Adels au sein de la gauche, elle va rencontrer une explosion de la demande de ses services avant et après les élections. Suite au succès du GAM de Grenoble en 1965, une multitude d’équipes de militants constituent des listes sous cette appellation. Or l’ « idéologie » GAM est directement inspirée de l’Adels : modernisation du mode de gestion des municipalités, participation des habitants, renouvellement de l’action publique locale dans le secteur des équipements municipaux, des transports, de l’urbanisme , … Les abonnements à Correspondance Municipale augmentent fortement, les stages sont complets et l’Adels doit en organiser de nouveaux pour satisfaire la demande des équipes candidates nouvelles en politique qui viennent chercher une introduction à la gestion municipale et aux problèmes locaux. L’association crée la collection Pouvoir Local aux Editions Ouvrières dont un des ouvrages « La commune, son budget et ses comptes » devient un best seller (près de 70 000 exemplaires vendus au cours des différentes rééditions). Après les élections, ce sont les formations sur les finances locales qui sont particulièrement demandées par les équipes nouvellement en poste.
Même s’il y a une petite redescente en 1972, passé l’effet élections, les années 1970 représentent une période de croissance forte des activités de l’association. La période autour des élections de 1977 va même constituer le pic de diffusion de toute l’histoire de Correspondance Municipale avec 4400 abonnés . Les municipalités « amies » commandent des études à l’Adels qui crée pour cela une entité autonome : Communes Inter Services.
L’association réalise aussi des montages audio‐visuels qu’elle vend à des organisations, des municipalités ou des sections locales de parti politique.
L’accroissement d’activités de l’association au cours des années 1970 est tel que le travail bénévole ne suffit plus. Les tâches de gestion et de secrétariat notamment s’accroissent considérablement avec l’augmentation du nombre de stages ou d’abonnés à Correspondance municipale. L’association embauche donc une secrétaire comptable à mi‐temps, Gisèle Huet, en 1971 ; elle passe à plein temps en 1976 pour faire face aux demandes liées aux élections de 1977. La même année, on embauche aussi son mari, Claude Huet comme secrétaire pour la gestion des abonnements à la revue. En 1975, Georges Gontcharoff est embauché à mi‐temps comme rédacteur en chef de la revue, poste qui jusque là a toujours été occupé par un des administrateurs bénévoles de l’association. On passe donc en l’espace de quelques d’un travail exclusivement bénévole à la mise en place d’une équipe de quatre permanents. Deux nuances doivent cependant atténuer cette rupture apparente : Tout d’abord, le fait que toutes les personnes embauchées étaient déjà bénévoles à l’Adels avant de devenir salariées. Ensuite le fait que, Georges Gontcharoff mis à part, le travail des salariés est confiné à des tâches exclusivement techniques (secrétariat, gestion, publication…). Les formations, la rédaction des articles, les études sont des tâches qui restent complètement dépendantes du travail bénévole. Cependant, c’est un fait nouveau pour l’association, à partir du milieu des années 1970, une partie importante du « temps d’activité » de l’association est réalisé par des salariés.
Les années 1970 sont donc le théâtre de dynamiques apparemment contradictoires pour l’association : d’un côté une nouvelle pression économique et budgétaire due à la fin de la subvention de Jeunesse et Sport ; de l’autre des embauches successives pour effectuer des tâches auparavant réalisées par des bénévoles. Cette apparente contradiction est résolue par l’augmentation des activités et des revenues qu’elles engendrent.
Suivant l’injonction lancée par Gabriel Mignot en 1969, une certaine logique de rentabilité a été adoptée par l’association. D’un côté, elle s’est organisée avec Culture et Liberté pour diminuer les coûts des stages notamment . De l’autre, elle pu compter sur un public plus solvable et capable de payer les services de l’association d’une manière qui lui permette de dégager des bénéfices. Cela est moins le résultat d’un changement de logique de l’Adels dans le ciblage de son public, que la conséquence du changement de nature de ce public au cours des années 1970. Et notamment, l’arrivée, marginalement en 1971, et de façon massive en 1977 de nouvelles équipes à la tête des municipalités . C’est la demande de cette nouvelle « clientèle » qui est à la base des embauches successives de ces années‐là. Mais là encore, les activités s’articulent bien à l’évolution du projet de l’Adels. S’il reste exprimé de la même façon, l’objectif de « démocratiser le pouvoir local » est impacté par la dynamique électorale positive aux élections municipales de 1971 puis 1977 (qui prolonge en cela l’élection du GAM de Grenoble en 1965). Le succès électoral s’affirme comme le moyen fort de construire des municipalités démocratiques. Les succès des GAM, la reprise de ces thématiques par le manifeste municipale du Parti Socialiste en 1977 la multiplication des « mairies frappées d’autogestion » semblent démontrer que la démocratie locale sera atteinte par le succès de listes démocratiques voire autogestionnaires aux élections municipales. Il y a donc évolution simultanée du projet associatif et des activités vers le soutien aux listes démocratiques. Cette synchronie, ajoutée au fait que les salariés sont tous des anciens bénévoles permet de limiter l’impact des premières tensions entre les logiques économiques et politiques. L’augmentation des contraintes financières liées à la masse salariale amène en effet à déplacer l’arbitrage de l’orientation des activités entre projet militant et contraintes de fonctionnement du côté de la contrainte. Cependant ce déplacement a peu d’effet dans le contexte particulier que nous venons de décrire. C’est ainsi l’évolution de ce contexte qui va amener la fin de ce modèle particulier de fonctionnement et provoquer la naissance d’un « dysfonctionnement associatif » tel que le décrivent Sainsaulieu et Laville.

De 1979 à aujourd’hui : La montée en puissance d’un organisme de prestation de services

1979­-1988 : Contraintes et rationalisation

Après 1977, un effet gueule de bois enraye le fonctionnement de l’Adels décrit dans la partie précédente. Deux raisons majeures semblent expliquer cela : un certain retournement du contexte politique sur la question de le participation et un départ de plusieurs militants de l’Adels pris par leurs nouvelles responsabilités politiques.
D’une part, de nombreuses équipes sont victorieuses aux élections mais paradoxalement, on observe un « désinvestissement de la question participative » . Jean Pierre Worms, conseiller auprès de François Mitterrand sur les questions locales et membres de l’Adels de longue date décrit le désenchantement : « on a été nombreux à constater que l’aspiration du mouvement associatif dans la sphère municipale a dévitalisé la société locale. La logique de l’administration de la ville a rapidement pris le pas sur celle du changement » . De manière générale, 1978 marque le début d’une période du reflux radical de la thématique autogestionnaire . La défaite d’Hubert Dubedout à Grenoble en 1983 accentuera encore la marginalisation du discours participatif. On observe aussi dans cette période charnière un processus classique d’absorption, de professionnalisation, d’institutionnalisation des militants associatifs dans le giron institutionnel suite aux municipales de 1977 .
L’Adels, du fait de sa position particulière « proche du politique » subit de plein fouet cette dernière dynamique. Jean Pierre Duport, président de 1978 à 1981 décrit ce tournant un peu amèrement : « Ceux qui avait un engagement associatif fort à l’Adels, ont trouvé que la vertu de l’engagement associatif local était un peu moins forte quand ils sont devenus conseiller municipal, adjoint ou maire » . Alain Richard, président de l’Adels de 1976 à 1978 est directement visé par cette pique, lui qui a quitté la présidence de l’Adels pour devenir maire de Saint Ouen l’Aumône en 1977 et y gouverner la ville d’une manière assez peu participative . L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 accentue encore cette exode des militants. Le même Jean Pierre Duport quitte ainsi la présidence pour devenir Directeur de l’Architecture au Ministère de l’Urbanisme, du Logement et des Transports suite à la mise en place du gouvernement Mauroy. Conséquence de cette dynamique, on observe un changement de la nature sociologique des membres de l’Adels pendant cette période. Le départ des hauts fonctionnaires aspirés par le pouvoir en place, les embauches de militants associatifs dans les mairies nouvellement conquises par la gauche en 1977 obligent l’association à se reposer de plus en plus sur les universitaires comme Pierre Barge ou Serge Milano pour les formations et les interventions. Claude Bouvard qui est présent à l’Adels depuis 1961 le décrit en ces termes : « Jusqu’aux élections de 1977, on montait en puissance, on croyait que la gauche prendrait le pouvoir, on a assisté à une affluence de militants. Puis, tous ces gens ont quitté le militantisme pour faire de la politique. Depuis, nos membres sont des technocrates des intellectuels, ce ne sont plus des militants ».
On a donc une double dynamique externe –désinvestissement de la question participative – et interne –départ de plusieurs administrateurs importants – qui a des conséquences fortes sur le fonctionnement de l’association.

La baisse des recettes et la montée de l’impératif de gestion

Les changements externes ont les effets les plus immédiatement visibles pour l’Adels. Cela s’exprime tout d’abord dans la forte baisse du nombre d’abonnés à la revue et l’annulation de nombreux stages faute de participants. Il y a une baisse tendancielle de l’activité de l’association entre 1978 et 1987 si l’on excepte le pic important de 1982‐1983 lorsque les lois de décentralisation et les élections municipales viennent nourrir une intense activité d’édition et d’interventions sur le sujet. De plus sur certains secteurs particulièrement rentables, l’Adels va se trouver concurrencée par des entreprises de conseils ou des boites de formation. De grosses entreprises comme le cabinet Bossard se placent sur un marché en pleine expansion après les lois de décentralisation. « On est passé de 100 % d’un marché de 1 à 1 % d’un marché de 100 » explique Pierre Barge qui anime à l’époque des formations sur les finances locales pour l’Adels. Ces différents mécanismes amènent une réduction forte des revenus de l’Adels jusqu’à mettre son budget à mal. Or l’association n’a plus la même flexibilité budgétaire du fait de l’augmentation du poids de la masse salariale dans son budget de fonctionnement.
On tente alors de mettre en œuvre des activités qui ont pour unique objectif une rentrée d’argent pour faire face aux difficultés de trésorerie. Une étude sur les acteurs du câble en Ile de France pour le Centre Georges Pompidou en 1984, une autre sur les dispositifs de sécurité dans les communes en 1985 sont des exemples du type d’activités que développent alors l’Adels pour remplir ses caisses. Des activités au sens politique très éloigné du projet associatif de promotion de la démocratie locale.
Un symptôme fort de ce changement de logique dans le mode de fonctionnement de l’association est le départ de Claude Bouvard, cheville ouvrière de l’Adels depuis 1961. Lui qui est décrit comme « un vrai militant comme il en existe peu » par plusieurs anciens présidents de l’association est remplacé en 1980 par Jean Paul Simon, diplômé de HEC, étranger à l’association et au milieu de l’éducation populaire avant cela qui décrit les consignes reçues à l’embauche de manière simple : « diminuer les couts, augmenter les recettes, rationnaliser la gestion ».
On observe donc une certaine mise en retrait du projet associatif de promotion de la démocratie locale au profit d’une logique de gestion et de rentabilité. Une redéfinition du rôle de chacun accompagne cette évolution. Ainsi, pour Jean Pierre Duport, président de 1978 à 1981, le rôle de président consiste à « avoir un rôle de régulation nécessaire dans les conflits internes, et trouver de l’aide pour l’association en cas de problèmes graves par l’intermédiaire de ses relations » là où, quinze ans plus tôt, Gabriel Mignot expliquait que son rôle de président est de « s’occuper de l’avenir, développer de nouvelles activités, organiser l’association pour cela et imaginer les innovations nécessaires » . La confrontation de ces deux témoignages est assez éclairante sur la mise en retrait des administrateurs de l’association et en premier lieu du président dans le fonctionnement de l’association. On note surtout dans les propose de Jean Pierre Duport une absence de référence aux activités de l’association quand cette dimension est centrale dans les propos de Gabriel Mignot.

La place nouvelle des salariés dans la direction des activités de l’association

Le nombre de salarié –trois à quatre – ne varie pas ou peu entre la période précédent et celle‐ ci. Mais, comme nous l’avions souligné, d’une part la plupart des salariés étaient membres bénévoles de l’Adels avant d’y exercer une activité rémunérée et d’autre part ils remplissaient –le rédacteur en chef excepté– des tâches avant tout techniques. Ces deux caractéristiques changent dans la période qui s’ouvre à la fin des années 1970. Jean Paul Simon, embauché comme directeur de publication en 1980 est le premier d’une série d’embauches de personnes qui ne sont pas familiers de l’association avant d’y travailler.
Cette nouveauté signifie l’intrusion d’acteurs dotés d’une culture étrangère à l’association en son sein. La définition de la culture comme « ensemble de schèmes d’interprétation du monde et d’action dans le monde »  nous laisse entre voir les mécanismes impliqués par ces nouvelles embauches. De nouvelles lectures de la situation, des modes de faire inédits s’introduisent dans le fonctionnement quotidien de l’association et y laisse leur marque. Il se passe alors à l’Adels ce qui se passe vers la même époque dans plusieurs associations d’éducation populaire:le fonctionnement traditionnel est « rénové » par des pratiques de professionnels issus de formation supérieure de gestion, de management ou de ressources humaines.

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Table des matières

INTRODUCTION 
1ère PARTIE : Une sociologie historique de l’Adels : Permanence et transformation d’une action collective de promotion de la démocratie locale 
Chapitre 1 : La promotion de la démocratie locale à l’épreuve des contraintes de fonctionnement : Lecture historique de l’association et de son projet
Chapitre 2 : Sociologie d’un militantisme associatif : la démocratie locale dans la tension projet associatif‐contraintes de fonctionnement
2 ème PARTIE : Un discours technico‐militant sur la démocratie locale
Chapitre 3 : L’élaboration d’un discours technico‐politique sur la démocratie locale
Chapitre 4 : Le discours sur la démocratie locale dans les jeux d’acteurs et intérêts partagés
CONCLUSION : La démocratie participative comme référentiel tactique

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