La collaboration au regard de la performance
Les caractéristiques du contexte économique actuel exigent de l’entreprise de nouveaux modes d’organisation et de nouvelles compétences. Connectivité, incertitude et vitesse sont ces critères qui font de l’environnement de travail un milieu plus complexe et plus exigeant (Beyerlein, et al., 2002). En effet, le cycle de développement des produits et services s’est accéléré, la clientèle s’est diversifiée et est devenue plus exigeante. L’environnement économique est devenu mondial et de plus en plus compétitif. Tout cela impose à l’entreprise l’optimisation de ses ressources, des processus flexibles, et des compétences supplémentaires des salariés.
La collaboration est un des facteurs clés favorisant ces mutations devenues vitales pour toute organisation (Beyerlein, et al., 2002). Selon (Prahalad, et al., 2001) il existe un lien très fort entre la collaboration au sein de l’entreprise et aussi avec son écosystème, avec sa propre profitabilité. Une première introduction au concept de la collaboration peut être donnée par la définition générique et simplifiée suivante :
Définition 1-1 :
« La collaboration renvoie à un ensemble de personnes qui travaillent ensemble pour produire un service ou un produit.» (Bannon, et al., 1989).
Une analyse plus détaillée de cette notion sera donnée plus loin (Cf. Partie II : Etat de l’art ). Une étude récente de (Frost & Sullivan, 2006), menée auprès de 946 décideurs européens, américains et asiatiques, montre que le travail collaboratif et les outils associés ont un impact significatif sur la performance. L’influence du travail collaboratif pèserait pour 36% dans cette performance, là où les choix stratégiques n’influent qu’à hauteur de 16% et les aléas du marché (tant économiques que technologiques) de 7%.
Cette étude propose un « index de collaboration » développé pour l’occasion et qui prend en compte des critères de « capacité collaborative » et de « qualité du travail collaboratif » au sein de l’entreprise. La performance est, quant à elle, mesurée à travers l’augmentation des profits, des ventes et de la productivité. Comme le montre le graphique suivant de (Frost & Sullivan, 2006), le travail collaboratif est un facteur clé à tous les niveaux de la performance.
Réflexion sur les usages des technologies de collaboration à partir des difficultés du travail collaboratif
Doper la collaboration est devenu, aujourd’hui, une préoccupation globale de l’entreprise. Cela ne concerne plus une population donnée, ni un niveau hiérarchique précis, ni des processus ou des situations particulières de travail… La collaboration est une problématique récurrente et générique. C’est une notion qui concerne tout collaborateur, chaque processus de travail et flux d’information, les différents contextes et situations, à tous les niveaux hiérarchiques de l’entreprise. On trouve aujourd’hui une offre technologique abondante et de plus en plus complète facilitant les différents aspects de la collaboration (réduction des distances, multiplication des canaux de communication, automatisation des processus, partage de données, etc.). La richesse de cette offre s’est accompagnée d’une multiplication de son taux d’adoption au sein du milieu professionnel durant les dernières années .
L’adoption des technologies de collaboration est aujourd’hui une condition nécessaire pour la collaboration au sein de l’entreprise (et avec son environnement). Mais, cette condition n’est pas suffisante !
En effet, en établissant des relations assez simplistes entre la « collaboration » et les «technologies » on risque de ne pas accorder l’attention suffisante aux caractéristiques, processus et objectifs des individus, groupes et organisations utilisant ces technologies, ni à la manière dont ces populations s’en servent (Prahalad, et al., 2001). Outre la transversalité et l’hétérogénéité des situations collaboratives, l’implantation des technologies de travail collaboratif dans une organisation, se heurte assez souvent à des difficultés non seulement techniques, liés aux outils et infrastructures, mais aussi d’autre nature comme l’ont souligné plusieurs auteurs depuis deux décennies (Kiesler, et al., 1984), (Grudin, 1988), (Galegher, et al., 1990), (Grudin, 1994), (Olson, et al., 1996). Ces difficultés peuvent être :
• fonctionnelles : telles que les problèmes liés à l’utilisabilité et à l’ergonomie des interfaces, la multiplicité des fonctionnalités, la non adéquation entre l’outil et la multitude des tâches et processus.
• socioculturelles et humaines : telles que la difficulté de partage d’un intérêt commun, les problèmes de conflits d’intérêts et la priorité individuelle versus la priorité collective, la non adéquation entre l’outil et les protocoles sociaux du groupe, la difficulté de créer et de maintenir une relation à distance performante.
• organisationnelles : telles que la nécessité d’une masse critique d’utilisateurs pour qu’un système fonctionne convenablement, la nécessité d’adéquation entre un outil et différents profils d’utilisateurs, la nécessité d’adéquation entre un outil et différentes formes d’organisation en groupe.
Face à ces diverses difficultés, une technologie de collaboration n’a ni valeur, ni sens, ni conséquences par elle-même : c’est la pratique ou « l’usage » qui décide de tout cela (Orlikowski, 2003). Omettre ce fait revient à supposer, d’une manière simpliste, que si les individus disposent de la technologie, ils l’utiliseront forcément, et ce dans le sens où elle a été conçue, pour produire les résultats attendus par l’organisation. Or, la réalité sur le terrain de l’entreprise est toute différente, et les problématiques de l’usage sont bien plus complexes.
Définition 1-2 :
«L’usage renvoie à l’utilisation d’un média ou d’une technologie, repérable et analysable à travers des pratiques et des représentations spécifiques ». (Millerand, 1998) .
Nous reviendrons sur cette notion, avec plus de détails, dans le premier chapitre de la partie II . Aujourd’hui, les technologies de collaboration sont plus génériques, évolutives, et omniprésentes. Ces caractéristiques font de la question de l’usage une problématique d’actualité. En effet, ces technologies sont conçues pour des besoins très divers (concept de general purpose media d’après (Jørgen, et al., 2003)) selon des représentations que se font les concepteurs des situations d’usages. Elles doivent s’adapter aux multiples réalités du contexte d’implantation et des conventions d’usages appropriées doivent alors exister (Kraut, et al., 1998), (Mark, 2002).
D’autre part, la vitesse d’évolution des technologies, s’est nettement accélérée ces dernières années. On observe des progrès remarquables dans différents secteurs tels que : les réseaux et télécommunication, Internet, l’arrivée du web 2.0, les technologies numériques, l’amélioration de la bande passante, les interfaces riches et les capacités de stockage. Avec de telles évolutions, les technologies de collaboration sont plus puissantes et offrent plus de fonctionnalités aux utilisateurs. Les usages évoluent en conséquence et de nouvelles pratiques apparaissent. Enfin, le concept d’omniprésence (ou ubiquité) veut dire que les technologies sont aujourd’hui accessibles par tous, à tout moment, dans n’importe quel lieu. Cela a pour impact, le développement d’habitudes et d’usages parallèles, dans la sphère privée. De telles pratiques ne sont pas sans effet sur les usages professionnels. Les Blogs par exemple, sont initialement destinés à un usage privé et individuel, pour permettre à une personne d’exprimer ses idées sur le net. A force de se multiplier, ces outils devenus banalisés, s’invitent aujourd’hui dans le monde de l’entreprise pour répondre à de nouveaux besoins d’expression et d’échange, formels ou non, entre les collaborateurs et aussi avec leurs hiérarchies. Au vu de ces différents éléments, il s’avère que pour fonctionner efficacement et tirer un plein profit des facilités technologiques, toute organisation est amenée à conduire des réflexions sérieuses sur les usages de ses outils de collaboration et sur ses propres modes de travail collaboratif en interne et en externe.
LE CONTEXTE INDUSTRIEL
Le Knowledge Management chez RENAULT
Nos travaux de thèse ont été réalisés au sein de l’entreprise RENAULT, constructeur automobile français. Réaliser un tel projet de recherche au sein d’une grande entreprise permet de connecter des problématiques de recherche avec de réels objectifs de performance industrielle. Dans ce paragraphe est détaillé l’environnement dans lequel se sont déroulés nos travaux. Ce contexte industriel a servi de base à la construction de la problématique, au développement et à la validation de modèles théoriques présentés dans cette thèse.
Dans sa quête de la performance, RENAULT accorde une importance à la valeur du capital immatériel et des connaissances. En effet, Selon un rapport ministériel récent, l’économie de l’immatériel sera la plus forte source de croissance des pays dans le 21ème siècle (Lévy, et al., 2006). Aujourd’hui elle représente 20% de l’économie de la France. Ce chiffre devra doubler dans les 10 à 20 ans qui viennent (Usine Nouvelle, 2006). Vers la fin des années 90 un service dédié à l’ingénierie documentaire et à la gestion des connaissances a été créé au sein de la direction des technologies et systèmes d’information de RENAULT. Devenu le service « Knowledge Management » (KM) en 2001, il est en charge d’apporter des solutions méthodologiques et informatiques couvrant diverses problématiques du domaine de la gestion des connaissances, telles que :
• le partage de bonnes pratiques,
• la recherche, l’accès et la représentation de l’information,
• le travail collaboratif en interne et en externe,
• la gestion électronique des documents,
• le multilinguisme, la traduction et la gestion de la terminologie de l’entreprise, etc.
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Table des matières
INTRODUCTION
GUIDE DE LECTURE
Plan global
Conventions de rédaction
PARTIE I. CONTEXTE ET PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE
Chapitre.1. Introduction, Contexte des travaux de thèse
1.1 Introduction
1.1.1 La collaboration au regard de la performance
1.1.2 Réflexion sur les usages des technologies de collaboration à partir des difficultés du travail collaboratif
1.2 Le contexte industriel
1.2.1 Le Knowledge Management chez RENAULT
1.2.2 Le programme « Business To Employee » chez RENAULT
1.2.3 Les projets de déploiement d’outils collaboratif chez RENAULT
1.3 Le besoin industriel de RENAULT
Chapitre.2. Construction de la problématique de recherche
2.1 Le positionnement scientifique
2.1.1 Mots clés, champs disciplinaires
2.1.2 Les domaines de recherche, spectre de l’état de l’art
2.1.2.1 L’ingénierie du travail collaboratif
2.1.2.2 Le support informatisé du travail
2.2 Problématique de l’analyse des usages en milieu hétérogène
2.3 Problématique d’amélioration et conception des usages
2.4 Synthèse
PARTIE II. ETAT DE L’ART
Chapitre.3. Concepts fondamentaux
3.1 Concepts fondamentaux : Notion de la collaboration
3.1.1 Définitions de la « collaboration »
3.1.1.1 Origines
3.1.1.2 Les contextes de la « collaboration »
3.1.1.3 La recherche académique
3.1.1.4 Une vision « business » de la « collaboration »
3.1.2 Caractéristiques de la relation de « collaboration »
3.1.3 Les processus de « collaboration »
3.1.4 Coopération, coordination et communication
3.1.5 Synthèse de l’état de l’art sur le concept de la « collaboration »
3.2 Concepts fondamentaux : Notion de l’usage
3.2.1 Introduction
3.2.2 Définition et cadrage disciplinaire de l’usage
3.2.2.1 Définition d’une notion complexe et ambiguë
3.2.2.2 Cadrage disciplinaire de la question de l’analyse de l’usage
L’usage d’un point de vue sociologique (« Sciences Sociales »)
L’usage d’un point de vue analytique (« Sciences de Gestion »)
L’usage du point de vue des Sciences de l’ingénieur
3.2.2.3 Notre approche pour l’analyse de l’usage
3.2.3 Les différentes logiques de l’usage
3.2.4 Exemple d’illustration des différentes facettes de l’usage
3.2.4.1 Etude descriptive des usages de « la messagerie »
3.2.4.2 Etude sociologique des usages de « la messagerie »
3.2.4.3 L’usage de « la messagerie » selon différentes logiques d’acteurs
3.2.5 Synthèse de l’état de l’art sur le concept de l’ « usage »
3.3 Outils de travail collaboratif
3.3.1 Historique et définition
3.3.2 Diversité des outils de travail collaboratif
3.3.3 Exemples d’outils de travail collaboratif
3.3.3.1 Exemples d’outils basiques de collaboration
Outils de « communication »
Outils de « coordination »
Outils de « production »
3.3.3.2 Produits complets ou Suites de travail collaboratif
Chapitre.4. Approches Théoriques Pour l’Ingénierie et l’Amélioration des Usages
4.1 Ingénierie et Amélioration des Usages : Les Positionnements Theoriques
4.1.1 Les approches contingentes ou technocentriques
4.1.1.1 La théorie de richesse des médias
4.1.1.2 La théorie de l’accord entre la technologie et la tâche
4.1.2 Les approches institutionnelles ou sociocentriques
4.1.3 Les approches sociotechniques
4.2 La modélisation du travail collaboratif
4.2.1 Introduction
4.2.2 La modélisation avec « la théorie de l’activité »
4.2.2.1 Concepts
4.2.2.2 Utilisation
4.2.3 La modélisation basée sur « la théorie de la coordination » :
4.2.3.1 Concepts
4.2.3.2 Utilisation
4.2.4 La méthode de modélisation par « scénarios »
4.2.4.1 Concepts
4.2.4.2 Utilisation
4.2.5 La méthode de modélisation par « Thinklets »
4.2.5.1 Concepts
4.2.5.2 Utilisation
4.2.6 La méthode de modélisation « Main »
4.2.6.1 Concepts
4.2.6.2 Utilisation
4.2.7 Synthèse des approches de modélisation du travail collaboratif
4.2.7.1 Evaluation des approches de modélisation
4.2.7.2 Eléments clés pour la modélisation d’une situation de collaboration
4.3 L’Evalutaion des Processus, des outils et des usages collaboratifs
4.3.1 Intérêt à la question de l’évaluation des usages collaboratifs
4.3.2 Les différents niveaux de méthodes d’évaluation
4.3.3 Les méthodes d’évaluation des critères intrinsèques de l’outil de collaboration
4.3.4 Mesures de la compatibilité entre un outil et un contexte de collaboration
4.3.5 Méthodes d’évaluation de la collaboration réelle ou des usages collaboratifs réels
4.3.6 Mesures de la performance collaborative d’une organisation
4.3.7 Synthèse des méthodes d’évaluation et leurs apports
4.3.7.1 Objets évalués
4.3.7.2 Intérêt pour nos questions de recherche
PARTIE III. ANALYSE DES USAGES COLLABORATIFS EN MILIEU HETEROGENE
Chapitre.5. Introduction : L’existant et ses limites
5.1 Introduction
5.1.1 Rappel de l’existant
5.1.2 Les limites des travaux actuels
5.1.2.1 Spécificités contextuelles
5.1.2.2 Profondeur de l’analyse
5.1.2.3 Périmètre de l’analyse
Chapitre.6. Cadrage et Proposition d’un Modèle d’Analyse des Usages
6.1 Introduction : L’etude d’analyse des usages
6.2 Etape 1 : LA Finalité = Application au diagnostic des usages collaboratifs chez RENAULT
6.3 Etape 2 : Cadrage conceptuel = Proposition d’un modele d’analyse des usages
6.3.1 Le cadre global
6.3.2 Conception détaillée d’un modèle d’analyse des usages
6.3.2.1 Module 1 : Utilisabilité du système
6.3.2.2 Module 2 : Utilité perçue du système
6.3.2.3 Module 3 : Mesure et Description des Usages
Module 3.1 : le niveau d’usage
Module 3.2 : le contexte d’usage (acteurs et organisation)
Module 3.3 : les usages fonctionnels (actions)
Module 3.4 : les usages de contenu (les flux d’information)
6.3.2.4 Module 4 : Evolutions
6.3.3 Synthèse
Chapitre.7. Etude de Terrain et Validation Opérationnelle
7.1 Les outils de travail collaboratif étudiés
7.2 La méthodologie de validation Terrain
7.2.1 Choix d’une méthode empirique
7.2.2 Type de population ciblée
7.2.3 Données des enquêtes
7.3 Résumé des résultats de validation opérationnelle
7.3.1 Le niveau d’usage des outils
7.3.2 Les contextes d’usages d’outils collaboratifs
7.3.2.1 Typologie des groupes collaboratifs
7.3.2.2 Répartition géographique
7.3.2.3 Composition hiérarchique des équipes collaboratives
7.3.3 Usages fonctionnels
CONCLUSION